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Drogue

J’ai passé mes vacances à fumer le meilleur haschich du monde

Au lieu de perdre mon temps dans le souk de Marrakech, je suis parti au nord du Maroc pour tenter de percer les secrets ancestraux du kif.

Jusqu'aux années 20, début de l'occupation espagnole du nord du Maroc, Chefchaouen était une ville fermée sur elle-même. En fait, quand les premières troupes sont arrivées, elles y ont trouvé des juifs farouchement opposés au christianisme qui s'exprimaient en castillan ancien, langue qui n'avait pas été entendue dans la péninsule Ibérique depuis 400 ans.

Grâce aux efforts des Espagnols pour démanteler cet héritage culturel, la ville s'est ouverte jusqu'à devenir un lieu touristique prisé. Désormais, les backpackers du monde entier s'y agglutinent pour se prendre en photo devant ses traditionnelles maisons bleues, déguster son fameux fromage de chèvre et, plus que toute autre chose, profiter de sa prospère industrie locale de fabrication de haschich.

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Selon l'Organe international de contrôle des stupéfiants, le Maroc serait, après l'Afghanistan, le deuxième producteur de cannabis au monde. Environ 800 000 Marocains travailleraient dans cette industrie basée essentiellement dans le Rif, une région montagneuse du nord-est du Maroc, là où se trouve Chefchaouen. L'an dernier, la légalisation de cette économie faisait débat au parlement, où un membre de l'opposition a expliqué que son parti espérait légaliser la production de cannabis d'ici trois ans.

Dans une région où tant de gens dépendent de cette source de revenus, cette illégalité pose problème. Cité par le journal The Independant, un porte-parole du parti marocain Istiqlal a déclaré : « Il y a des villages du Rif où vous ne trouverez pas un seul homme. Ils sont soit en prison, soit recherchés par la police. »

L'argument principal des Américains et des Anglais pro-légalisation prévaut aussi au Maroc. Selon eux, la taxation de cette production pourrait contribuer à payer la dette, à couvrir les dépenses consenties à la répression et plus généralement à rendre la vie de tous les acteurs concernés plus simple.

Avec cela en tête, j'ai décidé de me rendre un week-end à Chefchaouen afin de m'y nourrir exclusivement de fromage de chèvre et d'y fumer le meilleur hasch du monde.

Cette dernière idée s'est avérée très simple à réaliser. Si vous n'arrivez pas à chopper à Chefchouen, c'est que vous avez probablement trop fumé. Les Berbères du Rif vous accostent à toute heure de la journée et vous proposent un panel de trucs que vous êtes venus chercher : « Hasch ? Kif ? Filles ? Opium ? » Si vous leur répondez par la négative, ils ne considéreront pas votre refus comme une réponse légitime.

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Je suis venu avec deux amis dont un qu'on pourrait qualifier de « vétéran » de Chefchaouen. À notre arrivée, il a appelé une connaissance qu'il avait rencontrée lors d'un précédent voyage qui nous a programmé pour le lendemain un voyage organisé dans les fermes de hasch des environs. Une fois tout cela organisé, nous sommes montés dans notre chambre d'hôtel – pièce décorée de sorte à ressembler à un paradis du fumeur.

Dans l'hôtel étaient rassemblés des mecs à longue barbe, des filles ornées de bijoux à perles et des pèlerins de la défonce vêtus d'un gilet en peau de mouton. Tous étaient sous l'emprise de la drogue et discutaient de drogues. Il y avait aussi ce couple hispano-nippon qui commençait et terminait chaque journée par un énorme joint et qui passait environ une demi-heure par soir à se brosser les dents dans le noir.

Notre journée du lendemain a débuté de la pire des manières qui soit. Notre guide est venu nous chercher à l'hôtel et nous a expliqué qu'il allait nous montrer d'énormes plans de weed. Alors que nous marchions à ses côtés, un homme l'a attrapé par l'épaule et l'a emmené. Je me suis retourné vers mes amis. « Marche, il est en train de se faire arrêter », m'a dit l'un d'eux. Quand nous avons entendu le tintement des menottes, je me suis demandé si je pouvais faire quelque chose pour lui. Je me suis senti mal, mais je n'étais vraiment pas prêt à passer une journée en cellule. Nous sommes donc rentrés à l'hôtel.

