FYI.

This story is over 5 years old.

Tribune

Comment je suis devenue hétéro

Après de longues années de construction en tant que lesbienne, j'ai opéré un coming out inversé.

Loin du côté théâtral et dramatique que l'on s'imagine toujours, mon coming out s'est fait le plus naturellement du monde. En fait, il était même superflu. Mes préférences amoureuses et sexuelles avaient toujours été une évidence, pour moi comme pour les autres. J'avais passé la moitié de mon enfance à me faire passer pour un garçon à la moindre occasion et l'autre à convoiter mes enseignantes. Avec celles-ci, je m'inventais des scénarios romantiques délirants qui, bien sûr, n'ont jamais abouti sur quoi que ce soit. Même ma grand-mère avait répondu qu'elle s'en était « toujours doutée » lorsque je le lui ai annoncé.

Publicité

Au début, je n'avais pas compris qu'il y avait quoi que ce soit d'exceptionnel à aimer une femme lorsqu'on en était une. Et puis, aux alentours de 15 ans, j'ai réalisé que c'était tout un concept clairement défini par mes pairs. Il y avait non seulement un nom pour ça, mais c'était carrément comme appartenir à un autre monde, une autre structure sociale. De plus en plus admise dans sa marginalité. Tolérée, mais pas forcément comprise.

Je trouvais les femmes si belles que je ne comprenais pas qu'une seule personne sur cette Terre puisse ne pas être attirée par elles. Je les trouvais d'une sensualité qui avait été refusée aux hommes. Je les aimais et les désirais. En revanche, la gent masculine ne représentait aucun intérêt charnel à mes yeux. Rien que l'idée de devoir tripoter l'un de ses représentants me répugnait. Pourtant, j'avais essayé plusieurs fois. Mais je trouvais ça mécanique. Globalement insipide. D'une platitude totalement dénuée de charme.

J'ai commencé peu à peu à fréquenter le milieu lesbien. J'allais à la Gay Pride, j'avais sélectionné mon entourage en fonction de l'ouverture d'esprit que chacun allouait à ce combat pour l'égalité et la reconnaissance. Ce combat qui était devenu le mien. Je m'étais trouvé une identité, une solide piste sur le chemin de la découverte de moi, de la personne que je suis. Je revendiquais ma différence comme une conformité et je me sentais à ma place dans cette individualité. Je pensais m'être un tant soit peu élucidée.

Publicité

Puis, un beau jour, à l'aube de mes 26 ans, j'ai rencontré un type aux États-Unis, à Los Angeles. Et tout a changé.

J'ai d'abord été séduite par sa personnalité, à laquelle je me suis progressivement attachée. Au début, je n'y voyais rien d'anormal. De fait, je m'étais toujours très bien entendue avec les hommes. Je me sentais d'ailleurs souvent plus proche d'eux que des femmes, sur lesquelles je posais un regard différent. Mais peu à peu, j'ai fini par me rendre compte que cette histoire allait plus loin qu'une simple relation platonique.

Mes sentiments ont commencé à évoluer et j'ai réalisé que j'éprouvais du désir pour lui. Au fil du temps, il a habité mes fantasmes, réservés jusque-là exclusivement à ces dames. J'avais du mal à comprendre ce qu'il m'arrivait, mais je ne me rendais pas encore compte que cette espèce d'« écart » allait avoir des répercussions sur mon existence tout entière. Je pensais que ça n'était qu'une passade, entraînée par l'éloignement des repères de ma terre natale. Il ne s'agissait en aucun cas d'une remise en question. Je n'étais même pas sûre qu'on pouvait parler d'amour et j'ai mis ce désir nouveau sur le dos d'une envie de découverte plus profonde des relations hétérosexuelles – que j'avais seulement survolées jusque-là.

Finalement, cette histoire s'est étouffée dans l'œuf. Vite, j'ai rangé mes interrogations au placard, poursuivant ma route sans me formaliser outre mesure. Sans peser réellement le poids du changement qui s'installait déjà en moi. À mon retour au pays, je me suis aperçue que mon regard sur les hommes avait changé, sans vraiment me rendre compte de ce que cela impliquait.

Publicité

Et puis, environ un an plus tard, j'ai rencontré un autre homme. Duquel je suis immédiatement tombée follement amoureuse.

Faire l'amour avec cet homme avait été l'apogée d'un sentiment qui fulminait en nous – ou du moins en moi. J'avais l'impression que ça avait été ma première fois.

C'était réciproque. Enfin, je le croyais. Le genre de rencontre qui s'inscrit parmi les évidences que la vie met sur notre chemin. Cette histoire a balayé toutes mes certitudes, emportant avec elle ce que je pensais avoir péniblement déchiffré à mon sujet. J'ai découvert avec lui une toute nouvelle définition du mot « sexe ». Le corps des hommes ne me dégoûtait plus. Je comprenais soudainement l'intérêt et le plaisir des rapports hétérosexuels. J'avais envie de lui, dans son intégralité. Et le fait qu'il soit un homme n'était finalement qu'un détail.

Faire l'amour avec cet homme avait été l'apogée d'un sentiment qui fulminait en nous – ou du moins en moi. J'avais l'impression que ça avait été ma première fois. D'une certaine manière, c'était le cas. Il avait transformé ma vision des hommes, l'image parfois réductrice et emplie de préjugés qu'il m'arrivait d'avoir à leur propos. J'ignore quelle était la part d'aveuglement inhérent aux sentiments dans ma façon de le percevoir, mais leur présence seule m'avait profondément troublée. Il y a une part de féminin et de masculin dans chacun d'entre nous et cet homme avait su parler aux deux. Il me semble qu'on parvient aisément à définir les caractéristiques qui nous plaisent chez une personne. Chez lui, c'était toutes et aucune à la fois. Contrairement à l'Américain, ça n'était pas explicable. Ça n'était pas rationnel, c'était juste là.

