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Société

Allah n'a rien contre les gays

Trois imams homosexuels nous ont expliqué pourquoi.

Dans un très grand nombre de pays à majorité musulmane, l'homosexualité est interdite. Dans neuf d'entre eux, toute activité homosexuelle peut même conduire à une peine de mort. Tous les préjugés qu'ont les musulmans sur les gays semblent fondés sur une mauvaise interprétation  : certains pensent que les versets du Coran sur Sodome et Gomorrhe condamnent l'homosexualité - ce qui n'est en réalité pas le cas.

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Pour cette raison, Ludovic-Mohamed Zahed, Daayiee Abdullah et Muhsin Hendricks – trois imams ouvertement gays avec qui je me suis entretenu – se sont mobilisés afin de mettre fin à la marginalisation à laquelle les musulmans lesbiens, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) sont confrontés. J'ai discuté avec eux pour voir s'ils avaient une quelconque influence dans ce monde où les homosexuels de leur communauté se font systématiquement désavouer, battre, arrêter, tuer ou pousser au suicide.

Ludovic-Mohamed Zahed est un imam franco-algérien. Il est à l'origine de la première mosquée gay-friendly de Paris, où les hommes et les femmes prient dans la même pièce et où les minorités sexuelles sont chaleureusement accueillies. Il réside actuellement en Afrique du Sud.

VICE : Quand avez-vous décidé de ne plus cacher votre homosexualité ?
Imam Ludovic-Mohamed Zahed : J'avais 21 ans, mais on m'a toujours dit que j'étais efféminé. Ma mère me considérait comme sa fille. Nous étions tous les deux très proches.

Donc votre orientation sexuelle n'a jamais été un mystère ?
Tout le monde était au courant, mais personne n'en parlait. Quand j'avais 8 ou 9 ans et que je sortais jouer dehors, les autres enfants me traitaient de « tapette ». Mon père me disait que je pleurais tout le temps. J'ai passé des années à essayer de renier cette part de moi. Afin de trouver la paix intérieure, je me suis même tourné vers le salafisme. J'ai longtemps refoulé mon homosexualité.

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Que s'est-il passé quand vous l'avez annoncé à votre famille ?
J'ai fait ma valise avant même de le leur dire. J'avais peur qu'ils me jettent dehors. Je m'attendais au pire. Finalement, avant même que je finisse ma phrase, mon père a dit calmement : « Arrête, nous t'acceptons tel que tu es ». Il savait que j'avais tout fait pour renier mon homosexualité. Plus tard, j'ai appris que j'étais atteint du sida. Quand je le leur ai annoncé, ma mère était moins gênée par ma maladie que par mon orientation sexuelle.

C'est triste.
Oui. C'était horrible. A cette époque, elle était vraiment dure avec moi. Quand elle est devenue plus tolérante, je devais en quelque sorte me réinventer et l'ambiance était très bizarre à la maison. Ils ne m'ont pas rejeté, mais j'ai dû me faire une nouvelle place dans la famille. Je suis devenu le « vrai moi ».

C'était dangereux d'être le « vrai vous » ?
Oui, ça l'a toujours été, et plus particulièrement après l'ouverture de la « mosquée inclusive » à Paris. Elle est située dans un quartier qui héberge une grande population musulmane. Parfois, des gens m'arrêtaient dans la rue et me gueulaient dessus. Ma page Facebook a aussi été inondée de menaces.

Qu'est-ce que vous ont dit les passants qui vous ont menacé ?
Des trucs comme « Pourquoi faites-vous ça ? » et « C'est contre notre religion ! ». C'était très dur à vivre. Mais ici, en Afrique du Sud, c'est complètement différent. Les gens sont beaucoup plus pacifiques. Actuellement, je travaille dans un refuge ouvert aux musulmans LGBT menacés à travers le monde.

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C'est comme un camp de réfugiés pour musulmans gays ?
L'Afrique du Sud est un pays très accueillant pour les réfugiés. Ce n'est pas comme en Europe. Ici, l'homophobie est beaucoup moins présente. Bien que le projet soit toujours en phase de commencement, il a un fort potentiel.

Pensez-vous qu'il y ait de l'espoir pour les musulmans gays ?
Sans aucun doute. Il y a toujours beaucoup à faire, mais les choses évoluent. Il y a quelques temps, l'imam hollandais Hashim Jansen a fait son coming-out après avoir appris que des gens comme moi l'avaient fait. De nombreux imams nous ont rejoints, et notre nombre d'alliés ne cesse de croître.

L'imam Daayiee Abdullah est le premier imam américain à s'être déclaré ouvertement gay. Il officie à la mosquée « Lumière de la Réforme » à Washington D.C., ouverte à toutes les cultures et toutes les sexualités.

Vous avez révélé votre homosexualité avant de vous convertir à l'Islam. Vous pouvez nous en dire plus ?
Imam Daayiee Abdullah : [Je l'ai fait] parce que ma famille m'a toujours soutenu ; je n'ai jamais été livré à moi-même. Mes parents faisaient partie de la Convention baptiste du Sud et se sont toujours occupés de moi. Ils se sont toujours plus soucié de leur fils que des normes de la communauté. Je pense aussi que le fait d'être noir m'a préparé à ces épreuves.

