VICE FRCA - DrogueRSS feed for https://www.vice.com/fr/section/droguehttps://www.vice.com/fr%2Fsection%2FdroguefrThu, 15 Feb 2024 10:30:07 GMT<![CDATA[Comment j'ai dégommé Malik au babyfoot pendant mon séjour en HP]]>https://www.vice.com/fr/article/88x73x/sejour-en-hopital-psychiatriqueThu, 15 Feb 2024 10:30:07 GMTMi-septembre 2023, après un rituel chamanique qui tourne mal en festival et des crises de parano importantes qui m’ont bloquée chez mes parents, j'ai eu la mauvaise idée de retourner habiter seule dans le crissement de la ville. Histoire de ne pas faire les choses à moitié (jamais, vivons intensément !), en pleine crise depuis trois jours, j’ai pris une bouchée de champignon sous forme de chocolat. Exorciser le diable en moi. C'est ce qu'il s'est passé. Après avoir perdu la tête auprès de la police, puis avoir été envoyée à l'hôpital Brugmann où, bien évidemment, je pensais qu'un groupe de personnes m'attendait pour me tuer, le médecin responsable qui m'avait déjà vue quelques jours plus tôt a pris un « malin plaisir » à m'envoyer à l'hôpital psychiatrique lorsque je ne l'ai pas reconnu. Ce sera donc le Centre Hospitalier Jean Titeca à Bruxelles. 

« Faut juste que j'arrive à dormir, faut juste que j'arrive à dormir. » Mon cerveau tourne en boucle quand on me dépose au centre. On me place dans une chambre solo juste en face des bureaux vitrés où se trouve le personnel, de jour comme de nuit. Un lit, un bureau, une armoire pour moi toute seule, le grand luxe (sans ironie) – c’était la dernière chambre du type disponible. Les autres sont dans des chambres de deux à quatre personnes, sans pouvoir verrouiller leurs casiers – des vols fréquents se produisent et la foule s’anime quand les disputes du genre « Qui a volé mes Kinder Surprise ? » ou « Qui a volé mon peigne ? » se déclenchent le soir. Je pose ma tête sur l'oreiller blanc et tout (tout) plat. Je trippe encore et quand je ferme les yeux, différentes réalités possibles défilent devant moi sur la grande roue de la fortune. Si je me concentre assez sur l'une d'entre elles, j'arriverai à rentrer dedans. Sortez-moi d'ici SVP. Les larmes coulent sur mon visage et, sans autre issue, je m'endors.

Lorsqu'on est enfermée et condamnée quelque part, le pire ce sont les réveils. Voir qu’on est toujours coincée au même endroit pour recommencer la même journée avec les mêmes personnes, les mêmes conversations et surtout au sein des mêmes murs. Ma chambre étant dans le courant d’air du fumoir, je me levais et me couchais dans un nuage de tabac. Un homme vient toquer à ma porte, c'est le petit-déjeuner. Bien évidemment, j'étais dans un mood patraque et j’entendais encore des voix qui martelaient mon cerveau dès qu'une émotion se présentait : « Oui mais si elle fait pas d'efforts aussi… Il faut qu'elle comprenne qu'elle doit apprécier la vie. »

Dîners comme soupers sont super basiques. J'étais juste contente d'avoir des aliments corrects dans mon assiette. « Papy », un homme d’origine turque, 60 ans, qui ne parlait pas un mot de français, a décidé qu'il serait mon garde du corps. Il me suit partout. Il me demande du tabac pour rouler des clopes et on partage. Il n'a pas beaucoup d'hygiène et dort dans les fauteuils. Il n'a même pas de chambre – personne ne sait trop pourquoi. Je me demande si ce n'est pas un ancien SDF qui a tout fait pour rester ici, bien au chaud. Il a les yeux bleus/verts et je me lie d'amitié avec lui. On se comprend sans mots et vu le « brouhaha » dans ma tête, je n'avais besoin que d'un regard réconfortant, quelqu'un qui me voit à travers la folie.

