FYI.

This story is over 5 years old.

LE NUMÉRO EMBARGO

Helen Thomas

On est allés interviewer Helen Thomas en mars et on comptait publier l’article dans l’un de nos prochains numéros, mais au vu de sa situation en ce moment, il nous a paru évident de le poster dès que possible.

INTERVIEW ÉDITÉE PAR JESSE PEARSON

On est allés interviewer Helen Thomas en mars et on comptait publier l’article dans l’un de nos prochains numéros, mais au vu de sa situation en ce moment, il nous a paru évident de le poster dès que possible. C’est-à-dire, maintenant.

Si vous n’avez pas suivi ce qui s’est passé ces derniers jours, sachez que Helen Thomas a fait des commentaires un peu rudes sur Israël et les Israéliens, le président Obama et plein d’autres gens qui l’ont très mal pris. En gros, elle a dit que « les juifs devaient quitter la Palestine » et rentrer « chez eux en Pologne, en Allemagne et en Amérique ». Assez indélicat, n’est-ce pas. Mais pas si surprenant, si l’on connaît sa réputation. Et, a-t-elle déjà caché sa position sur Israël ? Jamais. De plus, si nous aussi nous avions 89 ans et passé les cinq dernières décennies à écouter les double-discours d’un nombre incalculable d’hommes (et de très peu de femmes) politiques devant le siège de la Maison Blanche, nous aussi serions probablement grincheux.

Publicité

À part ça, comment pourrions-nous résumer la vie d’Helen Thomas en quelques mots ? Hum, difficile. C’est une Américano-Libanaise correspondante à la Maison Blanche depuis 1960. Et l’une des premières femmes journalistes. En gros, la vieille dame pose les questions que les autres journalistes ont la frousse de poser au Président. C’est une journaliste qui pousse les politiciens dans leurs derniers retranchements et qui les force à justifier leurs positions et leurs décisions, et qui préfère toujours les questions qui commencent par le mot « pourquoi ? ». Il y a quelques jours, on l’a forcée à abandonner son job, qui était aussi sa vie. Son supérieur hiérarchique l’a virée sans sommation. Elle a été décriée par beaucoup et portée aux nues par d’autres, mais quoiqu’il en soit, nous lui devons un immense respect et une profonde gratitude pour le travail qu’elle a poursuivi au nom de la vraie démocratie. Nous pensons que la White House Press Corp. a perdu sa conscience en se séparant d’Helen Thomas. Trouver quelqu’un qui aura les couilles de faire ce qu’elle a fait et de dire ce qu’elle a dit sera sans doute assez compliqué.

PS: En effet, elle parle d’Israël dans l’interview, au cas où vous chercheriez un quelconque matériau pour polémiquer. Mais pas que. Loin de là.

Vice : Quand je vous voyais pendant les conférences de presse à l’époque, vous aviez l’air dégoûtée par vos comparses journalistes.

Publicité

Helen Thomas :

Au moment du début de la guerre en Irak, personne n’a jamais demandé la moindre preuve quant aux supposées armes de destruction massive. Il était très, très clair que le président Bush voulait faire la guerre à l’Irak, et à n’importe quel prix. Et il n’a pas laissé les Nations-Unies faire leur boulot et voir si les armes existaient vraiment. Nous sommes partis à la guerre en nous basant sur de purs mensonges. Je pense que le 11 Septembre a été la meilleure excuse pour terroriser le peuple américain et leur ôter tout potentiel de jugement contre le gouvernement, parce qu’ils ont cru (au moins pour la moitié) tous les mensonges qu’on leur a donnés. Se servir des terroristes est un excellent moyen de propagande.

C’est moi ou la presse grand-public s’est révélée particulièrement muette après le 11 Septembre ?

Ils avaient peur qu’on ne les considère plus comme de vrais « patriotes », et je suis persuadée que les grandes entreprises de communication donnaient des ordres depuis en haut. C’est la raison pour laquelle personne n’a rien dit.

Et vous aviez déjà vécu ça auparavant, j’imagine.

