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Culture

Du plaisir de faire chier : une interview avec les mecs de ClickHole

Comment les créateurs de The Onion ont donné naissance au meilleur site Internet au monde.

Pour ceux qui, en 2016, rechignent encore à perdre leur temps sur Internet, il est bon de rappeler deux trois trucs évidents. 1/ The Onion est l'un des meilleurs sites au monde. 2/ ClickHole, rejeton du premier nommé, est l'un des meilleurs sites au monde. Fondé en 2014 pour répondre au développement exponentiel des sites recourant au clickbait, ClickHole parodie à longueur de journée des articles tels que « le top 10 des preuves évidentes que Bordeaux défonce Toulouse (et pas qu'un peu) », ou encore « 10 bonnes raisons de se mettre absolument au footing : la 3 est même incontournable ! ».

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Depuis son lancement, ClickHole perpétue la tradition de The Onion et tente de convaincre les lecteurs les plus naïfs du professionnalisme et de la véracité de ses publications. On ne dénombre même plus les célébrités ayant été assez candides pour tomber dans le panneau de propos prétendument rapportés : Salman Rushdie, St. Vincent ou encore Russell Crowe.

Vous avez peut-être découvert ce site lorsqu'il a encouragé les internautes à tagger leurs potes sur une photo de mecs du Ku Klux Klan, ou quand il a établi sa liste des « 11 signes qui prouvent que vous sortez avec la personne idéale » – se moquant de la candeur dégoulinante des couples à l'ère numérique.

Aujourd'hui, ClickHole n'a toujours pas changé de cible : les sites usant du clickbait pour augmenter leur audience. Les auteurs ne se contentent pas de reprendre les intitulés des articles de Buzzfeed et de les rendre absurdes à l'extrême. Ils ont donné naissance à leur propre syntaxe satirique.

« Nous nous servons de la propension à l'émotion qui caractérise Internet comme d'un tremplin pour créer un contenu loufoque et unique », précise Matt Powers, le rédacteur en chef de ClickHole. « Des trucs genre Machin vient de casser l'Internet ! ou encore des adjectifs comme consternant, prometteur, explosif. L'important est d'insister sur l'aspect émotionnel, grâce à un langage hyperbolique. »

Je me doute que vous savez ce à quoi Matt fait référence : ces articles sans angle, repris un peu partout sur Internet et qui épousent le cours paisible des flots bienheureux du consensus mou. Sanctifiant un jour Kendrick Lamar, le lendemain PNL et en général la nouveauté, ces papiers sont souvent les plus partagés et lus – car les moins susceptibles de déranger.

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« Il est fascinant de réaliser à quel point les gens qui utilisent Internet réagissent toujours de manière excessive, affirme Anthony Easton, auteur chez ClickHole. En fait, on se sert de l'absurdité intrinsèque d'Internet et des internautes tout en allant un peu plus loin que les autres. Tout cela aboutit à la création d'un contenu unique, sibyllin, qui colle parfaitement au monde dans lequel on vit. »

Si ClickHole profite de la paternité de The Onion pour attirer de nouveaux lecteurs, la petitesse de son équipe rédactionnelle interpelle. Avec huit auteurs, deux rédacteurs et un rédacteur en chef, le site publie des articles en quantité élevée, sans jamais se départir d'une exigence de qualité.

Anthony explique cette réussite : « Chaque lundi matin, nous passons plus de quatre heures ensemble à discuter des sujets qui ont germé dans notre tête. » Au final, 25 idées finissent dans les colonnes du site chaque semaine. Il poursuit : « Afin de donner naissance aux meilleurs articles possible, on se doit de proposer des tas d'idées. Les meilleurs auteurs ne voient qu'un quart de leurs idées se transformer en articles. »

De plus, les idées sont émises de manière anonyme, afin que les auteurs fassent preuve de créativité, et n'aient pas peur de déranger – un procédé hérité de The Onion. Quoi qu'il en soit, l'autocensure n'est pas vraiment présente en conférence de rédaction. « Savoir que le plupart de vos propositions ne verront jamais le jour vous libère et vous permet d'oser », avance Jamie Brew, auteur chez ClickHole.

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Je lui ai demandé comment il arrivait à conserver une liberté de ton sans tomber dans la répétition et sans ennuyer le lecteur. « On sait pertinemment quand une blague est vue et revue. Les autres auteurs ne se gênent pas pour nous le rappeler d'ailleurs, ajoute-t-il. Il ne faut surtout pas se demander ce que les internautes trouvent amusant. Ça serait cynique. En fait, on est égoïstes avant tout : on écrit des trucs qui nous font marrer. »

Par chance, les mecs de ClickHole ne sont pas les seuls à rire de leurs blagues. En un peu moins de deux ans d'existence, le site a déjà réuni plus de 650 000 followers sur Facebook et Twitter. Les réseaux sociaux sont au cœur du succès du site, et pas uniquement parce qu'ils attirent la grande majorité du trafic. En effet, ils sont responsables de l'exposition de l'utilisation du clickbait aujourd'hui.

« Les réseaux sociaux sont essentiels pour nous, car ils structurent le monde dans lequel ClickHole évolue », avance Anthony.

À l'heure du tout-gratuit, j'ai voulu en savoir un peu plus sur les effets des contenus sponsorisés, que l'on peut croiser sur le site. « Nous savons que la publicité fait partie intégrante des médias, mais nous ne proposons aucun sujet sponsorisé lors de notre conférence de rédaction, avance Matt. Les grandes marques veulent bosser avec nous de manière amusante et créative, et je pense que c'est une preuve de notre réussite. L'important est de ne pas tromper notre lectorat : nos articles sponsorisés le sont de manière évidente et visible.»

Et Anthony d'ajouter : « La plupart du temps, les articles sponsorisés sont de simples articles ClickHole avec un logo accolé. »

Il n'a pas tout à fait tort. Quand vous parcourez le site, vous comprenez que les articles sponsorisés ne diffèrent en rien des articles « classiques ». Cette problématique frappe une grande partie des médias, notamment digitaux – comment faire rentrer de l'argent sans compromettre son intégrité éditoriale. Comme le fait remarquer Matt, ce sont les entreprises qui contactent ClickHole afin de collaborer, et non l'inverse – ce qui est essentiel.

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