« Hey, t'as pas une clope ? » 

« T'es qui toi ? T'es la nouvelle ? » 

« Tu veux commander quelque chose ? » 

Je passe mes deux premiers jours à faire des aller-retour entre le fumoir et le préau. C'est le week-end. Je ne suis pas de bonne compagnie. Un poisson vide, au cerveau explosé par les psychédéliques, c'est ce que j'étais en arrivant à l'hôpital psychiatrique. Les autres interné·es errent d'un endroit à un autre, prennent un peu le soleil, se posent sur un banc, trouvent une cachette pour fumer de la weed. Chacun à leur tour, les gens passent près de moi, posée comme un pot de fleurs à côté de mon carnet sur le banc, faisant semblant d'arriver à me concentrer alors que je regarde chaque minute s'écouler au rythme d'une pâte à gâteau trop épaisse coincée sur le fouet batteur, tombant dans le moule sans hâte. L'un d'eux me demande si lui et sa bande peuvent s'asseoir près de moi. On parle deux minutes puis on reste tou·tes dans le silence. Un silence qui dit « patience ». Il ne faut que de la patience pour sortir intacte d'ici. Sans péter à nouveau un câble sous la pression d'être plus longtemps enfermée entre quatre murs. 

De mon point de vue, aucun·e de nous ne mérite sa place ici, évidemment. Certes, être coupée des stimulis extérieurs provisoirement aident à retrouver le calme en soi en cas de crises comportementales, mais l’éternel recommencement des journées à Titeca se transforme vite en marteau au-dessus de la tête, qui t’enfonce comme un clou dans l’angoisse.

Alicia* ricane au bout de la table, j'ai sûrement l'air trop « vide », sans sentiments et pas assez réactive pour elle. Après lui avoir refusé mon téléphone, elle se cache dans l'arbre au milieu de la cour, monte à une branche et m'appelle : « Eh toi, la nouvelle ! Allez viens prendre une photo avec nous ! Sans famille va ! Robot ! Moi au moins j'ai un arbre généalogique ! »

Après trois jours, alors que je suis temporairement privée d'aller sous le préau pour la journée – en attendant une autorisation de l'équipe de semaine –, Malik* apparaît. Il porte une blouse bleue et un pantalon d'hôpital. Il ne cesse de nettoyer et ramasser les déchets, puis il se met à faire des pompes. Il est grand, a le corps très sec et de beaux traits. Ses yeux noirs me bouleversent. Tantôt c'est mon ami, tantôt il m'agresse. Il essaye de me comprendre et me pose des questions sur le pourquoi du comment je suis ici. Il se présente comme un grand philosophe, il va faire des études de médecine, et sera champion de boxe. Il a 27 ans, comme moi. « T’as été naïve Lucie, il ne faut plus que tu sois naïve. Ces gens, ils t'ont fait du mal. » Il essaye de m'endurcir avec ses mots et, si je réponds mal selon lui, il me souffle deux ou trois phrases à l'oreille pour me dire que je suis le diable. Que son pays allait se venger de moi. 

Début septembre, il y a eu un séisme au Maroc. En entrant à l'hôpital, pensant tout diriger avec mes pensées, je croyais que ce séisme était de ma faute. Malik a touché droit dans le mille. « Il a raison, je suis le diable. » Ma tête repart dans tous les sens et les voix s'intensifient. « Ils vont se venger de toi. Tu vas te faire buter en sortant de l'hôpital, ils t'attendent. » Malik ne faisait que jouer, mais dans la tête d'une parano, endurcie ou pas, le moindre mot peut être fatal. Les pensées autocentrées ressurgissent sans considérer les victimes bien réelles de ce genre de catastrophe. J’ai honte.

Le soir, on entend le roulement du marchand de sable, une animatrice habillée d'un blanc d'hôpital débarque avec son chariot rempli de médocs. Certain·es interné·es se ruent vers elle avec les pupilles doublant de volume, comme si leur sauveuse était arrivée. Je ne prends rien. Je ne veux rien prendre. Ils acceptent. 

