La Télé-réalité est encore plus déprimante vue de l’intérieur
Collages : Lucile Lissandre

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reportage

La Télé-réalité est encore plus déprimante vue de l’intérieur

Stupidité « LOL » et cynisme délibéré : ma vie parmi les stars de la télévision pour adolescents.

Les candidats de la télé-réalité sont dopés à leur soudaine notoriété. Et lorsque tu es célèbre pendant plusieurs années de suite, tu crois que ta vie a une valeur pour tous les Français. Ça s'entend lorsqu'ils parlent. Ils disent souvent : « tu m'as humilié devant toute la France ». Le truc, c'est que seul un faible ratio de Français regarde en réalité ladite émission comparé à la population totale.

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J'ai 26 ans. J'ai fait un BAC L, puis je suis entré en licence de communication. Je me suis ensuite engagé dans une licence pro tourisme, puis dans une formation de steward. Enfin, je suis devenu ami avec nombre de candidats à des émissions de télé-réalité.

Mon premier souvenir de télé-réalité remonte à la période « Loft Story ». J'étais encore au collège et je me souviens que je ne comprenais pas vraiment le concept, ni le format de l'émission. Ce grand laboratoire, avec ces résidents enfermés et filmés nuit et jour, m'intriguait.

Mon lien avec la télé-réalité s'est affirmé un peu avant la première saison de « Secret Story », sur TF1. Un peu par hasard, et un peu malgré moi, je me suis rendu compte que je fréquentais pas mal de protagonistes de l'émission. Je les avais rencontrés, pour la plupart, en boîte de nuit. Au départ, c'était, une personne, puis deux, puis trois, et j'ai fini par avoir un véritable arbre de candidats de télé-réalité dans mon répertoire. Ils se confiaient à moi, me parlaient de leurs coucheries, de leurs ruptures, de leurs avortements, de leurs disputes. Lorsque mes amis me demandaient les dernières news d'untel ou d'un autre, je les lâchais pour rire. Mais au final, je me suis rendu compte que ce que je balançais, étaient de vraies pépites. Des ragots exclusifs. Des trucs ignorés par la presse people.

Je suis donc resté proche du cercle des peoples de la télé-réalité et j'en ai plus tard fait un site, où je révèle les dernières news intimes des peoples. J'ai fait aussi une émission où les stars passent dans un bain, pour parler sans filtre de leurs dernières disputes avec untel, de la dernière crasse de leur production, etc. Je ne mets aucun filtre, ne censure personne. Les candidats sont libres de dire ce qu'ils veulent. Et c'est un vrai soulagement pour eux, car la machine de la télé-réalité est une machine qui les broie.

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Il faut déjà savoir comment et pour quelles raisons on sélectionne tel ou tel candidat. Bien sûr, il y a leurs muscles ou leurs tatouages. Mais les équipes de sélection sont plus cyniques : elles aiment aussi les potentiels candidats pour leur manque de finesse, leurs seins siliconés, leurs tics de langages – qu'ils considèrent grossiers –, ou leur vulgarité. Sans compter qu'il faut être un minimum violent, bruyant, aimer les complots, être potentiellement pernicieux. J'énumère dans mon livre Téléréalité, le manuel pour percer toutes ces caractéristiques requises pour faire un parfait candidat à leurs yeux.

J'ai voulu écrire ce bouquin à la suite de centaines de mails que je recevais de familles qui voulaient caser leurs fils pour en faire des stars. J'hallucinais de voir toutes ces mères qui voulaient absolument mettre en valeur leurs fils. Donc, dans ce livre, je balance un peu crûment ce qu'un candidat doit avoir et faire pour devenir intéressant pour les prods. C'est grotesque, certes. Mais c'est le milieu qui veut ça.

Dans les faits, un candidat sur vingt vient des candidatures. Plus un individu est intéressé pour faire de la télé-réalité, plus il rêve de ce qu'il envisage comme une « carrière », moins on va le choisir. Les productions s'intéressent beaucoup plus à ce que j'appelle les « viviers à morues ». Ils vont principalement dans le nord / nord-est de la France et dans le sud. Le nord pour ce qu'ils considèrent comme des « idiots » et le sud pour le sang chaud et l'accent.

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C'est toujours gros, très stéréotypé. C'est précisément cela qui plaît aux productions. Ces dernières vont chercher les gens dans quelques boîtes de nuit réputées pour ameuter ces gens. Parfois aussi dans des salles de sport, des ongleries, des salons d'esthétique ou encore dans certains cabinets de chirurgie esthétique. Bien sûr, la direction a planifié au préalable ce qu'elle cherche précisément. Ça se limite à des pitchs très succincts de type « bimbo brune », « gay tatoué » ou « type musclé rasé ». Leur grand kif, et le comble du cynisme, consiste à arpenter les galeries commerciales de province le samedi à la recherche de l'élu(e).

