FYI.

This story is over 5 years old.

reportage

J’ai failli mourir quelque part entre la Somalie et Lampedusa

L’histoire d’un Somalien qui a voulu quitter la dèche et qui a failli quitter la vie

Des migrants arrivent sur l'île italienne de Lampedusa, en 2007. Photo via Flickr ; utilisateur : Noborder Network

Hassan Ali est un Somalien de 23 ans qui a survécu aux fusillades et à la pauvreté dans son pays natal avant de décider il y a quatre ans, en 2009, d’embarquer pour le Tahrib, le périlleux voyage entre l’Afrique sub-saharienne et l'île de Lampedusa, territoire italien. Chaque année, des milliers de Somaliens font ce trajet, et le mois dernier, il a fait les gros titres après qu'un bateau a pris feu avant de chavirer – c’était le 3 octobre – tuant au passage plus de 300 candidats à l'immigration. Huit jours plus tard, un autre navire a chaviré dans un accident où ont péri au moins 34 personnes. Ici, Hassan parle de sa vie avant le voyage et des horreurs qu'il a vécues tout au long de son parcours en direction du continent européen.

Publicité

Le cannibalisme n'a pas commencé avant notre deuxième voyage en bateau, entre la Libye et Lampedusa.  Nous avions déjà fait dix jours de voyage, les gens mourraient jour après jour à cause du manque de nourriture. J’avais déjà vu un mec couper un morceau de chair dans le corps d'un autre homme.

Je suis toujours l'un des plus chanceux.

J'ai grandi à Beled Hawo, près de la frontière kenyane. J'aime ma ville, mais la vie là-bas était de moins en moins heureuse. Je vivais dans un appartement avec mes parents, une sœur cadette, et deux frères plus âgés. Quand j'avais dix ans, les combats entre clans ont commencé. Un après-midi, alors que j'étais à la mosquée, une fusillade a éclaté à l'extérieur. Des balles volaient partout. J'étais tout seul et je ne savais pas quoi faire ; j’essayais – je crois – de trouver un moyen de sortir, mais les balles arrivaient de tous côtés. J'ai finalement trouvé un moyen de m’échapper et j'ai couru vers chez moi ; juste avant que je rentre, deux gars avec des AK-47 se sont mis à me tirer dessus. J’ai esquivé les balles, couru à l'intérieur, et je me suis effondré dans les bras de mes parents. Après cinq heures de fusillades, le combat s'est finalement arrêté. J’ai su que mon avenir n'était pas à Beled Hawo.

J'ai toujours rêvé d’être astronaute. La nuit, je regardais les étoiles et la lune et je me disais qu'un jour, moi aussi je serai parmi elles. Ce genre de rêve ne peut jamais se réaliser pour un Somalien.

Publicité

J'ai entendu parler du Tahrib pour la première fois à la radio quand j'avais 19 ans. Il y avait des gens en Europe qui parlaient de leur nouvelle vie et de comment ils avaient réussi à rejoindre l’Europe, en bateau. Ça avait l’air possible. Au bout de quelques mois, j'ai dit à mes parents que moi aussi je comptais partir. Ils étaient terrorisés. « Tu es  fou ?, ma mère m’a dit. Tu es un jeune garçon, qu’est-ce qui te prend ? » Je leur ai dit que je pensais que le Tahrib était mon seul moyen de faire quelque chose de ma vie, que je ne pouvais trouver une vie meilleure qu’en Europe. Ils pensaient que je disais ça comme ça. Lorsque je les ai appelés depuis le bateau deux semaines plus tard, ils étaient terrifiés.

Les Mukhalas, ce sont les gens qui vous connectent à ce type de business. Ils font partie des pires personnes de Somalie. Le gars qui m'a lancé sur le Tahrib n'était pas différent d’eux. C’était un gars malhonnête, méchant, et connu dans la ville pour être un voleur doublé d’un bandit. C’est via cet homme que j'ai trouvé quelques autres personnes qui cherchaient aussi à faire le voyage. Ils avaient tous peur de lui, et me racontaient des histoires horribles à son sujet. J’essayais de ne pas y penser. J'aurais dû faire marche arrière, mais j'ai quand même payé 580 euros pour le Tahrib ; ce sont mes amis et ma famille qui me les ont donné, sans jamais me demander ce que je voulais en faire.

Publicité

Notre premier voyage reliait Beled Hawo à Bosaso, une ville portuaire de la côte nord somalienne. Ça n’a pas été le pire voyage, mais nous n’avions – déjà – rien à manger. Les gens qui nous conduisaient étaient cruels, ils nous criaient dessus et frappaient certains des voyageurs sans raison. Je n'étais qu'un gamin – c’est pourquoi ma ville natale me manquait déjà. Dans ce bateau, tout le monde semblait si triste, démuni, même si tous venaient de partir pour une nouvelle vie passionnante.