Eh bien pour moi, le scandale du Watergate a été le grand tournant de la Maison Blanche au XXème siècle. Quand tout ce que disait l’administration Nixon s’est avéré faux, quand les gens se sont rendus compte que l’on vivait sous le règne de la désinformation, ça a rendu les reporters plus vigilants pendant un bref laps de temps. Mais bien entendu, le 11 Septembre a remis tous les citoyens sur un pied d’égalité face à l’information, tout le monde avait peur de demander ce qu’il s’était réellement passé. Le Pentagone aussi est très réputé pour sa puissance de propagande, de même que le Département d’État et la Maison Blanche. Donc, encore une fois, je pense que les journalistes ont eu peur de passer pour de mauvais patriotes s’ils ne défendaient pas la guerre, et ce, même si elle apparaissait n’avoir aucune cause.

Publicité

Vous avez été surprise par tout ça ?

Je pensais qu’avec le scandale du Watergate et tous les mensonges qui en ont découlé, tous les reporters s’étaient réveillés. Et ils l’ont fait pendant un temps, mais très court. Mais c’est toujours le gouvernement qui gagne, puisqu’il flotte toujours dans l’air cette idée que le gouvernement a toujours raison. Même quand il paraît évident que tout ce qu’ils disent est faux, les gens s’en portent très bien. Les reporters étaient contents que l’on parte en guerre. C’était censé durer deux semaines. Tout le monde devait rentrer à la maison au bout d’un mois, sain et sauf, et vivre dans le bonheur pour toujours. Ça fait sept ans que ça dure, à présent.

J’ai remarqué que vous étiez la seule journaliste de la Maison Blanche qui questionne en priorité le « pourquoi » des événements. Vous l’avez fait plusieurs fois après le 11 Septembre.

C’est la raison pour laquelle nous nous faisons rouler dans la farine la plupart du temps - personne n’ose jamais demander « pourquoi ? ». Tout le monde devrait demander pourquoi. Quelle est la raison qui pousserait cet autre gouvernement ou ce peuple à nous faire ça ? Mais j’ai l’impression qu’à travers tout le pays, on ne se soucie plus de connaître la vérité. Il n’y a plus de recherche de la vérité, hormis de la part des gens qui l’ont créée de toutes pièces.

Lorsque vous étiez juste en face de Bush pendant les conférences, pouviez-vous deviner à quel moment il était en train de mentir ?

Publicité

Pas vraiment. Mais il était possible, à travers ses réponses, de se rendre compte qu’il cherchait à cacher le plus possible la vérité. Pourquoi sommes-nous partis en guerre ? « Le 11 Septembre ». Pourtant, aucun Irakien n’était impliqué dans l’affaire, etc. À partir de ce moment, personne n’a su pourquoi nous étions entrés en guerre contre l’Irak. Il y a eu bien des spéculations (le père Bush, le pétrole, Israël, peu importe…) mais personne n’a jamais dit pourquoi du côté du gouvernement.

Est-ce qu’en poursuivant votre cheminement de pensée, on pourrait dire que vos collègues sont en quelque sorte responsables de la guerre en Irak ?

Je crois que c’est très vrai. Tout le monde est resté muet et a joué au mort à l’époque, au lieu de chercher à savoir à tout prix. Ils ont vu ce qu’il s’était passé lors du Watergate. Mais pourtant, ils ont cru à la même propagande ce coup-ci. Enfin, même s’ils ne l’ont pas crue, ils ont au moins bien fait semblant.

Vous savez pourquoi la sauce a pris ce coup-ci, et pas auparavant ?

Je crois que c’est à cause du business géant de la communication et de la mainmise de l’extrême-droite sur la propagande. Ça effraie les gens. Trois ou quatre heures par jour, l’extrême-droite est à l’antenne et se sert du gouvernement et du peuple Américain pour diffuser ses idées, trahir la vérité et détruire tout sens d’honnêteté journalistique.`

On dit souvent en effet que la FCC (Federal Communications Commission), sous Bush, a laissé la plupart des médias se faire absorber par de grandes corporations, qui sont généralement dirigées par des conservateurs.

