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Interview

La Vie de voyou

L'histoire de Youv, ex-braqueur de Mantes-la-Jolie devenu chroniqueur du quotidien en prison.
Genono
par Genono

Oumar Cissoko, dit Youv, a passé la moitié de sa vie à braquer. Originaire de la cité du Val Fourré à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines, son premier braquage remonte au milieu des années 1990, alors qu'il avait 14 ans. Banques, magasins, fourgons de la Brink's, il lui arrivait même parfois de dévaliser plusieurs établissements dans la même journée. L'autre moitié de son existence, il l'a donc logiquement passé en réclusion.

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Lorsqu'on passe douze années à tourner en rond dans une cellule de neuf mètres carrés, écrire est l'une des rares manières de ne pas devenir dépressif, aliéné ou suicidaire. Incarcéré depuis 2002, Youv s'est rendu célèbre en publiant des tribunes sur Facebook – celui-ci a depuis été supprimé –, dans lesquelles il raconte son histoire, de son enfance en banlieue jusqu'aux plus hauts échelons du grand banditisme français. Repéré par un éditeur, il a publié en 2013 un ouvrage en sept volumes intitulé « Chroniques de Youv derrière les barreaux ».

Tandis qu'il est toujours incarcéré en région parisienne, j'ai échangé avec lui par téléphone et on a discuté ensemble de sa nouvelle vie d'écrivain, de braquages, de prison et de tout ce qu'on fait lorsqu'on est coincé à l'intérieur.

VICE : Salut Youv. T'attendais-tu à ce que tes chroniques deviennent si populaires ?
Youv : Pas du tout. Mes premières chroniques, je les ai écrites au mitard. J'avais pris deux fois 45 jours, soit trois mois au total. Pour passer le temps, j'étais obligé de trouver une échappatoire. Et moi, je suis un cancre ! J'ai pas fait d'études, je suis jamais allé loin à l'école – j'ai quasiment appris à lire au mitard. À force de tourner en rond là-dedans, je me suis mis à écrire, mais c'était vraiment sans prétention. Personne d'autre n'était censé lire ça.

De quelle manière as-tu fait lire ce que tu écrivais à d'autres personnes ?
Un jour, une amie m'appelle, et je lui demande de m'expliquer comment fonctionne Facebook, parce que je venais de m'inscrire et que je me disais que c'était un bon moyen de passer le temps. Au cours de la discussion, elle me parle d'une chronique sur Facebook. Ça s'appelait, « Sabrina, love d'un Renoi » – et des milliers de meufs étaient dessus ! Je demande à un mon amie si la même chose existe, mais pour les mecs – ça n'existait pas. Je voulais que les mecs comme moi puissent se reconnaître dedans. Du coup elle crée une page, je lui envoie mes textes par SMS… une vraie galère ! Elle voulait corriger mes fautes d'orthographe, je lui ai dit : « non, publie-les tel quel. » Et là, en moins d'un quart d'heure, il y avait déjà 500 « j'aime » ! Ces gens je les connaissais pas, c'était irréel pour moi.

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Quand on relit tes premières chroniques, et qu'on les compare avec ce que tu es capable d'écrire aujourd'hui, on sent une grosse évolution. Les fautes d'orthographe ont disparu, c'est une chose, mais les phrases sont beaucoup mieux construites, les récits beaucoup plus élaborés.
Mes premières chroniques ont été écrites à l'arrache, par textos. Même la maison d'éditions, quand elle a publié l'intégrale de mes chroniques, a voulu apporter des corrections. Mais j'ai refusé ! Je sais à qui je parle, je sais à qui mes écrits sont adressés. Et ces gens-là, ils ne vont pas m'en tenir rigueur. Et puis avec le temps, j'ai fait l'effort d'écrire plus proprement, pour pouvoir toucher un maximum de monde.

J'ai cru comprendre qu'à l'avenir, tu voulais te consacrer à l'écriture ?
Oui, parce que j'ai grandi dans la violence, et cette violence m'a amené à faire vingt piges de placard. J'ai compris qu'en écrivant, je pouvais avoir cette même violence, sauf que là, on m'écoute – et on m'applaudit. Mais je t'ai dit la même chose, hier ! J'ai insulté ta mère, et tu m'as mis au mitard. Là, je le refais, mais avec des virgules et un point à la fin, et tu m'applaudis ? Alors je vais arrêter de faire le fou et de braquer… Et ils vont aller l'acheter ! Ceux qui me détestent, ils vont me donner de l'oseille. C'est simple !

