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FRANCE

Itinéraire d'un ex-djihadiste français

David Vallat combattait aux côtés des fous de Dieu dans les années 1990.
Photo de couverture : David Vallat après sa conversion à l'islam

Casquette gavroche vissée sur le crâne et petit air de mafieux – David Vallat semble soucieux quand je le rencontre dans le quartier de la Part-Dieu, à Lyon. Ce chargé d'affaires d'une quarantaine d'années prend de l'assurance à l'évocation de son parcours. Il s'exprime avec détermination et décrit sa trajectoire avec précision. Il connaît le sujet sur le bout des doigts, et se souvient de chaque date, chaque fait, chaque détail d'une conversation. C'est ce caractère « bouillant » – comme il le dit lui-même – qui l'a conduit sur la voie du djihad dans les années 1990.

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Son histoire est celle d'un jeune de Villefontaine – une ville iséroise située près de Lyon – qui arrête l'école à 16 ans, se convertit à l'islam et se radicalise peu à peu. Il raconte tout cela dans « Terreur de jeunesse », publié chez Calmann-Lévy. Cette autobiographie évoque son périple en Bosnie pendant la guerre en 1993, puis son départ vers l'Afghanistan pour rejoindre un camp d'entraînement d'Al-Qaïda. David Vallat finira par rentrer en Isère pour s'impliquer aux côtés du réseau islamiste de Chasse-sur-Rhône, filiale du groupe islamique armé (GIA) algérien.

Financement, transport d'armes et de faux passeports : David Vallat s'occupe de tout ce qui a trait à la logistique du groupe, avant de quitter le réseau en apprenant qu'un attentat est en préparation. Par la suite, la France découvre avec stupeur les visages des terroristes de l'été 1995 : Boualem Bensaïd, Ali Touchent, Khaled Kelkal et consorts. David Vallat, lui, est arrêté le 31 août de la même année. Jugé en 1997, il prend cinq ans ferme en appel pour sa participation à ces attaques – dont le bilan s'est élevé à huit morts et 200 blessés.

« Déradicalisé » après être passé par la case « prison », il prône aujourd'hui une « laïcité stalinienne » et appelle l'état à réinvestir le champ de l'école, « là où tout se joue » selon ses dires. J'ai eu l'occasion de le rencontrer afin d'en savoir un peu plus sur son histoire et sa réinsertion.

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VICE : Comment, en tant qu'ancien djihadiste, avez-vous réagi aux attentats de Paris ?
David Vallat : Je m'y attendais. Je savais que c'était une question de temps. Le mode opératoire et le profil des terroristes ne m'ont pas étonné.

Justement, le profil des terroristes était-il le même à votre époque ?
Les profils sont les mêmes, les méthodes sont les mêmes, les idées sont les mêmes. Seul le contexte est différent. À l'époque, les images étaient tellement rares que les discours les précédaient. Aujourd'hui c'est l'inverse : on a d'abord accès à des images violentes. Le discours vient simplement valider un état émotionnel.

Est-ce que vous vous êtes dit que vous auriez pu faire partie de ces terroristes ?
Dans les années 1990, mon discours était clair : il était hors de question que je m'en prenne aux civils. J'étais parmi les plus radicaux, parmi ceux qui pensaient qu'il fallait prendre le pouvoir par la violence et par les armes – mais jamais contre le peuple. En revanche, les juges, les gendarmes et les maires pouvaient y passer.

J'aurais pu faire partie de l'équipe de terroristes de Charlie Hebdo parce qu'à l'époque, les journalistes étaient déjà des cibles prioritaires. Ils sont d'ailleurs les premiers à payer le prix fort dans les pays où s'installe le wahhabisme djihadiste.

Vous vous êtes converti à l'islam pendant votre adolescence, séduit par ses valeurs de partage et d'ouverture – des valeurs pas vraiment partagées par les terroristes.
Pas du tout mais ça, je ne m'en rends compte qu'après ! Au départ, je me convertis à l'islam des chibanis. Ces gens-là en imposent : ils sont tout en bas de l'échelle sociale, vivent à plusieurs sur un salaire, etc. Je suis impressionné par leur détermination. Tout est fait pour les broyer socialement, économiquement, politiquement, mais ils tiennent le choc.