Publicité

Il n’y a aucun doute sur le fait qu’ils aient fait en sorte d’« arrondir les angles », mais pour autant je ne crois pas en la censure, vraiment. En revanche, je pense que tout est plus difficile de nos jours. Nous vivons une période de danger.

Selon vous, quel est le remède ?

Je pense qu’il est du devoir du Président de dénoncer le racisme et tout ses épithètes. Nous disposons d’un large vocabulaire. Les gens peuvent s’en servir pour se parler. Il est de son devoir de restaurer une forme de croyance profonde en la démocratie, et en la recherche de la vérité.

Vous pensez que ça doit venir d’« au-dessus » ?

Oui. Il peut faire de l’esprit, de l’humour, ou n’importe quoi. Mais la bonne démarche, c’est de faire en sorte que ces gens qui nous mentent aient honte d’eux.

Ou sinon ?

Les gens continueront de se demander ce qu’il se passe réellement. Comme c’est le cas depuis les années 1930. Ça remonte à la Grande Dépression. Personne n’est content et tout le monde cherche un coupable. Tout ça contribue finalement au racisme, à la bigoterie et enfin, à la violence.

Vous parlez des Tea Partiers, n’est-ce pas ?

Pas seulement eux, mais c’est toute l’atmosphère dans ce pays qui est aidée et encouragée par l’extrême-droite.

Je crois qu’en réalité, ce que je cherche à savoir c’est, si oui ou non au cours de votre vie, vous avez déjà vu une situation similaire.

Dans les années 1930, il y avait le même genre de répression, d’émeutes, etc. Il est arrivé d’horribles choses avant la seconde guerre mondiale. Il y avait le général Gerald L.K Smith. Donc oui, on peut peut-être rapprocher les deux époques. Le pays était très, très divisé en ce temps là. Devions-nous entrer en guerre ou non ? Mais actuellement, (et je pourrais remonter jusqu’à l’élection de George Washington) je crois qu’il n’y a jamais eu autant de haine et de colère dans toute l’histoire des États-Unis.

Publicité

Je ne saurais pas dire si la blogosphère est responsable ou non de ce manque d’information.

Tous les gens qui ont un appareil photo pensent qu’ils sont photographes. Tous ceux qui ont un ordinateur portable pensent qu’ils sont journalistes. Mais ils ne disposent d’aucun entraînement au métier et n’ont aucune idée de ce qu’il se passe réellement, ils ne distinguent pas le faux de la réalité. Et ils n’ont aucun respect pour la vérité.

En tant que polémiste professionnelle, vous avez déjà eu l’impression d’être en danger ?

Je ne sais pas si je suis un vrai modèle de courage. Mais je crois qu’il faut continuer à vivre, quoiqu’il arrive. Si tu n’oses pas parler, c’est comme si tu laissais tomber la démocratie.

Mais, même en tant que membre reconnue de la presse libre ?

Qu’est-ce que la presse libre ? Ça n’existe pas. Lisez le Washington Post, lisez le New York Times… Enfin, il y a toujours quelques colonnes. Mais la plus grosse partie tend à être du côté conservateur. Est-ce que quelqu’un a déjà dénoncé les agressions en Irak ? Non.

Oui, d’ailleurs j’ai remarqué qu’Obama et les Démocrates ont mis le sujet « guerre » de côté ces derniers temps.

Eh bien, j’aimerais bien voir plus de courage de leur part, à tous niveaux. Dire les choses. Qu’ont-ils (les Démocrates) à perdre ? Ils sont au pouvoir. Il faut qu’ils fassent en sorte de faire les bons choix, que ce soit pour le peuple Américain ou partout dans le monde. Et puis quoi ?

Publicité

Au cours de sa campagne, Obama ne parlait que de sujets qui le faisaient passer pour un authentique progressiste. Puis, plus rien. Qu’est-il arrivé à ce mec ?

