FYI.

This story is over 5 years old.

LE NUMÉRO CLOWN

L’héritage soviétique

Vous vous rappelez quand l’autobiographie de Drew Barrymore est sortie ?

Photo par Michael Rudiger

Vous vous rappelez quand l’autobiographie de Drew Barrymore est sortie ? Tout le monde a été choqué d’apprendre que la pauvre petite, à 12 ans, fut cocaïnomane. On connaît quand même des histoires d’enfance bousillée bien plus trash que ça. Au lendemain de la chute de l’URSS, les parents de Kevin Failure quittent le Wisconsin pour la Sibérie (oui, la Sibérie). Là-bas, Kevin, 12 ans à l’époque, fait une fugue et passe un an en compagnie de junkies russes. Après quelques overdoses de pilules, il retourne à Green Bay, où il devient frontman de pas mal de groupes hardcore de la région. Ça n’explique pas pourquoi la musique de Pink Reason – son groupe – sonne mieux que si elle était jouée par des gamins de banlieue, mais quelque part, si. Ça rend leurs guitares heavy et leurs giclées punk d’Europe de l’est encore plus heavy et plus punk. Faudra vous y faire. Ah oui, Kevin est également incollable en musique indé de Russie et d’ailleurs.

Publicité

power chords et m’a fait découvrir Grazhdanskaya Oborona, un groupe de punk russe. C’était vers 1992. À l’époque, on faisait des concerts illégaux. C’était brutal, on prenait plein de tranquillisants et on jouait devant des gosses sibériens sapés à la soviétique, pour rire. Voici une liste des gens, des groupes et des albums incroyables qu’on adorait. »  Egor I Opizdanevshie – Sto Let Odinochestva
Après des années d’agitation antisoviétique, ce qui lui a valu un séjour en prison, Egor Letov, leader de Grazhdanskaya Oborona et parrain du punk existentialiste russe, s’est caché dans les montagnes de l’Oural. Il y a exploré les forêts et expérimenté le chamanisme (le mot chaman est d’origine sibérienne), ce qui a donné ce chef-d’œuvre épique, psyché et léthargique de 1993. Le nom du groupe peut se traduire grossièrement par « Egor and the Cunted Up », mais un ami russe m’a expliqué qu’opizdanevshie renvoie à quelqu’un qui est « trop défoncé pour se rendre compte qu’il en a rien à foutre ». Dostoïevski raconte que toute son œuvre est inspirée d’une seule page des Âmes mortes de Gogol. On peut dire la même chose de l’influence qu’a eue Letov sur ma propre musique. Sans Letov, pas de Pink Reason. Kino—Nachalnik Kamchatki
La chanson « New Violence », qu’on trouve sur notre premier simple, Throw it Away, s’inspire directement de cet album, paru en 1984. « Trankvilizator » sonne comme DJ Screw en train de mixer la synthpop la plus froide et la plus sombre. Le rock était perçu comme antisoviétique et ces types formaient un groupe underground qui jouait à des kvartniks (concerts secrets dans des apparts) jusqu’à ce que la perestroïka relâche la censure et qu’ils puissent signer sur Melodiya, un label contrôlé par l’État. Les jeunes Russes ont enfin pu écouter leurs disques, qui avant cela circulaient seulement sur des cassettes pirates (magnitizdat). Quand ils ont signé, Victor Tsoi, le chanteur et compositeur, a continué de bosser comme réparateur de chaudière. On peut traduire le titre de l’album par « Le maître des chaudières ». Akvarium – Elektrichestvo
Akvarium, ce sont les pères fondateurs du rock russe. Ils se sont formés à Saint-Pétersbourg en 1972 et ont construit leur propre studio d’enregistrement, qu’ils faisaient passer pour un « club de jeunes techniciens ». Ils répétaient en secret, avec les percussions réalisées sur un évier de cuisine, la basse branchée sur un poste de télé et des guitares acoustiques. Cet album – la face A est un live capté à un festival en 1980 – est un monument de rock tordu qui s’ouvre avec un riff piqué au « Rock ‘n’ Roll » du Velvet, plutôt approprié. Le concert a fait scandale : Grebenschikov se roulait sur scène dans un blouson de cuir noir ultra-serré et frottait sa guitare contre le pied de micro en chantant des paroles socialement engagées. Quand le groupe est rentré chez lui, Grebenschikov a perdu son boulot et le studio a dû fermer. Yanka—Stid I Sram
À la fin des années quatre-vingt, Yanka Dyagileva a formé avec Egor Letov et d’autres amis Velikie Oktyabri, « Grand Octobre ». Yanka a parcouru la Russie en stop. Elle se cachait du KGB, enregistrait des cassettes dans des appart de potes, et se produisait dans des concerts secrets. Elle a aussi enregistré des albums en solo sur des magnitizdat avec ses amis de Grazhdanskaya Oborona. Comme ceux de GrOb, ses albums sont des chefs-d’œuvre de punk psychédélique DIY. Stid I Sram – « Honte et Reproches » – est son dernier enregistrement. La dernière chanson de l’album, « Pridyot Voda », se traduit par « le déluge arrive ». Il y a un solo d’orgue complètement dément et qui dure une éternité. Peu de temps après l’enregistrement, elle a disparu. Elle se trouvait dans sa maison natale et est sortie fumer une cigarette. On l’a retrouvée huit jours plus tard, noyée, dans une rivière des environs. Le dernier truc de Pink Reason est un simple intitulé Winona, sorti chez Woodsist