Les étranges meurtres de la réserve indienne de Spirit Lake

FYI.

This story is over 5 years old.

News

Les étranges meurtres de la réserve indienne de Spirit Lake

Travis DuBois Junior et sa sœur Destiny Shaw, âgés de 6 et 9 ans, se sont fait assassiner par leur babysitter.

La maison où les meurtres ont eu lieu. Photos de Matthew Leifheit

C'est une maison préfabriquée en plastique gris. Ses fenêtres sont recouvertes d'une autre couche de plastique censée diminuer les factures de chauffage – un effort futile ici à Saint Michael, dans le Dakota du Nord, où les journées à -20 degrés sont fréquentes en hiver. L'ado qui m'ouvre la porte semble méfiant et fatigué. Il a des raisons de l'être : deux hommes sont chez lui et lui demandent s'il s'agit bien de la maison où tout s'est passé.

Publicité

« Oui, c'est bien cette maison », nous a-t-il dit.

Les violents assassinats de Travis DuBois Jr. et de sa sœur, Destiny Shaw, auraient fait les gros titres s'ils s'étaient déroulés ailleurs. Mais à Saint Michael – l'une des quatre petites villes de la réserve indienne de Spirit Lake –, les informations sortent au compte-gouttes. Et, même quand la nouvelle de leur mort a atteint le monde extérieur, seuls les journaux locaux en ont parlé. Néanmoins, d'autres décès d'un genre similaire et des problèmes avec le service de protection de l'enfance de Spirit Lake ont suscité une légère attention des autorités fédérales, avant de finalement attirer l'attention des médias nationaux.

Désormais, quatre ans après le crime, la mort de ces deux enfants représente le début de quelque chose. La fin – si il y en a une – reste à découvrir.

Foyer de la tribu Sioux Sisseton-Wahpeton Oyate, Spirit Lake est un dédale de routes mal démarquées qui se courbent à travers les collines et les prairies. Les paysages sont magnifiques. Définir Saint Michael ou un autre des trois villages de Spirit Lake comme des villes serait un peu exagéré. Si on veut aller au fast-food, prendre de l'essence ou faire des courses, il faut rejoindre Devil's Lake, ville de 7 256 habitants située à un quart d'heure de route. Spirit Lake, qui dispose certes de quelques aménagements modernes, reste protégée du monde extérieur et héberge un petit peu plus de 6 000 personnes.

Publicité

« C'est un endroit où on n'aime pas que les gens fouinent », m'a expliqué un ami et reporter de longue date dans la région, avant que je prenne la route avec Matthew Leifheit, photographe de VICE.

Nous étions là pour fouiner, je suppose.

Dans le centre de loisirs de Saint Michael, des enfants posent devant les photos de délinquants sexuels qui vivent dans la réserve de Spirit Lake.

Destiny et son frère Travis, plus connu sous le nom de « Baby Trav », sont les enfants de Mena Shaw et Travis DuBois, un pompier de la réserve. La relation qu'entretenait à l'époque le couple était déjà compliquée – ils étaient séparés au moment de la mort de leurs enfants. Destiny et Baby Trav ont passé du temps aux domiciles de leurs deux parents, tout comme leurs frères et sœurs. L'un d'eux, Stephon, le petit frère de Destiny et de Baby Trav, était à la maison au moment des meurtres. L'enfant a été épargné par leur cousin de 18 ans, Valentino « Tino » Bagola, qui purge maintenant deux condamnations à perpétuité pour son crime. Tino a poignardé Destiny et Baby Trav, âgé de 9 et 6 ans, d'une centaine de coups de couteaux le 18, 19 ou 20 mai 2011. Le jour exact des faits n'est pas connu car, pendant ces trois jours, leur père Travis était complètement bourré à la Budweiser et leur mère Mena était absente.

Travis DuBois a réagi d'une bien étrange façon quand il a appris la mort de ses enfants. L'avocat de Tino, Christopher Lancaster, l'a d'ailleurs rappelé lors du procès de son client, en septembre 2013. Travis « se tenait sur la porte d'entrée en silence », a expliqué Lancaster au jury. « Il aurait pu exploser devant l'afflux d'émotions ou péter un câble et chercher à venger la mort de ses enfants, selon l'avocat, mais il ne l'a pas fait. Au lieu de ça, Travis DuBois Sr. est sorti de la maison et s'est enfui. »

Publicité

Les flics l'ont retrouvé dans un cimetière voisin, caché entre les tombes.

