Les ados des quartiers nord de Marseille ont leur propre fanzine
Photo de couverture : Antoine Gautron Verhelle et des jeunes lors de la création du fanzine

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Culture

Les ados des quartiers nord de Marseille ont leur propre fanzine

Foot, hip-hop et vie de quartier : les kids de la cité de la Busserine parlent de ce qu'ils aiment.

Dans l'imaginaire collectif, les quartiers nord de Marseille renvoient à plusieurs choses : les échanges de tirs entre dealers, l'absence de perspective professionnelle, la Castellane – et, par conséquent, les premiers dribbles de Zidane. Il est plus rare d'en entendre parler sous l'angle artistique – du moins, sans tomber dans un cliché candide qui mépriserait le quotidien des habitants sur place, englués dans pas mal d'emmerdes.

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Depuis quelques mois, des kids du Grand Saint Barthélémy – qui comprend plusieurs cités dont la Busserine – sont incités à créer leur propre fanzine, dans le cadre d'une collaboration entre le Fonds Régional d'Art Contemporain (FRAC) de la région et un centre social du quartier, l'Agora. « Nos Blazes », « Hip-Hop et Vendetta », « Droit au but », « 13014% Saint Barth' Le Grand » – les quatre créations de ces ados évoquent directement leurs passions et leurs centres d'intérêt, du foot à la musique en passant par leurs potes. Accompagnés au quotidien par les artistes Laura Morsch-Kihn et Antoine Gautron Verhelle, ces gamins ont créé ces fanzines en amont du festival Rebel Rebel, qui se tient à partir du 22 avril dans la cité phocéenne.

Ballons de foot lancés contre des feuilles A4, visages plaqués dans la photocopieuse, digressions sur leur visite dans un musée : ces ados ont utilisé tout ce qui leur tombait sous la main pour donner naissance à leur propre œuvre, hyper personnelle et artisanale.

Si, en 2016, le fanzine est souvent monopolisé par les milieux artistiques urbains et assez aisés, il est pourtant un moyen facile pour n'importe qui de s'exprimer autrement que virtuellement – l'un des derniers médiums susceptibles de créer une trace autre qu'une suite indigeste de 0 et de 1. J'ai voulu rencontrer Laura, Antoine, ainsi qu'Enzo – l'un des ados ayant participé au projet – afin d'en savoir plus sur leur vision de l'art au sein des quartiers, et sur la façon dont ils ont accouché de quatre livrets uniques.

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VICE : Comment ces ateliers fanzine ont-ils vu le jour ?
Laura : À la base, il s'agit une collaboration avec le FRAC de Provence-Alpes-Côte d'Azur, collaboration qui a pu exister grâce à l'aide financière d'une fondation – Logirem, le bailleur des logements sociaux à Marseille.

Et quel était l'objectif de départ ?
Laura : Pousser ces ados à s'approprier la culture du fanzine et leur faire découvrir toute la chaîne du fanzine, de la création à la distribution, en passant par la production.

En plus de ça, je voulais que ces jeunes possèdent un objet qu'ils avaient eux-mêmes créé, afin qu'ils puissent en parler à leurs potes, le faire circuler en dehors du quartier, ou l'exposer dans un salon consacré aux fanzines.

À mes yeux, il était également important qu'ils découvrent différentes manières d'appréhender le fanzine. Pour ce faire, j'ai invité plusieurs intervenants : les Editions Mise à jour, Antoine, et le New Yorkais Pat McCarthy, qui leur a montré sa sculpture mobile permettant de réaliser des fanzines dans la rue.

À première vue, on pourrait croire que le fanzinat est très éloigné des préoccupations quotidiennes de ces jeunes.
Laura : Il l'est, c'est une évidence ! C'est tout l'intérêt du projet, d'ailleurs. On a voulu leur faire découvrir un nouveau médium – un truc très libre, expérimental, qui accepte les erreurs et encourage la créativité et l'innovation.

Antoine : Tu as raison de dire qu'ils en sont très éloignés. Eux appartiennent à une génération de l'écran. L'idée était de leur proposer un médium qui ne tombe pas en panne.

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On les a poussés à écrire, mais ils font un gros blocage là-dessus, blocage lié à l'école – ils nous considéraient un peu comme des profs. On a travaillé sur cette question et on les a incités à oser, à prendre un stylo, à se mettre devant une feuille. J'ai passé beaucoup de temps à leur expliquer qu'ils n'étaient pas moins « artistes » que moi. Je ne me sens pas plus légitime qu'eux, et j'ai voulu transmettre cette idée.

Laura : Ils ont peu à peu réalisé qu'ils n'avaient besoin que d'une photocopieuse ou d'un ballon pour créer une œuvre d'art. Ils n'en avaient absolument pas conscience.

