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Danny Lyon a suivi les bandits de Chicago dans les années 1960

Ce mois-ci, le livre The Bikeriders sera enfin réédité.

Schererville, Indiana, 1964. (Photo : Danny Lyon / Magnum)

L'automne dernier, alors que je travaillais en tant que book designer pour l'Aperture Foundation, une association de photographie à but non lucratif, j'ai trouvé sur mon bureau la première édition encore emballée de The Bikeriders de Danny Lyon, laquelle datait de 1968.

The Bikeriders est le premier livre de ce photographe désormais légendaire. Un exemplaire comme celui que j'ai reçu coûte aujourd'hui près de 500 euros. On m'a demandé de le déchirer, d'écrire dessus ou encore de le démanteler, tout cela pour trouver un moyen de créer une reproduction exacte du livre. Je ne me voyais pas détériorer le livre, et ça me dérangeait vraiment d'écrire dessus. Mais plus je me renseignais sur le rapport qu'avait eu Danny Lyon avec le projet, plus j'étais convaincue qu'il ne m'en voudrait pas si je devais abîmer son livre pour recréer l'exemplaire original.

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Contrairement à de nombreux photographes, Danny Lyon porte une attention toute particulière à tous les aspects de ses livres – il accorde une importance aussi importante aux légendes, à l'ordre des photos et au texte qu'aux images elles-mêmes. Plus je regardais les photos prises sur le vif des membres des gangs de motards et plus je lisais leurs conversations désinvoltes, plus ils me semblaient être vivants. Rester fidèle à l'original, c'est donner aux futures générations un moyen de redécouvrir comment ce livre est devenu emblématique. Notre nouvelle reproduction de l'édition originale de Danny Lyon sera diffusée à travers le monde à la fin de ce mois.

Le projet qui deviendra plus tard The Bikeriders a débuté en 1963, quand Danny Lyon commençait tout juste sa carrière de photographe. Il a grandi dans le Queens et est issu d'une famille de la classe moyenne. Son travail n'a été publié qu'une fois, dans un livre appelé The Movement, qui visait à défendre les droits de l'homme dans le sud des Etats-Unis. À cette époque, il avait 21 ans et étudiait à l'université de Chicago. Il travaillait pour le Student Nonviolent Coordinating Committee, un organisme de défense des droits civiques créé par les étudiants.

Ces photos à visée politique ont été au fondement des futurs projets de Lyon. S'intéresser au club de motards de Chicago, les Outlaws, n'était pas anodin : c'était pour Lyon une autre étape dans son étude des personnes vivant en marge de la société américaine. Les Outlaws conduisaient des Harleys et Lyon avait une Triumph, mais malgré cela, il a pu nouer des liens étroits avec les membres du club.

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Wisconsin, 1965. Route 12. (Photo : Danny Lyon / Magnum)

Hugh Edwards, l'homme à qui Lyon a dédicacé The Bikeriders, était une figure extrêmement importante pour le photographe et ses contemporains. De 1959 à 1970, Edwards était le conservateur adjoint de dessins et de gravures à l'Institut d'art de Chicago, et Lyon allait le voir en moto pour lui montrer ses nouvelles photos. Le soutien d'Edwards et ses encouragements ont aidé Lyon lorsqu'il travaillait sur The Bikeriders au milieu des années 1960.

Milwaukee, Wisconsin, 1965. « Funny Sonny » et « Zipco » mettent les voiles. (Photo : Danny Lyon / Magnum)

À certains moments, relever les conversations des Outlaws semblait plus important pour Danny Lyon que de les photographier. Le livre est plein de récits très personnels qui reflètent le style de vie violent et extrême du club. Par exemple, « Funny Sonny », un ancien membre des Hells Angels, raconte que la première fois qu'il a rencontré les Outlaws, ils ont dévalé une colline, ivres. Il a également  vu un des motards tomber d'une falaise :

« Il boit quatre bonnes gorgées de vin. Ça le rend malade sur-le-champ. Il vomit tout. Mais il se reprend, il essuie sa bouche, pas très classe, et frotte ensuite ses mains sur son pantalon. C'était un petit mec qui conduisait une Honda, avec un casque et tout. Il dévale la colline. Puis il remonte, il va vite, il a l'air bien, il remonte à fond… mais il ne réalise pas que sa moto va dans la mauvaise direction, vers une falaise. Il se jette dans le vide tout en continuant d'accélérer et il disparaît. Il n'est jamais revenu ».