Tu vas continuer à raconter ton vécu, ou tu as envie d'aborder d'autres sujets ?
Dans un premier temps, je me concentre sur mon vécu. C'est le sujet que je connais le mieux ! Et ensuite, j'ai envie de parler de la rue, la vraie rue, parce qu'elle a trop été falsifiée. J'ai des potes qui sont écrivains. Ils écrivent sur la rue. Mais c'est pas des mecs de la rue, frère ! Moi, j'estime que je suis légitime.

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J'ai envie de décrire cette réalité-là, parce que tout ce que j'ai pu lire sur le sujet, ça me parle pas. Les histoires de caïds, de bandits… ça n'a rien à voir avec là où j'ai grandi. Ce que je veux faire, c'est une littérature de rue, écrite par un mec de la rue. Je veux me consacrer à quelque chose de nouveau, une nouvelle littérature urbaine. Les Molière, les Descartes, j'ai rien contre eux, mais ça me parle pas. Pour que les jeunes se mettent à la littérature, il faut les mettre devant des choses qui leur parlent. Mettez en avant les talents qui viennent de la rue, c'est eux qui ont des choses à raconter !

Tu te défends de faire l'apologie de la violence, mais tu n'as pas peur que le récit de tes braquages puisse donner envie à des plus jeunes de réitérer tes exploits ?
Un mec qui va voir mon parcours, avec tout ce que j'ai fait, et les vingt ans de prison à la clef… S'il est normalement constitué, il ne peut pas me suivre. Et je suis un miraculé. Malgré mes vingt ans de ballon j'ai encore toute ma tête. Mais sur mon affaire, on était six, et les cinq autres sont en psychiatrie. Alors maintenant, je vais me servir de ça, je veux monter une association, aller dans les écoles – moi je suis parti en couilles en primaire ! Mon idéologie d'aujourd'hui, je l'ai pas inventée à Bois d'Arcy : en CM1, je pensais déjà de la même manière. Donc il faut aller les voir à cet âge-là, discuter et rigoler avec eux, leur faire comprendre que notre mode de vie n'apporte rien de bon. Il faut leur montrer des vidéos de promenades ! « Regarde ce que c'est, une promenade. Tu vas faire ça pendant douze années de suite, et ça sera ta seule distraction de la journée. Une fois de temps en temps, tu vas voir ta mère au parloir, et à chaque fois elle sera en train de pleurer. » Personne m'a dit ça, à l'époque ! Au quartier, le discours c'est : « j'étais en cellule avec deux potes, c'était trop bien, on cantinait des pizzas… »

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Tu vas peut-être pas me croire, mais au hebs – en prison –, j'ai retrouvé toute ma classe de CM1 ! Alors que les mecs qui ont fait des études, dont on se moquait quand on était jeunes – parce que nous, on faisait de l'oseille et qu'on allait en soirée pendant qu'eux étudiaient – ils ont un taf, des enfants, une maison… Toi, ta femme elle est au parloir, tes enfants au parloir, et ta maison, elle fait 9 m2 dans le meilleur des cas. C'est ça, la vie que vous voulez ? OK, alors faites comme moi. Faites ce que tous ces zoulous de rappeurs vous disent dans leurs chansons. Je les ai vus, moi, en promenade : ils sont là, ils font de grands gestes, ils se clashent. Quand je regarde ça, j'ai envie de rigoler. Ne me suivez pas, je suis pas un exemple. Mon parcours, c'est un sacrifice. Je suis le fils aîné de la banlieue, je me suis sacrifié pour les petits frères.

Youv dans sa cellule. Photos prises au téléphone portable et publiées avec son aimable autorisation.

