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Drogue

Le Dealer de la « Mafia hippie » qui s’est battu pour légaliser la weed

Baron de la drogue, romancier, éleveur de chevaux : Richard Stratton nous a parlé de ses multiples vies.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Richard Stratton

Alors que le cannabis se popularise de jour en jour, il en va de même pour les légendes de l'histoire culturelle de la weed. Smuggler's Blues, les mémoires de Richard Stratton publiés le 5 avril chez Arcade Publishing, raconte l'histoire d'un garçon qui rejoint la révolution culturelle des années 1960, s'immergeant dans le milieu du cannabis et devenant par la même occasion un baron de la drogue.

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Entre les années 1960 et 1980, Richard Stratton a transféré des milliers et des milliers de kilos de weed et de haschich en bateau et en avion à travers les eaux internationales, s'érigeant ainsi comme l'un des leaders de la « Mafia hippie ». À une époque, il fournissait des échantillons au magazine High Times pour une colonne de tests mensuels – il a ensuite écrit pour eux, avant de devenir leur rédacteur en chef pendant un temps.

« J'ai toujours mené deux vies différentes », explique-t-il à VICE. « Je disais aux gens que je vendais de la weed pour pouvoir écrire », ce qui n'est pas difficile à croire. Stratton se faisait entre 3 et 5 millions de dollars par coup. En rencontrant des figures aussi diverses que le romancier Norman Mailer (avec qui il a co-géré une ferme d'élevage de chevaux pendant un moment) et le célèbre gangster Whitley Bulger, Stratton a souvent oscillé entre le monde de la criminalité et celui de la littérature.

Stratton a écopé d'une peine de 25 ans à cause d'une descente en 1982, et a utilisé son temps pour écrire un roman intitulé L'Idole des camés. Il est également devenu avocat de prison, sa peine a été réduite et il a été libéré après avoir purgé une peine huit ans. Il a profité de son succès pour écrire pour Esquire, Playboy et GQ. Il a également été consultant pour la série Oz sur HBO et a fondé Prison Life , un magazine de courte durée mais très influent au milieu des années 1990. Dans Smuggler's Blues , il raconte son histoire dans toute sa splendeur pour la première fois. Je lui ai passé un coup de fil pour qu'il m'en dise plus.

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VICE : Comment es-tu entré dans le monde de la drogue et depuis quand vends-tu du cannabis et du haschich ?
Richard Stratton : J'étais à l'université d'État de l'Arizona dans les années 1960, et j'ai commencé à faire du trafic de weed du Mexique aux États-Unis, en la cachant derrière le panneau de porte du camion de mon colocataire. Mes activités de hors-la-loi ont bien duré 15 ans, à partir du milieu des années 1960 jusqu'au début des années 1980 – quand je me suis fait arrêter. Nous avons déchargé une énorme cargaison de weed d'un ravitailleur colombien au large de la côte du Maine. Nous avions aussi un avion DC6 qui s'était écrasé, mais nous avons réussi à sauver 12 700 euros de weed de l'avion avant que les flics ne débarquent.

Je me suis fait arrêter quelques jours après que toute cette marchandise a été expédiée hors de l'État aux distributeurs, soit un total de plus de 40 tonnes. La DEA est arrivée avec un jour de retard. J'ai passé la nuit en prison, je suis passé au tribunal le lendemain et j'ai payé une caution de 250 000 dollars. Quand il est devenu évident qu'un des types avec qui je faisais affaire en savait trop et allait témoigner contre moi, je suis devenu fugitif.

Pendant combien de temps as-tu été en fuite – et qu'as-tu fait pendant tout ce temps ?
J'ai été en cavale pendant presque deux ans. À ce moment-là, je suis parti au Liban et j'ai réussi un gros coup – j'ai fait entrer 15 000 euros de haschich dans le port du New Jersey.

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Pendant tout ce temps, Bernard Wolfshein, un agent de la DEA, me pistait. Ils avaient mis en place une unité CENTAC, qui regroupait les agences du FBI, de la DEA et de l'IRS autour de notre famille appelée la « Mafia Hippie » – un réseau de dealers de marijuana et de haschich, ainsi que des groupes qui fabriquaient et dealaient des psychotropes.

Le livre s'ouvre sur le crash de l'avion dans le Maine, est suivi de mes expériences de fugitif au Liban, et se termine dans le hall du Sheraton Senator Hotel avec l'agent Wolfshein qui orchestre mon arrestation à l'aide d'une petite armée d'agents de la DEA, de gendarmes américains et de flics de Los Angeles.

Peux-tu m'en dire un peu plus sur Wolfstein, l'agent de la DEA qui t'a serré ?
Quand je me suis fait arrêter, il y avait un agent de la DEA impliqué dans mon affaire qui est devenu un personnage principal dans mon livre. C'était un peu une histoire à la Arrête-moi si tu peux, qui met en scène deux personnes, un agent et un hors-la-loi, et l'évolution de leur relation.

La première fois que j'ai été arrêté après le coup du Maine, j'ai fait l e chemin jusqu'à Portland avec l'agent. Pendant le trajet, lui et moi avons eu une discussion très intéressante sur la guerre contre la drogue, en particulier la guerre contre la weed.

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Quelle était ton implication dans le monde littéraire quand tu dealais ?
J'ai toujours mené deux vies différentes. Je disais aux gens que je vendais de la weed pour pouvoir écrire. J'ai rencontré Norman Mailer quand j'écrivais pour le Fine Arts Works Center . À ma sortie de prison, j'ai travaillé pour la Fortune Society, une organisation new-yorkaise venant en aide aux personnes sortant de prison. Ils avaient une publication appelée Fortune News pour laquelle j'écrivais.

