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Retour à l'employeur

Pourquoi je suis retourné travailler dans la restauration rapide après avoir fini mes études.

L'auteur et ses amis à 16 ans, âge auquel il a travaillé dans un fast-food pour la première fois

« Vous déjeunez sur place ou à emporter ? », vous dis-je avec l'enthousiasme d'un mec qui ne prononce pas cette phrase 120 fois de l'heure.

J'ai 26 ans et je suis équipier polyvalent dans la restauration rapide. J'y vends ma force de travail, mon sourire et ma santé tous les matins à partir de 7h. L'équipe est sympa, la nourriture bio, la clientèle agréable. C'est un job alimentaire dans tous les sens du terme : je paie mon loyer, mes bières et je mange un repas gratuit à heure fixe.

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Le côté ironique de mes méandres de petit smicard, c'est que la dernière fois que j'ai bossé dans un fast-food, c'était il y a exactement 10 ans. Jour pour jour. À l'époque, c'était un job d'été, histoire d'amasser assez d'argent pour partir camper avec des potes. Mais aujourd'hui, décharger des palettes dans une chambre froide, préparer votre pause dej' et laver des centaines de plateaux, c'est mon job à plein temps.

L'industrie de la restauration rapide jouit d'une convention collective très arrangeante qui lui permet de payer ses salariés au SMIC 7 jours sur 7. On est sur le terrain tôt le matin ou tard le soir, dimanches et jours fériés, c'est pas payé double et l'aval de la hiérarchie est nécessaire pour aller aux toilettes. Soyons francs, c'est vraiment un job de merde. Ce n'est pas moi qui le dit – ce sont vos sourires crispés quand vous découvrez ce que je fais dans la vie. Le seul avantage, c'est qu'entre deux coups d'œil à l'horloge, on a beaucoup de temps pour réfléchir. J'en profite pour faire le point en faisant vos sandwichs.

Tout avait pourtant bien commencé pour moi : une licence en France, une à l'étranger suivies de deux bons masters, un CV attractif et un job de rêve. Mais quelque chose a foiré. Et aussi bizarre que cela puisse paraître, je ne regrette rien. J'ai fait des choix. Ce ne sont pas les plus rentables, ni les plus rationnels. Personne n'aime l'odeur de friture et les fiches de paie à trois chiffres. Mais qu'est ce qu'on fait en temps de crise ? On s'accroche aux dernières certitudes qu'on a.

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Dans les couloirs feutrés du capitalisme hexagonal, on assiste à des choses vraiment dérangeantes d'un point de vue éthique ou tout simplement humain.

C'est lors de ma longue carrière de stagiaire dans la jungle de la communication parisienne que je me suis rendu compte qu'il y avait un problème. Tout le monde avait l'air content d'être là, à faire semblant de bosser sans compter ses heures. J'ai vite compris que le monde de l'entreprise et des adultes responsables, ça ne serait jamais vraiment mon truc. Je n'ai jamais su faire semblant. Travailler en France se résume souvent à sourire, dire beaucoup de banalités et jouer à bosser plus tard que les autres. Finalement, le secret de la réussite socio-professionnelle, c'est d'être d'accord avec sa hiérarchie en attendant son tour sans remettre en question la productivité de ses collègues. Des années de patience, de collaboration avilissante et de petits coups dans le dos. Mais comme on s'adore, on se prend un drink en afterwork. Non, l'accès à la responsabilité ne se joue pas forcément au talent ou au travail. Il est dilué dans un mauvais mélange d'ancienneté, d'esprit corporate et de promotion canapé.

Dans les couloirs feutrés du capitalisme hexagonal, on assiste à des choses vraiment dérangeantes d'un point de vue éthique ou tout simplement humain. Je pense à ces réunions où l'assemblée glousse aux non-blagues du boss. Ces boss refusant de saluer leurs équipes. Ces équipes humiliant « la stagiaire » en oubliant son prénom tous les matins pendant six mois. Ces stagiaires enchaînant les contrats précaires tout sourire dans l'espoir de grappiller les miettes de la fosse à juniors. Ces armées d'esclaves sous Séroplex investis à 200 % dans le fromage industriel, les contrôles techniques ou l'eau en bouteille. Nous ne sommes que les rouages d'un système qui saura nous remplacer dès que la coke et les tickets-resto ne suffiront plus à nous soulager du poids de la conscience.