Tu écris : « j'ai jamais su comment la société voulait faire ressortir un mec meilleur alors qu'il avait purgé sa peine dans un lieu aussi dégradant. » Pour toi, quelle serait la solution pour que les peines de prison aient un résultat positif sur les détenus ?
Alors déjà, il faut savoir que la prison a beaucoup changé ces dernières années. La prison que j'ai connue il y a quinze ans, ce n'est plus la même qu'aujourd'hui. Elle s'est un peu améliorée : tu peux appeler chez toi, tu peux avoir la radio au mitard, etc. C'est grâce à l'Union Européenne, ils sont obligés de respecter certaines règles. Mais effectivement, je n'ai jamais compris comment rendre un mec meilleur en l'enfermant. Il n'y a aucun soin, aucun suivi. Pendant toute ma peine, je n'ai fait que côtoyer les plus gros voyous de la région parisienne, ou de Marseille, sans parler des Corses, des Basques de l'ETA, des mecs d'Action Directe. Une décennie avec ces mecs-là ! Ce que vous voyez pas, de l'extérieur, c'est que 90 % des gens incarcérés n'ont plus leur place en prison. Ils sont aliénés, cachetonnés. Forcément, les mecs vont récidiver en sortant !

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Regarde mon exemple : je suis sorti onze fois de prison, et je suis retombé onze fois ! Le seul truc qui m'ait cassé les couilles, en vingt ans cumulés derrière des barreaux, c'est les travaux d'intérêts généraux. On m'a envoyé à l'hôpital de Mantes-la-Jolie et on m'a obligé à faire le jardinier pendant deux mois. En plein hiver, j'avais envie de pleurer ! Tu me parles de mes peines, je m'en souviens même plus. Ouais, j'étais en prison, y'avait tous les mecs de mon quartier, on rigolait bien. Mais parle-moi des TIG, et là je vais avoir envie de pleurer. À la fin tellement j'en pouvais plus, j'ai appelé la SPIP et j'ai demandé à retourner au hebs.

Là, si je veux, quand je sors, je peux très bien monter sur un fourgon. Pourquoi je le fais pas ? Parce que je sais que c'est pas une vie. C'est une vie de zoulou.

La meilleure solution pour faire revenir un délinquant dans le droit chemin selon toi, c'est le travail forcé ?
Je vais te donner un exemple concret : un jeune qui se fait péter avec du bédo, tu l'enfermes un an. Ça va changer quoi ? Alors que ce même mec, tu l'amènes directement auprès des toxicos, tu lui présentes des mecs qui ont perdu la tête à cause du bédo, et tu le fais travailler six mois avec eux ; pour lui ce sera pire que cinq ans de prison. Il va comprendre tout de suite pourquoi ce qu'il a fait est mal. Quand tu vends de la coke ou de l'héro, tu ne vois que l'oseille. Tu t'en bats les couilles de savoir que tu vas provoquer des overdoses et des morts. Alors que si je t'oblige à aller dans un centre de désintoxication voir les conséquences de tes actes, être en contact avec tes victimes, là tu vas comprendre.

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Si tu n'apprends pas de ta sanction, elle ne sert à rien. Moi, j'ai rien appris. Je suis exactement le même que le jour où je suis entré ici. Là, si je veux, quand je sors, je peux très bien monter sur un fourgon. Pourquoi je le fais pas ? Parce que je sais que c'est pas une vie. C'est une vie de zoulou. En tout cas, c'est plus la vie que j'ai envie de mener. J'ai envie d'une petite vie tranquille.

Tu lis beaucoup en prison ?
Oui. La muscu, c'est bien, tu sculptes ton corps, mais faut muscler ton cerveau, t'instruire. Au mitard, je prenais tous les livres de merde qu'on me donnait. De la philosophie parfois – je comprenais pas le moindre mot. Mais au bout de 45 jours, enfermé seul avec ce livre, je comprenais tout, et je le connaissais par cœur. Je suis pas devenu un prix Nobel, mais j'ai un peu nourri mon cerveau. On me la fait plus trop à l'envers.

