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Culture

Mon job ? Draguer à votre place sur Internet

Adrien est dating assistant – son boulot se résume à parler à votre place sur AdopteUnMec.

Adrien, dating assistant. Photo publiée avec son aimable autorisation.

Internet est un chenil mâle surnuméraire condamné au rut éternel. On estime que pour une femme, il surfe entre 7 et 8 hommes sur les sites de rencontre. De même, un sondage IFOP établit que si seul un tiers des Françaises avoue y avoir déjà eu recours, plus de la moitié des hommes de moins de 50 ans habitant le pays se sont déjà créé un compte. Un problème subsiste pour eux cependant : la plupart n'ont pas le bagout nécessaire pour convaincre les filles surfant la vague de leur célibat de les accompagner à un rendez-vous. C'est pourquoi Internet a inventé les dating assistants. Adrien est l'un d'eux.

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Adrien travaille pour Net Dating Assistant, un service qui se propose de faire le sale boulot à votre place en discutant pour vous sur les sites de rencontre avant de vous obtenir un rencard. Ce service coûte 325 euros minimum. Pour cette somme, Adrien édite et met au propre votre profil Attractive World, Meetic ou AdopteUnMec, et s'en va chater en votre nom pendant 15 heures réparties sur un mois. Aussi, lorsqu'il vous décroche un rencard, vous n'avez plus qu'à lire la conversation que vous avez prétendument eue avec la fille (ou le mec), et vous pointer. On appelle ça : le monde moderne.

Afin d'arriver à leurs fins (et ils y arrivent souvent), les dating assistants passent donc des heures à naviguer dans un univers virtuel fait de profils et de pixels, pour éventuellement les transformer en rencontres réelles. Pour ce faire, il faut néanmoins avoir les bonnes méthodes. Adrien a accepté de nous faire état ici de ses quelques techniques. Et si vous croyiez que la drague se résumait à une somme colossale de baratin, voire de feeling, sachez que lui, pas du tout.

VICE : Bonjour Adrien. Si tu devais manager le profil d'une nana pour obtenir un rendez-vous avec moi, comment tu ferais ?
Adrien : Eh bien déjà, je ne m'occupe jamais de profil féminin. Ça ne m'intéresse pas en termes de dynamique car une femme ne fait que filtrer. Un cliché absolument vrai : si une femme uploade juste quelques photos où elle présente bien, elle va obligatoirement se faire aborder, peu importe sa description. Sur Adopte, elles vont même être harcelées par plusieurs dizaines de charmes [le « poke » d'Adopteunmec, N.D.L.R.]. On conseille d'ailleurs souvent à nos clients de se créer un profil de femme pour voir la quantité de messages à 95 % nullissimes qu'elles reçoivent : « Salut ça va ? », « T'es charmante » ou le classique « On fait connaissance ? »

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OK. J'imagine que dans tous les cas, le physique compte beaucoup.
Le physique joue énormément. Je dirais à hauteur de 75 %. Donc on envoie les clients faire des shooting pro un peu cadrés : on évite les photos en studio – souvent too much –, on bannit les claquettes, etc. On teste une attitude. Il n'y a pas de recette miracle, mais il faut trouver comment dégager un truc sans le surjouer. Le bon nombre c'est trois ou quatre photos. Si tu en mets deux, ça cache quelque chose. Huit, tu te donnes trop.

Et outre les photos, tu prodigues également des conseils sur le profil en lui-même ?
Bien sûr. Car ensuite vient le descriptif. Là, les mecs ont tendance à dérouler un CV hyperlogique. Ils ont tort. La séduction se base uniquement sur l'émotionnel. C'est comme si tu disais : « Je suis très sociable et j'ai beaucoup d'humour. » Eh bien, ces gens-là n'ont jamais l'air très marrant.

Surtout, il faut montrer que tu n'es pas attaché à sa réponse. Il faut montrer que tu es là pour t'amuser.