Antoine : Et qu'ils pouvaient donner naissance à des images de manière immédiate.

Les quatre numéros du fanzine Rebel Rebel

Comment avez-vous sélectionné les jeunes ?
Laura : L'un de nos partenaires est l'Agora, un centre social du quartier – ce sont eux qui ont sélectionné les jeunes. À l'origine, on leur avait présenté notre projet comme faisant la part belle au manga, au dessin – un fanzine, ça ne leur parlait pas vraiment !

Antoine : Il faut préciser que sur le dernier fanzine, le numéro 4, on a fait participer beaucoup plus de monde, au hasard des rencontres – au moins 50 personnes, alors que dans les trois premiers ils n'étaient qu'entre cinq et huit. Le sujet est en effet plus large : le quartier en général.

Enzo, connaissais-tu l'existence des fanzines avant de rencontrer Laura ?
Enzo : Non, pas du tout. J'ai rencontré Laura à l'atelier, et elle m'a tout expliqué. Avant ça, j'avais déjà croisé des graffeurs. Toutes ces rencontres m'ont permis de me lâcher. Pour moi, un fanzine est en adéquation avec ce que j'aime – c'est-à-dire l'art de la rue ! Seul le format change, mais je n'ai pas eu besoin d'adapter mon univers.

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Tu faisais déjà du dessin avant ?
Enzo : J'avais pour habitude de dessiner sur du papier. Je fais de la BD depuis l'âge de 11 ans. J'ai même créé une histoire sur un gamin du quartier qui tombe peu à peu dans la délinquance, et ça a pas mal buzzé sur Facebook !

J'adore représenter ce qui se passe au sein de la jeunesse des quartiers nord. J'ai grandi ici, et je connais le coin par cœur.

Et que penses-tu du choix des thèmes évoqués : le foot, le hip-hop, le quartier.
Enzo : Ça me parle énormément ! C'est ma vie tout ça.

Antoine : Le sport est venu naturellement en les écoutant – il tient beaucoup de place dans leur vie. Leurs parents essaient de les occuper afin d'éviter qu'ils traînent.

Laura : La musique les passionne également. En revanche, l'idée d'évoquer le quartier vient plus de nous.

Ça en dit long sur le fait que ces ados ne font plus qu'un avec leur environnement.
Antoine : En effet. Lors de nos balades dans le quartier, on leur a demandé de porter un regard neuf sur leur environnement, de noter des choses qu'ils ne voyaient pas d'habitude. Après, il faut que tu comprennes que certains d'entre eux n'ont jamais été au bord de la mer alors qu'ils ne vivent qu'à quelques kilomètres ! Leur quartier est tellement enclavé qu'à leurs yeux, c'est l'unique réalité qui existe.

Des jeunes du quartier lors de la création du troisième numéro du fanzine, consacré au football

Ça vous dirait de prolonger cette collaboration ?
Laura : J'adorerais, mais ça dépend aussi de la fondation. Selon moi, le fanzine est le médium parfait pour s'exprimer dans un quartier comme celui-là : ça voyage, c'est facile à créer, ce n'est pas cher et c'est très souple dans sa forme. Il y a un potentiel artistique incroyable dans ces quartiers, et on se doit de le faire circuler.

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Antoine : Je ne m'attends pas forcément à ce qu'ils continuent à faire des fanzines de leur côté, c'est sûr. J'aimerais simplement qu'ils en gardent quelque chose en vieillissant, comme l'idée de partage nécessaire qui en émane.

Enzo : Moi j'adorerais ça ! J'ai envie de percer là-dedans. Je ne fais pas que du dessin d'ailleurs, je fais également du rap. J'espère être connu dans quelques années. J'ai envie de gagner un peu d'argent pour investir dans des t-shirts et montrer aux gens mes dessins – que je signe sous le nom de N'ZO c'est du gâteau.

Avoir rencontré Laura et plein d'autres artistes m'a donné envie de me lancer dans une carrière artistique, de découvrir un autre monde. Mon quartier c'est mon début, mon histoire. Après, il y a une suite à créer, des aventures à mener. J'aimerais sortir du quartier avec ces ambitions-là. Mais je n'oublierai jamais que le quartier, c'est mon identité – c'est là d'où je viens.

Je vois. Merci à tous les trois.

Les fanzines seront disponibles lors du Rebel Rebel : Salon international du fanzine, qui se tient à Marseille du 22 au 24 avril.

Pour en savoir plus, allez sur Facebook pour découvrir le festival Rebel Rebel, et allez faire un tour sur la page des ateliers de création des fanzines.

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