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À notre retour, la réceptionniste nous a expliqué qu'il ne lui arriverait rien. « C'était la police du tourisme et il n'est pas enregistré comme guide, nous a-t-elle expliqué. Ils l'arrêtent tous les jours ; ne vous faites pas de souci. Ils l'interrogeront et lui répondra : "J'ai pas de travail. Vous préférez que je vole ?" »

Notre guide n'est pas le seul dans la galère. Le taux de chômage moyen au Maroc est d'environ 9 % mais s'élève à près de 30 % chez les moins de 34 ans. Ce taux ne serait pas aussi haut si le commerce du hasch devenait légal. Les producteurs seraient obligés de déclarer les quelque 800 000 employés de cette industrie qui pourrait potentiellement créer plus d'emplois à mesure que le marché se développerait.

Alors que nous ressortions de l'hôtel, un autre type nous a approché et proposé de remplacer son collègue. Nous l'avons suivi à travers les montagnes pendant bien 40 minutes, avant de nous arrêter à la mosquée espagnole qui surplombe la ville.

Finalement, nous avons atteint une ferme située au sommet d'une colline. Nous avons été conduits dans une cour où nous nous sommes assis, tandis que des poules picoraient le sol. Elles faisaient un bruit étranger à ceux que font habituellement ces bêtes. « Elles mangent les graines de cannabis, nous a précisé notre guide. Ça les rend tarées. »

Un des ouvriers de la ferme nous a apporté un grand sac de kif – c'est-à-dire du pollen de chanvre récolté sur les têtes de weed – frais du mois dernier. L'homme a pris un bol et l'a recouvert d'un bout de collant, a placé le kif dessus, puis encore un autre tissus au-dessus. Il a ensuite tapoté le tout de sorte à ce qu'une fine poudre se dépose au fond du bol. Le résidu a ensuite été collecté et placé dans une petite poche, qui a été frottée sur un pantalon. Enfin, le hasch était prêt. Le fermier nous a expliqué qu'il fallait environ 25 minutes pour battre un kilo de kif à partir duquel il obtenait 10 grammes de hasch.

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On nous a confié que la production à laquelle nous avions participé serait disponible sur le marché européen dès l'année prochaine. Néanmoins, selon d'autres Marocains, le hasch de Chefchaouen est essentiellement consommé par le marché intérieur.

La ferme que nous avons visitée était une affaire familiale. Pendant que nous fabriquions le hasch, une petite fille joyeuse courait parmi les poules. Cette scène étrange témoignait du fait que l'établissement était tenu et dirigé par une famille établie là depuis 40 ans.

L'économie de Chefchaouen tourne autour de son tourisme et de son hasch. La légalisation de cette industrie n'aiderait pas seulement l'économie locale et nationale, mais pourrait également œuvrer à une meilleure intégration de la région du Rif connue pour son tribalisme berbère et minimiser l'antagonisme des habitants vis-à-vis du pouvoir central.

Cette économie est, au dire des sources locales, une activité remontant au XVème siècle. Récemment, douze policiers ont été accusés de complicité dans un important trafic. Si aujourd'hui la légalisation semble tout ce qu'il y a de plus légitime, il reste très clairement de nombreux obstacles à surmonter.

La décriminalisation du cannabis au Maroc serait une première dans les pays arabes. Sachant que le Maroc alimente déjà depuis un demi-siècle le continent européen en haschich, la question qui se pose alors est : si une société conservatrice – bien que relativement tolérante quand on la compare à celle des pays voisins – légalise complètement le cannabis, comment réagirait l'Union européenne ?

Ainsi, les pressions internationales prises en compte, il semble qu'il y ait peu de chance pour que le produit devienne légal, même si le Maroc a tout à y gagner.

Suivez James sur Twitter : @duckytennent