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J'ai aussi pris part au lancement du magazine Prison Life avant d'en devenir le rédacteur en chef. Le contenu du magazine était entièrement rédigé et illustré par des gens qui étaient ou avaient été en prison, donc c'était directement tiré de nos expériences personnelles. Nous organisions un concours annuel, Art Behind Bars, pour les artistes, les poètes, les essayistes et les auteurs de fiction, afin de publier le travail des gagnants.

Dans quelle mesure as-tu participé à la création de High Times ?
High Times a été fondé par Tom Forcade, un mec avec qui j'ai travaillé et qui dealait aussi. Nous avons fait affaire ensemble. Tom était un type brillant impliqué dans le mouvement underground de la presse. Le mouvement de la marijuana et la presse underground étaient étroitement liés. Tom en était une figure centrale.

Aux débuts du magazine, mon travail consistait surtout à ramener des produits à photographier pour les pages centrales du mag et à écrire des articles. J'étais dealer à plein temps à l'époque, donc ma participation au processus éditorial était limitée. Plus tard, j'ai fait office de rédacteur en chef et de directeur de publication.

Les premières années du magazine High Times ont conduit à une transformation : Mick Jagger en a fait la couverture, tout comme Truman Capote. J'ai fait une interview avec Mailer. L'idée était d'examiner comment la consommation de marijuana influençait les mouvements culturels et politiques à travers le monde.

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Donc la contrebande n'était pas qu'une question d'argent ?
Si la marijuana n'avait pas été illégale, je ne serais jamais devenu un criminel. Ma première motivation était politique et culturelle – pas criminelle. Je ne cambriolais pas de banque, je ne faisais pas dans l'extorsion, je ne distribuais pas non plus de drogues dures comme l'héroïne ou la cocaïne – même si j'ai souvent eu l'opportunité de vendre ces drogues pour me faire de plus gros revenus. J'étais un hors-la-loi qui brisait de nombreuses lois que beaucoup croyaient mauvaises, hypocrites, et bien plus destructives que la plante en elle-même.

Ma motivation principale était de garder l'Amérique défoncée et de défier les lois antidrogue du gouvernement pour leur prouver qu'elles étaient mauvaises et malhonnêtes. Nous étions des activistes ; nous avons réalisé que le gouvernement nous mentait au sujet de la weed, et cela nous a poussés à ne plus croire ce qu'ils nous disaient sur les races, sur la guerre du Vietnam, sur les meurtres politiques, et sur la guerre anti-drogue. Et, finalement, il a été prouvé que nous avions raison et qu'ils mentaient au peuple américain au sujet de la weed, de la guerre du Vietnam, des races – tout est lié.

Que représente pour toi la marijuana dans ce contexte, après être allé en prison et avoir constaté qu'elle devient légale dans certains États ?
Je pense que la marijuana libère les pensées – elle ouvre l'esprit. Les gens se défoncent et leurs idées préconçues sur la vie changent soudainement. Certaines personnes deviennent parano, d'autres deviennent créatives, mais elles changent toutes d'attitude. Le cannabis est une plante mystérieuse qui entretient une relation compliquée et importante avec le genre humain.

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Pour moi, la légalisation de la marijuana est une bonne métaphore de la démocratie américaine en action. C'est une métaphore de ce que signifie vivre dans une démocratie participative – en tant qu'Américains, nous avons l'obligation de remettre en question l'autorité ; en tant que personnes, en tant que pays, nous ne pouvons pas tout simplement accepter tout ce que nous dit le gouvernement.

Le mouvement de la marijuana dans ce pays est devenu un exemple massif de désobéissance civile et criminelle : des millions de gens consomment cette plante déclarée illégale par le gouvernement. À cause de cela, beaucoup d'États ont dû changer leurs lois. Pour moi, cela montre comment fonctionne la démocratie américaine.

Quel est l'héritage culturel laissé par les dealers de cannabis à grande échelle comme toi ?
Il y a beaucoup de jeunes gens qui ont grandi dans ce pays depuis les années 1980 et qui ne savent pas à quel point notre manière de voir le cannabis a radicalement changé. Ce livre raconte l'histoire des premières années de ce qui est devenu une révolution culturelle.

C'est pour aider les lecteurs à comprendre comment nous en sommes arrivés là. Je pense que ça a de la valeur pour les jeunes qui ne connaissent pas cette histoire, qui ne savent pas ce que c'était de vivre pendant ces années folles et intenses de l'histoire du cannabis. Ils ne savent pas comment le cannabis est devenu populaire dans ce pays. Il est devenu populaire parce que certaines personnes étaient prêtes à risquer leur vie et leur liberté pour maintenir l'Amérique défoncée.

Est-ce que les jeunes d'aujourd'hui sont sensibles à ton travail ?
À chaque fois que je fais des lectures du livre, ou des discours sur ce que j'appelle « la guerre contre les plantes », c'est toujours des gosses de 20 à 30 ans qui posent des questions et veulent en savoir plus. C'est un peu par nostalgie d'une époque différente en Amérique.

Ils veulent savoir comment c'était avant, quand des bateaux et des avions remplis de weed arrivaient quotidiennement, avant que la culture à la maison ne change la dynamique. Aujourd'hui, le cannabis est cultivé dans les 50 États. Le livre parle d'une période ou les drogues, le sexe et le rock and roll ont changé le pays.

Smuggler's Blues est disponible chez Arcade Publishing.