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On a assisté à la dernière soirée au Bloc

Et on s'est retrouvés à prier avec des marabouts pour sauver ce squat du 19e arrondissement de Paris.

photos : Sonia 

Le rez-de-chaussée du Bloc

On dit souvent que les squats sont des lieux où se rassemblent marginaux, SDF, junkies et artistes ratés. On a souvent raison. Le Bloc était, jusqu’à vendredi matin, le plus grand squat du 19e arrondissement : il s’étendait sur 7 000 m2, via sept étages différents. Aujourd’hui, il ne reste plus personne, et pour cause – les autorités ont déjà vidé l’endroit, tous les gens, toutes les photos, les peintures et sans doute, toutes les drogues accumulées là depuis décembre 2012, date de l’ouverture du lieu.

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250 personnes, dont 170 artistes, cohabitaient jusqu’à hier au 58-62 rue de Mouzaïa. En réaction à la fermeture prononcée par le Tribunal d’Instance le 13 novembre dernier, les derniers pensionnaires du Bloc avaient organisé une manifestation dans et devant les locaux. On a passé deux, trois coups de fil et on s’est dépêché de s’y rendre pour parler aux derniers résistants, ceux qui glandaient encore là quelques heures avant que les forces de police ne viennent tourner la clé une dernière fois.

Dans le bâtiment, le sol était tapissé de vielles bombes de peinture vides, de fringues sales et de bouquins jaunis par l’humidité. Ça sentait la bouffe. Les lumières étaient pâles et l'atmosphère, malgré l’expulsion imminente, plutôt paisible. Des mecs à dreadlocks dansaient dans des pièces sombres sur une sorte de dub ralenti. Ces derniers nous ont proposé un café tiède puis un joint d’herbe particulièrement forte. Malgré l’apparent calme de l’endroit, on pouvait lire une grande déception dans tous les regards. Comme on voulait savoir à quoi ressemblait le Bloc avant de devenir un immense refuge de dépressifs sous weed, on a discuté avec les derniers résistants du lieu.

Lamine et son pote dans les cuisines du Bloc, la veille de l'expulsion

Lamine, un Sénégalais à dreads et sweatshirt Asics d’une trentaine d’années, nous a alpagués : « Ce soir, on fait la fête, il faut qu'on célèbre ces moments, en espérant que ça ne soit pas les derniers ! C'est notre manière de remercier le seigneur et de prier pour que de meilleures choses nous arrivent pour la suite. »

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Ça tombait bien, il était 20 heures, on était crevés et on avait faim. Café chaud à la main, Moustafa, un Marocain grassouillet d’une cinquantaine d’années, nous a tendu sa carte de visite ornée d’une photo de danseuses du ventre entourées par des musiciens : « On était environ 250 – mais il y en a quelques-uns qui se sont cassés pour ne pas assister au débarquement des condés. Arabes, Chinois, Maghrébin, Sénégalais, Camerounais, artistes… On est le gouvernement et ses citoyens. C’est la gauche, la vraie… enfin c'est comme ça que je l'imagine. »

Dominique, un « vieux de la vieille du squat » autoproclamé d’une quarantaine d’années, flottant dans ses vêtements élégants mais tachés, nous a fait part de sa tristesse face à la fermeture imminente du lieu où il avait élu domicile : « Le Bloc, c'est magnifique ; il y a un amphithéâtre – mais l'entrée a été bloquée –, une salle de cinéma, des dessins partout, et de la bonne bouffe. Dans ce quartier, il n'y a rien, c'est mort. Au moins, au Bloc, il y avait vraiment quelque chose à développer. C'est très dommage, et ça nuit à tout le monde : pensez à ces pauvres CRS qui vont se réveiller à l'aube pour venir nous éjecter ! »

Dominique nous fait visiter un des ateliers

Après l'apéro, on a déambulé dans les couloirs couverts de graffitis et de diverses émanations de street art, et un gars nous a demandé si on voulait voir les marabouts. Les marabouts ? OK ! On a suivi notre guide à travers le dédale jusqu’à atteindre une petite porte. On a débarqué dans une pièce aux dimensions modestes, isolée du bruit ambiant, où trois chefs religieux discutaient. L’ambiance était calme, légèrement irréelle. Les marabouts nous ont menés dans la salle des prières, au sous-sol. Celle-ci, éclairée par une lumière tamisée, sentait l’encens à plein nez et était décorée de quelques banderoles de la manif qui avait eu lieu la veille.

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Les trois chefs religieux se sont installés sur une scène spécialement préparée pour eux, afin de prier pour ne pas être expulsés le lendemain matin. La salle s’est progressivement remplie jusqu’à compter une trentaine de croyants. Les marabouts avaient insisté pour qu’on s’asseye derrière eux sur la scène, et on se sentait très gênés mais incapables de refuser cet « honneur » qui nous était fait et qui n’était clairement pas mérité. On n’avait rien à foutre là, et on a profité du fait qu’un des marabouts s’empare du micro réglé à plein volume pour se carapater de la scène et s’asseoir parmi l’assistance. Certains priaient, d’autres méditaient, d’autres se contentaient de fixer la scène, avec dans les yeux un brin de nostalgie. La cérémonie a duré quarante-cinq longues minutes, mais on se sentait bizarrement apaisés à la fin.