Arrivés à Bosaso, par une température étouffante, les gens qui nous conduisaient ont continué à nous dire que le voyage serait « confortable » et que notre bateau serait « propre et spacieux ». Mais quelques jours après, quand il est arrivé, nous avons été horrifiés : c'était une vieille épave délabrée et trop petite pour transporter notre convoi de dix personnes. Pendant deux jours, nous sommes restés entassés à l'intérieur de ce petit truc, à dormir les uns sur les autres. Parmi nous, deux personnes ont été à deux doigts de s’étouffer sous le pont, mais le capitaine et son équipage, fusils sous le bras, les ont forcés à se taire, ou sinon : « On vous lance par-dessus bord, bande de connards ! »

À un moment, j'ai appelé mon frère pour lui dire que j’étais en train de faire le Tahrib. Il était horrifié, incapable de parler. Voyant que j’étais en possession d’un portable, ma famille m’a appelé durant tout le voyage pour s'assurer que j’allais bien. Ils en profitaient pour me rappeler toutes les histoires horribles dont il était question au pays. J’avais la nausée.

Publicité

Quand on a débarqué en Libye, les choses n'ont fait qu'empirer. J’ai passé la frontière avec quatre hommes et cinq femmes, tous épuisés par les journées consécutives passés sans nourriture, ni sommeil. On nous a sommés de nous rendre dans une petite ville du désert, mais sur le chemin, une vingtaine d’hommes armés nous ont capturés. On pensait qu'ils étaient gardes-frontières. Quand ils se ont mis à torturer certains d’entre nous, nous avons compris qu’il s’agissait de voyous touareg.

Nous avons été attachés les uns aux autres dans la chaleur insoutenable du désert sept jours d'affilés. Les kidnappeurs ne nous ont quasiment rien donné à manger et ont menacé les femmes, en leur disant qu’on les violerait si elles ne se tenaient pas à carreau. Lorsqu’on s’est enfuis – après que nos parents leur envoient 250 euros par personne libérée – on a découvert que ces allégations étaient vraies. Tout ce que je souhaitais, c'était de retourner à Hawo Beled, avec mes parents. Je ne m'inquiétais plus de savoir si je pouvais entrer dans l’UE ou non. Même si, par miracle, nous avions survécu au voyage, comment les Européens nous auraient-ils traités ? Aurais-je obtenu un visa ? M’aurait-on jeté en prison ?

Il nous a fallu dix jours pour trouver un bateau libyen en direction de Lampedusa. C’est là que la vraie horreur a débuté. Il n'y avait que du pain et quelques biscuits à bord, et l’abominable chaleur, toujours. Les gens tombaient raides morts les uns après les autres et le capitaine ne s’en souciait guère. Les gens se sont mis à manger les morts : un film d’horreur, voilà ce que c’était. Ça a duré trois jours. J’ai cru que plusieurs années s’étaient écoulées.

Publicité

Tout le monde sait que les politiciens d'Europe et d'Afrique ne s’intéressent pas au Tahrib – ce n’est pas dans leur intérêt. Si c’était le cas, tous ces gens ne seraient pas morts en mer près de Lampedusa le mois dernier. En revanche, et c’est là le vrai problème, personne ne se penche non plus sur la violence et la pauvreté qui m'ont conduit à fuir la Somalie.

Les gens que j’ai rencontrés par la suite m’ont dit que Lampedusa était magnifique. Je n’en ai aucune idée. Je peux à peine me souvenir du paysage, barré par les clôtures du camp. Mais, Alhamdoulillah, je suis arrivé là-bas vivant et, étonnamment, j’ai obtenu un visa italien au bout de trois mois après avoir été détenu dans le camp. Certaines personnes avec lesquelles j’ai voyagé ont attendu des années – d'autres n'ont en jamais eu. J'aime l'Italie. J'y ai vécu trois ans et je m’en suis sorti en faisant plusieurs jobs. Je ne serai jamais astronaute mais l'Italie m’a permis de reconstruire ma vie. Je suis de retour en Somalie maintenant – pas à Beled Hawo, mais dans une autre ville. J'espère que je pourrai visiter l'Italie à nouveau un jour. Et j'espère que personne n’embarquera plus jamais pour le Tahrib.

Plus de migrants :

LE PURGATOIRE DES DÉPORTÉS

LE TRISTE SORT DES RÉFUGIÉS SYRIENS QUI DÉSESPÈRENT DE QUITTER CALAIS POUR L’ANGLETERRE

ISRAËL SE DÉBARRASSE AUSSI DE SES IMMIGRÉS AFRICAINS – Échanges de bons procédés racistes en Terre promise