Les nuits sont affreuses, « Papy » met le son de la télévision à fond, il entre parfois dans ma chambre parce qu'il s'ennuie et je ne peux pas fermer la porte à clé ou cas où il y aurait un problème. L'odeur de la cigarette qui transpire sur les murs me dégoute, j'attends que le temps passe mais le temps ici n'a pas d'aiguilles.

En semaine, chaque matin, un animateur se place dans la salle de télévision, on s'assoit autour de lui, il énonce les activités du jour et on lève la main si on a envie d'y participer. On n’a plus quatre ans et demi mais bon, vu qu'on nous parle comme à de vrais teubé·es, on se met dans le bain et on en devient un·e. Il y a le sport, des activités de bricolage, des marches organisées. Tous les matins, j'irai au sport là où quelques animateurs attendent que le temps passe et font la conversation à deux ou trois habitué·es qui viennent uniquement pour socialiser et non pour faire de l'elliptique. 

« La mama » est une femme de 65 ans, un peu ronde, les cheveux en bigoudis, toujours à moitié débraillée en revenant des toilettes. Elle prend tout le monde pour ses enfants ici, à part moi, la blanche privilégiée. Elle a raison. Je venais à peine d'arriver au centre quand mes parents m'avaient rejoint dans la salle des visites (qui n'est autre qu'un espace jeu pour enfants), pour me donner deux gros sacs de courses remplis de crasses. Je ne les mangerai pas mais elles m'ont bien été utiles à échanger contre un peu de paix mentale lorsqu'un·e co-interné·e devenait trop envahissant·e. Ce jour-là, j'étais d’ailleurs rentrée de ma visite gênée, comme une prisonnière qui venait d’obtenir un traitement de faveur alors que d’autres n'avaient pas de visites ou de contacts avec leur famille.

« Hey, pssst, t'aurais pas une bouteille de coca ? Et une frangipane ? »

Au fil des jours, une certaine solidarité se tisse entre nous, que l’on se piffre ou non. Je comprenais mieux maintenant pourquoi Alicia pleurnichait chaque matin et Malik passait son temps à nettoyer. 

Papy nous à trouvé du tabac, je nous roule une clope sans filtre et on fume chacun·e à notre tour sur le balcon barricadé de vitres plastiques qu'on appelle le fumoir. Nos lèvres sont brunes et nos yeux fatigués. Depuis que j'ai montré mon téléphone et osé mettre de la musique, c'est devenu le nouveau centre d'intérêt. « Est-ce que je peux mettre un son ? » Bien sûr. Après tout, il n'y a que ça pour nous sauver et nous échapper un peu d'ici. Alors on reste là, le regard dans le vide à écouter quelques paroles de rap. Parfois, on fait quelques pas de danse sur des musiques turques, puis on se calme. 

Malik s'installe près de moi pour manger, avec son t-shirt blanc Dragon Ball Z. Il me fait encore tourner la tête en basculant entre agressivité et douceur. « Si c'est pour jouer avec moi, tu peux partir. » Je commence à m'énerver. C'est une vraie pile électrique. Pour se défouler, il me défie au kicker (ou « babyfoot », pour les Français·es). « Je vais te rétamer », lui dis-je, pleine de conviction. Malik m'avait poussé à bout, je détestais qu'on me prenne pour une conne à répétition. Je commence par lui mettre trois buts avec mon gardien. Il s'énerve. Je gagne la première partie.

La deuxième partie se fait tout aussi courte, je le domine avec un petit 3-9. La « Mama » vient se poser au bord du terrain de jeu et apporte un bricolage : « J'offre ma jolie fleur au gagnant. » Je marque un but et elle crie « CONNASSE ! » en levant les bras. Malik lui prend la tête entre ses mains pour la calmer et lui chuchote à l’oreille deux-trois phrases inaudibles. Encore. Il est doué, ça se voit, mais je m'étais entraînée tous les mercredis et les week-ends de mon adolescence pour ce moment et, avec un peu de haine dans les yeux, je faisais des miracles. « Écoute Lucie, quoi que j'ai pu dire, quoi que j'ai pu te faire, je suis désolé. Pour gagner contre moi, wallah c'est que Dieu est avec toi ! » Dernier coup de poignet et dernier goal, Malik me serre dans les bras et me laisse tranquille. 