Vient la périlleuse partie de « la phrase d'accroche ». Tout le monde utilise un truc copié-collé, non ?
C'est une erreur. Le dating assistant va examiner le profil et tenter de choper un détail afin de faire la phrase d'accroche. Tu vas créer un mini-scénario autour de la fille que tu vises, en essayant d'être taquin. Comme ça, elle va comprendre que tu as regardé son profil. Et puis surtout, il faut montrer que tu n'es pas attaché à sa réponse. Il faut montrer que tu es là pour t'amuser. Tu peux attaquer fort, car ton but c'est juste qu'elle te réponde – en bien ou en mal. Si elle se braque, tu rejettes la faute sur toi. Rester taquin et détaché, toujours. Puis il faut savoir ajuster sa réponse ; une conversation n'est jamais linéaire, tu peux avoir un bon feeling le mardi, et le jeudi elle ne veut plus te répondre.

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Screenshot d'une conversation hostée par Adrien sur un site de rencontres.

Quels sont les délais ? Est-ce que tu te dis : si elle ne me répond pas en 15 minutes, c'est qu'elle s'en fout – c'est mort ?
C'est jamais mort. Pourquoi ? Il faut avoir de l'empathie et ne pas oublier que cette fille mignonne avec qui je discute est littéralement harcelée. Donc même si elle te clashe un peu au début, c'est pas fini – à moins qu'elle ne te « remette en rayon » évidemment [ autre terme d'Adopteunmec, N.D.L.R.]. Si une fille avec qui je discute est tombée sur un profil plus pertinent pour elle – je rappelle que dans le virtuel, le physique compte énormément, plus que dans la réalité –, alors le timing est suspendu. Dans ce cas-là, il ne faut pas relancer tout de suite.

Pourquoi ?
Parce que passer pour un mec dans le besoin est de loin le truc le plus repoussant. Une phrase comme : « Bah pourquoi tu réponds pas ? », ça détruit ton image. Elle répond en 24 heures ? Mets un jour et demi. Elle a l'abondance, donc fais-toi rare. De sorte que ce soit elle qui vienne à la pêche.

Combien de conversations démarres-tu lorsque tu hostes un profil ?
J'essaie de ne pas entrer dans plus de quatre conversations « réactives » en même temps. Si tu fais plus, tu peux légèrement t'emmêler les pinceaux. Les retours sont toujours différents, entre celles qui écrivent beaucoup, celles qui répondent peu, les sociables, celles qui ne le sont pas, etc. C'est à toi à mettre en place une manière d'écrire de manière à ce qu'elles s'investissent. Si la taille de leurs messages augmente – c'est souvent un bon indicateur – c'est que ça se passe bien.

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Suis-tu des règles d'écriture très strictes lors de ces conversations ?
À bannir le langage SMS et le Kikoo LOL. Tu peux écrire bien sûr « ha ha », tu mets dans l'ordre que tu veux le H et le A, peu importe. Mais jamais de LOL, ni de PTDR, encore moins de XLPTDR. Les smileys – pas les émoticônes – sont très puissants aussi. Un message rentre-dedans avec un smiley clin d'œil ne dit pas la même chose que sans le clin d'œil.

À la base je suis ingénieur à la Défense dans le consulting en risque industriel dans le nucléaire.

Je vois. Comment tu te mets à la place des gars pour lesquels tu dragues ?
Je passe du temps avec les clients pour comprendre comment ils se comportent dans la vie. Il est important d'éviter un trop gros décalage. Si le client est timide, je ne peux pas faire de rentre-dedans. Mais s'il s'agit de quelqu'un d'à l'aise, je le suis d'autant pus. Il faut adopter la personnalité du client, sinon la personne en face peut se rendre compte de quelque chose en rendez-vous.

Qu'est-ce qu'il se passe lorsqu'une fille s'en rend compte ?
Ça ne m'est jamais arrivé. Mais je ne pense pas que ça se passe très bien.

Screenshot d'une conversation hostée par Adrien sur un site de rencontres.

