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La vie professionnelle d’un grossiste de drogue français

Un aperçu de ce à quoi ressemble votre job lorsque vous gagnez 120 000 euros par mois.

Stock de cocaïne de 166 kilos et d'une valeur de 10 millions d'euros caché dans les entrailles d'un bateau. Photo via Wiki Commons.

Avant de commencer l'interview, l'homme avec lequel nous avons rendez-vous nous accueille. Affable, il nous met à l'aise ; puis il nous demande nos noms, prénoms, adresses et dates de naissance. S'il a besoin de ces informations, c'est pour vérifier auprès des services compétents que nous ne mentons pas. En gros : il veut être certain que nous ne sommes pas des flics. Son contact à la Police Nationale lui affirme que non. La tension descend d'un cran. Il raccroche.

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Ça fait de nombreuses années que notre contact, importateur de drogues en gros, réapprovisionne régulièrement Paris et sa périphérie en psychotropes de toutes sortes. À côté de ça, selon ses dires, il mène une vie rangée. Sa routine n'a rien à voir avec celle des membres du gang Corleone dans le film de Coppola. Il ne faut pas imaginer les barons de la drogue en short Prada, affalés sur des transats, commentant à voix haute les derniers résultats sportifs devant leur piscine chlorée. Ils bossent et se taisent. Lorsqu'on lui demande ce qu'il fait, il répond : « Homme d'affaires ».

En 2010, sur les quelque 13 000 interpellations pour usage de drogues dures en France, 4 679 étaient liées à la cocaïne et au crack. L'Observatoire français des drogues et de la toxicomanie (OFDT) précise que parmi les Français âgés de 11 à 75 ans, environ 2,2 millions en ont déjà consommé. Quelque 450 000 en ont tapé pour la seule année 2014, soit 0,8 % de la population française. Fin 2008, on estimait que le marché européen du trafic de coke était évalué à 31 milliards d'euros. Aux États-Unis, il avoisinait les 34 milliards. Tous les mois, après avoir payé tous ses intermédiaires, notre contact se fait dans les 120 000 euros. Ce qui ne l'empêche pas de rouler en Renault Clio.

On a discuté ensemble environ 40 minutes ; principalement de drogue, d'argent et de travail.

Cocaïne interceptée à Orlando, Floride, sur un passager en provenance du Panama. Photo via Wiki Commons.

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VICE : Qu'est ce que vous faites pour gagner votre vie ?
Le grossiste : Je suis un homme d'affaires. Aujourd'hui j'investis dans plusieurs sociétés françaises, dont des sociétés nationales. Je dois en avoir une bonne vingtaine.

Et à la base, vous vendiez des produits illicites ?
Oui j'ai commencé très tôt, à l'âge de 15 ans. J'étais alors un simple dealer de drogue. Je vendais essentiellement du cannabis. C'est le cannabis qui m'a lancé car c'est ce qui est le plus accessible pour commencer. Il est très difficile de toucher à de la drogue dure quand on débute dans le milieu. Puis les années passent et la drogue dure vient s'ajouter au reste.

Vous avez donc gravi les échelons un à un.
Je n'ai pas vraiment suivi toutes les étapes. Je n'ai jamais été shouf par exemple [N.D.L.R. : ces jeunes chargés de prévenir les dealers de l'arrivée de la Police ]. Et je n'y suis pas monté palier par palier. Un plus grand m'a pris sous son aile ; il m'a tout appris.

Comment se passe un deal de drogue en gros ?
Tout commence lorsque je reçois un appel. On me prévient d'abord que la commande est prête. Des hommes à moi partent retrouver la marchandise dans tel ou tel coin de France, et notent sur un carnet la quantité qui est censée débarquer pour chaque ville. Cinq fournisseurs viennent alors chercher chacun leur part de marchandise pour la ramener dans les plus grosses villes de France : Paris, Nantes ou Bordeaux. Ces cinq fournisseurs alimentent ensuite les réseaux à l'intérieur même des grandes villes.

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Regarde les grands patrons qui délocalisent dans le Tiers-Monde pour faire travailler des enfants de 4 ans – ils ont des problèmes de conscience eux ? Non. Tu n'as aucun remords.

Si ce métier est dangereux c'est surtout parce qu'on est obligé d'avancer l'argent. Il peut donc y avoir des vols, voire des braquages. Sur certains territoires, il peut même y avoir des guerres – à Marseille, notamment. Mais ça fait environ cinq ans que je n'ai plus besoin d'être sur le terrain.

Comment vous organisez-vous ?
Quand tu gères un réseau, tu dois avoir une organisation draconienne. Tu dois fixer des rendez-vous tout au long de la semaine, et tu dois toujours arriver avec au moins une heure d'avance pour t'assurer qu'un comité d'accueil n'est pas là à t'attendre ou tout simplement que les flics ne t'ont pas tendu un piège. Et ça fait énormément de route : tu fais un peu le tour du pays.

