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Les activistes de Black Fish emmerdent les braconniers marins de la mafia

Une poignée de mecs rôdent dans l'Adriatique pour empêcher des connards de tuer les poissons.

Le fondateur de Black Fish, Wietse van der Werf. Photo : Chris Grodotzki.

Par une nuit chaude de juillet 2012, au large de l'île croate d'Ugljan, dans l'Adriatique, deux activistes se sont discrètement mis à l'eau tout près d'un important ensemble de fermes piscicoles. Des bateaux de la sécurité patrouillaient dans la zone, où se trouvent de grands filets circulaires, et des gardes surveillaient les lieux depuis un point plus élevé sur la terre ferme. Une cause à cela : les milliers de thons rouges qui grandissent dans ces fermes sont destinés à garnir les tables de restaurants de sushis japonais, et il y a là pour plusieurs millions d'euros de poisson. Un seul de ces animaux coûte plus de 1 300€ chez n'importe quel grossiste tokyoïte. Les thons qui vivent dans ces fermes croates ont été capturés jeunes – la faute à une faille dans la législation internationale – et sont engraissés avant d’être envoyés sur les marchés.

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Équipés de matériel de plongée, les baigneurs ont atteint le premier filet, qu'ils ont désormais découpé sur les trois quarts de sa longueur, laissant ainsi s’échapper une grande quantité de thons rouges. Après avoir répété l'opération sur un second filet, les plongeurs rentrent chez eux. Les équipes de sécurité qui encerclent les lieux n'ont pas eu la moindre idée de ce qui s’est passé quelques mètres plus bas ; ils le découvriront le lendemain. Les activistes, membres du groupe Black Fish, étaient partis depuis bien longtemps. Ce raid ressemble beaucoup à une autre opération qui a eu lieu en septembre 2010 et qui avait conduit les plongeurs de Black Fish à libérer des dauphins qui étaient retenus dans des enclos près de Taiji, au Japon.

Un marin se prépare avant de partir en mer avec cinq filets de 2,5 km de long à Ant'Agata di Militello, en Sicile ; 2,5 km fait figure de limite légale, mais les pêcheurs de la Méditerranée attachent parfois plusieurs de ces filets entre eux afin de contourner la loi. Photo : Chris Grodotzki.

Depuis ces actions au Japon et en Croatie, le groupe s'est penché sur les filets dérivants, de longs filets aux mailles fines, suspendus à des bouées le long des voies migratoires des poissons. Interdits dans les eaux internationales depuis 1992, les plus longs filets, qui peuvent s’étendre sur 80 km à l’arrière des navires de pêche sont critiqués ; ceux-ci tueraient indistinctement toute forme de vie marine, y compris dauphins et requins.

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Pourtant, malgré leur interdiction décrétée à l'initiative des Nations Unies, ils sont toujours utilisés. De l'Océan Indien au Pacifique nord, les filets illégaux continuent de dériver, et il n'existe aucune autorité digne de ce nom pour contrôler leur utilisation ou pour la poursuivre légalement. D'après Wietse van der Werf, le fondateur de Black Fish, l'utilisation de ces filets en Méditerranée est l'œuvre de différentes mafias : « Le crime organisé et la corruption, voilà deux raisons qui peuvent expliquer pourquoi ces filets sont encore présents en Méditerranée. La mafia calabraise est connue pour mener les plus importantes opérations de ce type en Europe, en même temps que le transport de cocaïne – deux secteurs similaires, à peu de choses près. »

Et ils sont difficiles à attraper, a déclaré Wietse. Quand des inspecteurs de l'UE leur tombent sur eux, les capitaines corrompus détruisent leurs filets, relâchent les poissons dans la mer, ou changent le pavillon de leur bateau. Il y a quelques années, des pêcheurs italiens ont reçu plusieurs millions ; en échange, ils devaient abandonner leurs filets dérivants, et investir dans du matériel plus « éthique ». Ils ont immédiatement dépensé cet argent pour acheter de plus gros filets dérivants qu’ils ont ensuite entreposés dans des pays extérieurs à l'Union Européenne, ou en Italie, pays où les fonctionnaires sont très corrompus et ferment les yeux (l’ironie, c’est qu’ils se faisaient graisser la patte avec le même argent destiné à l'achat de filets moins dangereux pour la faune marine).

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Un membre de Black Fish joue avec un quadricoptère fourni par ShadowView. Photo : Chris Grodotzki.