Pendant un peu plus d'un an, l'histoire est restée la même. Travis, dans ce qui serait plus tard jugé comme des aveux forcés, avait affirmé au FBI qu'il avait tué ses enfants. « Je l'ai fait. Personne d'autre ne l'a fait », avait-il expliqué, comme l'a répété Lancaster lors des deux semaines du procès de Tino. Plus tard, Travis a affirmé qu'il avait avoué parce qu'il était en état de choc, et parce que sa cuite de trois jours lui avait laissé très peu de souvenirs. Comme il le dirait plus tard aux agents du FBI Brian Cima et Michael Smotrys, sa mémoire est revenue au moment où Mena est sortie de la chambre, avec le corps raide de Baby Trav dans les bras.

Mais après plus d'une dizaine d'heures d'interrogatoire, Travis a élaboré une autre stratégie.

« Je ne vous dirai plus ce que vous voulez entendre », a-t-il affirmé aux agents.

En juillet 2012, les agents Cima et Smotrys ont commencé à s'intéresser à Tino. Les résultats d'un labo du FBI de Quantico, en Virginie, leur étaient revenus : l'ADN de Tino avait été trouvée sous les ongles de Destiny. Quand Cima et Smotrys sont arrivés à Spirit Lake le 12 juillet, Tino était en prison pour vol. Le trio a passé la nuit du 13 à s'entretenir dans le centre de correction de Grand Forks County, là où il était détenu. Le 16, les agents ont eu ses aveux.

« J'ai commencé à baiser Destiny puis je l'ai poignardée et laissée là », a expliqué Tino dans une série de trois confessions écrites à la main qui, jusqu'à ma requête, n'avaient pas été rendues publiques. « Puis, j'ai jeté Baby Trav sur le sol et j'ai commencé à le poignarder. Je suis désolé pour tout ce qui est arrivé à ces enfants. »

Publicité

Selon l'accusation, le motif était simple. Tino faisait du babysitting pour Travis quand Mena était absente. Outre sa relation querelleuse avec Travis, Tino a appris que l'homme le payait moins que les filles de Mena. Cela a mis Tino en rage et, plutôt que de s'en prendre à Travis, il s'est tourné vers les enfants.

« J'ai poignardé Baby Trav sans m'arrêter. Puis je lui ai coupé la gorge et je l'ai laissé se vider de son sang, écrit-il dans sa confession. J'aurais dû attendre que Travis revienne à la maison. »

Tino Bagola en prison. Photo de Justin Glawe

Quand j'ai rendu visite à Tino à la prison de Fargo en janvier 2014, le jeune homme attendait d'être transféré à Tucson, dans l'Arizona. Il avait été mis sous tranquillisants, et ses pupilles étaient si dilatées qu'on avait l'impression qu'il était en plein trip sous champignons. Tino semblait docile, conciliant et faible. Il n'avait rien de la rage qu'il avait sûrement ressentie la nuit où il a tué ses cousins.

« Ils disent que je l'ai fait, alors je suppose que c'est vrai », m'a dit Tino.

Cette nuit-là, nous avons parlé pendant deux heures. Tino m'a raconté une histoire invraisemblable – il serait rentré et aurait vu quelqu'un violer Destiny.

L'ADN de Tino se trouvait sous les ongles de la petite fille parce qu'il aurait « essayé de l'aider ». Cette explication n'a jamais été retenu par les avocats, m'a dit Tino.

En dépit de son état médicamenteux, Tino était capable de se remémorer les détails de ce qui sonnait comme une vie dysfonctionnelle. Après avoir été violé par son cousin à l'âge de 12 ans, il est tombé dans la délinquance et la drogue – weed, coke, meth, heroïne. Il prenait tout ce qui lui tombait sous la main, du moment que ça lui permettait d'échapper à ses démons. Tino disait ne pas vraiment se souvenir de son enfance à Sisseton, dans le Dakota du Sud. Lui et son frère, Justin, faisaient semblant d'être dans l'armée, tiraient sur des cibles et jouaient au baseball, tout en rêvant un jour de devenir policiers, soldats ou pompiers.