Dis-moi comment tu es devenu dating assistant ?
J'avais postulé pour avoir un job d'appoint en envoyant mon « CV séduction ». J'étais coach en séduction déjà à l'époque, et j'avais des retours de clients satisfaits – donc de bonnes bases. Net Dating Assistant m'a soumis à deux tests : je devais, avec un compte fictif d'homme, draguer en ligne, puis pour le compte d'une personne réelle. En une semaine, j'ai obtenu trois ou quatre rendez-vous pour le fictif, et un pour le réel. Quinze jours plus tard, j'étais sur la plateforme.

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C'est ton job principal ?
À la base je suis ingénieur à la Défense dans le consulting en risque industriel dans le nucléaire. Puis il y a quelques années, j'ai vécu une rupture douloureuse. Ça m'a mis une claque qui m'a donné envie de comprendre des choses sur la séduction. Mes premières recherches sur Google ont été « séduire une femme », « aborder ». Là, j'ai passé des heures à regarder des vidéos, découvrir un monde parallèle de dynamiques sociales qui te font comprendre pourquoi quelqu'un est intéressant ou non. D'un coup, je découvrais un monde alors qu'avant j'avançais dans le noir.

Aujourd'hui je suis toujours ingénieur. Je ne veux surtout pas que ma vie soit focalisée là-dessus car ce n'est pas rentable comme métier principal. Je fais ça plus pour aider les gens que pour le côté financier.

Tu ne t'es jamais dit que draguer sur internet n'était, de toute façon, pas naturel ?
Non, jamais. Au contraire, j'ai toujours eu la curiosité de comprendre ces rouages.

Dirais-tu que tes clients sont des queutards morts de faim ou au contraire, des hommes excessivement malhabiles ?
Non ce ne sont pas de queutards. Ce sont surtout des gens qui veulent comprendre pourquoi et comment ça marche. Ils sont dans des mécanismes très classiques et ne pigent pas pourquoi ils n'ont aucun retour. Après, parfois ils sont à l'aise, parfois non. Mais globalement, parmi ma clientèle il y a beaucoup de cadres supérieurs, des gens qui passent déjà toute la journée sur un ordi. Évidemment ils veulent tous rencontrer quelqu'un avec qui ça matche tout de suite.

Après, c'est comme aller à la salle : au début tu vas souffrir, et puis tu vas prendre le truc. La séduction c'est pareil, c'est du muscle social : aller vers les autres, être à l'aise dans sa conversation, ça se travaille.

Comme tu parles beaucoup de « schémas », pourras-tu m'illustrer l'un desdits schémas de drague pour lesquels tu optes ?
Mon truc, c'est d'inverser la dynamique. Par exemple, lorsqu'une fille t'envoie de l'intérêt mais qu'elle rajoute un truc en plus de type : « C'est bizarre que ton profil me plaise. » Dans ce cas, elle veut que tu lui montres ce que tu vaux. Et c'est un piège. Il ne faut surtout pas la mettre sur un piédestal. C'est le contraire : il faut se mettre, soi, dans la position d'une femme désirable. On appelle ça de la psychologie inversée. La jouer distant, mais en compensant avec de l'humour, sinon tu deviens un autre sociotype, celui du connard arrogant. Et sur la frise tu as d'un côté le connard arrogant, et de l'autre le gentil garçon – qui lui, n'a aucune chance d'y arriver. Il faut naviguer entre les deux.

Tu ne deviens pas sociopathe à force de devoir chater ?
J'organise bien mes journées pour ne pas verser là-dedans. J'ai mon activité, et j'ai mon créneau le soir. J'aime bien faire ce que je fais car je sais que je peux créer des situations et bosser dans l'humain. À force, tu deviens même pote avec tes clients. J'ai un client qui voulait que je drague pour lui sur Mektoube, un site de rencontres maghrébines. Eh bien, il m'a dit récemment : « Inch' Allah Adrien je vais me marier », avec une fille qu'il a rencontrée grâce à moi.

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