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Point de croix inversée

Nous sommes allés parler de « Killing Technology », le livre de photos consacré aux patches metal avec son auteur, Melchior Tersen, et son éditeur, Pedro Winter.

Toutes les photos sont de William Lacalmontie. Si vous venez sur ce site régulièrement, vous connaissez forcément le boulot de Melchior Tersen. Fans de Marilyn Manson, poissons morts, voitures décorées de stickers Sodom ou portraits de Mobb Deep : chez Melchior, tout est à la fois brut, excessif, fascinant, naïf et surtout (surtout) d'une évidente sincérité. Pas de pose, pas d'ironie, pas de voyeurisme, le type aime profondément les gens et les situations qu'il prend en photo et c'est ce qui le place depuis des années au-dessus de tous les Richard Kern de Levallois et des Terry Richardson de bac à soldes. Ça et le fait que, malgré un talent indéniable et une exposition grandissante, il refuse de participer au cirque des galeries et se considérer autrement que comme un type qui aime le rap, le metal, le PSG et Dragon Ball Z, qui fait un peu de photo quand il a cinq minutes. Mais discret ou pas, quand on est bon, on est bon - et à moins de vraiment s'y opposer, ça finit toujours par payer. Après des dizaines de fanzines et de livres auto-édités à un exemplaire, Melchior sort enfin ce mois-ci son premier recueil de photographies. Un impressionnant pavé de 516 pages intitulé Killing Technology et consacré à une de ses plus anciennes marottes : les patches et dossards metal (qui avaient servi de base à un de nos articles post-Hellfest il y a quelques années). Nous sommes allés discuter du livre avec Melchior et son éditeur, Pedro Winter, qui sort l'engin sur Headbangers Publishing. Ils nous ont offert pour l'occasion une mixtape inédite réalisée pour l'édition japonaise de Killing Technology, que vous trouverez en fin d'article.

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Noisey : Votre rencontre, ça remonte à quand ?
Pedro Winter : On s'est rencontrés il y a 4 ans, en 2012, dans le 18e arrondissement, à quelques rues d'ici. Melchior exposait ses photos dans une toute petite galerie qui n'existe plus aujourd'hui. Et il y avait cette fameuse photo de pizza à la pizza sur laquelle j'ai bloqué. Melchior Tersen : C'était mes bêtises du début… Pedro : Je l'ai prise en photo et postée et ça a d'ailleurs été le premier post Instagram avec le nom de Melchior. J'ai pris son contact et par la suite on s'est pas mal croisés dans des endroits comme Le Salon, la galerie de mon frère Thomas, située juste à côté. On a discuté, on s'est rendu compte qu'on avait pas mal de points communs. À chaque fois, il avait des tas de trucs dans son sac et il m'a un jour montré ses deux boîtes à chaussures remplies de patches et un des livres de photos qu'il avait fabriqué en 24h chez Copytop.

Oui, tu en as fait plusieurs, certains dont on parlé d'ailleurs. Celui sur les T-shirts, celui sur les voitures avec des stickers metal…
Melchior : Oui, c'était une façon de m'entraîner à présenter mon boulot, à l'agencer. Ça m'a permis de voir ce qui ne marchait pas, ce qu'il fallait que j'améliore. C'est comme ça que tu progresses, en étant un peu plus exigeant avec toi-même à chaque fois. Et donc là, j'avais sur moi un de ces bouquins faits maison, sur les patches justement.

Pedro : Et c'est ce bouquin qui a provoqué le déclic chez moi. Celui-là et un autre que j'avais trouvé d'une poésie incroyable, même si un peu glauque, sur les buissons au jardin des Tuileries. Ça aussi, je pense que ça mérite un vrai bouquin un jour. Et même si j'adore les fanzines et l'auto-édition - c'est quelque chose qui me passionne toujours - mon but, en sortant Killing Technology, c'était de donner à un artiste que j'aime les moyens de s'exprimer et de grandir, de grossir, de voir son boulot ailleurs, de toucher d'autres personnes.

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Melchior : Moi, la base de ma culture musicale, c'est le rap, donc je vois un peu ça comme l'album qui vient après une série de mixtapes, tu vois ? Tu sors d'abord des trucs un peu à l'arrache, distribués de la main à la main, et puis un jour, quand t'es prêt, tu sors un véritable album.

