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L’Union européenne va peut-être tuer la peine de mort en Amérique

Les industries pharmaceutiques qui fabriquent les produits destinés aux injections létales en ont marre que les États-Unis tuent des gens. L'application de la peine de mort est devenue trop compliquée —et certains États en viennent à se demander s’il...

via Wikimedia Commons

Quand on pense aux centaines de bonnes raisons d’abolir la peine de mort, on évoque souvent ses implications éthiques, la présomption d’innocence ou l’incohérence de son application. Mais dernièrement, ce sont des considérations pratiques qui ont ralenti le nombre d’exécutions en Amérique —et certains États en viennent à se demander s’il ne serait pas temps d’y mettre un terme.

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Au-delà des hausses de prix associées aux prisonniers qui croupissent dans les couloirs de la mort, les industries pharmaceutiques sont de plus en plus réticentes à ce que leurs produits soient utilisés pour exécuter des prisonniers. Les lois de l’Union européenne en sont la principale raison.

En janvier 2011, l’entreprise pharmaceutique Hospira a annoncé qu’elle mettait fin à la  production de thiopental sodique pour des raisons éthiques —étant donné qu’il était impossible de s’assurer qu’il ne soit pas utilisé pour des injections létales. À l’époque, le thiopental sodique faisait office d’antalgique. Les injections létales se composaient également de bromure de pancuronium (pour paralyser le prisonnier) et de chlorure de potassium (qui provoquait un arrêt cardiaque).

Sur son site officiel, l’entreprise a rappelé ses objectifs : « sauver les vies des patients que nous servons ». Elle explique que « l’entreprise s’est toujours publiquement opposée à l’utilisation de ses produits pour servir la peine de mort » et a aussitôt cessé de vendre les produits qu’elle savait destinés à des injections létales.

Ces mesures répressives sont également motivées par la délocalisation de la production de thiopental sodique. Après la Caroline du nord, la production se fait désormais en Italie, où elle tombe sous la juridiction de l'Interdiction du commerce des équipements de torture de l’Union Européenne.

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Ce règlement « met en place un régime commercial spécifique couvrant certains équipements et produits susceptibles d’être utilisés pour la torture et la peine capitale » ainsi que pour « d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les pays tiers. »

Pour importer du thiopental sodique, l’entreprise Hospira aurait dû prouver qu’elle ne comptait pas l’utiliser à ces fins —ce qui s’est avéré être impossible. « Nous ne pouvons pas nous plier aux demandes de l’Italie, et nous avions peur que nos employés italiens en prennent la responsabilité » a expliqué Dan Rosenberg, porte-parole de Hospira, au Washington Post.

Maintenant que les provisions de thiopental sodique s’épuisent, les États appliquant la peine de mort cherchent actuellement une alternative. The New Republic a révélé qu’un moratoire avait été mis en place sur les exécutions de l’Arkansas, de la Californie, du Kentucky, de la Louisiane, du Maryland, du Missouri, du Montana, du Nebrasaka, de la Caroline du Nord, de l’Oregon et du Tennessee.

Le Missouri avait prévu de remplacer le thiopental sodique par du propofol anesthésique, jusqu’à ce que son fabriquant allemand Fresenius Kabi ne pose un ultimatum et menace d’arrêter d’en faire exporter vers les États-Unis. Ce qui serait regrettable pour eux, sachant  que le propofol est le produit anesthésique le plus populaire du pays. Près de 50 millions de doses sont utilisées dans les hôpitaux chaque année. 90% du propofol qu’on peut trouver en Amérique est fabriqué dans des pays de l’Union européenne.

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Bien entendu, la communauté médicale ne voulait pas voir l’exportation de propofol cesser. Par exemple, la Missouri Society of Anesthesiologists a publié un article qui dit notamment : « En tant que physiciens, les médecins anesthésistes-réanimateurs utilisent du propofol sur près de 95% de leurs opérations. Si le Missouri venait à utiliser cet anesthésique pour une injection létale, plus de 15 000 hôpitaux, cliniques et centres médicaux risqueraient de perdre leurs provisions de propofol. »

La MSA soulève un problème qui ne relève plus du débat sur la peine de mort, mais bien d’une question de santé publique, que Nixon a évoquée en annonçant que le propofol ne serait pas utilisé.