Un des nombreux couloirs du squat

En revenant, on est tombés sur un autre squatteur, qui nous a servi un discours-type qui contenait les termes « autogestion », « s’exprimer de façon positive avec son art » avant de nous asséner : « Ici, l’art urbain s’est étendu à l’art de vivre. »

On lui a parlé des dérapages que quasiment tous nos interlocuteurs avaient évoqués afin de relativiser un peu la vision angélique qu’il essayait de nous vendre : embrouilles liées à la drogue, types armés de couteaux, racket à l’entrée… « Dès que ça dérape, on intervient en groupe pour apaiser les tensions, mais en général les gens se conduisent bien, alors qu'on a de vrais cas sociaux ici. Si on “relâchait” quelques-uns de ces cas sociaux, ça serait dangereux pour la société de l'extérieur, alors qu'ici ils s’entraident et se respectent. » Pas faux.

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On a aussi croisé Anne, qui était stagiaire chez VICE pendant qu’elle vivait au Bloc, et on lui a demandé si elle s’était parfois sentie en danger : « Parfois, il arrivait que des tensions entre des micro-communautés viennent gâcher tout le plaisir. C'est dommage, mais ça reste un superbe endroit, et on organisait de bonnes soirées, de bonnes expos, même si ça restait toujours un peu clivé entre les communautés. »

Une vue sur le bâtiment en L du Bloc depuis la chambre d’Anne

On est retournés au Bloc vendredi, à 7 heures du matin. Quelques personnes s’étaient installées devant l’entrée principale, en attente de l'assaut des CRS. La majorité des habitants étaient restés au rez-de-chaussée ou dans leur chambre. Comme chaque lendemain de soirée, ceux qui avaient le moins la gueule de bois s’étaient mis à ranger, machinalement : Lamine et ses copains – les Sénégalais qui étaient aux fourneaux la veille – ont assuré le nettoyage avec l'aide de quelques squatteurs. Personne ne semblait avoir dormi de la nuit.

L'attente devant le squat à 7 heures du matin

8 h 30, toujours pas de CRS. Une réunion a eu lieu au sous-sol pour discuter de la marche à suivre. Sur les lieux, on a trouvé les représentants du Bloc (ceux qui assuraient les relations entre le squat et les différentes associations), des gens de Médecins du Monde, et les quelques squatteurs restants. Un des représentants nous a expliqué : « Nous allons faire une main courante et faire en sorte que les choses se passent le mieux possible, pour tout le monde. Ceux qui veulent rester en carafe, ils doivent le faire en connaissance de cause. »

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Quelques minutes plus tard, l’un des squatteurs a confirmé qu'il n'y aurait pas de descente de flics le matin même, et a ajouté : « Il faut se faire entendre, se battre et résister contre la fermeture du centre. Notre foi nous a porté jusque-là alors battons-nous, pour ceux qui ont ouvert les portes de ce squat il y a un an. » Pourtant, à rebours de pas mal de discours « engagés » qu’on nous avait servis, à en croire les propos de la Mairie du XIXe rapportés par StreetPress, personne ne s’était vraiment bougé pour sauver l’endroit : la Mairie a ainsi assuré n’avoir eu « aucun contact » avec les squatteurs, à l’exception d’un mail groupé, une seule fois.

Les CRS – photo via

Nous avons quitté le Bloc à 10 heures, lorsque les occupants partaient se coucher – la majorité d'entre eux n'avait pas dormi depuis plus de deux jours. Anne nous a parlé de squatteurs qui avaient volontairement « piégé » les lieux : « Ils ont foutu un pot de peinture au-dessus d’une porte, par exemple, sauf que c’est un squatteur qui se l’est reçu sur la gueule. » L’atmosphère était tellement paisible qu’on s’est dit que les marabouts avaient réussi leur coup, jusqu'à ce qu’Anne nous appelle en début d’après-midi pour nous dire que l'expulsion était en cours.

Sur place, une petite vingtaine de fourgons chargeaient des squatteurs pour les amener « dans des centres spécialisés » ou des hôtels qui les hébergeraient une semaine. Ensuite, Iis seraient livrés à eux-mêmes, forcés de trouver un nouvel endroit pour se protéger du froid, la trêve hivernale ne s’appliquant qu’aux personnes ayant signé un bail. Certaines personnes que nous avions croisées la veille nous saluaient avant de monter dans le fourgon. Dominique, inquiet, se tenait devant les fourgons. « Y’en a qui ne veulent pas s'avouer que c'est déjà la fin. Prends La Mama par exemple [une figure emblématique du Bloc] – elle s’est enfermée dans sa chambre, elle refuse de partir de chez elle ! Mais le problème, c’est que c’est plus chez elle. »