Au tout début, il était très politique. Ses conseillers lui disaient « Vous ne pouvez pas faire ceci ! Vous ne pouvez pas faire cela ! ». Puis, il n’aurait jamais donné un siège à quiconque en faveur du projet de sécurité sociale pour tous, qui était pourtant la seule manière d’avoir une couverture médiatique universelle. Il a avancé très lentement. Mais je crois qu’au fur et à mesure, il s’est rendu compte que ses efforts pour rassembler aussi bien Démocrates que Républicains n’allait pas fonctionner. C’était impossible. Il fallait qu’il se trouve lui-même une forme de support. Les grands présidents se trouvent une base de supporters et repoussent les gens trop à droite. Je ne donnerai pas de noms, même si eux n’hésiteraient pas à le faire pour moi.

Est-ce que les rassemblements entre droite et gauche ont déjà existé ?

Bien sûr que oui. Si ça n’avait jamais été le cas, aucune loi ne serait passée. Mais dans ce cas là, lorsque TOUS les votes républicains sont contre le plan de sécurité sociale ? Sans doute devaient-ils aimer au moins un article dans tout le projet. Mais ils se sont tous accordés pour la refuser en bloc.

Aviez-vous déjà assisté à un cas d’unanimité aussi puissant côté Républicains par le passé ?

Pas sur une base aussi solide. C’est du totalitarisme pur, tout le troupeau suit les ordres d’un chef. Tous dans le rang. Et puis, quand McCain a dit qu’il s’opposerait à tout ce qu’Obama proposerait ? Vous avez déjà entendu ça ? « Je serai contre tout ». Si Obama avait déclenché la troisième guerre mondiale, il aurait été contre, aussi ? Les Républicains adoraient le pouvoir dont ils disposaient, être seuls à la Maison Banche. Ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient. À présent, ils ne supportent pas d’être mis de côté et veulent détruire tout ce que Obama représente. Ils veulent l’empêcher de faire un second mandat.

Publicité

Vous pensez qu’il existe plus d’honnêteté de la part du gouvernement Obama que pour celui de Bush ?

Non.

Vous pensez donc que Robert Gibbs ment autant que Tony Snow ?

[

rires

] Ce n’est pas de la faute de Gibbs. Il reçoit les ordres. J’ai demandé au président l’an dernier, « Connaissez-vous un pays du Moyen-Orient qui possède un armement atomique ? » et il m’a répondu, « Je ne souhaite pas spéculer ». Et j’ai demandé à Hilary Clinton très récemment « À la vue de la pression sur l’Iran concernant les armes nucléaires, pensez-vous qu’un pays du Moyen-Orient possède un quelconque armement atomique ? » et elle m’a répondu « Nous sommes en faveur de la non-prolifération ». Elle a continué à parler, mais bien sûr, en évitant de répondre à la question. C’est pourquoi je ne vois pas tellement bien la différence de crédibilité entre les deux.

Je me suis toujours demandé si vous aviez déjà été accusée d’être pro-arabe à cause de vos origines libanaises ?

Un homme m’a demandé hier, « Pensez-vous que vos origines influent en quelque terme que ce soit sur vos opinions ? » et j’ai répondu « Bien sûr. Absolument. ». Mais qu’en est-il des Sionistes ? Est-ce que leurs origines influent en quelque terme que ce soit sur leurs opinions ?

OK, pensez-vous qu’il y ait eu un quelconque changement sur la politique envers Israël avec l’arrivée d’Obama ?

Non, vraiment. C’est un changement de façade. L’administration a fait semblant de le prendre comme une insulte quand Biden était au Moyen-Orient et que Israël a annoncé une nouvelle avancée dans le territoire Palestinien, ce qui est absolument contre la loi internationale. Il est impossible d’annexer un territoire, à moins d’avoir l’accord de Genève. Haaretz a dit qu’il s’agissait d’une unité de 50 000 hommes. Évidemment que Washington devait réagir, en quelque sorte. Mais ça n’a pas duré.

Publicité

Vous ne pensez pas qu’Obama exerce une quelconque pression sur Netanyahu ?