Les pêcheurs hors-la-loi doivent être pris en flagrant délit pour être traduits en justice. C'est pourquoi Black Fish s’est mis à investir dans des drones. Avec le soutien de ShadowView, un organisme à but non lucratif qui offre aux ONG et aux organisations caritatives des hélicoptères et des avions sans pilote, le groupe du « poisson noir » s’est mis à surveiller les ports de l’Adriatique à la recherche du moindre signe d'équipements illégaux. Ils viennent de finir une série « d'inspections portuaires » en Albanie et en Italie, menée avec des caméras fixées sur des drones quadricoptèresafin d’obtenir des preuves depuis le ciel.

Installés sur le sable, Wietse et son équipe travaillent dans un premier temps sous couverture, et ne se font remarquer qu’ensuite, lorsque leur robot survole un groupe de pêcheurs en colère. Dans d'autres endroits, Libye ou Tunisie, les drones sont généralement moins bien accueillis, les membres de Black Fish recourent à des caméras cachées et prennent des moues inexpressives de touristes afin de se déplacer dans les ports en toute impunité. Le groupe continue d’analyser les vidéos et les photos faites cette année, mais a déjà repéré plusieurs navires qui figurent sur leur « liste noire », parce que liés à des affaires de pêche illégale par le passé. Ces dernières semaines, ils ont aperçu des cadavres de tortues de mer enchevêtrés dans des filets tunisiens. Wietse ponctue : « C’est l’une des espèces les plus protégées au monde. »

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Cependant, pour pouvoir immortaliser près de 500 utilisateurs de filets dérivants en Méditerranée pris sur le fait, il leur faudra des drones plus gros et plus chers. Wietse prévoit de se servir, d'ici à l'année prochaine, d’avions à ailes fixes qui pourraient fonctionner sans pilote. Ces appareils ont une plus longue portée, ce qui devrait permettre d'obtenir des preuves concrètes de l'utilisation de filets illégaux. « Quand les gouvernements ne peuvent plus rien face à un problème d'une telle importance, m'a-t-il dit, des volontaires avec un peu de temps et d'argent peuvent changer les choses de façon positive. »

L'année prochaine, Black Fish prévoit d'acquérir un bateau d’occasion des garde-côtes pour en faire une plate-forme, un espèce de porte-avion pour leurs drones et des hors-bords suffisamment rapides pour choper les pêcheurs frauduleux la main dans le sac. Le groupe prévoit aussi de causer un incident diplomatique et d'insister sur ce point: « Une fois qu'on aura le bateau, on veut mettre un drapeau britannique dessus et ensuite, faire respecter la loi une fois arrivés près de, disons, l'Espagne. Ça obligerait les autorités espagnoles à choisir leur camp ; celui des braconniers hors-la-loi ou celui de la législation européenne. Avec un peu de chance, ça créera un problème de niveau international et les gouvernements seront contraints de réprimer ces pratiques avec plus de sévérité. »

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Wietse est critique envers Jamie Oliver et Hugh Fernley-Whittingstall, de célèbres militants pour un allègement de la réglementation sur la pêche de poissons qui sont écartés parce que « trop petits ». D'après Wietse, leur approche n'est qu'une voie en direction de l'autorisation de la pêche des jeunes poissons – et leur commercialisation ultérieure. Il est aussi très sceptique vis-à-vis de la pêche « durable » en général, dont il dit qu'elle « légitime la pêche destructrice et ne laisse qu'une toute petite place aux consommateurs éthiques ».

Quand ils ne sont pas en train de déranger les équipages de mafieux, les militants de Black Fish entraînent des équipes à la plongée et leur apprennent d'autres méthodes dans le but d'élargir le champ d'action de l'organisation. Wietse compare ses projets aux prémices de la police, lorsque des milices privées s'organisaient en forces structurées dans leur quartier. Avec l'aide de volontaires, ils ont fait un film, et ils passent l'hiver entre conférences et collectes de fonds qui serviront à acheter leur bateau.

La surpêche n'est pas la seule cible des activistes et de leurs drones. ShadowView travaille avec l'organisation caritative SPOTS pour attraper des braconniers dans leurs points d'escale secrets en Afrique du Sud, avec le groupe Sea Shepherd en filmant des massacres de phoques illégaux sur la côte namibienne, et avec la Ligue contre les sports cruels au Royaume-Uni en filmant des chasses au renard illégales.

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Mais en ce qui concerne Wietse, et on ne va pas trop s'en étonner, les filets dérivants et la surpêche demeurent la priorité : « La disparition de la faune marine est le plus important problème environnemental que nous ayons à affronter, et l’utilisation de filets dérivants reviendrait à ravager toute une forêt pour attraper seulement quelques sangliers sauvages ! C'est absurde. » Heureusement, d'après lui « C'est aussi l'un des problèmes les plus faciles à régler, il faut seulement s'en occuper dès maintenant ».

@alexchitty

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