Publicité

« Nous avions de grands rêves, de grands projets », m'a confié Tino à travers la glace de protection du parloir de la prison. « Mais tout s'est effondré. »

Centre de loisirs de Saint Michael.

Errant sans direction, Tino s'est retrouvé à vivre chez différents proches. Parfois, il marchait de Sisseton à Spirit Lake, une randonnée de 420 kilomètres qui lui prenait plusieurs jours. Là, il restait avec sa tante, Meda Cavanaugh, la sœur de Mena. Peu avant les meurtres, la mère de Tino, Mary, avait demandé à Mena de venir à Sisseton pour passer récupérer Tino. Mary avait peur que Tino se fasse du mal. Mena a obéit, ramenant le tueur de ses enfants à Spirit Lake. Après les meurtres, Tino appelait Spirit Lake sa maison, quand tout le monde dans la réserve pensait que Travis était le tueur. À la fin de notre conversation, Tino m'a posé une question.

« Tu sais ce que ça fait de porter un cercueil ? C'est triste. »

Tino a aidé à porter les cercueils de Destiny et de Baby Trav à leur enterrement commun – à l'époque, les soupçons ne s'étaient pas encore portés sur lui et leur père était déjà en prison.

« On ne pouvait pas les voir », m'a dit Tino.

Les cercueils étaient fermés.

Travis a été déclaré en partie responsable de la mort des enfants et a passé moins de deux ans en prison pour négligence. Destiny et Baby Trav ne sont pas les seuls enfants de la réserve à avoir été assassinés ces dernières années. En mai 2013, une femme a jeté deux de ses petits enfants du haut d'une berge. Même s'ils ne respiraient plus, elle a ramené l'un des deux – âgé de deux ans – à la maison. La grand-mère lui a alors donné le bain et l'a mis au lit. Le matin suivant, l'enfant était « froid et bleu » selon les autorités. La grand-mère purge actuellement une sentence de 30 ans pour son crime. En avril 2014, un autre enfant a été retrouvé mort à Spirit Lake, selon le FBI. En août, une petite fille d'un an a quant à elle été tuée après avoir été percutée par une voiture.

Publicité

L'un des nombreux signes d'alerte du centre de loisirs de Saint Michael.

Ces incidents, ainsi que les accusations d'incompétence envers les employés des services sociaux tribaux, ont entrainé une réaction du bureau des affaires indiennes. Thomas Sullivan, responsable de l'Administration for Children and Families, une agence fédérale, a agi comme lanceur d'alerte. Il a accusé les autorités tribales de placer des enfants dans des maisons où les parents adoptifs étaient inaptes à s'occuper d'eux et étaient, dans certains cas, des criminels sexuels. Sullivan préfère laisser son rapport parler de lui-même et n'a pas répondu à mes nombreuses requêtes pour commenter cette histoire. Selon Sullivan, 71 enfants des services sociaux sont « portés disparus ». En juin 2014, une séance du congrès s'est tenue dans le but d'aider les travailleurs sociaux bien formés à superviser leurs collègues des services sociaux tribaux, mais rien n'a évolué depuis.

Alors que le soleil se couchait en cette fin de journée de janvier, Matthew et moi sommes allés au centre de loisirs de Saint Michael. À l'intérieur, des enfants jouaient au basket, profitant de leurs derniers moments de liberté avant de rentrer chez eux. Nous sommes passés devant des panneaux sur lesquels se trouvaient des photos de 36 hommes différents, tous délinquants sexuels. Placardées sur chaque mur dans le gymnase, les toilettes et la cuisine, on trouvait aussi des affiches : « Parents, attention : surveillez vos enfants. »

Je ne peux m'empêcher de penser à l'une des dernières choses que Tino m'a dit à la prison de Fargo : « Personne ne fait attention à ses enfants. »

Suivez Justin Glawe et Matthew Leifheit sur Twitter.