Comment j'ai été plagié – et humilié

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Culture

Comment j'ai été plagié – et humilié

Plagiat partout et intelligence nulle part : le photographe Guillaume Jolly nous raconte comment il s'est fait tirer son boulot.

Qu'est ce qui rapproche Lautréamont, Houellebecq, et les frères Bogdanoff ? Pas grand-chose, à première vue. Le premier a écrit la meilleure poésie du XIXe siècle, le second quelques bons bouquins au début de sa carrière, quant aux derniers, eh bien, rien à signaler au niveau vraie littérature. Pourtant, tous ont été accusés de plagiat – certains s'en sont revendiqués, d'autres non.

Mais, au-delà de ces quelques cas emblématiques, que se passe-t-il quand un mec moins connu est victime d'un type peu scrupuleux, qui décide de copier ce qu'il a fait sans lui demander son avis ? Afin de répondre à cette question, j'ai contacté Guillaume Jolly, un photographe français bien placé pour savoir ce qu'est le plagiat. Il y a quelques mois, pas mal de médias internationaux et hexagonaux, dont VICE, avaient publié les photos de Max Siedentopf, un photographe hollandais qui s'était amusé à coller des bouts de carton sur des bagnoles. Problème : Guillaume Jolly avait fait la même chose quelques années auparavant – et d'autres avant lui. Après avoir évoqué cela avec Guillaume, j'en ai profité pour lui demander son avis sur l'état du monde artistique et « créatif » français – où tout le monde copie tout le monde, pour résumer.

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VICE : Salut Guillaume. Tu peux me dire ce que ça t'a fait de voir ton travail ?
Guillaume Jolly : Ça m'a dégoûté, vraiment. À l'époque, en 2014, je vivais à Amsterdam et parlais régulièrement de ce projet dans mon entourage – surtout composé de « créatifs » comme Max Siedentopf. Je l'avais déjà exposé lors d'une exposition collective à Nantes. Je ne tenais pas spécialement à le diffuser sur Internet, et c'est là où Siedentopf a débarqué.

Il s'est servi d'Internet pour propager ses clichés. En l'espace de 48 heures, ils étaient partout. Moi, cela faisait plusieurs années que je refusais leur diffusion numérique. De plus, Siedentopf a réalisé une série de 10-12 photos, ce qui correspond à la logique d'un blog. Personnellement, je m'étais contenté d'une série de 3 photos, que je jugeais bien plus intéressante.

J'imagine que son but était de réussir, d'être connu et reconnu – ça n'a pas manqué. Tout est communication et instantanéité, rien de plus.

Tu as essayé de le contacter ?
Oui, sur Instagram. Il m'a répondu avec un smiley.

OK. Pour élargir le sujet, quelle est la différence entre le plagiat et l'hommage, selon toi ?
C'est là toute la complexité de la chose. En ce moment, tout le monde se copie. Ça devient une habitude de création. Ça ne choque plus personne de retrouver cinq fois le même lieu en six mois dans des projets. Tu ne sais plus qui a eu l'idée à l'origine.

Il y a un certain temps, j'ai organisé un shooting à Jussieu. Six mois plus tard, tu pouvais tomber sur des photos similaires, avec une fille dans la même position. Sachant que je suis moins connu que des grosses marques, personne ne réalise que j'étais le premier à dénicher cet endroit.

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En ce moment, la grosse mode, c'est de reprendre les codes des années 1990. Est-ce qu'on se situe dans la reprise de codes vestimentaires, ou dans la copie pure et simple ? C'est difficile à dire. La barrière est infime.

À gauche, le travail de Guillaume Jolly. À droite, une publicité réalisée six mois plus tard.

Cette tendance à copier s'explique également par une absence généralisée de prise de risques, non ?
Clairement. Il y a deux semaines, j'étais à une conférence au cours de laquelle s'exprimait l'ancien directeur artistique de chez Vogue Homme. Il déplorait l'absence de prise de risques dans la mode – sauf dans les magazines indépendants, qui n'ont pas de « budget ». Les grandes marques ou les grands noms vont dénicher les idées dans ces magazines indépendants, et se contentent de les copier.

Je bosse dans la communication, et je sais très bien comment ça se passe. Un type prend un ordi, va sur YouTube, sur le site des autres marques, et plagie ce qui est jugé bien – ça rassure le client, qui peut se projeter. Si on montre à un gros client un shooting fait à Jussieu pour une créatrice inconnue, celui-ci se dit qu'il peut copier sans problème : cette fille ne fera jamais de procès.

Sinon, de nombreux mastodontes matent le boulot des étudiants en école d'art – leur portfolio disponible sur Internet par exemple. J'ai déjà vu des artistes se rendre aux Beaux-Arts pour pomper directement les idées des étudiants.

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Comment ça se passe dans ce cas-là ?
C'est très simple. On organise une réunion avec des étudiants, hyper heureux de côtoyer un D.A. ou un artiste. Les étudiants dévoilent leur boulot et ont un retour. Quelques mois plus tard, ils voient leur travail apparaître dans une pub, un clip, etc.