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C'est un islam pépère : on s'invite pour Noël, pour la Fête du mouton, c'est convivial. Autour du terrain de boules, on trouve des pieds-noirs, des Africains, des Vietnamiens. Pour se comprendre, on parle français. Notre appartenance confessionnelle ne détermine pas notre identité. Cela n'arrivera que plus tard.

Vous évoquez dans votre livre la radicalisation des mosquées de votre quartier, consécutive à l'arrivée de jeunes musulmans au discours virulent. Quel était le contexte à l'époque ?
Le contexte, c'était la guerre en Irak – le sentiment d'une intervention injuste contre des Arabes. Dès 1991, des organisations religieuses et des associations humanitaires islamiques saoudiennes approchent des jeunes désœuvrés du quartier en leur proposant de leur payer deux années de formation pour découvrir l'islam. Les mecs reviennent avec une lecture radicale de l'islam et affirment aux plus vieux qu'ils pratiquent un islam « d'endormis ». Le coeur de leur discours de leur discours, c'est : « Il y a nous et les autres. » Au fur et à mesure, ils gagnent du terrain dans les mosquées. Selon moi, on reconnaît le niveau de radicalité d'une mosquée en regardant la moyenne d'âge.

Comment finissez-vous par adhérer à une idéologie liée à la violence ?
Ce n'est pas tant une adhésion qu'un rejet, en fait. Après avoir rompu avec votre famille, l'école et la société, vous êtes prêt à accepter cette idéologie, car elle vous explique pourquoi il y a eu cette rupture. Le discours c'est : « Il t'arrive tout ça parce que tu es musulman. » Vous adhérez à un groupe qui vous tend les bras, alors que jusqu'à présent vous n'avez trouvé que des portes closes. Et le jour où vous demandez ce qu'il faut faire pour changer les choses, on vous propose d'aller vous entraîner dans une zone de guerre.

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Quel est l'élément déclencheur de votre radicalisation ?
La guerre en Bosnie. Je m'y rends dans la posture du chevalier blanc qui va défendre la veuve et l'orphelin. Sur place, c'est le bordel. La Croatie et la Bosnie viennent de se déclarer la guerre, nous échappons à la mort plusieurs fois et notre contact sur place nous conseille de rentrer en France. Là-bas, je rencontre des Saoudiens, qui n'ont pas du tout peur de mourir. J'adhère à leur idéologie wahhabite car elle répond à toutes mes interrogations. Elle permet d'éluder la question de la mort – qui n'est plus une peur, mais un objectif.

Après la Bosnie, vous partez vous former à la lutte armée dans un camp d' Al-Qaïda en Afghanistan.
Quand je pars, mon but est de me former au matériel russe afin de retourner combattre en Bosnie. Sur place, on me forme à toutes les armes – sauf aux tanks et à ce qui vole. C'est une sorte de djihad academy : chaque module théorique était validé par une épreuve pratique.

À votre retour d'Afghanistan fin 1994, comment intégrez-vous le réseau de Chasse-sur-Rhône ?
En Afghanistan, mon usage de l'arabe algérien dialectal – appris avec mes copains du quartier – et mon caractère à fleur de peau me font passer pour un Algérien. Quand je rentre en France, un homme qui revient du maquis algérien doit rencontrer un certain Abou Farès [qui se révélera être Rachid Ramda, considéré comme le cerveau des attentats de 1995, N.D.L.R.] à Londres. Personne ne parle arabe et anglais, sauf moi. Je pars donc avec lui et intègre cette mouvance.

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Rejoignez-vous le mouvement pour des raisons politiques ?
En 1992, j'observe avec attention la victoire du FIS en Algérie au premier tour des législatives, suivie du putsch des généraux. J'exècre la position du gouvernement français qui défend la validité de ce putsch car, à ce moment-là, je considère qu'il s'agit d'une position paternaliste post-coloniale. Dans ma tête, à l'époque, la politique et la religion se mélangeaient un peu.