« - Toi, tu vas te transformer en démon cette nuit. »
- Comment tu le sais ? »

C’est le soir. Malik hurle à la mort dans les couloirs pour qu'on le laisse sortir d'ici. Il délire. C'est « eux » qui l'ont violé et agressé dans la rue. Non, c'est lui qui les a agressé, jamais il ne se serait laissé toucher, bande d'idiots ! Le lendemain, je le retrouve en tenue bleue. Le personnel l’a finalement attrapé à quatre paires de bras et piqué pour le calmer.

Ça fait des heures que Kayla*, 22 ans, est debout et répète les mêmes choses, elle converse dans le vide et argumente seule. Comme si elle voyait des esprits. Malik mange le repas de midi devant moi, une escalope de poulet pané et du riz. Il remarque que je n'arrive pas à quitter Kayla des yeux. Elle me fait de la peine. Malik la coupe dans sa phrase : « Hey Kayla, calme-toi. Viens ici, qu'est ce qu'il y a là ? De quoi tu parles ? » Quand on s'adresse à elle, ses réponses sont cohérentes, elle aimerait juste parler à la psychologue, ça fait des jours qu'elle la réclame et elle commence à vraiment angoisser. Elle veut avoir son autorisation pour sortir d'ici, au moins la journée et revenir le soir. Quand elle me voit, ses yeux s’agrandissent. « Je peux mettre Aya Nakamura STP ? » Les drops de la musique l'entraînent dans une danse attendrissante, où elle remue ses épaules deux fois à droite puis deux fois à gauche et oublie un instant de parler.

Ça faisait également cinq jours que je réclamais chaque matin de voir la psychologue pour qu'elle plaide en ma faveur lors de mon jugement de sortie. Je pensais l'avoir déjà vue à mon arrivée mais, étant encore en décompression, c'était mon avocate commis d'office que j'avais croisée et mon discours était si absurde que je n'avais aucune chance de partir d’ici. Je décide de lui rédiger un mail pour changer la donne. Je ne pouvais pas envisager de rester ici 30 jours de plus si le juge estimait que je n'étais pas assez cohérente. Peu importe ce que mon père tenait comme discours : « Tu dois t'endurcir. 40 jours ça passera vite ma chérie. »

Se lever, fumer, prendre des médocs pour certain·es, attendre, aller faire une activité, fumer, manger, se promener sous le préau, fumer, fumer, fumer… Manger, se regarder dans le blanc des yeux, mettre un peu de musique, toujours fumer, prendre des médocs, dormir. Je ne voyais personne lire. Je ne voyais personne sourire. Les gens faisaient comme ils pouvaient pour rendre leur réalité un peu moins répétitive. Rester stoïque face à l'adversité et patient·e face au temps. 

Après dix jours qui m'ont paru une éternité, j’ai obtenu mon « jugement ». J'étais une femme libre. J'ai couru dans ma chambre rassembler mes affaires, j’ai donné mes dernières bouteilles de coca Boni à Vadim* et doucement déposé une énorme grappe de raisin dans les bras de Papy, mon protecteur, qui s'était assoupi dans un des fauteuils bleus en mousse. « On dirait le dieu Bacchus. »

Je n'ai pas eu le temps de voir Malik. On avait pris notre dernier souper la veille ensemble. Comme dessert : deux mandarines. Il me fixait dans les yeux avec un regard rempli de provocation. « T'aimes bien mon t-shirt Dragon Ball. T'es un peu comme Chichi toi ! Une battante. » « Ouais c'est ça, tiens, t’as gagné une boule de cristal », lui répondis-je en lui posant brusquement ma mandarine devant son assiette. Le fait d'être enfermée m'avait coupé l'appétit. « Ah non, je l’échange avec la mienne alors, comme ça tu garderas un souvenir de moi. »

