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L’ascension au pouvoir du Walter White libanais

Un étudiant en ingénierie mécanique m’a parlé de sa reconversion dans la fabrication de crystal meth.

Photo via Wikimedia

Dans l’ère post-Walter White du trafic de méthamphétamine, les stéréotypes sur les fabricants de meth se sont écroulés. Néanmoins, Apo, un nom qu’il utilise pour protéger son identité, ne rentrait pas dans le moule. Il m’a rejoint dans un bar du quartier est de Beyrouth, vêtu d’une chemise rose Ralph Lauren bien repassée. Il avait une apparence soignée et paraissait un peu timide. Son air affable se trouvait à peu près aux antipodes du personnage de Mickey Rourke dans Spun. Le « Walter White du Liban » a accepté de me parler de son expérience, maintenant que de l’eau a coulé sous les ponts depuis son passage en prison.

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Apo a été élevé à 20 minutes de Beyrouth. Il se décrivait lui-même comme « un bon élève – du moins le meilleur de sa famille ». Comme beaucoup d’autres jeunes libanais, il a continué ses études après le lycée et a entamé des étudies en ingénierie mécanique dans une grande université libanaise.

En 2005, après deux ans d'études, la vie d’Apo a changé radicalement de direction. Tout a commencé avec l’émergence d’un réseau de soirées clandestines à Beyrouth. La transe et la house ont débarqué sur la scène musicale libanaise, et comme dans beaucoup d’autres pays, la drogue a suivi – principalement l’ecstasy, la cocaïne et le speed. Le cœur de cette scène musicale se trouvait dans des petits clubs – le «BO18», un vieil abri atomique réhabilité et le « Basement », qui a aujourd’hui disparu – mais aussi dans des lieux plus imposants comme le Forum de Beyrouth et Biel, une scène en bord de mer. Apo et l’un de ses amis (lequel a demandé à se faire appeler Sami) en parlent comme de leur meilleur souvenir de jeunesse au Liban.

Apo et ses amis passaient l'intégralité de leurs week-ends à courir après les filles et à faire la fête. Mais il étaient curieux d'en savoir plus sur les ingrédients qui composaient les drogues qu'ils prenaient. Ils ont fouillé sur internet, avant de se rendre compte qu'ils pouvaient fabriquer de la méthamphétamine eux-mêmes. « C’était le paradis, on ne faisait pas attention aux effets secondaires, m'a raconté Apo. On avait l'impression que ça nous rendait productifs et sympas. »

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Ensuite, ils ont commencé à cuisiner de la meth pour leurs amis. C’était une alternative moins coûteuse que les prix du marché. Apo avait entendu parler d'un Arménien qui fabriquait de la meth, lequel s’était échappé de Yerevan des années auparavant. Mais en dehors de cette histoire, la meth était un phénomène inconnu au Liban. Apo m’a expliqué qu’il lui avait fallu sept mois pour maîtriser l’art de cuisiner la meth. Lui et ses confrères ont acheté du Sudafed à des salles de sport locales, qui le vendaient comme un coupe-faim. Les précurseurs chimiques, qui sont difficiles à trouver en Amérique, ont été achetés aux entreprises qui fournissaient les laboratoires de leur université. Apo et ses amis ont installé des laboratoires de fortunes là où ils le pouvaient, le plus souvent dans les sous-sols des immeubles de leurs parents.

Un jour, Apo et sa bande ont commencé à préparer de la meth dans un des appartements de leurs parents. À la moitié du processus de fabrication, tout a commencé à brûler. Le feu s’est rapidement propagé jusqu’au balcon. L’un de ses amis a attrapé un extincteur pour éteindre le feu, mais le mélange des composants chimiques qui servent à éteindre le feu et les vapeurs de meths ont recouvert l’appartement d’une épaisse poussière blanche. Quelques secondes plus tard, la mère de l’ami d’Apo est rentrée, stupéfaite. Son fils lui a expliqué que c’était une expérience pour l’université qui avait mal tourné. Elle l’a cru.

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Après avoir perfectionné ses méthodes de préparation, Apo et ses amis ont distribué de la meth à leurs amis les plus proches, tout en continuant de faire la fête. Dans un pays où le chômage des jeunes atteint des taux records, Apo avait trouvé son objectif. « J'avais l'impression d'être une sorte d'artiste, de créer quelque chose. »

Son art s’est vite transformé en business. En l’espace de sept mois, Apo et sa bande ont flairé un marché potentiel lorsque les amis de leurs amis venaient toquer à leur porte. D’une fournée toutes les deux semaines, ils sont passés à deux par semaine. S'ils étaient ravis de se faire un peu d'argent facile, ils ont lentement sombré dans la toxicomanie. « On s'est beaucoup amusé pendant un an, puis la paranoïa a commencé à se faire sentir. On manquait de sommeil, on perdait du poids. » Une atmosphere de méfiance s'est installée dans le groupe. Ce qui avait commencé comme « une activité entre amis » est devenu un véritable commerce – lequel s’est étendu bien au-delà de la bande d’Apo. Des Arméniens ont pris part au trafic, et la meth s'est faite de plus en plus fréquente dans le monde de la nuit libanais.

Jusqu'ici, la bande avait réussi à passer à travers les mailles du filet de la police, mais le Liban est un petit pays. Un des clients d'Apo s'est avéré être un informateur de la police. L’informateur est resté silencieux tant qu’il recevait sa came. Mais la paranoïa des associés, renforcée par un manque de sommeil, leur donna l’impression que leur activité devenait incontrôlable. Ils ont commencé à refuser de fournir des gens. À peu près au même moment, Apo a commencé à prendre conscience de l’ampleur de son addiction. Il voulait s’en sortir et s'est rendu à l’hôpital pour devenir clean. Au même moment, l’associé d’Apo avait arrêté de fournir l’informateur, qui est ensuite allé le dénoncer à la police.

Quatre jours après sa sortie de l’hôpital, la police est venu chercher Apo. Il a été interrogé et reconnu coupable, avant d'être envoyé à Rumieh – la plus grande prison du Liban – où il a purgé une peine de quatre ans. Pour un garçon élevé dans la structure traditionnelle de la famille libanaise, la prison était juste une question  d’ajustement. Il lui a fallu six mois pour s’y habituer. Il a pris du Xanax pour contrôler son anxiété mais il était déterminé. «Quand on vous abandonne dans un désert, on se doit de survivre. »

Depuis sa libération, Apo est retourné à l’école pour terminer sa licence. Il m'a expliqué que la police le laissait vivre sa vie et ne prenait même plus de ses nouvelles. S'il n'est est pas fier de ce qu’il a fait, il estime qu'il pourra toujours « raconter cette histoire à [ses] enfants ».

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