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Culture

Une introduction au génie de Michael Bay

On a fait analyser la filmographie de ce grand réalisateur aux films un peu crétins.

Aujourd'hui, Transformers - L'Âge de l'extinction sort en salles. Ce quatrième long-métrage portant sur les robots-extra-terrrestres les plus tunés du monde est toujours signé Michael Bay, passé maître dans l'art d'en faire des tonnes depuis ses débuts. À ce jour, Transformers 4 est le plus gros succès mondial de l'année. D'ici décembre, il aura peut-être le temps de se faire doubler par un blockbuster plus subtil et il doit certainement une partie considérable de ses recettes aux filouteries de la Chine, mais une question sempiternelle se pose dès lors qu'on aborde le sujet Michael Bay : est-ce un génie, un profond débile, ou les deux à la fois ?

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D'un côté, Michael Bay fait preuve d'un mauvais goût qui force le respect, de l'autre d'une maîtrise visuelle assez unique. Et à tout cela vient s'ajouter l'excellent film No Pain No Gain, qui a un peu forcé les plus farouches de ses détracteurs (en gros, ceux qui le détestaient déjà à l'époque de Bad Boys) à lui reconnaître quelques qualités. De notre point de vue français, il est parfois compliqué de comprendre ce qui rend ce faiseur de blockbuster en apparence idiot si spécial au milieu des autres – voici donc un petit guide spécial Michael Bay pour les vacances. J'ai fait appel à Gaël Golhen, François Grelet et Sylvestre Picard, trois critiques à lunettes du magazine Première pour illustrer mes propos.

C'EST UN STYLISTE AFFIRMÉ
De manière générale, après la vision d'un film de Michael Bay sur grand écran, plusieurs trucs sautent aux yeux. Certains retiennent le côté affligeant de certaines de ses répliques, mais dans une salle obscure, c'est aussi le cinéma pur et dur qui prime, dans sa plus stricte définition. « J'aurais tendance à dire que c'est un grand réalisateur mais le problème c'est que ses films sont quand même un peu crétins, admet Gaël Golhen. Il reste le plus grand technicien aujourd'hui à Hollywood, niveau maîtrise de l'outil-caméra, peu de réalisateurs peuvent se mesurer à lui : son savoir-faire technologique enterre tout le monde ».

Il faut rappeler le parcours de Bay : ancien de Propaganda Films, il a fait ses armes sur des publicités, où l'on pouvait déjà témoigner de ses influences : « Il a été biberonné au cinéma hong-kongais. C'est l'ADN de son travail et il arrive à une maturité qui est folle sur Transformers 4 », estime Gaël. Au yeux de François Grelet, cette recherche du style absolu est d'ailleurs écrasante sur ce dernier film. « Ça devient un super technicien mais il zappe tout le reste. C'est lié à la saga, c'est pareil pour Peter Jackson avec Le Hobbit. Ils sont dans leur univers, le perfectionnent et s'oublient eux-mêmes. »

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L'analyse sympa d'un mec qui n'aime pas Michael Bay mais qui juge tout de même intéressant de décortiquer son œuvre.

IL NE COMPREND QUE LE PREMIER DEGRÉ
Dans la réplique « Le problème du cinéma d'aujourd'hui, c'est qu'il n'y a que des remakes et des suites à la con » prononcée par un personnage de Transformers 4, Michael Bay ne perçoit aucune once d'ironie. Aussi incroyable que ça puisse paraître, il le pense vraiment. « C'est simple, ses films n'expriment pas autre chose que ce que tu vois », juge Sylvestre Picard. Au point que face à la concurrence, cela devient une force. D'un point de vue pragmatique, si les gens se ruent autant sur ses films, c'est parce qu'ils veulent ce genre d'état d'esprit. Bay est curieusement rassurant tant il n'a d'autre prétention que le divertissement à l'état brut. Pour Gaël, le contexte joue aussi en sa faveur : « Il arrive à un moment où Hollywood est un parc d'attraction pour demeurés – et je ne dis pas ça avec mépris parce que c'est ce que j'aime. Son côté extrêmement décomplexé et son manque absolu de cynisme contribuent à le sauver. »

C'EST UN AUTEUR
« Considérer quelqu'un comme un auteur, ça ne veut pas nécessairement dire qu'on l'aime, estime François Grelet. C'est quelqu'un qu'on reconnaît en trois plans, dont on connaît les obsessions et la vision du monde. Devant n'importe quel film de Bay, on sait qui est cette personne. »

Ses détracteurs ne nieront pas ce point, et c'est peut-être ça le problème. En voyant un film de Michael Bay, on a la projection d'une personne, un auteur qui glisse sa personnalité folle dans chaque plan – et on s'aperçoit qu'on a affaire à un méga-beauf complètement cinglé. Difficile d'assumer l'horrible vérité. Et pourtant objectivement les qualités formelles sont toutes réunies. « On va se foutre de ma gueule, mais quand il filme un champ de blé dans Transformers 4, c'est quasiment aussi beau que du Terrence Malick, affirme Gaël. Il a une telle envie de cinéma que ça en devient dingue. »

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Un petit moment de félicité perdu dans Armageddon, navet interstellaire pour les uns et chef d'œuvre pour les autres.