La religion t'a aidé à relativiser, aussi ?
Oui, mais j'ai pas envie dire que c'est ce qui m'a « sauvé ». Ce serait un mensonge. Ce serait trop facile de dire « soubhanAllah, c'est grâce à la foi que j'ai tenu. » Je pourrais le dire, tout le monde me croirait. Mais moi, je sais que c'est pas vrai. La religion m'a aidé bien sûr, mais je ne suis pas le genre de mec qui passe de braqueur à religieux du jour au lendemain. La religion m'a posé des limites, une petite voix dans ma tête qui disait : « non, tu peux pas faire ça, tu vas trop loin, c'est haram. »

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Extrait de la carte d'identité mauritanienne de Youv adolescent

J'ai l'impression qu'à l'époque de tes braquages, ta motivation première n'était pas l'appât du gain, mais plutôt une volonté de défier l'État et l'autorité.
C'est tout à fait ça. Un procureur me l'a dit : « vous n'avez pas besoin d'argent, vous prenez 100 000 euros tous les mercredis ! » Et il avait raison, c'était pas une question d'oseille. Je suis d'une génération qui a vu la hagra qu'ils ont faite à nos parents. Mes parents ne savaient pas lire, et c'est moi qui les accompagnais à la CAF ou dans les administrations. Je faisais le traducteur, j'étais un peu le tampon entre eux et la société. J'entendais des trucs, style : « ces Noirs, ils sont venus pour les allocs. » J'avais pas encore l'âge de répondre, mais je comprenais tout. Alors quand j'ai eu l'âge de tout niquer – ça a été avec grand plaisir.

Quand je montais sur un braquage, c'était toujours avec des mecs qui étaient là pour l'oseille. Moi, c'était par conviction. C'était une manière de défier la société. C'est pourquoi je m'attendais à une grosse peine. Quand t'es en guerre contre la société, elle est sans pitié avec toi. J'ai anticipé mes années de placard, voilà pourquoi j'ai tenu le coup. Alors que quand tu fais ça pour t'acheter un Porsche et frimer avec les meufs, tu peux pas tenir onze ans enfermé. T'as pas la mentalité pour !

D'où vient cette mythologie du braquage, selon toi ?
Quand tu braques des banques, tu prends l'État à la gorge. Donc le jour où ils vont te péter, ils vont pas rigoler avec toi. Ils préfèrent que tu violes, que tu tues. Personne ne prend plus de dix ans pour un viol ! En prison, j'ai vu des violeurs de petites filles qui étaient là pour deux fois moins de temps que moi ! Ce système marche sur la tête. À la barre, je risquais 30 ans. J'ai braqué, d'accord, mais je n'ai jamais tué personne ! Braquer, c'est le summum, et moi j'y allais avec cette conscience. Même si ça avait été pour 1 000 euros, j'aurais continué à braquer. Je voulais juste monter au front et les tacler là où ça leur fait le plus mal : au porte-monnaie.

Tu cites souvent le film Heat, de Michael Mann. La méthodologie des braquages de la bande à Neil McCauley t'a-t-elle inspiré ?
Ce qui m'a marqué dans ce film, c'est vraiment leur logistique dans la façon de taper les fourgons. L'organisation, les chronos, etc. Nous quand on le faisait, c'était à l'arrache. J'enviais cette logistique. Dans le film tout était pro, carré, avec un timing, chacun savait ce qu'il avait à faire. Le film en lui-même m'a pas particulièrement marqué, mais cette méthodologie, c'est beau.

Youv lors d'une de ses permissions

Tu arrives bientôt à la fin de ta peine ?
Je devrais être dehors depuis quatre ans. Le problème, c'est que j'ai fait beaucoup trop de mitard. Et en France, chaque jour de mitard, c'est deux jours en plus qu'on ajoute à ta peine. J'ai fait deux ans de mitard, le calcul est vite fait : peine rallongée de quatre ans. Donc avant la fin de l'année prochaine, si Dieu le veut, je devrais être dehors. En attendant, je profite de quelques permissions.

Quelle est la première chose que t'as faite, quand t'as eu ta première permission ?
Monter dans ma voiture et conduire. Je ne me suis pas dit : « ah, ça fait onze ans que j'ai pas conduit. » J'ai juste pris les clefs, je me suis mis au volant, et j'ai conduit. J'ai pas voulu être un assisté ou le boulet de quelqu'un. J'ai mon permis. Assieds-toi à côté et t'inquiète pas pour moi.

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