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LE NUMÉRO DU VILAIN BOUC

Bois brut, crânes de bestiaux et Napalm Death en boucle

Que les sceptiques du monde de l’art se rassurent, le post­modernisme a enfin réussi à accoucher d’un croisement entre le culte de Satan, l’extrême gauche et l’art contemporain.

Roots, xylogravure, (c) Galerie Nosbaum & Reding

Que les sceptiques du monde de l’art se rassurent, le post­modernisme a enfin réussi à accoucher d’un croisement entre le culte de Satan, l’extrême gauche et l’art contemporain. Damien Deroubaix l’a fait. Il produit une peinture aux dominantes noires, grises et vertes, habitée par des monstres difformes, des écorchés, des militaires et des billets de banque poussant sur les arbres. Il mêle une sorte de vivacité gestuelle expressionniste avec l’esthétique des collages punk, et la plupart de ses dessins sont immanquablement accompagnés de textes résonnant comme les hurlements des chanteurs de grindcore et de métal : « Exhume to consume », « Mass Appeal Madness », « World Downfall », « Inhale/Exhale », des citations, respectivement, des groupes Carcass, Napalm Death, Terrorizer et Nasum. Il peuple régulièrement ses expositions de grands requins noirs rôdeurs et de minarets constitués de matériaux simples et soutenus par une structure de bois. Pour sa participation à La Force de l’Art – une exposition triennale consacrée à la création française contemporaine –, Damien Deroubaix avait réalisé une pièce en collaboration avec Chris Barnes de Six Feet Under. On a été lui parler parce qu’il vient de ­lancer, à l’occasion de la FIAC 2009 et de sa nomination au Prix Marcel Duchamp, le C.S. (Conservative Shithead) Journal, publication d’art contemporain directement inspirée des fanzines de grindcore avec la participation de Mick Harris (Napalm Death, Scorn, Painkiller…) et Jeff Walker (Carcass et Brujeria). Vice : On connaît surtout ton œuvre pour les aquarelles et les peintures grand format. Cela dit, tes installations et sculptures sont elles-mêmes très graphiques. Est-ce que tu situes ton travail dans le champ de la peinture ?
Damien Deroubaix : Oui bien sûr. Il n’y a qu’en France qu’on me pose cette question. Ceci dit les sculptures romanes et gothiques étaient peintes, les sculptures antiques grecques également. J’aimerais beaucoup que tu me parles des requins qui ont marqué plusieurs de tes expositions. Que symbolisent-ils ?
J’utilise souvent des signes immédiatement identifiables, donc le requin est à prendre au premier degré, le prédateur qui fait peur à l’homme, parce qu’il est en fait à son image. Le requin de la finance, l’instrument de contrôle qui te tourne autour comme dans ma dernière expo chez Fabienne Leclerc. Les références musicales – liées au grindcore et au death metal – que je lis dans toute ton œuvre sont très précises et pointues, que représentent-elles pour toi, en dehors de ton travail ?
Elles représentent ce que j’ai en permanence dans la tête. J’ai sorti la tête de la merde de ma banlieue d’origine grâce au death metal et au grindcore, puis plus tard à la peinture. Tes pièces ont la faculté de s’inscrire à la fois dans le champ de l’art contemporain et dans l’héritage esthétique des collages activistes punk de Gee Vaucher ou des pochettes de Napalm Death. Est-ce que tu es d’accord avec cette lecture ?
Oui. Les pochettes de Napalm Death, mais aussi la musique et leurs textes. Le fait qu’ils utilisent un chant à peine compréhensible pour clamer un message politique de gauche fort est ce qui m’intéresse particulièrement. La construction de leur musique façonne aussi mes peintures, et dans le passé mes accrochages. Justement, cette esthétique à la fois dada et anarchiste, ces références au grindcore et ces scénographies dignes de friches industrielles appellent une lecture particulière : ton œuvre est-elle liée à un ­activisme ?
Tout acte est politique. Considères-tu qu’une génération influencée par le métal soit en train d’émerger ?
À force d’avoir la rage, il fallait bien que ça sorte… Après, de là à parler d’une génération… Ça serait comme parler de métal sans en connaître les spécificités. Il y a de tout chez les metalheads, tout l’éventail politique, d’un extrême à l’autre, des gens bien et des fachos. De fait, des artistes de tous bords il y en a aussi. C’est ce qu’on va tenter de mettre en lumière aussi souvent que possible avec C.S., notre journal consacré aux relations entre le métal extrême et l’art contemporain, dont j’ai été l’artiste cobaye du numéro un avec deux géants de la musique, Mick Harris et Jeff Walker. Ça correspond sans doute à l’arrivée à maturité d’une génération d’artistes qui ont découvert la vie avec l’invention du thrash/death/black metal et du grindcore qui a ciselé leur pensée. De toute façon, et même si le travail de tous ces jeunes artistes est imprégné de métal, ça restera aussi minoritaire – voir le track 9 de l’album de Sepultura, Chaos A.D. – que les fans qui aiment ces musiques, ce qui n’empêche pas que ceux-là comptent parmi les meilleurs… En gros entre un Matthew Barney contre mille Parisiens persuadés que le design c’est l’avenir de l’art, y’a pas photo, sauf, peut-être, à Paris. Penses-tu qu’une avant-garde puisse ressurgir aujourd’hui ?
Le mot est tellement galvaudé que je préfère ne plus l’utiliser. Il n’y a qu’à voir les hordes de duchampiens se croyant à l’avant-garde en France, prêts à lécher tous les culs les plus pourris pour avoir leur face de pet à l’honneur pendant un an, un mois ou un soir de vernissage… Qu’ils crèvent et leur idée d’avant-garde avec eux. À la fin l’histoire fera le tri…. C.S. (Conservative Shithead), numéro 1 consacré à Damien Deroubaix, septembre 2009