FYI.

This story is over 5 years old.

reportage

Je me suis retrouvé au beau milieu d'une guerre tribale en Papouasie Nouvelle-Guinée

Depuis des siècles, des tribus se livrent à des affrontements – mais leurs armes en bois sont en passe de se faire remplacer par des fusils d’assaut.

Miyana, le chaman du village, décoche une flèche

L'année dernière, je suis devenu le premier Britannique à vivre parmi la tribu Baruya, un peuple des régions montagneuses de Papouasie Nouvelle-Guinée. Vu que les repas là-bas étaient surtout composés de patates douces, j'ai commencé à souffrir d'une carence en protéines au bout d'un mois. J'ai réalisé que la solution était de chasser un des marcassins qui arpentent les environs. Malheureusement, je n'avais aucune idée de comment m'y prendre, alors j'ai demandé à mon voisin Miyana – le chaman du village – de m'apprendre les techniques des combattants-chasseurs de la tribu.

Publicité

Mon premier contact avec le domaine du tir à l'arc traditionnel a eu lieu quand le fils de Miyana, âgé de dix ans, a tenté de me tirer dessus alors que j'étais dans ma hutte. Son père a fini par le réprimander puis est revenu me voir arc à la main afin de débuter mon entraînement.

Me considérant plutôt en forme et étant sensiblement plus grand que le chaman papou, je lui ai pris l'arc des mains avec suffisance, j'ai positionné ma flèche, tendu mon bras et tiré. Rien. Les gens ont commencé à rire. J'avais oublié de lâcher la flèche. En tirant de nouveau la corde, j'ai écarté les doigts avec soin, mais la spia n'a volé que quelques mètres avant de retomber dans de la boue. Afin de m'épargner de nouveaux moments de honte, Miyana a ramassé ma flèche et a mis fin à la session.

Durant les mois qui ont suivi, j'ai réclamé en vain un nouvel essai aux villageois, qui m'ont tous répondu « behind » – un mot que l'on peut traduire par « plus tard » ou « jamais ». J'ai même essayé de soudoyer des enfants en leur proposant une balle s'ils me laissaient m'entraîner avec eux, mais sans succès. Finalement, j'ai rencontré un jeune homme, Raiwin, qui a bien voulu m'apprendre le tir à l'arc traditionnel en échange de quelques cours d'anglais.

Tout s'est bien passé pendant les quatre premiers mois, puis une guerre a éclaté avec la tribu voisine et les flèches ont commencé à pleuvoir sur des êtres humains, en lien et place des animaux sauvages. Les anciens du village avaient tous été blessés par le passé, et certains avaient même perdu des membres pendant une guerre dans les années 1980. Cette entrée en guerre a affecté mon entraînement : Miyana a commencé à m'apprendre comment me déplacer comme un combattant. Il m’a montré des esquives pour éviter le feu ennemi, ainsi qu'une méthode acrobatique de tir furtif, l'arc positionné horizontalement tout en me tenant caché dans les broussailles.

Publicité

Une nuit, un homme dans la soixantaine est venu au village nous raconter son histoire. Alors que Miyana s'occupait du feu et que son fils décortiquait un bloc de taro avec sa machette, Birimaniye nous a expliqué comment il avait personnellement mis fin à la première guerre dans sa jeunesse.

« Les arcs et les flèches font des dégâts limités. J'ai réussi à me procurer un fusil et quelques balles, et j'ai décidé de tuer leur plus terrifiant guerrier, Taviwei. Je savais que ça mettrait fin au conflit », nous a-t-il expliqué. « Je me suis faufilé dans la vallée et je me suis caché dans des buissons près de la frontière, avant de loger une balle dans le chargeur et de viser. Taviwei m'a remarqué. Il a attrapé une machette et a couru vers moi. J'ai tiré, levé les yeux, et vu son torse couvert de sang. La balle l'avait atteint directement dans la gorge. »

Depuis, les relations ont toujours été tendues mais les deux tribus avaient réussi à coexister dans une paix relative, jusqu'à ce que la petite-fille de Taviwei soit violée par un jeune de notre village pendant l'été 2013. Yamarai, le fils de Taviwei, a juré de se venger.

L'auteur

Alors que je m'améliorais au tir, des hommes ont ramené des armes à feu qu'ils avaient obtenues en vendant de la marijuana à des gangs agissant dans les collines voisines, là où les autorités n'ont aucun pouvoir. Birimaniye avait prouvé par le passé que les guerres se gagnent grâce un fusil à la main. Ainsi, les combattants de notre tribu échangeaient leurs arcs contre des armes à feu. Un homme d'un village voisin avait même réussi à obtenir des explosifs et avait très envie de les essayer sur l'ennemi, à mon grand désarroi.