Vous vous êtes entendus facilement sur l'objet, parce qu'il y a des parti pris assez radicaux : c'est très brut, il n'y a quasiment aucun texte - ce que je trouvais très risqué au départ, mais qui finalement marche hyper bien.
Pedro : Moi, j'ai tout de suite adhéré au projet et à la vision de Melchior. Après, on a fait quelques agencements. Par exemple l'idée de tout agencer en chapitres, c'est moi qui l'ai suggérée. Je voulais que ce soit un minimum organisé. Notre travail à moi qui suis éditeur et « accompagnateur » du projet et à Nicolas d'Etudes Studio qui a fait la DA du livre, c'était d'être les garde-fous de Melchior, qui nous jetait tout son boulot et sa passion à la figure et avec lesquels il fallait composer. Notre taf, c'était de faire tenir tout ça dans un bouquin, de la manière la plus cohérente et la plus pertinente possible. On a fait très attention à ne pas dénaturer son travail. Je sais qu'il n'est pas à l'aise avec la notion d' « artiste » et je respecte tout à fait ça, mais on voulait lui donner les moyens d'avoir de pures photos, avec une définition et un calibrage nickel, que ce soit un truc de qualité. Et on voulait effectivement rester dans un truc plus « catalogue », sans textes ou anecdotes. Il y a juste une intro écrite par Melchior et un petit texte d'Igor Cavalera [Sepultura, Mixhell, The Cavalera Conspiracy].

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En même temps, ce texte d'Igor Cavalera résume tellement tout en quelques lignes que ça rend superflu tout texte supplémentaire.
Pedro : Exactement. Melchior : Et puis je ne l'ai pas du tout pensé dans ce sens. Par exemple, je n'ai pas pris le nom des personnes que j'ai pris en photo. À chaque fois je leur expliquais le truc, je leur donnais ma carte, bon 3 fois sur 4 les gens la paumaient ou ils oubliaient, mais l'idée c'était pas vraiment de mettre la personne en avant. C'est quelque chose que j'ai beaucoup fait par le passé, notamment avec mes portraits de fans, par exemple, mais au bout d'un moment j'ai voulu qu'il n'y ait plus de visage ou même de présence humaine sur ces photos, je voulais me concentrer sur les patches, les vestes, parce que la personne porte le poids d'un truc qui va forcément la dépasser à un moment. Ce qui m'intéressait c'était l'aspect « réalisation humaine ». On vit dans une époque où la notion de folklore a été complètement abolie, où on n'a plus peur du diable. Et j'aime bien l'aspect très romantique qu'il y a là-dedans. T'achètes des patches, tu les échanges, tu les couds et à la fin le résultat est toujours unique. C'est ta veste. Ça se rapproche des collections types vignettes Panini et moi j'ai toujours été obsédé par ces trucs, les collections, les goodies…

Pendant longtemps j'avais peu de moyens pour assouvir cette passion : j'avais des petits boulots, je parle assez mal anglais, j'ai pas le permis, pas beaucoup de sous, donc ça me limitait vachement, mais en même temps, c'était bien aussi, parce que ça renforçait mon attrait et ma passion pour le truc. Donc bon, de voir ce livré édité aujourd'hui, en dur, un bel objet, c'est vraiment incroyable, d'autant plus que c'est un projet qui revient de loin, je l'avais montré à des tas de gens, des éditeurs, des gens du milieu de l'art et dans la plupart des cas, soit ils me répondaient des conneries, soit il y avait de la condescendance et du mépris et ça c'est un truc qui me gène énormément, parce que j'ai pas du tout envie de livrer mon boulot en pâture à des gens qui ricanent. Je suis assez 1er degré, je fais pas les choses pour me faire mousser ou quoi. C'est pas un livre de tendances, c'est vraiment un truc d'archivage, je l'ai commencé il y a 7 ans, en 2010, quand j'ai eu pour la première fois une accréditation à un festival metal, au Hellfest. C'est là que j'ai fait ma première série et d'année en année j'articulais le truc, j'apprenais des réussites comme des erreurs et le tri s'est fait au fur et à mesure. Je trouve ça génial d'avoir fait un énorme truc sur quelque chose d'aussi désuet et romantique, ça va un peu à contre courant de notre époque. J'aime bien internet et tout, mais… Ça va trop vite. Pedro : Et c'est de ça que parle le titre. Quand Melchior m'a proposé Killing Technology, je me suis dit : « mais oui, c'est exactement ça. »

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La couve reflète bien ça aussi, je trouve. C'est une image de patch en très gros plan, en sérigraphie…
Pedro : Ce qui fait que ça va vieillir, s'user, que ça va vivre tout simplement. On reste dans le culte de l'objet. Même fermé, sous cellophane, le livre attire l'oeil, c'est un pavé.