Alors que les façades de Bruxelles ne m'ont jamais paru aussi belles une fois dehors, Malik, lui, restera encore 60 jours à l'hôpital. Il m’envoyait des messages comme quoi il allait bientôt sortir, puis un autre pour me dire que le juge avait rallongé sa peine – dans les deux sens du terme. Je le reverrai fin janvier, à Bruxelles. C'est un homme sensible, révolté par les injustices et peut-être un peu intense. Il est loin d’être « fou » comme la société pourrait croire. D’ailleurs, je me demande : au fond, qui ne l’est pas ? 

*Noms d’emprunt pour protéger leur identité.

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<![CDATA[La kétamine est en train de tuer le dancefloor]]>https://www.vice.com/fr/article/bvjdq5/la-ketamine-est-en-train-de-tuer-le-dancefloorTue, 10 Oct 2023 09:15:15 GMTLa majorité des clubs de cette planète ont été violemment touchés par la crise liée à l’augmentation générale du coût de la vie. Sortir en club est devenu un luxe. Mais il y a un autre truc qui menace sérieusement la nightlife : la kétamine, ou plus précisément une surabondance de cette substance. « Y’a beaucoup trop de kéta sur les dancefloors du Royaume-Uni », a fait remarquer Salute, un DJ de Manchester, dans un tweet qui a été liké près de 2 000 fois. « Juste, ça craint de voir les gens rester debout comme des zombies sans danser. »

Ce sentiment a suscité l’approbation d’un grand nombre de clubbers et DJs. En réponse à ce tweet, la DJ et productrice polonaise VTSS a écrit : « J’ai moi-même commencé à demander aux promoteur·ices des villes où je suis programmée quelle était la substance prédominante qui y était consommée, histoire d’ajuster mes attentes en matière de vibe. »

La kéta est-elle réellement en train de tuer le dancefloor, ou s’agit-il d’un discours un tantinet exagéré ? Selon Sam Binga, DJ basé à Bristol, cette drogue est bel et bien en train de ruiner l’ambiance, du moins dans une certaine mesure. « Un dancefloor chargé en K ne dégage aucune énergie, explique-t-il. La kétamine est plutôt une drogue qui isole. Et si en tant que DJ, tu te retrouves en face d’un public fervent de cette drogue bizarre et dissociative, tu vas avoir l’impression que ces gens sont moins impliqués dans ce qu’il se passe. »

Le DJ Josh Haygarth, connu sous le nom de Next Generation Noise, va dans le même sens. « La kétamine ralentit considérablement la cadence générale, déclare-t-il. Quand ton set est pensé pour monter en puissance et que la foule a l’air de participer à une sorte de mannequin challenge, c’est pas évident de faire grimper l’énergie. »

Si le public s’anesthésie par choix, est-ce que ça pourrait à terme influencer les sons qui passent en club ? Dans les années 2000, on a souvent attribué la popularité du wonky, un style dérivé du dubstep connu pour ses rythmes instables, à la prévalence de la kétamine. Ed Gillet, l’auteur de Party Lines, un livre qui retrace l’histoire de la dance music britannique, hésite cependant à surestimer l’influence d’une seule drogue sur la dance music. Il reconnaît toutefois qu’il existe des précédents historiques suggérant que la kétamine « a bien eu un effet sur le genre de sons qui sont apparus sur les dancefloors britanniques », soulignant par-là le lien entre la drogue et la techno minimale.