En réalité, tu gères ton réseau comme une entreprise. C'est la même organisation.

Photo via Wiki Commons.

Combien de personnes avez-vous à votre service ?
En dehors des sociétés que je dirige, je dirais que je travaille avec une cinquantaine de personnes. Mais sur ces 50 personnes, certaines font elles-mêmes appel à de la main-d'œuvre. La manière dont ces personnes gèrent leur business ne me regarde pas.

Considérez-vous cela comme un véritable métier ?
J'ai commencé à 15 ans. À cet âge-là, tu n'as pas la notion du « travail ». En revanche, tu en as une autre : celle de l'argent. À cette époque, c'était juste une manière de me remplir les poches. Quand j'ai vu mes revenus augmenter, j'ai commencé à comprendre que cette activité pouvait devenir un véritable métier. C'est d'ailleurs pour ça que je me suis organisé ; pour en faire un métier.

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À quoi ressemble votre parcours ? Vous avez fait des études dans le supérieur ?
Non, je n'ai pas fait d'études ; mais j'ai dû apprendre certaines choses. En France, il est très facile de faire de l'argent illégalement mais il est très difficile de le blanchir. Il m'a fallu investir cet argent sale. À 25 ans, j'ai appris à blanchir l'argent pour ne pas risquer de me faire attraper.

Quand tu as de l'argent sur la table, il n'y a pas de problème de conscience. Regarde les grands patrons qui délocalisent dans le Tiers-Monde pour faire travailler des enfants de 4 ans – ils ont des problèmes de conscience eux ? Non. Tu n'as aucun remords. Parce que ça te ramène énormément d'argent. Et à partir de là, tu oublies tout.

Je roule en Clio 2. Je préfère investir dans la pierre, c'est plus sûr et moins voyant.

Quel était votre rêve, enfant ?
Je n'en avais pas vraiment. Je n'ai jamais voulu jouer au thug. Mais j'ai souffert du manque d'argent très jeune et il a fallu que je trouve un moyen pour faire de l'argent très vite. C'était la seule solution pour moi. J'en avais absolument rien à faire de ce qu'il fallait faire pour devenir riche – je savais juste que je devais le devenir. Devenir riche par n'importe quel moyen, voilà ce que je voulais.

Je vois. Combien vous faites-vous tous les mois, aujourd'hui ?
Il est très difficile de répondre à cette question car même l'argent dit « propre » est alimenté par l'argent sale, celui qui vient de la rue. En conséquence, il y a un avant et un après partage. En bénéfice, je touche environ 500 000 euros. Avec les différents intermédiaires à payer, je touche environ 120 000 euros par mois.

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Vous n'avez pas l'air de vivre dans le luxe.
Non, je roule en Clio 2. Je préfère investir dans la pierre, c'est plus sûr et moins voyant. Les thugs qui se la jouent bling-bling attirent les regards – ce sont toujours les premiers à se faire choper. Dans ce métier, tu dois non seulement te faire discret mais en plus, tu dois t'entourer de gens de confiance et être très paranoïaque. C'est ça le truc : tu deviens paranoïaque.

Les gens qui restent en place sont discrets. Ceux qui se la racontent sont souvent au bas de l'échelle.

Livraison interceptée de cannabis, MDMA, diverses amphétamines et cocaïne. Photo via Wikimedia Commons.

Et votre clientèle ?
Je ne suis plus en contact avec la clientèle depuis une dizaine d'années. Je suis un grossiste ; ça signifie que j'approvisionne mes fournisseurs qui, de leur côté, vont approvisionner les réseaux. Et fréquenter la clientèle.

Quels sont les différents échelons qui constituent le réseau ?
Pour schématiser, l'organigramme se présente comme suit : tout en haut, six têtes, ou parrains. Chacune des têtes possède une dizaine de grossistes. Les grossistes approvisionnent les fournisseurs qui de leur côté, s'occupent des réseaux de deal qu'on connaît. La rue, donc.

Diriez-vous qu'une série comme Breaking Bad est réaliste d'après votre expérience de professionnel ?
Elle l'est en ce qui concerne les guerres de territoire. Mais je ne pense pas qu'il y ait des labos de méthamphétamine géants comme on peut le voir dans la série. En fait, les plus grosses têtes de réseaux en France ont décidé de ne pas introduire la meth. Ils se sont réunis au sein d'une assemblée pour donner leur parole.

La meth peut détruire le marché car c'est une drogue qui rend accroc très vite et qui ne coûte pas cher. Elle est capable de ruiner le business. C'est un business de dealers des pays d'Europe de l'Est.

OK. Qui, au final, est au courant de vos activités ?
À part ma femme et mes amis proches, personne n'est au courant. Les amis de mes enfants ne s'en doutent pas une seconde.

Mazdak est sur Twitter.