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On a demandé à des Parisiens, musulmans ou non, si l'attaque de mercredi les avaient rendus parano

Depuis le renforcement du plan Vigipirate, de nombreux Français s'enlisent dans la peur et la paranoïa.
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Tout le monde s'est mis d'accord pour caractériserla fusillade dans les locaux de Charlie Hebdo d'attentat terroriste. À travers l'assassinat de 12 personnes – dont plusieurs journalistes –, la liberté d'expression et les valeurs républicaines de la France ont été touchées en plein cœur, instaurant un climat glacial dans tout le pays.

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Le problème du terrorisme, c'est qu'il fait naître automatiquement en nous un sentiment d'angoisse – cette réaction émotionnelle est normale mais empêche de faire une distanciation nécessaire à une réelle analyse. Certes, si des terroristes ont peu de chances de prendre un jour la tête du système, ils entendent le mettre en péril jusqu'à ce qu'il finisse par s'autodétruire. Rendre la population parano est aussi l'un de leurs objectifs premiers.

Ainsi, compte tenu de l'engouement et de la vague de soutien qui ont suivi l'attaque en France et un peu partout dans le monde, on est allés demander aux Parisiens comment ils vivaient la situation afin de savoir si, depuis ce jour, ils étaient eux aussi en quelque sorte victimes du terrorisme – en changeant leur quotidien et en tombant dans la paranoïa.

Ryan, 23 ans, salarié dans une boutique de vêtements

VICE : Qu'as-tu ressenti lorsque tu as appris l'attaque de Charlie Hebdo ? As-tu pensé à une attaque terroriste ?
Ryan : Je n'y ai pas cru, j'ai pensé que c'était un canular. C'était trop lourd : attaque à l'arme lourde, kalachnikovs, etc… Lorsque les informations ont été relayées et les vidéos postées, je me suis demandé pourquoi. On a déjà assez de problèmes, de haine envers les autres. Ce n'était vraiment pas nécessaire, j'ai ressenti de la désolation plus que de la peur.

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Tu es musulman ?
Oui, on est musulman dans ma famille. Ce qui me désole, c'est que sur toutes les personnes en France, peut-être un tiers va mettre en cause la religion musulmane. On sait tous que non – aucune religion ne nous dit de tuer autrui. Et c'est d'autant plus désolant de devoir se justifier par rapport à ce que fait une minorité de personnes – et de voir autant de monde se faire cataloguer.

Tu penses qu'il y aura un avant/après Charlie Hebdo ?
Ça me fait un peu rire de voir les « Je suis Charlie » sur Facebook. Il faut quand même se rappeler que c'est un journal indépendant, qui est sans cesse dans la merde – financièrement, très peu de médias les soutiennent. C'est malheureux à dire, mais l'âme du journal est partie. Un avant/après, pas vraiment. Cette situation existe depuis déjà des années – elle n'existait peut-être pas en France et donc personne ne s'inquiétait. C'est vraiment grave ce qu'il s'est passé, mais la question est de savoir à quoi va ressembler cet après et comment les choses vont évoluer.

Hassan, 47 ans, vendeur

As-tu compris qu'il s'agissait d'un attentat terroriste lorsque tu as appris la nouvelle ?
Hassan : Oui. Je me suis dit qu'il y allait y avoir des explosions. C'est très grave ce qu'il se passe. Je suis musulman – mais pour moi, cet acte n'a rien de musulman, on punit ça. On a de la chance de vivre en France, c'est un bon pays pour protéger les libertés de chacun. Nous, on est musulmans, c'est tout. Je n'aime pas que l'on confonde, et je n'aime pas ce qu'il se passe – notre religion ne dit pas ça.

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Penses-tu qu'il y aura des mesures de plus en plus sécuritaires en France ?
Oui. Chez nous au Pakistan, c'est déjà très dur. On essaye de lutter contre ces attaques avec beaucoup de fermeté et je pense que c'est la bonne solution.

Charles, 14 ans, collégien et sa mère Karina, 42 ans

Charles : J'étais au kebab avec des amis – j'ai vu qu'il y avait une fusillade mais je n'avais pas compris que c'était à Paris. Quand on est rentrés, la mère d'un pote l'a appelé pour lui dire de ne pas sortir : c'est là que j'ai compris que c'était chaud.

Tu as eu peur ?
Un peu, je ne savais pas trop quoi faire donc je suis resté à la maison – mais je n'étais pas trop inquiet.

Comment s'est passée ta journée au collège ?
Quand je suis arrivé, des élèves de ma classe avaient mis des poubelles devant comme pour faire un blocus – certains voulaient un peu en profiter pour ne pas aller en cours. À midi, on a fait une minute de silence, on en a parlé un peu en cours, pour discuter de la liberté d'expression – certains profs n'en ont pas du tout parlé.

Y aura-t-il un avant/après Charlie Hebdo ?
Karina : Cela nous fait prendre conscience de ce que signifie la liberté d'expression – et de la chance qu'on peut avoir et à quelle vitesse cela peut basculer. Pour la presse, je ne sais pas.

Kaï, 24 ans et Julien, 26 ans

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Julien : J'étais au restaurant. J'avais entendu quelques bruits mais je n'étais pas vraiment informé. Mes amis m'ont expliqué plus en détail qu'il s'agissait d'une fusillade.

