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Musique

50 heures de Lil' B sans s'arrêter

Le plus long marathon en l'honneur du Based God

La semaine dernière, je me suis calfeutré avec mon coloc' Sam dans une cave du New Jersey – seulement armés d’un frigo rempli de bières – avec la mission d’écouter toutes les mixtapes de Lil' B en cinquante heures. Interdiction de dormir, possibilité de s’extraire de la cave seulement en cas d’absolue nécessité et, surtout, obligation d’écouter le « Based God » non stop. À nous deux, on avait 1 121 morceaux de Lil' B c’est-à-dire bien plus que les cinquante heures qu’on avait prévu de s’enfiler.

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Tous ceux qui connaissent Lil' B savent que son intérêt réside plutôt dans sa personnalité – et la vitesse hallucinante à laquelle il enregistre – que dans ses prouesses en tant que rappeur. Et quoi de mieux pour comprendre un rappeur qu’écouter sa musique pendant des dizaines d’heures ?

On s’est aperçu qu’il n’y avait pas qu’un seul type de musique sur les nombreuses mixtapes de Lil' B. Noyé entre les freestyles qui se ressemblent tous et les innombrables fois où il proclame être l’océan, Dieu ou « un vecteur », on a découvert un morceau gospel qui ressemblait un peu à un truc situé quelque part entre un guide de développement personnel New Age et les paroles d’un leader de secte. Un truc chéper, fort, profond et stupide qui aurait peut-être pu influencer les résultats de la NBA des saisons à venir.

En gros, on s’est fait laver le cerveau.

LUNDI APRÈS-MIDI

13h – On démarre le Based-athon avec « Profile Slow », premier morceau de la célèbre mixtape de 676 titres de Lil' B, Free Music ; l’album auquel on va consacrer les quarante premières heures de notre quête. Sam me prévient que sa tolérance au Based God est « problématiquement haute ».

13h01 – Sam revient sur son affirmation précédente. «  Je vais regretter ce que j’ai dit. » « Shit yeah » répond Lil' B, comme s’il s’adressait directement à nous grâce au pouvoir de la musique. Ou au pouvoir des enceintes d’ordinateur.

14h14 – Alors qu’on a décidé de passer deux jours dans une cave du New Jersey, B balance un tweet à propos du sauvetage de la planète : « JE VAIS PLANTER DES FLEURS ET DES ARBRES LÀ OÙ IL N’Y EN A PAS AUJOURD’HUI : C’EST MON CADEAU À LA PLANÈTE ET AUX GENS QUI Y HABITENT… (BIEN À VOUS) – Lil' B »

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Je suis déjà en train de parler au Based God dans ma tête. Ce n’est pas de très bon augure pour la suite.

15h48 – On fait un baby-foot. Les morceaux de Free Music sont OK. Je commence à réaliser que la partie la plus difficile de notre épreuve sera plutôt de rester enfermés dans une seule pièce.

16h29 – On commence à se faire chier et Lil' B nous insulte copieusement depuis une demie heure.

16h48 – Sam et moi nous disputons pour savoir quand commencer à faire du café. D’après moi, on aurait dû le préparer il y a déjà une heure mais Sam, plus rationnel, préfère qu’on en boive « quand on en aura vraiment, vraiment besoin ».

17h05 – Discussion autour du thème : « Lil' B peut-il faire la chanson parfaite ? » On en a conclu qu’il pourrait faire un truc aussi catchy que « A Milli » mais que le rap normal l’ennuie, comme le prouve notamment son freestyle sur « Riverdance ».

18h09 – « Messianic » commence. C’est une chanson plutôt bavarde où B explique qu’il comprend que tout le monde traverse des épreuves et dans laquelle il insiste sur le fait qu’il vous soutient, vous le public. C’est ce qui peut expliquer la dévotion complètement folle dont il fait l’objet – des chansons comme celle-ci réchauffe le cœur des gens.

20h17 – J’ai accepté que la voix de Lil' B soit un bruit permanent dans ma vie. Sam écrase une araignée sur l’écran de son ordinateur, prouvant ainsi que A. il n'est qu'une petite fiotte qui a peur des insectes et B. que nos conditions de vie deviennent de plus en plus problématiques et que Lil' B a déjà dit « swag » 6000 fois.

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22h28 – On a échangé notre lumière fluorescente contre une lumière tungstène. En toute honnêteté, elle nous aide à surmonter l'épreuve. Voir aussi : bière.

22h55 – Quelque part entre « Life’s Lessons Are in You » et « Lil' B explains the Ocean », je réalise que B peut passer du rap au sermon, sans aucun problème.

MARDI MATIN 

1h37 – On commence à compter les morceaux qui ont des noms marrants et qu’on ne connaissait pas. Alors qu’on en arrive presque à « 100 000 Blunts and Counting », la sensation d’être en prison se fait soudainement ressentir.