Publicité

Je tentais de diffuser mes convictions pacificistes auprès des autres habitants, mais j'ai rapidement compris que mes idées étaient mal perçues – et surtout, que je n'avais aucun droit d'influencer le comportement de la tribu. En fait, j'ai réalisé que ma présence parmi la tribu avait tendance à provoquer une fascination morbide pour les armes.

Des bruits de tir sporadiques résonnaient dans la vallée, et Miyana nous rapportait tous les soirs les derniers récits du front. Les hommes commençaient à revenir avec un certain nombre de blessures et nous tentions de les guérir avec des sprays antibiotiques et des analgésiques avant qu'ils ne repartent au combat. Les pluies torrentielles n'arrangeaient rien et j'ai commencé à dormir avec ma machette à portée de main.

J'avais souvent très faim et je m'accrochais à mes rêves de porc grillé au feu de bois. Un jour, nous nous sommes rendus dans un village plus bas dans la vallée pour couper un peu de canne à sucre. L'endroit était incroyablement proche de la frontière ennemie et semblait accueillir de nombreuses araignées venimeuses de la taille d'un poing, ainsi que des légendaires vipères des montagnes.

Après cette espacade, nous avons repris le chemin du village avec Miyana à notre tête. Alors que notre trajet était rendu difficile à cause des routes très escarpées, nous avons aperçu un marcassin qui mangeait dans un jardin privé. « Tire-lui dessus ! » m'a ordonné Miyana. À cette distance, il m'était impossible de tuer la petite créature, mais j'ai quand même saisi une flèche ama au bout peu aiguisé et j'ai tiré. La pauvre bête a laissé échapper un cri quand la flèche l'a touchée et elle s'est échappée, mais sans aller bien loin – une femme imposante l'attendait de l'autre côté du champ avec une hache. On a dépecé le cochon, retiré ses entrailles, pour finir par le cuire sur un tas de pierres brûlantes afin de déguster les bons morceaux avant de nous blottir contre le feu. La conversation s'est orientée vers le thème de la guerre qui faisait rage, et j'ai mentionné mes doutes face à l'inutilité de la mort de tant d'hommes.

Publicité

« J'ai une histoire à te raconter », m'a dit le frère de Miyana tandis qu'on se répartissait le porc. « Après la mort de Taviwey, Yamarai – son fils – s'est lié d'amitié avec un missionnaire américain qui pilotait des avions. Robert, l'Américain, souhaitait aider son ami, et les deux se sont rendus dans les marchés noirs de la région du Sepik. Une nuit, on a aperçu le Cessna de Robert se diriger vers l'aérodrome de l'autre côté de la vallée, ce qui était très risqué, car il est extrêmement dangereux de voler ici la nuit tombée. Quelques semaines plus tard, Yamarai nous menaçait avec une Kalashnikov – le genre d'armes que je voyais dans les films quand je vivais en ville. On a couru, et, grâce aux pouvoirs de nos chamans, l'arme s'est enrayée.

Un habitant de la tribu équipé d'un fusil bricolé

Miyana a hoché la tête, fier que la magie de sa tribu puisse rendre inutiles les armes des guerres modernes. « Alors, quoi qu'il arrive, ils ne nous vaincront pas. Néanmoins, c'est bien que tu sois là, car maintenant tu peux nous aider à acheter plus d'armes pour leur faire face. »

Les collines dans lesquelles j'ai vécu ont connu d'innombrables batailles au cours des derniers millénaires. Pour ma tribu, la guerre donnait une valeur aux hommes, et la conquête permettait de se mélanger génétiquement afin d'éviter l'inceste. Avec des armes faites de pierre et de bois, la victoire dépendait de l'habileté des guerriers, mais n'aboutissait pas toujours à la mort de l'ennemi. Les fusils d’assaut vont changer tout ça.

Alors que les missionnaires en Papouasie Nouvelle-Guinée ont déjà détruit les cultures indigènes, l'introduction d'armes à feu sophistiquées assure non seulement la mort de ces cultures, mais aussi celle de peuples entiers. J'ai été forcé de quitter ma tribu en plein coeur de la guerre, alors que les deux camps s'équipaient avec des AK-47 et des M16.

À mille lieues des préoccupations du gouvernement central, l'éradication du peuple dans lequel j'ai vécu passera sûrement inaperçue. L'arc et les flèches exposés fièrement dans mon appartement deviendront peut-être les dernières reliques d'un mode de vie aujourd'hui disparu.

Suivez Sam Nallen Copley sur Twitter.