Selon vous, l'homophobie et le racisme sont identiques ?
Dans leur essence, oui. Ces deux concepts sont haineux, bien qu'ils concernent deux franges différentes de l'identité d'un homme. C'est leur seule différence.

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Pourquoi vous-êtes vous converti à une religion supposée vous condamner ? De nombreuses personnes prétendent que le Coran interdit l'homosexualité.
Les actes sexuels condamnés dans le Coran se sont déroulés sans le consentement de l'un des partenaires. C'était de la torture. Certains actes sexuels n'ont rien à voir avec la sexualité. Le Coran ne condamne aucun type de sexualité.

Donc, tous les savants qui ont interprété le Coran de cette manière ont tort ?
L'interprétation très particulière qu'ils en ont fait n'est pas dûe à l'Islam mais plutôt à la culture dominante qui régnait dans le pays à cette époque. En outre, leur compréhension du texte sacré se fondait sur des interprétations chrétiennes et juives. Les historiens n'ont jamais pu prouver formellement que Mahomet s'était exprimé sur l'homosexualité. Ils n'ont pas pu le faire, simplement parce qu'il n'existe aucune preuve. Aussi, n'oubliez pas que de nombreuses lois — toujours en vigueur aujourd'hui dans des pays asiatiques et africains – ont été mises en place par des colons européens.

C'est vrai que votre première mission d'imam consistait à accomplir les rites funéraires islamiques pour un musulman gay mort du sida ?
Tout à fait. Les proches ne trouvaient aucun autre imam désireux de le faire, du coup, ils m'ont contacté. Quiconque meurt en musulman mérite le rite traditionnel islamique.

Vous êtes-vous déjà senti menacé dans votre travail ?
Non, je n'ai jamais eu le sentiment d'avoir été menacé physiquement. J'étudie et j'interprète le Coran comme s'il était une chose vivante et non comme un livre de lois manichéen. Beaucoup de musulmans ne l'ont jamais lu ; ce n'est pas une chose qu'ils étudient. Ils prennent pour vérité la parole de ceux qui leur ont dit que l'homosexualité était interdite dans l'Islam.

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Que pensez-vous des gens qui vous appellent « l'imam gay » ?
Le problème, c'est qu'ils utilisent souvent cette appellation pour que d'autres personnes nous rejettent [moi et les autres musulmans homosexuels]. Certains le font par goût du sensationnalisme, ou pour se faire un petit coup de pub.

Les choses sont-elles en train de changer ?
Si l'on examine le nombre de mosquées ouvertes aux homosexuels aux États-Unis, on peut remarquer qu'il ne cesse d'augmenter de façon significative. Il y a un réel progrès fait à ce niveau-là.

Qu'avez-vous à dire aux musulmans LGBT auxquels on prétend que leur existence même est un pêché ?
Étudiez, étudiez, étudiez. Vous finirez par vous rendre compte que ce qu'on vous dit est le vrai pêché.

Muhsin Hendricks est un imam sud-africain qui dirige l'association The Inner Circle (« le Cercle intérieur »). Son organisation a pour but de venir en aide aux musulmans qui ont du mal à accepter leur sexualité.

Quand avez-vous fait votre coming-out ?
Imam Muhsin Hendricks : J'avais 29 ans, je vivais au Pakistan et j'étais marié à une femme depuis 6 ans. Je me suis marié en espérant que cette relation finirait par me rendre hétérosexuel. Mais, après tant d'efforts et de frustration, la réalité m'a explosé au visage. Je me suis mis à chercher des réponses, ce qui m'a conduit à étudier le Coran de façon plus approfondie.

Qu'est-ce que votre étude du Livre saint vous a permis de trouver ?
J'ai découvert que le Coran ne préconise rien concernant l'orientation sexuelle et que l'histoire de Sodome et Gomorrhe ne fait pas référence à l'homosexualité en tant que telle, mais plutôt à des atrocités d'ordre sexuel sans lien avec quelconque orientation ou genre. Contrairement aux personnes qui affirment que le Coran condamne l'homosexualité, Dieu n'est pas homophobe. Cette conviction m'a conduit à annoncer publiquement ma sexualité.

Vous n'avez jamais eu peur de la réaction des autres ?
Je me suis bien sûr attendu au pire. Je m'attendais à être renié par ma famille et même à me faire assassiner. J'ai été assez surpris que la plupart des gens accueillent la nouvelle de façon positive, comme s'ils attendaient quelqu'un d'assez courageux pour se déclarer ouvertement gay.

Comment vivez-vous le fait d'être surnommé « l'imam gay » ?
Je n'apprécie pas que mon orientation sexuelle définisse quel type d'imam je suis. Je serais bien plus heureux d'être considéré comme je suis, c'est-à-dire comme un imam oeuvrant à ce que certains musulmans ne soient plus marginalisés en raison de leur orientation sexuelle.

Pensez-vous que ces musulmans pourront un jour s'embrasser publiquement ?
Oui, sans aucun doute. Le rejet auquel ils sont actuellement confrontés est une certaine forme de racisme. Bien que le racisme soit interdit dans de nombreux pays, il se manifeste toujours. Je reste néanmoins convaincu que le monde musulman peut réussir à accepter un amour et une relation entre deux personnes du même sexe dans la mesure où elles continuent à respecter les valeurs de foi et de monogamie du Coran et la volonté d'Allah.

Merci beaucoup.