2h05 – On se rend compte que Lil' B combine à lui seul deux choix de carrière lucratifs : rappeur et coach en développement personnel. Dans ses morceaux, il prêche qu’être positif vous permet d’atteindre le succès et le prouve en étant lui-même un rappeur couronné de succès. Il continue ses sermons sur l’optimisme dans un autre freestyle : la chanson commence par « Putain salope, tu m’as brisé le cœur. » C’est une merveilleuse juxtaposition.

4h14 – Je me surprends à chercher des produits officiels estampillés Lil' B sur Internet. Il y avait des T-shirts à son effigie vers 2009 mais ils ont disparu de la circulation. Une opportunité ratée d’avoir une foule d’apôtres du Based God arborant cet uniforme.

6h12 – On passe la matinée dans le coltard à lire des articles en ligne et à s’imaginer un road trip sur Google Map.

12h27 – J’ai accepté l’idée que B soit un élément clé de mon existence. Un peu comme l’oxygène, par exemple. Comme les Chrétiens qui acceptent le fait que Jésus soit toujours là, dans le coin, à vous regarder. Écouter « Based Freestyle » c’est comme se gratter, ou avoir envie d’aller aux chiottes ; ce qui m’arrive souvent, parce qu’on a commencé à prendre du café vers 5h du mat' et qu'on a pas arrêté depuis.

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14h34 – Basedgod semble maintenant vouloir que les gens deviennent des robots, qu’ils prennent en otage ceux qui ne sont pas « based » et qu’ils les emmènent à Based World (je suppose qu'il s'agit plus d'un lieu de culte que d’un garage de la Bay Area). Un Évangile apocryphe ? Je vote en faveur d’une lecture plus littérale de la Bible Based.

17h05 – On décide d’émerger de la cave pour s’approvisionner en nourriture ; un processus complexe. On a branché nos Ipod sur nos oreilles, marché vers la voiture, enlevé les écouteurs pendant que je branchais l’autre Ipod aux enceintes de la voiture, roulé vers Smashburger, remis nos Ipod, marché vers le restaurant, fait un grand sourire pour faire comprendre au serveur qu’on n’était pas complètement fous, compris que ce geste était contre-productif, commandé notre nourriture en parlant très fort pour s’entendre par dessus la musique et mangé dans le restaurant en continuant d’écouter chacun nos Ipod respectifs. On a recommencé ce processus pour rentrer à la maison. On a tenté d’oublier le regard de douleur que nous a jeté le manager de Smashburger. « Vous n’aimez pas notre musique ? » On aurait dit que ses yeux aller sortir de leurs orbites. Comment lui expliquer ? Ce n’est pas toi, mec. C’est Based God.
21h56 – J’ai des douleurs dans la poitrine comme si un putain d’Alien allait sortir de mes intestins. Peut-être que c’est à cause des incessants « Oh my god » et « I’m so fresh » qui sortent des enceintes. Ça peut aussi être à cause du café, des burgers et des 39 heures sans sommeil.

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23h03 – La sonnette d’alarme Red Bull est activée ; ça n’aide pas vraiment mon estomac et déclenche un tic à mon œil gauche qui durera jusqu'à 3h du matin. Mon tic à l’œil et mon stress dû à une surdose de café foutent en l’air ma partie de baby-foot. Sam me fout une branlée.

MERCREDI 

2h56 – « Spark the world up, light the world up, it’s a blunt », est sans doute le meilleur message délivré par le Based dog. Une prière basée.

3h15 – Autour de nous, l'évier se met à faire des bruits industriels à la Eraserhead. C’est assez chelou pour qu’on soit légitimement effrayé par la plomberie autour de nous. La plomberie n’est pas Based.

5h25 – Je me rends compte que le temps qui s’est écoulé n’a pas changé mon opinion sur la musique du Based God. J’aime cette musique autant que lorsqu’on a commencé l’expérience. Rien n’a changé. C’est juste que je la connais encore mieux. J’ai l’impression de mieux comprendre Lil' B et ça ne change pas mes sentiments envers sa musique mais peut-être envers sa stratégie de communication. Ce qui, au final, est peut-être encore plus important.

6h00 – On entend des hurlements qui ne viennent pas de chez nous : on devient paranoïaques. Le reste du temps, on est déprimés. Les appareils ménagers nous terrifient. Je deviens fou.

7 h14 – Je m’en remets mentalement et émotionnellement au Based God. Je me sens bien.

14h46 = La chanson « Basedprayer » démarre (à un moment, on a lâché Free Music pour écouter d’autres mixtapes ; je ne m’explique pas comment on a pu y revenir). Quand on entend Lil' B prononcer le mot « Basedprayer », Sam et moi inclinons nos têtes. On ne parle pas, on ne discute pas l’un avec l’autre. On incline nos têtes et on tape des mains pendant que B parle. On marmonne « preach » ou « swag » de temps en temps, quand B finit un couplet. Lorsque la chanson se termine, on dit « amen » simultanément, sans aucune forme d’ironie.

15h01 = On a mis le tube « Vans » pour célébrer nos cinquante heures de B et Innervisions de Stevie Wonder dans la foulée . Rien n’a jamais semblé si doux. Sauf peut être « Basedprayer ».

Non, en fait on emmerde Stevie. « Too High » est tellement mieux. Swag.