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Le Guide VICE de la France

Les jeunes Français se défoncent de plus en plus aux médicaments

Comment notre addiction aux pilules est en train de pousser les kids hexagonaux dans les bras de l'industrie pharmaceutique.

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Pour les petits malins qui pensaient avoir trouvé leur paradis artificiel à portée de pharmacie dans le Mercalm, le Nausicalm et la Nautamine, le couperet est tombé. Ces médicaments, indiqués pour combattre les effets du mal des transports et jusqu'alors disponibles sans ordonnance, ont été radiés de la liste de médication officinale par décision du 13 octobre 2015. Prises en quantité suffisante – au moins 200 mg chez un adulte, soit quatre fois la dose maximale thérapeutique – les molécules actives contenues dans ces pilules provoquent hallucinations, délires, insomnie et somnolence. Tout ce qui attire certains kids en manque de sensations fortes, en gros.

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L'Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT) relève qu'« à 16 ans, 7 % des jeunes Français déclarent avoir expérimenté la prise concomitante de médicaments et d'alcool pour planer ou se défoncer » – un chiffre qui peut paraître à première vue modeste. Comme le fait remarquer de nouveau l'OFDT, « la prise de médicaments psychotropes relève dans la grande majorité des cas de pratiques thérapeutiques ».

Sauf qu'en y réfléchissant bien, ce taux est non négligeable une fois mis en perspective avec le niveau de consommation des drogues illégales – réputées courantes. À l'exception du cannabis, que près de 50 % de ces jeunes ont déjà porté à leurs lèvres, « seulement » 3,8 % des kids âgés de 17 ans ont déjà ingéré de l'ecstasy, et 1,6 % de l'acide.

Il faut dire que les Français adorent les médicaments. En moyenne, ils en consomment 48 boîtes par an et par habitant, et les laissent souvent traîner à portée de vue des adolescents. Une surabondance qui a poussé les sénateurs à se pencher sur la question en proposant en septembre dernier un amendement, finalement rejeté, qui visait « à inciter les médecins à la déprescription ».

Cherchant à comprendre ce qui poussait certains de nos jeunes à gober tout et n'importe quoi pourvu que la défonce soit agréable, je suis allé poser quelques questions au docteur Laurence Lalanne, psychiatre addictologue au CHRU de Strasbourg.

VICE : Pourquoi parle-t-on assez peu de la consommation détournée des médicaments ?
Dr Lalanne : En fait, je dirais qu'on en parle de plus en plus. Plusieurs études publiées dans des revues renommées – comme le New England Journal of Medicine – ont mis l'accent sur la généralisation de la surconsommation médicamenteuse dans la population, même chez des gens qui sont bien insérés. Aujourd'hui, les enseignants en addictologie sensibilisent systématiquement les jeunes médecins et les professions paramédicales à cette problématique.

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Dernièrement, le Mercalm et le Nausicalm ont été radiés de la liste de médication officinale.
Oui, de nombreux produits ont été retirés de la vente libre – certains sirops également. Après, ils demeurent accessibles, les patients étant habitués à les consommer. De plus, il est assez facile de les acheter au noir. Ici, à Strasbourg, le trafic de médicaments avec l'Allemagne est fort – au détriment des patients, qui ingèrent des substances qu'ils ne connaissent pas. Ça peut donner des cocktails très dangereux.

Combien de patients traitez-vous par an ?
Difficile à dire avec précision. Je dois pratiquer 1 200 actes par an. Ma patientèle tourne autour de 300 personnes.

Ce que j'observe, ce sont des jeunes qui ont ingéré des médicaments et qui se rendent compte que les effets ne sont pas du tout ceux qu'ils espéraient. Certains présentent des troubles psychoactifs sévères et durables – des éléments délirants dissociatifs, ou bien un trouble de l'humeur.

Pourriez-vous dégager un profil type d'usagers parmi vos patients ?
Non, ça me paraît impossible. En fonction du produit, les gens consomment de manière tout à fait différente. Dans ma patientèle, on trouve des jeunes de 13-14 ans, mais aussi des personnes de plus de 65 ans.

Par contre, la polyconsommation – l'usage d'un médicament associé à l'usage d'autres produits – est propre aux 15-25 ans. On peut prendre l'exemple des associations de paracétamol-codéine avec des benzodiazépines, du cannabis et de l'alcool.

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L'appartenance à telle ou telle classe sociale ne change rien ?
Non. Quand vous possédez beaucoup d'argent, vous avez très facilement accès aux drogues, c'est une certitude. Mais les individus précaires finissent toujours par se procurer des substances psychotropes eux aussi. Il suffit qu'ils le veuillent.

Voir sa mère ou son grand-père consommer des psychotropes incite les jeunes à ingérer ces mêmes médicaments.

L'usage récréatif des médicaments est-il lié à la difficulté de se procurer des drogues illégales, type MDMA, cocaïne et amphétamine ?
Je ne sais pas si c'est lié à ça. Quand vous avez ressenti des effets euphorisants après l'ingestion d'un produit en particulier, et que celui-ci est facile d'accès, pourquoi iriez-vous chercher ailleurs ?

Les Français comptent parmi les plus gros consommateurs de médicaments. Est-ce un facteur explicatif de cette consommation récréative de la part des jeunes ?
Voir sa mère ou son grand-père consommer des psychotropes incite les jeunes à ingérer ces mêmes médicaments. En France, ces derniers ne sont pas perçus comme dangereux.

Si vous allez en Allemagne, le regard sur les médicaments est tout autre.

Que risque-t-on à ingérer des médicaments pour s'amuser ?
Cela dépend des produits. Certains vont entraîner des vasoconstrictions et des dommages cérébraux conséquents. Il ne faut pas oublier non plus les risques d'overdose et de sevrage, qui peuvent nécessiter une hospitalisation.

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Si vous mélangez des benzodiazépines avec du paracétamol-codéine, vous pouvez souffrir d'une détresse respiratoire, mais aussi d'un problème hépatique grave pouvant nécessiter une greffe du foie.

Ça peut paraître candide comme question, mais pourquoi les jeunes font-ils ça ?
En général, tout le monde s'accorde à dire que certains facteurs environnementaux précipitent le sujet vers la consommation. À l'adolescence, un mal-être peut être à l'origine de comportements risqués. Par ailleurs, certains jeunes sont initiés par des plus grands, dans un contexte récréatif.

Sinon, il est évident que des facteurs génétiques et neurobiologiques interviennent également.

Et qu'en est-il de la prévention ?
Actuellement, on cherche à sensibiliser les médecins aux polyconsommations et aux risques de détournement des médicaments. La prise de conscience quant à la possibilité de développer une addiction à la suite d'un traitement médicamenteux est de plus en plus importante.

Je vois. Merci Docteur.

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