Tu as tout de suite mesuré l'impact de cet événement ?
Au début je n'avais pas compris qu'il s'agissait de Charlie Hebdo et que l'attaque était une forme de réponse directe aux – soi-disant – atteintes que les journalistes et illustrateurs faisaient aux religions. J'ai mieux compris en allant sur les réseaux sociaux, j'ai vu la vidéo du policier qui se fait descendre. Ça m'a glacé le sang.

Kaï : Je n'étais pas très loin, j'ai reçu un message mais je n'ai pas vraiment réalisé, ni senti le climat de terreur qui régnait.

En ce qui est de l'amalgame qui est fait entre religion musulmane et islam radical, la suite s'annonce comment selon toi ?
Ça va empirer – même sans ça il y en avait. Le Front national s'est déjà saisi de la question de toute façon. Il y a déjà une peur, même si ça ne touchait pas la France – c'est déjà arrivé dans d'autres pays : Australie, Espagne, Royaume-Uni. Ça ne va pas se calmer. Mais ceux qui ont été assez intelligents pour faire la différence les fois précédentes le seront encore aujourd'hui j'espère. Mais il y a un peu trop de bourrage de crâne.

Thomas, 27 ans, et Charlotte, 28 ans

Lorsque tu as appris ce qu'il s'est passé à la rédaction de Charlie Hebdo, tu as immédiatement pensé à un attentat terroriste ?
Charlotte : Pas du tout. On a appris la nouvelle sur Internet, et après avoir fait le tour des réseaux pour avoir plus d'informations, on a fait le lien avec une attaque terroriste ; sachant aussi que le journal était la cible de différentes attaques depuis 2011. Les informations étaient très confuses au départ, et lorsque les noms des dessinateurs sont sortis, on a compris de quoi il s'agissait.

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Que penses-tu de la confusion faite entre la religion musulmane et l'islam radical après cet événement ?
Espérons que ça n'empire pas, mais certains partis politiques vont bien évidemment se servir de ces évènements et nourrir cet amalgame. J'espère que les gens auront l'intelligence de privilégier la pensée et plutôt que la haine.

Cédric, 27 ans

Tu faisais quoi quand tu as appris qu'il y a eu une fusillade ?
J'étais devant la télé.

Au départ, tu as assimilé cet événement à un attentat terroriste ?
Je me suis dit que ces mecs voulaient faire comme Mesrine. Je ne sais pas si ce sont des terroristes ou pas. Les mecs ont agi le matin, ont fumé un flic. Je pense que c'était surtout comme un règlement de comptes avec le journal, et toute une rédaction. Ils voulaient défendre leurs convictions – je ne sais pas lesquelles.

À ton avis, quelle va être la portée de cette fusillade ?
Je ne pense pas que la situation des musulmans va s'arranger, mais je ne pense pas que cela va empirer pour autant. C'est comme pour l'histoire de Mohammed Merah, ce sont plus des étapes dans l'histoire de la France et je ne sais pas encore ce qu'il va advenir. Pour les musulmans, c'est déjà dur. On essaye de mettre ça sur un acte terroriste pour légitimer les prochaines mesures qui vont heurter la liberté de culte. Pour calmer un peu la terreur, on montre qu'on contrôle la situation. Tout le monde est perdu dans l'histoire, et la réalité des choses est autre.

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Lana, lycéenne

Lana : C'est ma tante qui m'a envoyé un message. Elle était très inquiète sur le moment.

Tu as eu peur aussi ?
C'est très rare et surprenant car il s'agit de la France. Il y a des évènements et de la terreur partout dans le monde – mais ce n'est pas un acte terroriste habituel, c'était une attaque destinée à des personnalités, avec un symbole suffisamment fort pour nous terroriser, ce qui est différent.

Ça s'est passé comment dans ton lycée ?
On a eu un cours là-dessus, puis on a fait la minute de silence.

Le cours portait sur quoi ?
On a beaucoup discuté – on nous rappelait que la France est un pays qui prône la liberté, l'égalité et la fraternité et qu'on a droit de s'exprimer librement. Les journalistes ont également ce droit. Il n'y avait pas vraiment de débat, c'était plutôt une discussion et l'idée était d'insister sur le caractère important de cette journée.

Maud, 20 ans, étudiante en école de théâtre

Maud : J'ai appris la nouvelle en sortant de cours, tout le monde était sur son téléphone – certains étaient en train de pleurer. On a posé le mot attentat dès le départ, donc je ne me suis pas posé la question.

Selon toi, est-ce que la religion musulmane va encore subir des pressions par rapport à cet acte terroriste ?
L'amalgame a déjà été fait. Mais la majorité des figures politiques veillent quand même à ce que l'on ne confonde pas tout – les grandes figures religieuses également. Bien sûr qu'une part de la population va lier les deux, et c'est déplorable. Mais c'est relativement rassurant de voir l'émotion que ça a provoqué dans le pays et dans le reste du monde. Les gens se battent et vont, je l'espère, continuer à le faire.

Il y a, selon toi, un avant/après en France en ce qui concerne la liberté d'expression ?
Je l'espère, mais c'est encore trop tôt pour le dire. C'est évident que ça va marquer le journalisme. J'espère que cela marque suffisamment les gens et qu'ils auront davantage envie de se battre pour la liberté d'expression au lieu de se renfermer sur eux-mêmes.

À aucun moment tu penses que ça va avoir l'effet inverse ? Qu'on risque d'assister à une forme d'autocensure ?
Non, pas du tout. Au contraire, je pense que ça va pousser les gens à s'exprimer. En tout cas j'espère. Ils sont deux, ont peut-être des kalash, mais nous, on a nos crayons.