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Interviews

On a demandé à un expert ce qu'il se passerait si tous les immigrés quittaient la France du jour au lendemain

Diverses industries s'écrouleraient, les prix augmenteraient et la population vieillirait.

Illustration : Zelda Mauger

Environ 55% des Français pensent qu'il y a trop d'immigrés en France, et 24% des sondés estiment qu'en matière d'emploi, on devrait « donner la priorité à un Français sur un immigré en situation régulière ». Si, comme moi, vous ne trouvez pas ces chiffres particulièrement surprenants, c'est peut-être parce que votre oreille s'est habituée au son monocorde des discours anti-immigration, omniprésents à la veille des élections européennes. Pourtant, si l'immigration clandestine continue de susciter le débat, le nombre de traversées illégales aux frontières de l'UE tend à baisser, d'après l'agence européenne Frontex.

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Ces dernières semaines, Eric Zemmour s'est attiré les foudres d'une association antiraciste pour ses propos jugés xénophobes, le journal Le Progrès a publié une infographie prodigieusement réductrice sur les liens entre la délinquance et les immigrés clandestins et Jean-Marie Le Pen n'a pas hésité à lancer que « Monseigneur Ebola peut régler en 3 mois » les problèmes d'immigration. Quant à notre nouveau premier ministre, Manuel Valls, il se félicite de la hausse du nombre de reconduites d'étrangers en situation irrégulière.

Sur son site Internet, le Front National souligne que l'immigration représente un « coût important pour la communauté nationale, évalué à 70 milliards d'euros par an » (selon l'économiste Yves-Marie Laulan, poursuivi en 2009 pour provocation à la haine envers les Roms).

L'immigration est-elle une réelle menace pour l'emploi ? Porte-t-elle préjudice à la croissance économique française ? Afin d'en savoir plus, j'ai contacté Catherine de Wenden, spécialiste de l'immigration, directrice de recherche au CNRS et docteur en science politique à l'IEP de Paris.

L'une des affiches FN des élections législatives de 2007. Photo via l'utilisateur Flickr Edwoodshoes

VICE : Comment l'immigration a-t-elle évolué en France ces dernières années ?
Catherine de Wenden : En France, les chiffres sont très stables. Ils sont quasiment égaux à ceux d'il y a vingt ans, à la différence d'autres pays européens. Il y a à peu près le même nombre de nouveaux naturalisés chaque année et de nouveaux entrants. Selon les Nations unies, il y a actuellement environ 7,3 millions d'immigrés en France, soit un peu plus de 11% de la population.

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Imaginons que ces 7,3 millions d'immigrés quittent la France du jour au lendemain. Quelles seraient les conséquences pour notre pays ?
Les conséquences seraient très importantes car, d'une part, l'immigration contribue à la croissance démographique de la population française. D'autre part, les immigrés sont très présents dans des secteurs dans lesquels peu de nationaux veulent travailler. Ils occupent des emplois peu qualifiés, pénibles, irréguliers et souvent mobiles sur le territoire. Ils travaillent principalement dans des secteurs comme le bâtiment, l'agriculture, le tourisme, la confection, l'entretien domestique et industriel, l'aide à la personne, etc. Qu'ils partent du jour au lendemain serait un réel problème car ces métiers ne seraient plus pourvus. La main-d'œuvre viendrait donc à manquer.  Quelle que soit la situation du chômage, il y a peu de flexibilité de la population nationale pour accepter ces métiers-là.

En mars dernier, le nombre de chômeurs en France a atteint les 3,4 millions. Si les immigrés quittaient la France, n'y aurait-il pas des répercussions positives pour l'emploi ?
C'est le discours que tient le Front National, mais en réalité l'emploi est très segmenté. Les chômeurs cherchent souvent des emplois pour lesquels ils ont déjà des qualifications et ces emplois ne sont pas ceux que visent les immigrés. Ceux-ci vont plutôt prendre des emplois plus faciles d'accès et mal perçus par les nationaux. Il faudrait vraiment que ces métiers soient revalorisés – c'est-à-dire mieux payés – pour que des nationaux acceptent de les exercer. Ainsi, le secteur financier serait lui aussi touché : avec une hausse des salaires, les prix augmenteraient inévitablement.

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Le 9 mars dernier, à l'appel du Bloc Identitaire et de Riposte Laïque, plusieurs centaines de personnes ont défilé dans les rues de Paris contre l'immigration et « l'islamisation » de la France. Photo via

Donc une suppression des régularisations, comme souhaitée par certains partis extrémistes, conduirait la France à sa perte ?
Beaucoup de produits ne seraient plus exportables puisqu'ils ne seraient plus compétitifs sur le marché international. Ainsi, cela nuirait gravement à la croissance économique du pays.

La régularisation d'immigrés a augmenté de 51% entre 2012 et 2013. Faudrait-il continuer à régulariser de plus en plus d'immigrés ?
Oui, je pense qu'il faut continuer. Il ne faut pas oublier que les chiffres de 2012 et 2013 intègrent un certain nombre de personnes qui attendaient leur régularisation depuis longtemps. Un effort a été fait vis à vis de ceux qu'on appelle les « ni ni » : les demandeurs du droit d'asile qu'on considère comme étant ni régularisables ni admissibles au droit d'asile. Mais étant donné qu'il existe une clause de non-refoulement au droit d'asile, on a accordé à ces gens un titre de séjour. C'est de cette façon que les effectifs ont grossi.

Vous avez parlé plus tôt de croissance démographique. Quel rapport entretient-elle avec l'immigration ?
L'immigration contribue à la croissance démographique d'un pays. Beaucoup de pays d'Europe sont confrontés à un vieillissement de leur population. En France, l'immigration n'a pas tellement d'incidence sur le vieillissement, car de nombreux immigrés sont âgés. Mais elle a une incidence sur la croissance de la population française, c'est-à-dire sur le nombre de personnes résidant sur le territoire français.

À l'avenir, l'immigration restera-t-elle aussi stable que ces vingt dernières années ?
Elle va sûrement se poursuivre de façon lente et continue comme c'est déjà le cas aujourd'hui. En revanche, ce sera une population de plus en plus qualifiée. Désormais, un immigré qui arrive en France est souvent plus qualifié que le Français moyen. Si la migration familiale – principe constitutionnel qui permet la légalisation d'un grand nombre d'immigrés – domine toujours aujourd'hui, à l'avenir, l'immigration sera de plus en plus professionnelle.

Pourquoi ces immigrés qualifiés sont attirés par la France et non par d'autres pays en plein boom économique comme la Chine ?
Beaucoup d'entre eux sont attirés par la francophonie ou par le fait d'avoir déjà de la famille installée en France. Cet attrait peut aussi s'expliquer par la proximité géographique, culturelle ou historique. Il ne faut pas oublier que la France a un passé colonial important.

En résumé, selon vous la France doit tirer parti de l'immigration et non la dénigrer ?
Tout à fait. Nous n'avons pas tellement le choix : il y a de grosses pénuries de main-d'œuvre dans certains secteurs, la population vieillit et une baisse de la démographie poserait soucis. L'immigration est une solution à ces problèmes.

Merci à vous.