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Une Française fait de l'art avec vos poils

L'artiste Isabelle Plat fabrique pénis, robes et monochromes grâce à votre pilosité.
Photo de couverture : Monochrome psychologique aux cheveux de Bruxellois

L'homme de 2015 est-il condamné à porter une barbe bien taillée ? C'est en tout cas ce que nous prédisent les magazines à longueur de journée, et ce que nous annonçait TNS Sofres dès 2012 par l'intermédiaire d'un sondage dont l'institut a le secret. Cette propension à la maîtrise extrême de votre pilosité faciale s'accompagne d'un rejet de plus en plus radical du poil dans sa globalité, qu'il soit sur votre dos, le long de vos cuisses ou autour de votre anus.

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Si la pression sociale pousse pas mal de femmes à s'épiler depuis des dizaines d'années, le diktat de « l'immaculé » touche de plus en plus d'hommes aujourd'hui – et des zones de plus en plus intimes. Alors qu'en 1945 on tondait les amantes des Allemands pour les humilier, le XXIe siècle semble sonner le glas de la pilosité humaine – l'unique foyer de résistance étant vos cheveux, que le XXIIe siècle clouera peut-être au pilori.

C'est face à ce rejet du poil dans l'inconscient collectif que l'artiste Isabelle Plat a entrepris de créer des œuvres diverses à partir de ce matériau devenu intolérable. En voulant mettre le doigt sur les raisons qui expliquent le désamour entre l'être humain et le poil, elle interroge notre rapport à ce qui est laid, ce qui pue – ce qui, aujourd'hui, n'a plus droit de cité. C'est pour en savoir plus sur son travail que je me suis rendu à son atelier, dans le 13e arrondissement parisien.

L'infini du cheveu, aux cheveux de Bruxellois. Toutes les photos, hormis le cloporium, sont de Rebecca Fanuele.

VICE : Pourquoi avoir choisi des poils et des cheveux pour créer vos œuvres ?
Isabelle Plat : Mes œuvres sont ce que j'appelle des « sculptures d'usage ». Celles-ci questionnent l'utilisation possible d'une œuvre par l'être humain, tout en interrogeant sa dimension politique – c'est le cas de la célèbre chaise en forme de femme d'Allen Jones. C'est à l'intérieur de ce cadre que je me sers « d'objets d'appartenance » pour interroger le rapport entre un individu et son environnement. C'est pour cela que je me suis servi de vêtements par le passé, et aujourd'hui de cheveux. J'ai réalisé qu'un cheveu était un matériau vivant même après sa séparation du corps humain – on peut retrouver l'ADN d'une personne dans un cheveu des années après, c'est fascinant. Ça prouve que le cheveu relève du domaine de l'intime.

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Une intimité souvent gênante pour certains.
Oui, c'est d'ailleurs sans doute pour cela qu'on se coupe les cheveux et qu'on s'épile – je vous rappelle qu'en anglais, on utilise le même mot, « hair », pour un poil et pour un cheveu, ce qui prouve leur similarité. Selon moi, le cheveu ramène l'homme à son animalité, à un état de nature que l'on veut voir disparaître.

Le diktat de la jeunesse éternelle, qui met sous pression une partie de la société, pousse à éliminer le poil du corps humain.

Cette animalité demeure présente dans la question du sexe. D'ailleurs, vous pouvez m'expliquer le pourquoi de la « chaussette pour hommes », qui a la forme d'un pénis.
En fait, j'ai simplement voulu créer un vêtement pour un organe qui n'en a aucun de spécifique.

Monochrome psychologique aux cheveux de Bruxellois

Je vois. La question du cheveu est-elle anecdotique selon vous ?
Non, je ne crois pas. Il n'y a qu'à voir avec quel soin de nombreuses personnes manipulent les cheveux – qu'il s'agisse d'artistes ou de coiffeurs. On fait appel à une délicatesse naturelle, presque inconsciente, comme si on avait en face de nous une matière précieuse.