Et la religion dans tout ça ?
Elle est très présente ! On entre dans une logique irrationnelle, où tout est pensé pour l'action sans retour. Elle valide le fait de mourir en martyr. Quand vous êtes persuadé de revivre après votre mort, cela vous ôte un poids essentiel.

David Vallat. Photo de Marie Albessard

Vous êtes arrêté en 1995. En détention, vous êtes un « détenu particulièrement signalé » (DPS), tout en partageant la cellule d'un terroriste du FIS et d'un trafiquant d'armes. Ça paraît assez dingue.
En fait, la prison de la Santé n'avait pas les moyens d'accueillir les DPS dans des cellules individuelles. L'administration pénitentiaire avait bien compris que je ne faisais pas de prosélytisme.

Un jour, le directeur de la maison d'arrêt est venu me voir car un détenu – une grosse pointure du banditisme – exigeait de me rencontrer. Il venait juste de perdre son père. Je l'ai rencontré et l'ai apaisé, en lui disant que ses bonnes actions pouvaient être mises au crédit de son père – comme cela est possible dans la religion musulmane. Si je l'avais voulu, j'aurais pu transformer ce type en une bombe à retardement !

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Pourquoi vous a-t-on choisi pour faire ça ?
Parce qu'il n'y avait pas d'aumônier musulman et que j'étais l'imam officieux de la prison !

Vous avez fini par vous « déradicaliser » en prison.
Ça a été le cas parce que le régime carcéral ne m'a pas privé de mon humanité. Je n'ai pas été torturé, j'ai eu droit à une avocate, on m'a autorisé à étudier, etc. Si on m'avait condamné à 20 ans de prison et que j'avais été maltraité, aujourd'hui, je serais un putain de recruteur !

C'est ça le vrai déclic ?
Ça, et la lecture. J'ai lu deux livres par jour. Plus votre esprit s'ouvre, plus votre vision du monde s'agrandit. Cette métamorphose s'est achevée le jour de ma libération : je n'avais plus d'adversaire.

Comment s'est passée votre réinsertion ?
Je mets six mois à me sortir de cette décennie de violence. Au début, je restais assis sur mon fauteuil sans dormir car je faisais des cauchemars. J'étais complètement déconnecté de la réalité.

Je finis par rencontrer la mère de ma fille. Elle vient d'Azerbaïdjan, a connu la guerre du Haut-Karabagh et ne me pose aucune question sur ce que j'ai vécu ou fait. Elle demande l'asile en France. Je ne veux pas la laisser en galère et je me jette à corps perdu dans le travail. Lorsqu'elle tombe enceinte, c'est un moment clé de ma réinsertion. Je m'engage de manière irrévocable. C'est un long processus, débuté en prison et qui se poursuit jusqu'au point final : l'écriture de mon livre.

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Justement, qu'espérez-vous avec ce livre ?
J'espère entrer dans le débat car j'en ai marre de ces pseudo-experts qui ne maîtrisent pas le sujet et embrouillent mes compatriotes. Je n'entends pas proposer des solutions, simplement mieux énoncer le problème.
J'aimerais que l'on ait, dans ce pays, la conviction sans faille que nous avons raison. Notre système, aussi perfectible soit-il, nous permet de vivre ensemble malgré nos différences de croyances, d'origine, de statut social. Devant la loi, nous sommes tous égaux.

Aujourd'hui, on a oublié l'importance fondamentale de l'école dans la formation des citoyens. Il faut donner les moyens aux gamins de réfléchir. Et puis, il faut une laïcité stalinienne, sans concession. Je ne veux pas d'une société où le communautarisme règne en maître.

Dernière question. Avez-vous fait la paix avec vous-même ?
Plus j'avance dans ma vie, plus je réalise à quel point j'ai évolué en deux décennies. J'essaie encore de comprendre ce qui s'est passé. Même si je vis jusqu'à 80 ans, je continuerai à me demander comment j'en suis arrivé là.

Celui que j'étais à 20 ans ne reviendra pas. Il est mort et enterré. En revanche, il a laissé des traces.

Je comprends. Merci, David.

Terreur de jeunesse de David Vallat est disponible chez Calmann-Lévy.

Marie est sur Twitter.