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Vice Blog

Une interview avec le seul parti français dévoué à la cause du cannabis

Selon les membres de Cannabis Sans Frontières, il est tout à fait possible de légaliser, là, maintenant.

Michel Sitbon et Farid Ghehiouèche, membres du parti Cannabis Sans Frontières

Cannabis Sans Frontières est le seul parti français à se présenter aux élections pour la légalisation de l'herbe. Il a été fondé en 2009 par Farid Ghehiouèche, avec d'autres militants pro-légalisation. La ligne du parti est à situer à l'extrême gauche de l'échiquier politique – réformes pour le droit au logement, ouverture des frontières, droit au revenu d'existence –, sauf qu'eux sont également en faveur de la légalisation des thérapies alternatives à base de pavot, de cannabis ou d'iboga, et pour un soutien aux victimes des personnes accusées ou soupçonnées de consommation de drogues. Lors des élections européennes de 2014, le parti avait récolté 7 389 votes en sa faveur, soit 0,24 % des voix exprimées – ce qui est peu, on en conviendra.

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Le jour de la Marche Mondiale pour le Cannabis du 9 mai dernier, Farid Ghehiouèche avait un mégaphone dans les mains et beaucoup de pain sur la planche ; de fait, il devait répondre à de nombreux journalistes qui semblaient découvrir l'idée d'une possible légalisation de la weed en France.

Nous nous sommes donc retrouvés quelques jours après, dans le calme du siège de Cannabis Sans Frontières, à la librairie Lady Long Solo dans le 11 e arrondissement. Cette boutique parisienne est la propriété de Michel Sitbon, ex-businessman ayant fait fortune à l'époque du minitel rose et devenu éditeur de livres sur les drogues – certains ont d'ailleurs été sévèrement censurés. La petite échoppe met à la vente de nombreux livres interdits et quelques bangs.

C'est ici que Farid Ghehiouèche et Michel Sitbon m'ont reçu pour discuter d'une légalisation qu'ils pensent envisageable en France, là, maintenant.

VICE : J'ai remarqué qu'il y avait beaucoup de très jeunes à la Marche mondiale pour le cannabis de cette année. Où étaient selon vous les vrais militants pro-cannabis ?
Farid Ghehiouèche : On était au moins 2 000. Il y a peut-être eu 5 000 personnes en comptant tous les passages. On aurait pu être cent fois plus, mais il aurait fallu cent fois plus de moyens de communication. Et puis, tu vas toujours voir plein de gens pour fumer plein de joints, et pas forcément militer pour la légalisation. Ils sont habitués et nombreux à se rassembler pour ça – c'est comme l' Appel du 18 Joint . Je suis plus dubitatif quant au nombre de militants prêts à porter le truc.

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Enfin, là je ne veux pas le dire mais un mégaphone, des agrafes, trois bombes de peinture et des piles… À la louche, on a dépensé 300 euros. Voilà le budget chez Cannabis Sans Frontières.

Êtes-vous satisfait des retours que vous avez eus sur l'édition de cette année ?
Un peu déçu par Le Parisien qui n'ont presque rien gardé des 10 minutes où je leur parle de la situation politique et sociale… Du reste, j'ai vu une centaine de publications sur la manifestation. C'est la première année où les médias viennent dans un état d'esprit positif pour mettre en avant la Marche.
Michel Sitbon : Jusqu'alors, nous avons bénéficié d'un boycott systématique. En 2009, l'AFP a même transmis qu'on renonçait à Cannabis Sans Frontières, alors qu'on allait annoncer le lancement ! Peut-être parce qu'il avait plu quelques gouttes sur un rassemblement qui tardait à se mettre en place. Alors que c'était une réussite pour nous.

L'animateur Christophe Hondelatte m'a dit qu'il n'aurait pas pu me recevoir il y a quelques années avec mon sweat-shirt recouvert de feuilles de cannabis.

La loi française dit qu'on ne peut pas présenter l'usage des stupéfiants « sous un jour favorable ». Cette loi ne censure-t-elle pas le débat aujourd'hui ?
M : Cette loi n'a presque eu d'applications que contre la presse dans les années 1970, surtout contre Libération et Charlie Hebdo, des journaux alors naissant et qui ont été découragés par ces séries d'amendes. Ensuite, je connais bien cette loi, puisqu'en tant que Lézard [ son ancienne maison d'édition de livres sur les drogues , N.D.L.R.], je l'ai transgressée plusieurs fois. Dès le début j'avais fait le malin. J'avais dit : « on ne peut pas présenter le cannabis sous un jour favorable, mais on ne peut pas m'interdire de le présenter sous un jour véridique. » Cette loi s'est donc appliquée à beaucoup de magazines, et à mes livres, faisant d'ailleurs disparaître le secteur d'édition que j'avais créé. Quant à arrêter les t-shirts avec des feuilles de cannabis imprimés, une jurisprudence a dit que c'était de la connerie.
F : L'animateurChristophe Hondelatte m'a d'ailleurs dit qu'il n'aurait pas pu me recevoir il y a quelques années avec mon sweat-shirt recouvert de feuilles de cannabis. Mais aujourd'hui, on a dépassé ce stade-là. Pour résumer les propos d'un docteur en droit, ces articles ne s'appliqueraient que dans le cas où l'on vanterait les aspects commerciaux du cannabis. Le groupe Matmatah a été condamné dans les années 2000 pour apologie de la consommation de cannabis, pour leur morceau qui s'appelait justement Apologie. Aujourd'hui, il serait plus difficile de se faire condamner pour cela, il me semble.