Je vais vous raconter une anecdote qui prouve que les cheveux sont loin d'être insignifiants aux yeux des gens. Récemment, j'ai exposé certaines de mes œuvres à Bruxelles. Eh bien, certains spectateurs sont venus me voir en me reprochant d'utiliser des cheveux et en établissant un parallèle entre mon travail et les exactions des nazis dans les camps de la mort – ce qui est un contresens ! C'est absurde, car les personnes concernées ont donné leurs cheveux avec plaisir.

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Pourtant, on pourrait croire que le cheveu est inutile, un peu comme l'appendice ou les circonvolutions internes de l'oreille.
Je suis loin de penser ça. Les scientifiques qui s'intéressent à la pilosité affirment que le poil est essentiel, car il permet de réguler la température de l'organisme. C'est une interface entre le corps et l'environnement. L'épilation intégrale et définitive est d'ailleurs peu conseillée.

C'est pourtant une pratique généralisée chez les femmes et de plus en présente chez les hommes.
Oui, c'est manifeste. Et le port de la barbe, extrêmement tendance, ne va pas à l'encontre de ce mouvement, bien au contraire. Ce phénomène de mode, avec ses codes, traduit encore un peu plus la volonté qu'a l'homme de dominer la Nature.

Oui, ce qui n'est pas agréable au niveau sensoriel est systématiquement rejeté.
Tout à fait. Si la mode évolue, des constantes demeurent. Le poil est jugé « laid » parce que trop animal. De plus, le diktat de la jeunesse éternelle, qui met sous pression une partie de la société, pousse à éliminer le poil du corps humain.

Certaines femmes s'y opposent en conférant à cette lutte une dimension « politique ».
Je trouve ces femmes très courageuses. Elles mettent en lumière des impératifs qui aliènent de nombreuses personnes.
Depuis la Préhistoire, nous essayons de nous protéger de la nature, mais le XXème siècle a été celui de la rupture. Nous avons mis l'équilibre écologique en péril, et c'est aux sociétés du XXIème siècle de régler ce problème. La question du poil ne résout rien, mais aiguise la pensée.

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Cloporium, photo publiée avec l'aimable autorisation d'Isabelle Plat

Par le passé, vous avez imaginé un « cloporium » pour l'Université de Nancy, un lieu qui rassemblerait les jeunes en train de fumer. Y a-t-il un lien entre ce projet et vos œuvres en cheveux ?
En ce qui concerne le « cloporium », l'Université avait lancé un concours pour mettre en place un lieu réunissant les étudiants afin qu'ils ne fument pas n'importe où. Ce qui m'intéressait, c'était de représenter la relation entretenue par certaines personnes avec leur propre corps, notamment entre l'intérieur et l'extérieur de l'organisme. J'ai donc créé une série de sculptures de poumons qui peuvent paraître sains au premier regard mais qui, au final, servent de cendrier. Une relation se crée entre la sculpture et l'individu : c'est la logique qui parcourt toutes mes œuvres.

J'ai toujours eu envie d'intégrer l'art dans la vie de tous les jours, que le spectateur puisse s'impliquer physiquement avec mes œuvres. Une sculpture d'usage favorise la geste du spectateur et permet de dépasser la première lecture faite par le regard. L'expérience visuelle se prolonge dans l'expérience corporelle.

En parlant d'implication, on reproche souvent à l'art contemporain son côté « second degré », méta, qui nécessite des connaissances en histoire de l'art pour pouvoir l'appréhender.
Je suis persuadé que de nombreux artistes contemporains ne veulent pas être compris. Ça leur donne l'impression d'appartenir à une caste de spécialistes composée de critiques et de collectionneurs. Personnellement, je refuse ce jeu social élitiste.

Certaines de vos œuvres ressemblent à des peaux de bêtes datant de la préhistoire. C'est un hasard ?
Oui, mais la ressemblance existe, c'est vrai ! Récemment, un livreur est tombé nez à nez avec l'une de mes fabrications en cheveux et m'a demandé de quel animal il s'agissait. J'ai simplement répondu qu'il s'agissait de l'animal humain.

Romain est sur Twitter.