Il est logique que les DJs trouvent que les foules qui consomment principalement de la kéta ne sont pas aussi engagées avec leur set. La dissociation, l’un des effets secondaires les plus connus de la kétamine, désigne un état mental temporaire dans lequel une personne se détache de son environnement. « Quand les gens consomment de la kétamine à forte dose, ils peuvent traverser une expérience hallucinatoire intense », explique Adam Waugh de The Loop, une association spécialisée dans le test de drogues. « Mais d’un point de vue extérieur, ils ne réagissent pas du tout. »

Certaines personnes ont cependant rapporté qu’à des doses plus faibles, la K pourrait aider à profiter davantage de la musique et avoir de légers effets énergisants, note Waugh. Ses effets dissociatifs se trouvent toutefois aggravés quand on mélange cette drogue à l’alcool. Et surtout, cette drogue est souvent prise en trop grande quantité. « Les tolérances varient beaucoup d’une personne à l’autre, sans doute plus que pour d’autres drogues, explique-t-il. La dépendance à cette drogue et la façon dont elle affecte différemment le corps des consommateur·ices sont des paramètres qui ont probablement contribué aux risques qu’on lui connaît. »

Haygarth et Binga confirment avoir remarqué que le public était plus susceptible de consommer des quantités excessives de kétamine après le confinement. « D’après ce que j’ai pu observer du public, j’ai bien l’impression que c’est devenu la drogue de prédilection […] Toutes les personnes qui ont fêté leurs 18 ans pendant les différents confinements ont débarqué dans le milieu alors qu’on venait de rouvrir, et elles ont tout de suite sauté dans le grand bain, spécule Haygarth. Je pense que c’est la raison pour laquelle on constate une utilisation moins responsable de la kétamine, parce qu’en un rien de temps, leur parcours rave est passé de zéro à cent. »

Lors de l’un de ses premiers shows post-COVID à Bristol, Binga a vu des teufeur·ses trop chargé·es en K se faire sortir quasi inconscient·es hors de la salle, alors que la soirée commençait à peine. « Avec la kétamine, il semble très facile de passer du statut de “oh, je m’éclate” à celui d’épave qui s’effondre dans un coin, explique-t-il. Et pour nous, DJs, c’est vraiment pas cool. »

Waugh reconnaît que si la consommation de kétamine semble s’être accélérée après le confinement, c’est plus globalement la consommation de toutes les drogues qui a augmenté pendant le confinement. « Je dirais non seulement qu’on croise plus de kétamine qu’avant, mais qu’on voit aussi plus de gens qui consomment de la kétamine de manière problématique », déclare-t-il. Waugh ajoute que l’organisation The Loop a constaté une hausse du nombre de personnes se présentant avec des symptômes liés à la consommation de kétamine, comme des problèmes de vessie et des crampes.

Évidemment, la kétamine n’est pas une nouvelle drogue. Synthétisée pour la première fois en 1962 et approuvée par la FDA en 1970, elle a été administrée aux soldats américains pendant la guerre du Viêtnam afin de soulager la douleur. Et ce n’est pas la première fois que l’on constate une augmentation sensible de la présence de kétamine sur les dancefloors : Gillet explique que les perturbations majeures de l’approvisionnement en MDMA à la fin des années 2000 ont coïncidé avec la montée en puissance de la kétamine et d’autres drogues. « Il y a véritablement eu une augmentation de la quantité de kétamine consommée sur les dancefloors britanniques », déclare Gillet à propos de ces années-là.

Même avant les années 2000, la prévalence de la kétamine avait déjà un impact sur la vibe générale. Mark, propriétaire d’un grand club londonien, a plongé dans la scène des free parties, quand les raves non autorisées se sont répandues à travers l’Europe dans les années 1980 et 1990 (il parle sous couvert d’anonymat pour des raisons professionnelles). « Au début, tout le monde prenait de l’ecstasy, se souvient-il. Il y avait donc une expérience beaucoup plus communautaire ; c’était très bienveillant, on s’aimait, on s’amusait. »

Mark se remémore l’apparition de la kéta en soirée à la fin des années 1990. « Elle est arrivée en masse, tout le monde a voulu l’essayer… et j’ai eu l’impression que la kétamine a complètement tué la scène, presque du jour au lendemain, raconte-t-il. L’expérience collective, le sentiment d’unité, tout ça s’est en quelque sorte dissipé et a laissé place à des milliers de personnes traversant des expériences relativement introverties et introspectives. »

