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Culture

Sérieux, qu’est-il arrivé à Michael Madsen ?

Même Robert De Niro n'a pas vrillé autant.

Chaque grande période du cinéma américain a connu un acteur jouant à la perfection les rôles de durs à cuire, jusqu'à confondre les plateaux de tournage avec la vraie vie : Bogart, Mitchum, Eastwood, De Niro, Keitel, Rourke. Ces acteurs révélaient le côté sombre de l'existence humaine. Ivrognes, braqueurs irascibles ou assassins à l'écran, ces acteurs dont l'attitude était en adéquation avec celle de leurs personnages semblaient évoluer dans une seule et même sphère qui englobait autant le cinéma que la vie réelle. S'ils n'avaient pas été acteurs, ils auraient fini maquereaux, dealers ou tueurs à gages.

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Tout au long des années 1990 – époque qui, je le rappelle, a vu naitre Keanu Reeves et David Schwimmer – un acteur a poursuivi cette tradition de vrai badass américain mieux que quiconque : Michael Madsen, star ultra-masculine de Reservoir Dogs, Donnie Brasco et La Mutante – mais aussi de Sauvez Willy.

Même au sommet de sa gloire, Madsen n'a jamais joué dans de grands films, mais sa performance en tant que Mr. Blonde dans Reservoir Dogs a durablement marqué les esprits. Mesurant près d'un mètre 90 et pourvu d'un physique de boxeur des années 1940, Madsen était totalement crédible dans le rôle du charmeur psychopathe qu'il jouait sous la direction du jeune Tarantino. Bel homme, mais pas dans le sens d'un mec de pub GAP, il avait toujours l'air de sortir droit d'une cellule de dégrisement, encore à moitié bourré, avec en prime des chaussures de cowboy aux pieds. Si Tom Hanks a incarné l'Américain moyen, Madsen a quant à lui personnifié la folie et la noirceur caractérisant une autre Amérique, celle des romans de Raymond Chandler.

Après Reservoir Dogs, les producteurs se sont mis à faire appel à Madsen. Les réalisateurs qui avaient besoin d'un flic corrompu, d'un mafieux, d'un biker ou d'un mari violent ont tous cherché à l'engager. Il était le digne successeur d'immenses acteurs du passé – et il aurait pu devenir l'un des plus grands.

Le truc, c'est que contrairement à Bogart ou Eastwood, Madsen n'est jamais devenu une légende. Mais il ne s'est pas non plus autodétruit comme Mickey Rourke ou Dennis Hopper, romantiques ayant démoli leur carrière de leur plein gré. Alors que ces grands maîtres ont alterné les films à Oscars et les films à Razzies, les dernières incursions de Madsen sur un écran n'auront jamais leur place au sein du Panthéon de la pop-culture internationale.

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À quel point le mal est-il profond ? Eh bien, Madsen a été vu récemment sur le tournage du dernier clip de Iggy Azalea et Rita Ora chaussé de bottes en peau de serpent, incarnant ce qui semble être un mash-up de l'ensemble des rôles qu'il a interprétés durant sa carrière pour le compte de la plus terrible collaboration que le monde ait connu depuis le gouvernement de Vichy.

Mais ceci est seulement la partie émergée de l'iceberg. Selon lMDb, Madsen est à l'affiche dans 25 longs-métrages qui sont sortis ou sortiront durant l'année 2014. En 2013, le total était de 14, dont As pik, drame monténégrin, ou encore Piranhaconda, film dont le titre ne laisse que peu de doute sur la qualité. L'année 2011 fut relativement calme pour Michael, qui est apparu dans 10 films dont l'incroyable Not Another Not Another Movie. On pourrait lui pardonner ce léger relâchement, sachant que Madsen a tourné une moyenne de 15 films par an sur toute la dernière décennie. Il est sobrement apparu dans 238 réalisations depuis le début de sa carrière.

Afin de mettre tout cela en perspective, jetons par exemple un coup d'œil à la carrière de Robert De Niro, acteur plus âgé que Madsen et qui n'a jamais refusé une occasion d'apparaître dans des films tout pourris. De Niro a joué dans « seulement » 101 films. Harry Dean Stanton, dont la carrière a débuté au milieu des années 1950, ne totalise que 189 rôles. Madsen a joué dans 200 films de plus que Daniel Day-Lewis. Et vous n'avez certainement aucune idée des films desquels je parle, le dernier rôle OK de Madsen remontant à Sin City, paru en 2005, dans lequel il joue trois minutes.

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Madsen, qui représentait autrefois l'Amérique dissidente, est aujourd'hui le symbole de l'acteur qui joue uniquement pour payer ses impôts. Il a même tourné dans des films russophones où son nom a été modifié en Makyl Medsen et dans lesquels son personnage est connu sous le sobriquet d'« Agent » ; dans des films avec Vinnie Jones et Jamelia ; dans des films qui pourraient être réalisés par des ados de 14 ans ; dans des films où il interprète Leo Ibiza ou le Colonel JT Colt. Il a même fait une apparition dans le jeu vidéo de The Walking Dead – mais pas dans la série à succès. Il a pris part en 2012 à une version de Big Brother réservée aux célébrités où il s'est ridiculisé parce qu'il refusait de porter un maillot de bain moulant. Sa carrière est déprimante de A à Z et nous en dit plus sur la distance qui nous sépare des années 1990 que la carrière de Jacques Toubon, autre grand loser devant l'Éternel.