Melchior : Il y a ne serait-ce que 3 ans, j'aurais jamais imagine pouvoir faire de ce livre quelque chose d'aussi beau, d'aussi complet. Et surtout qui puisse toucher plein de gens. Si je l'avais sorti moi-même, ce serait resté dans mon réseau, mes contacts. Là l'idée, c'est aussi et surtout de toucher des gens de partout. J'ai essayé d'être très exigeant pour le public metal après j'aime pas le cloisonnement ni l'élitisme.

Au final, ça fonctionne comme les livres sur les pochettes de disques qui attirent tout le monde et pas seulement les fans ou les spécialistes.
Melchior : Oui, et c'est pour ça que je voulais que ça reste sur une forme un peu pop, qu'on reste sur du fond blanc, qu'il y ait un peu de promo autour. Parce que j'aime bien aussi l'idée de sublimation, de mettre quelque chose en avant, j'aime pas trop l'idée de « sous-culture » avec ce que ça sous entend, et j'aime bien que l'art touche des publics que ça n'intéresse pas habituellement.

Je trouve qu'à l'heure actuelle, ce qu'il se fait de plus excitant, que ce soit en musique en cinéma ou dans l'art en général, ce sont soit les choses très naïves, très brutes ou bien les choses qui donnent l'impression d'être totalement en dehors du monde actuel. Et Killing Technology réussit à être les deux à la fois.
Pedro : Complètement. C'est naïf et sans opportunisme, c'est ça qui me plaît

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Melchior : Le souci, c'est que dans la société actuelle, on rigole très peu avec et trop souvent de quelque chose. Le Diner de Cons, c'est un truc qu'on voit malheureusement très fréquemment au quotidien. Moi, j'aime bien rigoler, mais j'aime pas ricaner. Et là, dans ce livre, on ne ricane pas. Jamais.

Vous avez une photo préférée dans le livre ?

Melchior : Celle-ci. Je la trouve très belle. En fait, après un certain temps j'ai essayé de présenter les patches, les vestes hors du contexte de festival, même quand était, pour le coup, en plein festival. On reste dans cette idée de sublimation, c'est la veste le sujet - la personne qui la porte et l'environnement passent au second plan, même s'ils participent à l'ambiance et à l'esthétique générale. Je l'ai prise en 2014, pendant le concert d'Aerosmith au Hellfest, mais ça aurait pu être en pleine nature, n'importe où.

Pedro : Là, je suis en pleine digestion du livre vu que j'ai eu le nez dedans pendant 1 an, mais je garde un petit faible pour la veste au feutre Slayer. J'aime beaucoup le coté DIY/Sac US.

Vous n'êtes pas venus les mains vides, vous nous avez apporté une mixtape, ça vient d'où exactement ?
Pedro : De la version japonaise du livre, qui sort le 20 octobre là-bas, soit 10 jours avant la sortie française. Ce sera exactement la même édition, mais avec un T-shirt et une mixtape en bonus. On a fait une face chacun et ça a donné un truc assez marrant vu qu'on est dans des styles assez différents. Moi je suis plus de la génération Hedbangers Ball : Metallica, Megadeth, Pantera… Alors que Melchior est sur des trucs plus speed.

Melchior : Moi je suis plus black metal, speed metal… Et j'adore Type O Negative, c'est un de mes groupes préférés.

Killing Technology sortira le 31 octobre sur Headbangers Publishing. Vous pouvez écouter la face de la mixtape réalisée par Melchior pour l'édition japonaise du livre ci-dessous.

Tracklist :
VOIVOD « KILLING TECHNOLOGY »​
SEPULTURA « TERRITORY »
CELTIC FROST « VISIONS OF MORTALITY »
RAZOR « MIAMI »
FLOTSAM AND JETSAM « NO PLACE FOR DISGRACE »
DANZIG « DEVIL'S PLAYTHING » 
MANOWAR « WARRIOR OF THE WORLD UNITED »
TYPE O NEGATIVE «​ MY GIRLFIREND'S GIRLFRIEND »
PARADISE LOST « HALLOWED LAND »
MAYHEM « DEATHCRUSH »
VON « BLOOD ANGEL » Titres sélectionnés par Melchior Tersen
Compilé par Busy P au studio Threesome à Paris