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Cannabis Sans Frontières est un jeune et petit parti. J'imagine que vous devez être utilisés pour représenter les « partis exotiques » dans les médias.
F : En 2014, Canal Plus m'a téléphoné pour faire un plateau. Mais, comme on démarrait notre campagne officielle, ils nous ont fait le coup des quotas : « oui pas tout de suite, parce que vous êtes un petit candidat et si on vous laissait venir, on serait obligés d'accueillir tous les autres… » Comme le temps de parole est en effet défini en fonction de ce que pèsent les partis – et vu qu'on ne pèse rien, on n'a le droit à rien. D'ailleurs pour cette campagne, notre ami Kiki Picasso [ du collectif d'artistes Bazooka, N.D.L.R. ] avait fait une vidéo psychédélique, avec notre slogan : « mettez un pétard dans l'urne ». Mais bon, il suffit en effet de prononcer notre nom au milieu des autres listes pour que tout le monde se marre.

La vidéo de promotion assez gratinée « Mettez un pétard dans l'urne » de Cannabis Sans Frontières

Ne devez-vous pas ce traitement à votre programme uniquement cannabique, justement ?
M : je ne sais pas si la question est bonne. Les élections sont aussi faites pour amener à discuter de sujets de société.
F : On est caricaturés comme étant des « soixante-huitards hédonistes ». Et on nous oppose toujours les arguments irrationnels qui répètent en boucle que le cannabis est un poison pour le cerveau. Rien de rationnel ou de pragmatique. Alors que le risque, ce n'est plus uniquement le shit frelaté. Il y a plein de substances psychoactives de synthèse qui existent dans un cadre juridique flou. Celles-ci peuvent être très dangereuses. On interdit donc une plante naturelle avec des bénéfices potentiels mais on tolère les autres drogues plus puissantes ? Et puis, pour répondre à ta question, en parlant du cannabis on aborde également d'autres sujets tels que le réchauffement climatique, le textile, l'emploi, etc.

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Une cartographie de la légalisation du cannabis à l'heure actuelle dans le monde.

D'ailleurs selon vous, la légalisation du cannabis offrirait 100 000 emplois à pourvoir en France. D'où tenez-vous ces chiffres ?
F : On a soi-disant acheté la paix sociale des quartiers avec la drogue. En réalité, ils souffrent de la violence liée à ce trafic, du retrait des services publics et on en voit déjà les extrémités – kalashs à Marseille, fusillades à Saint-Ouen, etc. Donc on n'a pas acheté la paix sociale, on a semé la zizanie chez les gens les plus pauvres, dans les quartiers les plus pauvres. Il se dit qu'en cas de réforme, les gens qui sont sur ce marché noir se reconvertiraient peut-être à la cocaïne. C'est pas faux, et c'est pourquoi il faut leur faire profiter de la manne cannabique, privilégier les ZUP et proposer des alternatives. Il faut penser qu'on va créer une filière cannabicole, avec la chanvrologie et tout ce que ça comporte. Ça fera de l'emploi.

On pense à plusieurs statuts : associatifs à but non lucratif, semi-associatif, semi-coopératif avec regard d'une autorité administrative, coopératives de producteurs et de distributeurs. Il y a aussi toute l'industrie de transformation – pour les space cakes, etc. – ou encore tout l'encadrement du cannabis thérapeutique, qui demanderait beaucoup de personnel qualifié.

Ce débat n'est-il pas ralenti parce qu'il y a trop de propositions justement ?
F : C'est vrai qu'on a tous réfléchi dans notre coin, de manière concurrentielle peut-être, alors qu'il n'y a pas de « meilleur modèle ». Et puis, ça pose tellement de questions. Est-ce qu'on commence par le cannabis thérapeutique ? Si oui, quelle limite d'âge fixer ? Etc.
M : On est dans un climat où l'on constate qu'en 20 ans de légalisation en Californie, tout va bien. Et nous venons d'avoir les résultats de la légalisation au Colorado où ils avaient prévu 30 millions de dollars de recettes, et ils en ont fait 100 millions. Comme les budgets ne peuvent pas être augmentés là-bas, ce trop-perçu devrait être redonné au peuple. Le cannabis fait baisser l'impôt ! Et puis il y a le journal Le Monde qui publiait en Une les résultats d'une étude du think-tank Terra Nova. Ils expliquaient que la légalisation pourrait rapporter pas loin de deux milliards d'euros à l'État par an.

Quels sont vos projets immédiats ?
F : Que Manuel Valls s'arrête ici [il habite la même rue Keller que la librairie],et qu'il nous demande comment on fait. On pourrait créer un Grenelle du cannabis pour parler addiction, environnement et déboucher sur un projet de loi dans un cadre expérimental.
M : Je me permets d'insister pour les régionales de 2015 : faire de l'Ile-de-France un laboratoire où l'on testerait une légalisation contrôlée qui profiterait de Paris et de son statut de ville la plus visitée du monde. Avec le Colorado qui fait baisser l'impôt, nous avons une promesse populaire à faire. De toute manière, à partir du moment où ça a été légalisé, c'est « légalisable ». Le premier qui le fait est celui à qui ça rapporte plus. Mais bon, on peut être les derniers, ce n'est pas grave.