À l'image de Buffalo Bill Cody qui se produisait dans la ville anglaise de Salford pour dévoiler l'Ouest sauvage à des Européens friands d'aventure, Madsen est une relique de l'Amérique, apparaissant de temps à autre pour se faire un peu d'argent sur son passé. Je n'ai vu aucun des films cités précédemment mais je serais surpris que Madsen joue un personnage ayant une autre dimension psychologique que : « Mr. Blonde – mais en espion ! » ou « Mr. Blonde – mais en Russe ! » Fantassin de la nostalgie, laboureur des méandres de l'industrie de l'entertainment, Madsen est une antiquité cinématographique qui attire un spectateur secrètement désireux de le voir retrouver un rôle à la hauteur de celui qu'il incarnait dans Donnie Brasco et sa célèbre séquence du restaurant japonais.

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Pourquoi Michael Madsen a-t-il si mal tourné ? Une suite ininterrompue de mauvais choix semble être l'explication la plus plausible. Il devait à l'origine interpréter le rôle qu'incarne John Travolta dans Pulp Fiction mais il n'a pas pu car il était « trop occupé » à jouer dans Wyatt Earp avec Kevin Costner. Il s'est ensuite retrouvé ruiné au milieu des années 1990 après avoir contracté plus de 500 000 euros de dette. Il a été en rehab à cause d'une addiction à l'alcool. Il a emprunté un million de dollars à Quentin Tarantino. Il a frappé son fils le jour où il l'a vu fumer de la weed. Il est soupçonné d'avoir balancé le scénario du prochain Tarantino à la presse. Pour finir, il a décidé de s'atteler à plusieurs recueils de poésie.

En général, lorsque notre acteur préféré est sur le déclin, nous nous demandons ce qui a pu se passer ; c'est souvent au même moment qu'il reçoit un Bafta ou un Oscar d'honneur. Mais pour Madsen, on peut se demander si quelque chose de positif a eu lieu pour lui ces 20 dernières années. Ce qu'il reconnaît par ailleurs : « Lorsque vous tournez dans ces direct-to-DVD pour gagner un peu d'argent et que vous vous retrouvez à Cannes en face d'un poster gigantesque de vous dans le pire film du monde, vous vous dites : "Mon dieu, dégagez-moi ce truc de là !" » Mais le problème, c'est qu'il déclarait cette vérité IL Y A 10 ANS déjà, et que rien n'a changé depuis.

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S'il est difficile de ne pas se bidonner un coup en jetant un coup d'œil à la filmographie de Madsen dans laquelle s'entrecroisent des trucs tels que Dirty Dealing 3D ou A Cold Day In Hell, je ne peux m'empêcher de penser que la perte d'un tel acteur est d'une toute autre gravité que la disparition relative d'un Kevin Bacon ou d'un Christian Slater.

Madsen est le genre de mec dont le cinéma américain aurait besoin aujourd'hui. Oui, il est toujours en vie et toujours en activité. Dans une industrie cinématographique qui emploie des puceaux de 21 ans prénommés Zach ou Chad pour jouer des gros durs – tous ressemblant par ailleurs à des employés d'Abercrombie – Madsen a pour sa part toujours la carrure pour jouer un manche à couilles susceptible de couper l'oreille d'un flic.

Alors que la valeur artistique de sa période post-Sin City pourrait faire frissonner n'importe quel acteur d'un film de Uwe Boll, Madsen possède toujours la même manière d'évoluer admirable et ce, malgré ses nombreux navets. Il travaille à un rythme stakhanoviste que personne ne semble avoir atteint dans l'Histoire et dilue un peu plus à chaque film les frontières entre mainstream et underground. Madsen vit une vie d'aventures, enchaînant nuits dans des motels sordides et clips de rap sévèrement foireux.

Madsen dans A Sierra Nevada Gunfight (2013)

On pourrait disserter longtemps sur la dimension d'outsider qui caractérise la carrière de Michael Madsen, homme de main ayant passé sa vie dans la Sibérie cinématographique, côtoyant chaque jour jeunes réalisateurs et acteurs ratés, et bâtissant sans relâche une filmographie obscure lui permettant tant bien que mal de lutter contre ses ennuis financiers. Mais lui-même semble n'avoir que très peu de temps à consacrer à tout cela : « Peut-on vraiment dire que l'on se vend quand on nourrit sa famille grâce à ça ? », a-t-il déclaré à la presse récemment.

Et rien que pour cette déclaration, Madsen incarne à merveille cet idéal américain du travailleur honnête et rêveur, que tant d'acteurs ont essayé d'imiter. Madsen est peut-être le dernier acteur totalement américain, non parce qu'il est le meilleur, mais parce qu'il croit dur comme fer dans l'importance de gagner sa vie grâce au cinéma. Il ne se gargarise pas d'avoir trouvé une vague vérité artistique : il gagne de l'argent en jouant dans des films, certes catastrophiques.

L'avenir nous dira si Madsen revient sur le devant de la scène. Il est toujours censé apparaître dans le prochain Tarantino, mais il jouera vraisemblablement le même rôle que celui qu'il incarne dans la dizaine de films auxquels il prend part chaque année. Il aurait également effacé son ardoise de dettes l'année dernière, ce qui ne l'a pas empêché d'incarner le « Président Ben Dover » dans Unbelievable !!!!! en 2014.

J'aimerais que Madsen ait lui aussi son Wrestler. Le problème, c'est qu'il n'a jamais été aussi occupé de toute sa vie. S'il gagne un jour un Oscar, il ira sans aucun doute tourner un film avec Sisqo et Danny Trejo la semaine d'après, après avoir enfilé ses bottes de cowboy et s'être attelé à une nouvelle variante de Mr. Blonde.

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