Publicité

Lorsque cette relation s'est éteinte – aussi vite qu'elle avait démarré –, quelque chose avait profondément changé en moi. Ce chamboulement m'avait marquée au fer rouge.

J'étais plongée dans un état de confusion, d'incompréhension total. Je me demandais si j'avais véritablement changé de bord ou s'il s'agissait d'exceptions dans mon parcours amoureux, déjà plus que chaotique. Comme j'avais du mal à tourner la page de cette rupture douloureuse, j'en ai parlé autour de moi. Mes amies lesbiennes étaient tout aussi déroutées. Passé le choc plutôt cocasse de ma tentative de coming out inversé, certaines de mes copines n'ont pas pris au sérieux ce nouvel échec sentimental.

Pour elles, puisqu'il s'agissait d'un homme, ça ne pouvait pas avoir la « même importance ». Ça ne pouvait pas avoir réellement été « de l'amour ». Mon truc à moi, c'était d'aimer les femmes. J'ai vite constaté que l'intransigeance aussi pouvait tout à fait changer de bord selon certaines circonstances. On s'évertue parfois à exiger une tolérance de la part des autres, dont on n'est pas forcément capable soi-même. J'ai parfois même eu le sentiment de me faire désavouer. Comme si j'avais été renvoyée sur le banc après qu'on ait décelé chez moi quelque sympathie pour « l'équipe adverse ». Comme si j'avais trahi quelque chose. Comme si j'avais trompé mon monde pendant toutes ces années et que je faisais désormais le choix de rejoindre la norme et son côté délibérément conventionnel.

Publicité

Sauf qu'on ne choisit pas qui on aime. D'un côté comme de l'autre. Ces amies oubliaient que je n'avais rien demandé. Que j'aurais préféré conserver ce que j'avais réussi à comprendre à propos de qui j'étais. Que cette espèce de cohérence me plaisait. Et que je n'avais jamais ressenti l'envie de changer.

Afin d'expérimenter mes nouvelles possibilités, je me suis inscrite sur un site de rencontres. J'y ai indiqué que je cherchais aussi bien un homme qu'une femme. Bizarrement, je me suis aperçue que j'étais moins attirée qu'avant par l'idée de rencontrer quelqu'une. Les codes avaient été modifiés ; mes codes à moi, ma façon d'appréhender l'autre. J'étais toujours capable de ressentir du désir pour les femmes, mais elles se partageaient désormais leur place avec des concurrents inattendus.

Toujours partante lorsqu'il s'agit d'explorer les moindres recoins de chaque expérience, j'ai entrepris de rencontrer plusieurs des « candidats » de ce site, afin de me tester et d'observer mes propres réactions et ressentis. La plupart du temps, cela n'allait pas au-delà du café. Passé la gêne de la rencontre – amputée de son naturel et de sa spontanéité – venait l'étape de la présentation, du résumé, du trailer de notre vie ou du moins, de ce qu'on décide d'en faire à l'instant T. C'était très étrange. On me posait des questions sur mes relations passées sans se douter une seule seconde qu'elles avaient pu être vécues avec des femmes. J'étais alors naturellement propulsée dans la peau de l'hétéro, forcément sensible aux charmes masculins. Une situation que je trouvais surréaliste.

Publicité

Il m'est arrivé une ou deux fois d'aller plus loin dans la rencontre et je me sais désormais capable d'apprécier les relations sexuelles avec des hommes, mais il m'est impossible de les comparer avec les relations lesbiennes. Elles sont toutes deux aussi différentes que complémentaires à mes yeux.

Au fur et à mesure, la mutation se poursuivait. Lorsqu'il m'arrivait encore de sortir dans le milieu lesbien, je m'y sentais étrangère. Comme si j'avais développé un malaise. En perdant une partie de ce que je pensais avoir compris à propos de qui j'étais, je crois m'être finalement révélée à moi-même. J'ai compris que rien de tout cela n'avait d'importance, au fond.

Aujourd'hui, je ne cherche plus des réponses à des questions qui n'ont pas lieu d'être et j'ignore si je finirai mes jours auprès d'un homme ou d'une femme. Évidemment, dans notre société, il est toujours plus facile de faire des rencontres hétérosexuelles, puisqu'on reste influencés par les codes sociaux qu'on se trimbale depuis des siècles. Mais cela ne me dérange plus. J'ai relégué les rênes du destin au hasard.

Sans tomber dans le lieu commun du rejet intrinsèque de toute étiquette, j'ai compris que la meilleure façon de me définir était de ne pas le faire.

Car, après tout, où commence l'homosexualité, et où s'arrête-t-elle ? Ne sommes-nous pas tous que des êtres vivants dotés de la faculté de développer une émotion pour un autre ? Quel qu'il soit ? Quels rôles jouent les facettes extérieures et intérieures d'une personne dans notre façon de la percevoir ? D'être attiré par elle ? Est-il si facile de se définir en fonction du genre lorsqu'on prend en compte chaque parcelle de la complexité de notre être ?

Je crois que la meilleure explication à tout ça, c'est qu'il n'y en a pas – et nous devrions peut-être simplement apprendre à l'accepter. Finalement, qu'il se produise dans un sens ou dans l'autre, on aura véritablement avancé le jour où plus personne n'aura besoin de coming out.