Je ne crois pas qu’il soit en mesure de le faire. J’ai déjà vu des moments comme ça, quand il y avait de vraies tensions contre Israël. Comme quand, sous Bush premier du nom, James Baker a dit, « Ils ont mon numéro, ils peuvent m’appeler ». Mais les États-Unis reviennent toujours sur leurs décisions. Je veux dire, ils ont un type à la Maison Blanche, un genre de Dennis Ross, qui a toujours fait partie du lobby Israélien. Ils l’ont mis en charge du monde Musulman.

Vous pensez que la politique cahin-caha d’Obama peut s’améliorer bientôt ?

En fait, je crois qu’ils montrent enfin ce qu’ils ont dans le ventre. Je le pense vraiment. Je crois qu’ils vont montrer de quoi ils sont capables. Ils ont dû se dire que ce n’était pas si mal de faire des choses bien de temps en temps.

Vous parlez de la sécurité sociale ?

Je crois que tout peut être une bonne idée lorsque vous aidez les gens. Je n’ai pas spécialement aimé cette législation, mais je voulais qu’il fasse quelque chose. J’espérais un plan de la part du gouvernement, un droit aux soins pour tout le monde, un vrai, et un remboursement intégral des payeurs. Je suis sous Medicare et je suis assurée social. Force est de constater que ça marche.

Vous étiez là au moment où ces lois sont passées.

Oui. 1935 pour la sécurité sociale. 1965 pour Medicare. J’étais à Independance dans le Missouri lorsque Johnson a signé la loi à propos de Medicare, à côté de Truman. C’est Truman qui l’avait proposé en premier, mais il n’avait pas pu arriver au bout.

Publicité

Mais le projet de loi d’Obama ne prend pas en compte toutes ces lois d’avant. Il est possible que celles-ci soient difficile à incorporer au nouveau projet.

Je ne crois pas. Du moment que le pays les a accepté en tant que lois, il ne reste plus qu’à les faire coexister ensemble. D’autres choses s’ajouteront par la suite, si besoin est. La sécurité sociale en est un bon exemple. Au tout début, la loi était destinée aux personnes âgées qui n’avaient nulle part où aller pendant la Dépression. Puis elle a ajouté les enfants orphelins, qui avaient besoin d’être aidés. Puis ce fut au tour des handicapés qui ne pouvaient pas travailler. Tout s’est ajouté au fur et à mesure. Et c’est la raison pour laquelle cette nouvelle loi va marcher, je pense.

Lorsque vous avez déménagé de Detroit pour vous installer à Washington dans les années 1930, Roosevelt était président. Il avait beau être progressiste, il n’empêche que Washington pratiquait toujours la ségrégation à cette époque.

La vraie ségrégation. Bien sûr, il y avait aussi de la ségrégation à Detroit en ce temps là, mais à une échelle moindre. Là c’était partout : dans les écoles, les restaurants, les cinémas et les hôtels. Les noirs n’avaient même pas le droit de s’asseoir dans un snack bar. Ils pouvaient prendre une tasse de café, à condition qu’ils s’en aillent plus loin pour les boire. Dans des snack bars !

Les reporters femmes aussi étaient discriminées à l’époque. Roosevelt ne pouvait vraiment rien y faire ?

Publicité

Je ne sais pas. J’étais tout en bas de l’échelle à ce moment là. Mais Eleanor Roosevelt avait répliqué en n’invitant que des journalistes femmes durant ses conférences de presse.

Wow. La press room de la Maison Blanche a considérablement changé depuis. On en est à combien, 40% de journalistes femmes ?