IL EST COMPLÈTEMENT FOU
Quand on se pose deux secondes et qu'on constate qu'effectivement Bay est un inventeur hors-pair doublé d'un boss de fin niveau technique et mise en scène, il y a de quoi se demander pourquoi il continue de livrer des films aussi idiots. « Je pense pas du tout que c'est un débile, je crois qu'il est vraiment fou à lier, c'est un malade mental, déclare tranquillement François. Un ami m'a dit qu'il lui en voulait, parce que c'est un des plus grands réalisateurs hollywoodiens, mais il ne s'est jamais donné la peine de trouver un sujet à la hauteur de son talent. C'est vrai. Mais le truc c'est que la hauteur de son talent, Bay la situe à Transformers – c'est ce qu'il aime le plus au monde ». Michael Bay n'est rien de plus qu'un enfant surdoué qui préfère passer son temps à s'amuser plutôt que sauter des classes et devenir président. Ce qui crée parfois des déséquilibres et surtout des gros paradoxes dans l'appréciation de son œuvre. « Je déteste Pearl Harbor. Mais la scène de l'attaque constitue un grand moment de cinéma », se souvient Gaël.

IL NE FERA JAMAIS DE FLATTERIE INTELLECTUELLE
Avec le triomphe de Christopher Nolan, on a vu ici et là le terme assez gênant de « blockbuster intelligent », qui sonne surtout comme un excuse pour ceux qui ont honte de prendre leur pied devant du grand spectacle. Un peu comme les gens qui commandent une salade en plus d'un menu Giant, ça ne sert pas à grand-chose mais ça donne bonne conscience. Avec Bay c'est clair : on ne se sent pas spécialement flatté en matant un de ses films, seul le côté primaire est en ligne de mire. En conséquence, il nous vient parfois l'impression désagréable d'être pris pour des enfants sous Ritaline, voire pire – des gros cons. Selon Gaël Golhen, « le cinéma reste un art forain. Après 2h45 de Transformers, je suis épuisé et je ne me souviens plus où j'habite. Mais rien d'autre ne me procure cette sensation. Elle s'accompagne de mauvais goût et de trucs incompréhensibles, mais ça marche. »

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Quand le prompteur est niqué, Michael Bay s'avère incapable d'expliquer quoi que ce soit sur son cinéma.

IL NE SE LIMITE PAS À TRANSFORMERS
On a malheureusement tendance à l'oublier ces derniers temps, mais Bay n'a pas toujours été passionné par les robots géants extraterrestres. Il a offert au film du lundi soir ses plus belles heures à plusieurs reprises. François ne tarit pas d'éloges sur sa filmographie : « Rock est un des meilleurs films de la seconde carrière de Sean Connery, dans Armageddon on était tous un peu amoureux de Liv Tyler et à l'époque de Bad Boys, l'esthétique clip n'était pas du tout répandue comme aujourd'hui. » On l'oublie également car ce n'est plus le cas depuis au moins Transformers 2, mais il faut quand même lui reconnaître un certain talent de narration.

IL AIME LES CLICHÉS ET LES GAGS DE MERDE
Michael Bay a une grande passion : filmer les drapeaux américains en gros plan. Cela s'accompagne de la présence de l'armée, d'explosions à une fréquence toujours plus élevée que chez les autres et de dialogues pas toujours inspirés. Pourtant, malgré le côté grotesque, il arrive à tenir son film et ses spectateurs. Selon Gaël, c'est aussi sa force : « Dans Armageddon, il fait vivre les clichés d'une manière complètement folle. La bande à Willis qui marche, j'ai presque envie de pleurer. Il n'y a pas de recul, il arrive à canaliser sa dégénérescence. » OK – mais les vannes pourries sont-elles vraiment nécessaires ? « Des blagues de pets, des meufs avec des petits culs et des robots qui se bastonnent, c'est des trucs qui nous font tous rire. Il est cependant le seul à les mettre dans ses films », observe François.

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À trois minutes, une ultime démonstration du pouvoir de Michael Bay.

C'EST UN ÉTERNEL MAL-AIMÉ
C'est vrai qu'on a tendance à se moquer un peu plus des voitures filmées au ralentis de Michael Bay que des colombes de John Woo. Pourtant, l'un a survécu aux années 2000 et pas l'autre. À ce sujet, François déclare : « C'est confortable de se foutre de sa gueule, ça permet de ne pas développer de discours critique. C'est le cinéaste avec lequel les gens sont les plus condescendants. » En réalité, ça commence à peine à changer, mais ce n'est pas une évolution des mentalités : la critique cinématographique se fait maintenant grâce à des petits nouveaux qui ont un peu grandi avec son cinéma. « La presse arrive toujours trop tard, regrette Gaël. Emmerich est un mec qu'on a pris pour un connard auteur de blockbuster décérébré, et on s'est aperçu que ce n'était pas tout à fait le cas quand il a fait un film sur Shakespeare. Pareil pour No Pain No Gain : que fait réellement Bay, d'où vient-il, c'est quoi son cinéma ? Il est nourri de pop culture. »

… MAIS IL S'EN CONTREFOUT
Il ne faudrait pas non plus tomber dans l'excès inverse et lancer une sorte de « réhabilitation » de Michael Bay : il n'en a pas besoin. On est quand même à des années-lumière de l'artiste maudit ou incompris. Le mec explose systématiquement le box office, il est populaire et c'est apparemment son seul but. Comme Bay le dit lui-même : « Laissons-les rager – ils iront quand même tous voir mon film. » Le réalisateur n'a jamais caché son désintérêt total pour ses détracteurs, particulièrement dans la presse.

