FYI.

This story is over 5 years old.

Music

Est-ce vraiment judicieux de perdre 2 heures devant le nouveau film de Nick Cave ?

Spoiler : oui.

Les documentaires ayant trait à la musique se divisent désormais en deux catégories. D'un côté, il y a les réalisateurs qui mettent la main sur un sujet méconnu et qui, par le biais d'une enquête ultra-scénarisée, le transforment quasiment en fiction ( Arthur Russell, Sugar Man…). De l'autre, des fans qui adressent une lettre d'amour totalement partiale à leur idole (Rolling Stones, Air, Iron Maiden, Foo Fighters…) ou aux labels qui en font la promotion. Les exceptions (à savoir : les films qui cherchent à illustrer les propos ou la vision d'un artiste, de manière originale et/ou personnelle, aussi bien dans le fond que dans la forme) sont extrêmement rares, mais elles existent. Let's Get Lost (consacré à Chet Baker) ou Last Days Here, le film sur  Bobby Liebling de Pentagram sont deux des premiers exemples qui me viennent en tête. Autant le dire tout de suite : One More Time With Feeling, le film sur l'enregistrement de Skeleton Tree, dernier album de Nick Cave & The Bad Seeds, n'appartient pas à cette catégorie. Réalisé par un proche du chanteur, Andrew Dominic, réalisateur tantôt prodige (L'assassinat de Jesse James) tantôt pataud (Cogan), le film (sorti un jour avant le disque) appartient plutôt à la catégorie des objets visuels semi-ratés (ou semi-réussis, c'est selon) dont la forme patauge à vouloir trop expérimenter, sans pour autant nuire au fond (en l'occurrence, huit nouveaux morceaux composés par l'australien ténébreux, marqués par la mort de son fils de 15 ans, tombé d'une falaise alors qu'il était sous LSD.

Publicité

Photo - Kerry Brown

Le réalisateur a en effet opté pour un parti pris plutôt original : il filme Nick Cave, son groupe et sa famille en 3D avec une caméra qu'il ne semble pas maitriser et dont les caprices en font un personnage à part entière du long métrage (attendez, ne partez pas). Obligeant Nick Cave ou Warren Ellis (le bras droit du chanteur, qui exulte dès qu'il passe à l'écran, et tant pis si c'est juste pour tripatouiller un micro Korg) à ré-interpréter des séquences banales (une arrivée dans une pièce, Nick se coiffant ou s'installant dans un taxi pour un moment de confession), Dominic joue assez intelligemment sur la perception que l'on peut avoir du film. Oeuvre arty vaguement prétentieuse, opération de communication d'un chanteur montré du doigt depuis la disparition de son fils (mort pour avoir imité le mode de vie défendu par son père) ou simple EPK de luxe offert par une star à ses fans, One More Time With Feeling ne se dévoile réellement que dans sa deuxième partie. Prenant la forme d'une tribune accordée à un artiste au bout du rouleau (et qui l'assume), le film devient une sorte de communiqué de presse définitif de Nick Cave au sujet de la mort de son fils. Après ce documentaire, le sujet n'a en effet plus lieu d'être évoqué, tant tout y est dit aussi bien face caméra qu'en chansons (notamment sur le dévastant « I Need You »). L'occasion de se souvenir que Nick Cave n'est pas seulement une des figures les plus importantes et les plus charismatiques de l'Histoire de la musique, mais aussi un parolier exceptionnel, capable d'aborder des sujets tels que la mort, le deuil et les croyances religieuses avec une poésie et une justesse inouïes (là vous pouvez éventuellement partir).

Photo - Kerry Brown

Alors certes, les limites du mauvais goût sont parfois atteintes dans quelques séquences qu'on aura la décence de ne pas vous spoiler. Mais One More Time With Feeling reste une impressionnante plongée au cœur d'un processus de création chamboulé par un drame personnel. C'est dans sa capacité à mettre des mots sur cette bataille entre l'histoire, l'image publique et le ressenti personnel du chanteur australien que le film touche juste. Et l'on imagine bien que ce sera la première et la dernière fois que Nick Cave se présentera autant à nu devant le public, ce qui justifie amplement de sacrifier 1h50 à ce documentaire. Bien sûr, beaucoup trouveront l'entreprise relativement glauque ou triste. Mais Nick Cave n'a jamais été connu pour faire la chenille sur un air de samba. Restent donc les morceaux composés par la duo Ellis/Cave, dont les climats dépouillés et arides offrent un écrin parfait à ces vocalises de baryton que la presse (on l'espère) évitera cette fois-ci de désigner avec des termes tels que « croque-mort » (mais en 2016 tout est possible). Et un nouveau disque qu'on écoutera encore dans longtemps tant il est de la trempe des grands monuments funéraires, de Desert Shore de Nico à From A Basement On The Hill d'Elliott Smith.  One More Time With Feelingest en salles depuis le 8 septembre.