Tu n'as jamais eu envie d'attaquer quelqu'un en justice, lorsque le plagiat est caractérisé ?
Non, car je n'ai aucun pouvoir. Les gros groupes avec lesquels j'ai bossé m'ont toujours fait comprendre que je perdrais plus d'argent qu'autre chose si je venais à les attaquer. C'est comme ça.

En fait, le problème de la majorité des grosses agences ou des grandes entreprises, c'est l'absence de culture artistique des mecs qui bossent dans le marketing.

D'où vient cette absence de créativité ?
Du marketing. On demande aux gens de pondre des idées dans la minute. Le temps de réflexion n'existe plus, et cela aboutit au plagiat généralisé. Personne ne prend le temps d'être créatif.

Qu'est ce qui te motive encore à créer, alors ?
Le plaisir, tout simplement. Je passe beaucoup de temps sur des projets personnels, même si leur diffusion est confidentielle. C'est comme ça que je m'éclate.

Sinon, tu peux tout à fait te faire 5 000 ou 6 000 euros par mois dans une agence, en échange d'un job inintéressant au possible.

Quelles relations entretiens-tu avec les agences ?
En fait, le problème de la majorité des grosses agences ou des grandes entreprises, c'est l'absence de culture artistique des mecs qui bossent dans le marketing. Un jour, j'ai eu le malheur de dire à des types : « Non mais là, on ne va pas faire du Tim Burton quand même. » Leurs visages se sont illuminés. J'ai fini par copier le style de Tim Burton. Ils payent, ils ont le pouvoir.

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J'ai assisté à des réunions de très grandes marques où les personnes présentes ne connaissaient aucune référence que j'utilisais – et je n'étais pas en train de parler d'art contemporain mais de clips mainstream, ou de films américains à gros budget.

De là découle une homogénéisation de la publicité et de l'art.
C'est ça. Les gens se contentent d'aller sur des sites un peu nazes et de copier ce qu'ils voient. Pas mal de types sortis d'écoles de communication ou de marketing passent leur temps sur Fubiz et pondent les mêmes trucs.

Tu sais, Paris ressemble à Hollywood. Tu croises des gens qui sont là pour réussir et qui y arriveront parce que c'est leur objectif.

À titre personnel, comment as-tu vécu la transition des Beaux-Arts – où tu as étudié – vers le monde professionnel ?
Difficilement, mais il faut l'accepter. Au début, tu baisses ton froc en échange de pas mal d'argent. Tu arrêtes de bouffer des pâtes, donc tu es heureux. Tu te dis que tu fais un truc de merde pendant un mois ou deux, et ça t'assure le reste de l'année – c'est ce que j'ai fait pendant 10 ans d'ailleurs, ce qui me rend totalement critiquable.

Après, je n'ai jamais idéalisé les Beaux-Arts. Les étudiants là-bas veulent surtout devenir des stars, pas des artistes. La reconnaissance l'emporte sur tout le reste. Les professeurs sont dépités, d'ailleurs.

Quel regard portes-tu sur le milieu artistique ?
Tu sais, Paris ressemble à Hollywood. Tu croises des gens qui sont là pour réussir et qui y arriveront parce que c'est leur objectif. Tu trouves des artistes bien plus talentueux à Nantes ou à Toulouse, mais tu n'en entendras jamais parler. Ils n'ont pas envie d'être connus – certains n'ont pas de sites personnels. Ils s'en foutent.

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Est-il possible de « survivre » sans accepter des missions qui consistent à copier le travail des autres ?
C'est un choix. Certains potes à moi vivent dans des squats d'artistes, des endroits autogérés, etc. Quand on se plie à certaines règles, ça permet aussi d'avoir accès à de nombreuses ressources. Là, je vais réaliser un shooting avec des mannequins de l'agence Ford. Je peux donc me faire un peu plus plaisir.

Tout est question de mesure : il faut pouvoir payer son loyer sans produire uniquement de la merde, que tu n'oses même pas publier sur ton propre site.

Es-tu devenu plus exigeant en vieillissant ?
En fait, j'ai choisi de retourner vivre à la campagne pendant quatre ans afin de ne plus avoir à me plier à ces exigences-là. J'ai pu prendre des photos, dessiner, faire de la vidéo. Ce sont ces projets personnels qui m'ont rapporté du travail derrière. Psychologiquement, je me sens mieux, même si mon train de vie a diminué.

Je vois. Merci Guillaume.

N.B. : Suite à un échange tout à fait cordial entre l'auteur et Max Siedentopf, ce dernier a tenu à préciser plusieurs choses. Tout d'abord, sa volonté première était de réaliser une simple blague. Il n'a jamais prétendu créer une oeuvre d'art – et n'a jamais sollicité un quelconque média pour diffuser ses photos. De plus, il ajoute que l'idée d'ajouter des bouts de carton à des voitures remonte à loin, et qu'il n'est qu'un parmi de nombreux autres à avoir réalisé ce geste. Nous tenions à publier son droit de réponse.

N'hésitez pas à faire un tour sur le site de Guillaume.

Romain est sur Twitter.