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IL RÉINVENTE LE CINÉMA D'ACTION À CHAQUE FILM
On touche à un véritable problème : si ce type est si fort, comment se fait-il qu'on ne retienne pratiquement jamais de scène culte dans ses films depuis les dix dernières années ? « C'est un problème de scénographie : tous les décors de ses films sont interchangeables, déplore François. Tout le côté set-design, c'est un truc qu'il sait pas faire et dont il se contrefout totalement. Le climax de Transformers 4 est en Chine mais pourrait se passer n'importe où – et ça finit par le desservir. La force d'un McTiernan, c'est que tu ne peux plus voir une forêt d'Amérique du sud sans penser à Predator, mais ça, Michael Bay n'en a rien à foutre. »

Le plus regrettable, c'est qu'en cumulant ce point avec ses autres défauts, on obtient des scènes fantastiques – comme les plans de destruction de Chicago dans Transformers 3 – mais qui réussissent l'exploit de ne pas être marquantes, sauf pour la concurrence.  « Tous les blockbusters qui viennent après ont fait la même chose en moins bien (Avengers, Man of steel, etc), poursuit Gaël. En terme de cinéma, il y a plus d'idées en cinq minutes de Transformers 4 que dans tout Pacific Rim. On me dira c'est pas pareil, parce que l'un cite Goya et les peintres japonais. Ce que je vois, c'est que les deux cinéastes font des films de robots géants, mais qu'un seul d'entre eux te met une claque. »

LA VRAIE STAR DE SES FILMS, C'EST LUI
Personne ne pleure quand Fox et Labeouf se barrent de Transformers. Bay est la star de son propre blockbuster, et peu de réalisateurs peuvent s'en targuer. C'est vrai : Transformers est l'une des rares franchises de ses dernières années sans héros au sens traditionnel du terme. Mais l'annonce d'un Transformers sans Michael Bay aurait effectivement été un risque énorme pour le studio. Retour aux fondamentaux pour Gaël : « Transformers 1, c'est quand même l'histoire d'un post-ado qui veut une bagnole pour draguer et qui cherche les lunettes de son grand-père. Si on me dit qu'on va voir ces films pour leur scénar ou le jeu d'acteur, je vais franchement me poser des questions. Personnellement, je vais juste voir un as de la caméra qui met à l'amende tous les mecs qui ont été sur son registre. »

IL APPORTE UNE AUTRE VISION DU CINÉMA
Michael Bay apparaît presque comme le dernier de son espèce, une sorte de vieux de la vieille qui ne fait strictement rien pour coller à ce qui est à la mode – ce truc qui fait que des mecs de 15 ans dissertent sur des pages à partir du dernier plan de Inception au point de vous dégoûter d'un film que vous aimiez pourtant bien à la base. Bay estime qu'il est là pour donner du spectacle, qu'on apprécie ou pas. Au point d'être en décalage total : « Dans The Island, y'a un côté désuet, presque anachronique : il incarne une idée de cinéma qui est aujourd'hui un peu éteinte », d'après François. Gaël va encore plus loin : « Son approche renvoie vraiment à la grande période Spielberg des années 1980, celle d'Amblin Entertainment. Cette jouissance, on l'avait un peu perdue. »

Effectivement, on n'aura absolument aucun gramme de meta dans un film de Bay. Aucun spectateur ne pourra s'amuser avec lui de clins d'œil façon « en fait c'est pour déconner » comme le reste des blockbusters ont l'habitude de le faire depuis le milieu des années 2000. C'est peut-être aussi ça qui explique que ses films sont toujours plus attaqués que ceux de Marvel Studio, qui laissent systématiquement une place à l'ironie assumée et aux auto-références geeks.

Mais Gaël a une autre cible en tête : « Je suis effaré de voir que tous les spectacles hollywoodiens familiaux sont conçus pour les adultes qui sont censés prendre le film au second degré. Y'a plein de choses que j'aime dans La Grande Aventure Lego, mais cette idée de ne plus voir les choses simplement me dérange : il faut que ce soit blindé de références, qu'on s'en moque, que tout soit hyper dézingué, qu'on mette une mise en abyme toutes les cinq minutes. On ne peut pas laisser le spectacle se suffire à lui-même ? » Si, on peut. Parfois. Que retiendra-t-on de Bay dans 30, 40 ans ? La forme virtuose qu'il a inventée ou ses lacunes ? Impossible de savoir. Au fond, le plus grand tort de Michael Bay serait d'être un imbécile heureux à une époque dominée par des connards cyniques.