Les États cherchent encore une alternative. Le Texas, l’Ohio, la Pennsylvannie et le Dakota du Sud comptent désormais sur les pharmacies enclines à faire des préparations magistrales qui leur permettraient de faire des injections létales. La Géorgie et le Colorado ont exprimé leur désir de faire de même.

Les préparations magistrales sont effectuées par les pharmaciens, qui mélangent des médicaments pour un patient précis. Cela leur permet notamment de contourner les règlements de l’UE et de la FDA.

J’ai discuté avec Richard Dieter du Death Penalty Information Center pour lui demander pourquoi les préparations magistrales constituaient une telle source d’inquiétude, et il a directement évoqué un manque de réglementation et de fiabilité : « Ce problème a été mis en lumière l’année dernière, lorsqu’une pharmacie a fourni des stéroïdes qui ont provoqué le décès d’une soixantaine de personnes. Le problème, c’est la contamination. Il est possible que ces médicaments soient fabriqués sans examen approfondi ».

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Normalement, les préparations magistrales sont supervisées par un docteur. Mais dans les prisons, il est fort probable que les personnes qui injectent les médicaments ne soient pas qualifiées pour mesurer leur fiabilité.

J’ignore si vous connaissez cette blague où un type se demande pourquoi on stérilise les aiguilles qui servent aux injections létales, mais les possibilités de contamination entraînent la même question. Dieter m’a également expliqué qu’il était très important de connaître la puissance d’un médicament pour s'assurer que la punition soit effective et ne devienne pas « cruelle ou inhumaine » et par conséquence, illégale. Si un médicament est censé provoquer une perte de connaissance ou la mort, mais qu’il est mal préparé et ne fonctionne qu’à 75%, il pourrait provoquer « une perte de connaissance partielle ou une lente agonie ».

«  Ce serait cruel de soumettre quelqu’un à une injection aux résultats incertains —que ce soit un médicament jamais utilisé auparavant, ou qu’il provienne d’une entreprise qui ne fait pas d’examens approfondis. » m’a dit Dieter. «  L’État pourrait être accusé de négligence, ou de fournir de très mauvais traitements dans les prisons et les hôpitaux psychiatriques. C’est une manière très cruelle de traiter les gens. Oui, on peut les exécuter, mais il y a une procédure à suivre ».

Dieter ne pense pas que ces tracasseries puissent entraîner l’abolition de la peine de mort en Amérique, mais elles pourraient cependant convaincre les États indécis de lâcher l’affaire. « Ce n’est pas qu’une histoire de médicament. Si un État est fermement décidé à appliquer la peine de mort, il trouvera toujours un moyen » a poursuivi Dieter. « Mais s’ils restent hésitants sur la question, ça pourrait très bien les pousser à tout arrêter ».

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Dans tous les cas, ces questions ont mené à un ralentissement des exécutions. En Géorgie, le cas du condamné à mort Warren Lee Hill a posé quelques problèmes, notamment sur le droit de confidentitalié concernant les préparations magistrales. Son exécution a finalement été reportée.

Le Maryland est le dernier État en date à avoir banni la peine de mort, en mai 2013. « Ce n’est pas à cause des injections létales, mais ces problèmes ont ralenti leurs exécutions » a expliqué Dieter. « Il y a beaucoup de facteurs, mais ça va faire six ans qu’il n’y a pas eu d’exécution par injection létale dans le Maryland ».

Le gouverneur du Missouri a noté qu'il en était du ressort des tribunaux américains de déterminer si la peine de mort devrait rester, et que ce n’était pas aux lois européennes d’en décider. Cependant, ces tribunaux pourraient très bien conclure qu’à cause des lois européennes sur l’exportation, il n’existe plus aucune manière constitutionnelle de préserver la peine de mort.

«  La pénurie de médicaments, ses causes et ses conséquences n’ont aucun rapport avec le processus d’exécution de ce pays » a dit Deborah Denno, une experte fermement opposée à la peine de mort au National Journal. Cependant, ce facteur pourrait enfin permettre l’abolition de la peine de mort. Et c’est assez ironique, parce que ce n’était certainement pas ce qu’espéraient ses détracteurs.

Finalement, cette histoire nous montre aussi que la mondialisation a parfois ses avantages. Si quelqu’un impose un règlement spécifique, les États doivent s’y plier. Même les États-Unis.

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