Plus la bêtise est écrite sur le front de ces pauvres gens, mieux c'est pour la production. S'ils lui plaisent au premier abord, le casteur vient les aborder et leur file sa carte. Puis un rencard. Néanmoins, de plus en plus de casteurs sont dupés par les wannabe stars. Ceci vient du fait que le milieu de la télé-réalité est de moins en moins sincère. Il s'est « professionnalisé ». En effet, plein de jeunes séduisent désormais les casteurs en se créant un personnage de toutes pièces. Ils les aguichent via les réseaux sociaux, les rajoutent sur Facebook puis balancent des photos d'eux ou écrivent des statuts qui correspondent aux personnages qu'ils veulent se créer.

On pourrait parler d'une nouvelle génération de stars de la télé-réalité en France. On peut penser sans trop s'avancer que des gens tels qu'Ayem, Nabilla ou Nadège ont bossé leur personnage avant de se faire sélectionner. Nadège et son « ouiiiii » servi à toutes les sauces, est nécessairement travaillé. Ils ne le font pas tous, mais beaucoup se créent un masque, une image, un rôle immédiatement reconnaissable. Beaucoup ont déjà compris comment intégrer le milieu. Et dans le même temps, les émissions elles-mêmes sont de moins en moins sincères. Même les moins « télé-réalité » –« L'amour est dans le pré » ou « Koh-Lanta » – servent à certains candidats de tremplin pour entrer dans le métier et commencer une carrière. La preuve : plusieurs candidats ont ensuite fait « Les Anges » ou d'autres émissions.

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Les candidats doivent en faire toujours plus et exposer toujours plus leurs vies privées afin de rester « attractif ». Sans ça, les émissions vous jettent comme de vieilles chaussettes.

D'un côté, c'est bien. Disons que ça évite d'avoir des individus qui finissent comme Loana, totalement perdue au milieu du système médiatique. Mais de l'autre, ça crée des individus qui font de leur vie elle-même une télé-réalité.

Prenons le cas de Nabilla, et de son récent procès. Lorsque le juge présente son parcours à la télévision et mentionne le « allô, quoi », elle l'a coupé, et s'est proposée de le faire en direct, sous ses yeux. Sans compter tous ses snaps en live de son procès. Un verre d'eau entre les oreilles peut se transformer en or, et c'est ce que nous donne à voir la télé-réalité.

Ces gens sont aimables, certes. Néanmoins ils n'ont rien à vendre, pas de CV, pas de talent particulier et préfèrent « faire de la merde » plutôt que de se faire chier sur un chantier. Ils possèdent cependant un vrai talent : celui de savoir faire rebondir leur personnage qui n'est pas grand-chose si ce n'est une plastique d'un goût ordinaire – et parfois artificielle. Ils ont des influences. L'une des premières à avoir expérimenté ce genre de carrière, c'est Paris Hilton. Elle disposait d'arguments tels qu'un nom et une grande richesse. Elle a transformé cela en une « success story » grâce à l'exposition de sa vie et de sa personnalité. Cette idée s'est égrainée

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Un autre truc a changé : les émissions ont désormais des suites. Il est donc inévitablement plus difficile pour les productions de rester « attractif ». C'est pourquoi les candidats doivent en faire toujours plus et exposer toujours plus leurs vies privées afin de rester dans le coup. Sans ça, les émissions vous jettent comme de vieilles chaussettes. Puis la presse people, qui meurt lentement, est davantage focalisée sur eux. Car des photos volées d'un Florent Pagny coûtent cher en procès, alors que celles d'un candidat de télé-réalité ne peuvent jamais gagner un procès. D'ailleurs, je n'ai jamais perdu un seul procès. Et pourtant je fonctionne 24 heures/24. Parfois je me fais réveiller en pleine nuit par un candidat qui veut me confier sa rupture ou autre. Je balance, révèle, les égratigne ; la justice considère que ça fait partie du jeu.

Les grosses productions disposent d'un psy, mais ce dernier est souvent là pour faire joli et pour que tout le monde se donne bonne conscience. En réalité, les candidats sont dans une arène avec des lions et personne ne les encadre vraiment, avant comme après. C'est un écosystème très particulier. Dernièrement, j'ai récupéré une petite des « Anges ». Elle s'appelle Aurélie et a pris un seau de pisse à la tronche et s'est faite lyncher dans « Les Anges 8 ». Lorsqu'elle m'a dit ça, j'ai fait un signalement au CSA. Mais si tu n'es pas content, les productions te lâchent, simplement : des centaines d'autres attendent sur leur palier.

Tu dois rester à leur botte. Ils connaissent le moindre de tes agissements. Moi j'ai déjà eu des jeunes nanas qui, pendant mon émission, recevaient des textos de leur prod, qui se mettaient à chialer car on menaçait de les griller, de leur retirer 3 000 euros sur leur salaire ou de les virer. C'est un monde de requins.

Jérémy, connu sous le nom de « Jeremstar », est sur Twitter. Quentin également.

Le livre de Jérémy est disponible ici.