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Article associé : Notre culture du travail est en train de nous tuer

Nous sommes de plus en plus nombreux à ne pas nous reconnaître dans le modèle qu'on nous impose. Ce qui me désole le plus, c'est que beaucoup d'entre nous acceptent les règles du jeu pour s'offrir des bagnoles, obtenir des promotions ou partir en week-end à Deauville. La consommation a étouffé toutes velléités de contestation pendant que les salaires de misère – et la peur de les perdre –, suffisent à acheter notre silence tout en instaurant une compétition malsaine sur le terrain. On a beau jouer les libertaires indépendants sur Internet, nous sommes encore trop lâches, individualistes et irresponsables pour remettre en cause le mode de vie que l'on nous fait miroiter. Sous la pression de la précarité, certains ont déjà plié. Danser dans la grande farandole des apparences et savoir se vendre. Voilà ce que l'histoire retiendra de nous, la dernière génération de travailleurs occidentaux n'était qu'un ramassis de vendus. Et en plus on est en solde.

On enchaîne les demi-journées de freelance, au petit bonheur la chance quand nos parents signaient à vie dans la fonction publique. L'écart se creuse entre les castes. Pour beaucoup de jeunes, le chômage n'est plus une mauvaise passe, c'est devenu un putain de lifestyle. Bosser le temps de toucher les aides. Pour combien de temps le hold-up du système social parviendra encore à masquer l'ampleur des dégâts ?

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Quoi qu'il arrive, j'ai le sentiment que nous sommes à genoux. Nous sommes les pertes résiduelles de l'aventure moderne. La zone grise qui fera tampon entre l'opulence de nos parents et la déchéance des mômes qu'on n'aura jamais. Nous sommes les prémices de la défaillance de l'humain en tant que facteur économique. L'espoir du changement politique n'est qu'une vaste blague. Ce n'est pas en passant l'indemnité de stage de 436 à 479€ qu'on paiera nos loyers à Paris. Mais c'est vrai, nous avons l'insolence de ne pas vous remercier. Petits enfoirés gâtés que nous sommes.

On tombe du haut de nos illusions. Nous avons cru aux promesses de cette société, à celles de nos hippies de parents, aux pubs et à l'école républicaine. Tout le monde nous avait dit qu'on serait heureux. Qu'on suivrait nos rêves, qu'on se réaliserait dans nos passions ou qu'on deviendrait tous entrepreneurs bio 2.0. La triste vérité, c'est qu'aux alentours de 25 ans, on se rend compte que nos vies se résumeront à payer des loyers hors de prix pour être en forme pour aller bosser.

L'uniforme de travail de l'auteur aujourd'hui

J'ai complètement conscience de faire passer mes échecs pour un choix de vie. Je pensais trouver un boulot qui me passionne et changer le monde. J'étais plein de bonne volonté et je me retrouve là, à pourrir dans les entrailles de la grande métropole, à courir entre deux premiers métros pour être à l'heure à la pointeuse.

Mais d'un point de vue personnel, je préfère vendre mes bras et mon dos que de faire de concessions sur ma personnalité ou sur mon éthique. Ne pas dépendre d'un job et d'une hiérarchie m'a paru primordial. C'était ça ou l'explosion de mon système de valeurs. J'ai choisi de ne pas baisser la tête pour m'intégrer. Quand on rate lamentablement son intégration dans le monde des adultes, on a tendance à chercher des coupables : les managers sadiques, les bullshit jobs, l'esprit corporate et ce qu'il a fait de nos rapports sociaux, les médias, la crise, Joey Starr, ou le coût de l'emploi et la compétition malsaine qu'il instaure sur le terrain. Mais au fond, j'ai toujours su que le seul coupable, c'était moi, et mon obstination à rester fidèle à ce que j'ai toujours été : un petit con immature qui emmerde tout le monde.

Je préfère la voie de la galère à celle de la collaboration. Je prends les jobs de merde où la question de l'intégrité intellectuelle ne se pose pas. Je me tire quand j'estime que ça craint. C'est le meilleur compromis que j'ai trouvé pour payer mon loyer sans m'abaisser humainement. Je n'irais pas jusqu'à dire que je me sens bien dans cette situation précaire, mais je suis fier de suivre mes idées. Finalement, c'est peut être ça la liberté, se réserver le luxe de vous dire d'aller niquer vos mères – en vous souhaitant un bon appétit.

Wyatt ne s'appelle pas vraiment Wyatt. Il est sur Twitter.