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Jean-Marie : J'ai la première photo de cette série en ma possession depuis trente ans. La première venait d'un échange avec un collectionneur allemand ; c'est le début de l'histoire. Je dirige une maison d'édition, donc j'ai toujours collectionné de nombreuses images. Pas simplement des photos, mais également des journaux, des tableaux et des dessins. J'ai commencé la collection TeddyBär quand j'ai trouvé la seconde photo. La première était dans mes affaires depuis un, deux, voire dix ans. C'est quand j'ai trouvé la seconde que je me suis rappelé que je la possédais.
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C'était le surréalisme de l'ensemble : un homme d'affaires, juste après la Seconde guerre mondiale, qui posait dans la rue avec un énorme ours blanc. Je ne connaissais pas l'histoire qu'il y avait derrière, c'était juste surréaliste, le genre d'image que j'aime.Au début, je ne savais pas qu'il s'agissait d'une image allemande, jusqu'à ce que je trouve la seconde photo. On peut la voir dans ma sélection, l'ours avec les soldats allemands, c'était la seconde photo. Elle est incroyable, des Nazis qui prennent une pose amicale avec un ours en peluche. Qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ?J'ai découvert l'histoire derrière cette tradition. Je connais un ami allemand qui me l'a expliquée. Au début des années 1920, deux ours blancs sont arrivés au zoo de Berlin. Plusieurs familles allaient au zoo pour voir les ours, ils étaient à la mode, et tous les enfants voulaient être pris en photo devant le zoo avec ces types en costumes d'ours. C'était un succès gigantesque dans la ville. Puis pendant les soixante années suivantes il y a eu de nombreux costumes d'ours dans toute l'Allemagne. J'ai trente ours différents dans ma collection.En quoi TeddyBär est-elle liée à vos autres collections, Blackface et Predator ? Y a-t-il un thème global ?
Je ne suis pas un collectionneur classique. Pour moi, ce qui est important, c'est de révéler une histoire dans l'Histoire, et d'apprendre de l'Histoire en voyant un certain nombre de clichés similaires. Quand on voit des images de blackface par exemple, on pense : « OK, c'est une blackface, c'est un type du showbiz. » Après 300 ou 500 photos, on a une histoire.
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Ça, c'est un peu différent. C'est mon interprétation, une forme d'intervention artistique. En fait, de nombreux collectionneurs amassent ce genre de photos, où l'on voit une ombre sur le cliché.Vraiment ?
Oui, mais pour moi, c'est le chapeau qui compte. Parce qu'on finit par penser que c'est la même personne, le même homme dans chaque photo. Après cinq ou six photos, on perd l'idée du photographe. Et le nom de la série, Predator, suggère un genre de film à suspens.Un film noir ?
Exactement. Cette série est mon invention. Quand on voit TeddyBär ou Blackface, c'est l'histoire du monde, pas la mienne. C'est un peu différent.La perspective de montrer vos photos au festival d'Arles vous rend enthousiaste ?
C'est la première fois que j'expose mes collections au grand public, que des personnes vont voir ces histoires. Mais c'est aussi la premières fois que je peux voir mes photos comme une série complète. Chez moi, je garde les photos dans une boîte et quand je les regarde, je les vois une par une. Voir toutes ces photos au même endroit pour la première fois me donne l'impression que l'histoire tient debout, et ça, c'est important. C'est une certaine forme de journalisme. J'ai parlé à un Américain récemment qui m'a dit que les Américains jetaient leurs albums de vieilles photos de famille. Toutes ces photos partent à la poubelle. Du Blackface, des photos du Klu Klux Klan… toutes ces photos sur l'histoire américaine, disparues.
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