C’est vrai. Nous avons certainement augmenté en terme de nombre et de puissance. Le tournant a sans doute été la seconde guerre mondiale, puisqu’ils envoyaient au front tout jeune homme né sur le sol américain. S’il respirait, il devait partir en guerre. Et c’est pourquoi on a eu besoin de femmes à des postes où il n’y en avait que peu, voire, pas du tout. Des médecins, des avocates, des journalistes et que sais-je encore. À la fin de la guerre, les patrons des grands journaux n’avaient aucune idée des nouveaux problèmes des gens dans le pays. Je travaillais à UPI, et là-bas, huit femmes journalistes qui travaillaient au State Department ou au Pentagone se sont faites virer, juste parce que les jeunes hommes diplômés qui étaient partis en guerre allaient en revenir pour retrouver leur job payé 24$ par semaine. Eh bien, ça ne s’est pas avéré vrai. Ils sont revenus de la guerre en étant capitaines, majors ou colonels. Ils n’avaient pas envie de revenir à leur ancien boulot pour être payés une misère. Ils ont préféré allé à la Rand Corporation etc. Grâce aux innovations en terme de technologie de pointe pendant la guerre, ils savaient que les États-Unis s’en tireraient au mieux et allaient se remettre à prospérer.

Publicité

Et donc, ces femmes ont été réembauchées ?

Oui. Pas forcément toutes, mais quelques unes. J’écrivais les news à la radio, à l’époque. Je devais me lever à 5h30 tous les matins, du coup, personne ne voulait de mon job.

Vous avez rejoint le clan des journalistes de la Maison Blanche en 1960, sous Kennedy. Qu’avez-vous couvert durant toutes ces années ?

Quelquefois, la justice. D’autrefois, la trésorerie. La santé, aussi. L’éducation, l’aide sociale. Puis tout ce qui tournait autour du Cabinet. J’ai été embauchée pour les conférences de presse de la Maison Blanche parce qu’à l’époque, j’étais la présidente du Club de presse national féminin, et ils voulaient me mettre en charge de la couverture des premières années de la campagne Kennedy. Jackie, plus particulièrement. Tout le monde était lié à la présidence dans la famille. Vous voyez, une fois que vous êtes assigné à la Maison Blanche, vous devez couvrir tout ce qui touche aux hommes de la famille, aux femmes, aux enfants, aux animaux. Du moment qu’ils respirent, vous devez écrire sur eux. Surtout si vous travaillez pour une agence de journalisme.

C’est même tout ce que vous faites.

Oui. On appelle ça le Body Watch. Quand j’ai commencé là-bas, je suis entré dans l’Association des correspondants à la Maison Blanche, où vous gagnez l’incroyable somme de deux dollars par an. Mais en tant que femme, je ne pouvais pas me rendre à la réunion annuelle de l’Association, qui est en réalité un dîner en l’honneur du Président. Le peu de femmes qui en faisaient partie n’ont pas pu y aller, du coup on a protesté. Nous l’avons dit à Kennedy lui-même, par l’intermédiaire de Pierre Salinger, son attaché de presse. Nous avons dit « Nous ne pensons pas que le Président puisse aller au dîner si nous n’y sommes pas autorisées ». Il a répondu que c’était vrai, et pour la première fois nous avons eu le droit de couvrir le dîner.

Publicité

Génial.

Nous avions déjà essayé de le faire une fois auparavant sous l’administration Eisenhover, lorsque Khrouchtchev était en ville et qu’une bouffe était prévue entre eux. Nous avons dit quelque chose comme « Nous devons couvrir ce dîner, nous devons couvrir l’Histoire. ». C’était au moment où Khrouchtchev allait donner son seul speech à la presse américaine. Ils ont finalement accepté pour la première fois de l’histoire 30 femmes du Club de presse à couvrir la venue d’une personnalité internationale et à manger avec lui. Je me suis assise en bout de table, parce que j’étais la présidente du Club. C’était en 1959. Nous ne sommes devenues des membres à temps plein qu’en 1971.

1959, c’est bien l’année où Khrouchtchev a fait son discours sur…

« Nous allons vous enterrer ». Dans son discours, il mettait en lumière toutes les choses géniales du communisme, et il l’a terminé en disant « Nous allons vous enterrer ». Mais c’est nous qui les avons enterré.

Kennedy a été l’un des premiers à tirer profit de la télévision.

C’est lui qui a été le premier à faire à des conférences de presse en direct.

Vous y étiez ?