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Louisville, Kentucky, 1966. La traversée de l'Ohio. (Photo : Danny Lyon / Magnum)

Funny Sonny poursuit son récit en expliquant ce qu'il se passe lorsque l'on avale une chenille de la taille d'un crayon :

« La chenille est maintenant disparue, je l'ai avalée. J'ouvre ma bouche pour montrer à tout le monde qu'elle n'y est pas. Puis je sens qu'elle rampe, qu'elle remonte le long de ma gorge. Ma bouche est fermée, autour de moi tout le monde est occupé à manger et à discuter. J'ouvre ma bouche, juste un tout petit peu, et cette putain de chenille sort de ma bouche en rampant ».

« Quatre personnes se sont mises à vomir. Du coup j'ai gueulé : « Tu ne m'échapperas pas, saleté de chenille ». Je l'ai mordue à pleines dents et je l'ai mâchée… Oh mon dieu. C'était bon. C'est à ce moment-là que  j'ai vraiment fait la connaissance des Outlaws ».

Détroit, Michigan, 1965. Les funérailles d'un renégat. (Photo : Danny Lyon / Magnum)

Les motards sont décrits comme des hommes brutaux et impitoyables. Tout au long du livre, des membres du gang meurent sur la route ou se suicident. Mais si on lit entre les lignes, on peut voir de l'amour et du respect derrière toute cette violence. Johnny, le président des Outlaws, a affirmé que le club achèterait d'énormes bouquets pour l'enterrement de chacun des membres : « Nous en achèterons pour tous les membres du club qui ont été tués ou qui sont morts, même s'ils n'étaient plus dans le club à ce moment-là ».

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Finalement, Lyon a réussi à glorifier la vie d'un motard américain et ce qu'il endure au quotidien. Il a récemment déclaré, dans une interview pour Photo District News : « Dans mon Amérique à moi, les gens étaient complètement différents. Ils étaient beaux et tout ce qui les entourait l'était aussi. Et surtout, ils étaient libres ». Il a ajouté que tous ses projets portaient en définitive sur « la lutte existentielle pour la liberté ».

Schererville, Indiana, 1965. « Sparky » et « Cowboy » (Gary Rogues). (Photo : Danny Lyon / Magnum)

Une fois que le projet était complet aux yeux de Lyon, il s'est lassé du style de vie des membres du club et fini par déménager à New York. Trouver un éditeur pour son travail sur les motards a été difficile. Il manquait de qualifications et sa personnalité ne l'a pas aidé : Lyon était connu pour son entêtement, et il l'est toujours aujourd'hui. Il a exprimé son aversion pour les magazines et leurs processus d'édition qu'il jugeait trop brutaux. Le titre même du livre a été contesté par les éditeurs, qui n'avaient jamais entendu la nouvelle expression de bikerider.

Elkhorn, Wisconsin, 1966. « Cal ». (Photo : Danny Lyon / Magnum)

Finalement, en 1968, son ami Alan Rizler a réussi à faire publier le livre par la société Macmillan. Des milliers d'exemplaires ont été tirés et diffusés à travers l'Amérique, mais aucune image n'a été reproduite en couleur pour des raisons financières. Il y a eu peu de promotion autour de la sortie du livre. Lorsque Lyon a vu un exemplaire dans une vitrine d'un libraire d'East Village, il est passé devant en moto, rien que pour le voir. Macmillan a fini par lui demander s'il voulait acheter les exemplaires restants pour 60 centimes pièce.

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Chicago, Illinois. 1965. Eddie's, à New York. (Photo : Danny Lyon / Magnum)

Après avoir terminé The Bikeriders, Lyon s'est associé à la prestigieuse agence Magnum. Mais en 1975, quand les autres membres ont remarqué qu'il n'avait assisté à aucune réunion, le groupe s'est séparé de lui, même si son travail a depuis été conservé dans les archives de Magnum. Il a continué à photographier avec intégrité des histoires souvent personnelles qui lui semblaient importantes, comme la démolition du centre-ville de Manhattan ou le système carcéral sévère du Texas.

Ce livre a été l'un des éléments fondateurs du Nouveau journalisme, une pratique selon laquelle le reporter ou le photographe est immergé directement au cœur de l'action. La réédition de The Bikeriders n'est pas seulement un hommage à ce mouvement, elle nous rappelle également qu'il faut suivre nos instincts et réagir à ce que l'on voit dans le monde, avec autant d'audace que Danny Lyon.

Le livre de Danny Lyon, The Bikeriders, sera disponible le 30 mai sur le site d'Aperture.

Sophie Butcher est photographe, écrivain et designer. Elle habite à New York et écrit pour le blog du magazine TIME Lightbox, ainsi que pour le blog Feature Shoot. Vous pouvez la suivre sur Twitter.