Oui. Vous voyez, c’est marrant. Vous pouvez écrire pour un journal pendant 50 ans et personne ne sait qui vous êtes, à part vos amis et votre famille. Mais une seule minute passée à la télé, et vous êtes connu. Vous marchez dans la rue le lendemain et tout le monde vous reconnaît.

J’espère que ça n’a pas été un trop gros problème pour vous. [rires]

Non non, j’adore ça.

L’administration Kennedy est aussi réputée pour être la première à avoir pratiqué le « news management ».

Oh non. Je veux dire, ça remonte à George Washington. Chaque administration a essayé d’arrondir les angles sur les informations. Kennedy a juste été le premier à mettre un nom dessus, et c’est devenu un art sous Reagan. C’est devenu banal.

On recommence à parler du cas Lyndon B. Johnson, sur lequel on a écrit plusieurs biographies dans les années 2000. Vous avez déjà écrit à propos de son obsession de connaître chaque détail de la vie des gens qui gravitaient près de la Maison Blanche à l’époque. J’imagine qu’il a déjà dû vous épier, non ?

Il entretenait une forme de relation amour/haine avec la presse. Il m’a connu pendant des années - depuis l’époque où il faisait partie du congrès, bien que je n’ai jamais eu à écrire d’article à son sujet. Peut-être qu’il m’a épiée, je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est qu’il avait une très bonne équipe autour de lui et qu’il cherchait à tout savoir. Il travaillait 14 heures par jour, avec une seule sieste au milieu. Tout son staff croulait sous le boulot en permanence.

Vous êtes allée en Chine avec Nixon. On dit que ça l’a changé.

Je pense qu’il savait qu’il était en train de faire l’histoire, un vrai pas de géant. Mais il avait déjà voyagé, depuis le hiatus de 1960 jusqu’au moment où il est devenu président en 1968. C’est à ce moment là qu’il a su que le communisme n’était pas ce grand monolithe qu’on laissait croire. Il est allé de pays en pays, en essayant d’en profiter au mieux, mais sa philosophie, c’était de diviser pour mieux régner. Cette situation n’a jamais changé. Les chinois et les soviétiques avaient équipé leurs frontières de milliers d’hommes car ils se détestaient mutuellement. C’est pourquoi il les a poussés les uns contre les autres.

Y a t-il un point commun entre tous les présidents que vous avez vu passer ?

Il n’y a rien de meilleur qu’un président d’instinct. Les meilleurs apprennent sur le terrain, très vite. C’est ce qu’a fait Kennedy, de la Baie des cochons jusqu’à la Crise de Cuba. Lui et Khrouchtchev avaient assez d’armement atomique pour faire sauter le monde entier. Mais tous deux avaient été à la guerre, et avaient compris l’humanité. C’était des hommes de paix, autant l’un que l’autre, et chacun avait fait un pas en arrière par rapport à la guerre. Khrouchtchev a d’ailleurs vite perdu son job après ça. Ils ont été assez courageux pour être lâches.

Quels ont été les présidents qui ont réussi à mêler leurs croyances à leurs actions ?

Kennedy et Johnson. Et Carter aussi, je pense. Johnson a beaucoup regardé Roosevelt. Il avait de grands idéaux. La Grande Société était une idée géniale, surtout après que les gens aient autant souffert pendant la Grande Dépression. Kennedy avait beaucoup appris de la guerre et connaissait très bien l’Europe. Je pense qu’ils ont été tous les deux très bons, à leur façon. Johnson a fait une erreur terrible avec le Vietnam, et ça lui a coûté sa place. Mais dans le même temps, d’un point de vue de politique intérieure, il était formidable. Je sais qu’il a perdu beaucoup de sa crédibilité avec le Vietnam, mais je crois qu’il est parti aussi sincère qu’il était arrivé. Lorsqu’on était avec lui à la Maison Blanche, il nous emmenait sur la pelouse sud (on l’appelait le Bataan Death Marches), et il n’hésitait pas à dire ce qu’il avait sur le coeur et ce qu’il pensait de la campagne au Vietnam. Il se sentait piégé. Je crois que l’on a tous beaucoup appris de lui. Nous avons appris l’agonie d’une présidence.