Gillet pense qu’il est trop simpliste de suggérer que seule la kétamine serait responsable de la disparition de cette scène des free parties. « La scène des free a été, dans une large mesure, stoppée de force par la législation qui les a interdites, explique-t-il. C’est trop facile de dire que tout le monde prenait de la MDMA et que tout allait bien, puis que tout aurait mal tourné avec l’arrivée de la kétamine. »

Si les personnes qui consomment trop de K niquent l’ambiance sur le dancefloor, c’est aussi en partie à cause d’un manque d’éducation. « Les gens sont [souvent] surpris d’apprendre qu’il est dangereux de mélanger la kétamine et l’alcool, explique Waugh. La kétamine et l’alcool sont des combinaisons de drogues assez courantes, mais qui présentent un risque d’overdose mortelle. » Dans une étude australienne réalisée en 2021, l’alcool était présent dans plus d’un quart des décès liés à la kétamine.

Bien entendu, il ne s’agit pas seulement d’un manque d’information, souligne Waugh, mais aussi d’autres facteurs qui poussent à la surconsommation de drogues, comme les problèmes de santé mentale. « Les jeunes traversent des moments difficiles actuellement, à cause de l’inflation et du coût élevé de la vie, explique-t-il. Nombreux sont les gens qui utilisent la kétamine comme moyen d’automédication. »

Éduquer les gens sur leur consommation de drogue, plutôt que de les criminaliser pour ça, pourrait contribuer à améliorer la vibe. « Il est possible de consommer de la kétamine de manière responsable mais on n’éduque pas, on ne prodigue pas de conseils sur la manière de le faire, déclare Haygarth. Les ravers découvrent leurs limites à leurs dépens et ignorent ce qui est considéré comme une dose excessive ou un usage dangereux, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. »

Pour l’instant, les DJs avec lesquels VICE s’est entretenu sont catégoriques : ils resteront fidèles à ce qu’ils veulent jouer — public sous kétamine ou non.

Binga émet l’hypothèse selon laquelle un public en état de dissociation ne pourrait réagir que lors des « moments forts », comme les drops, mais le DJ n’ajuste pas consciemment ses sets en fonction des personnes sous kéta. « J’adapte mes sets selon les réactions du public face à ce que je propose, explique-t-il. Mais je n’essaie pas de deviner sous quelles substances ils sont. »

Haygarth va dans le même sens, précisant qu’il n’adaptera pas sa musique parce que le public est plus susceptible d’être sous kétamine. « La majorité des consommateur·ices de K sont en général à l’arrière de la salle, adossé·es au mur, explique-t-il. De là où je suis sur scène, cette partie du public n’est pas ma priorité. Je me concentre sur les gens qui sont venus pour la rave — ceux qui sont là pour l’énergie. »

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<![CDATA[Arrêter l'alcool et les drogues quand la teuf fait partie de votre identité]]>https://www.vice.com/fr/article/ak3d94/arreter-alcool-drogues-fete-identiteThu, 21 Sep 2023 10:16:39 GMT« J’ai envie de disparaître. Je veux m’anesthésier jusqu’à ne plus rien ressentir. Je suis accro. » C’est ce que j’ai écrit dans mon journal l’année dernière, le 11 octobre 2022. À ce moment-là, ça faisait près de dix piges que je prenais des drogues et je venais de m’inscrire dans un centre de désintoxication près de chez moi. L’idée d’arrêter me terrifiait, mais c’était la seule option possible.

La première fois que j’ai avalé une pilule, c’était lors d’un festival, juste après avoir obtenu mon diplôme de fin d’études secondaires. Par la suite, j’en ai pris de temps en temps, principalement pour faire des expériences et rendre les soirées encore plus fun. Quand je suis devenue DJ et que j’ai commencé à me produire en club, les choses ont changé ; je m’envoyais des lignes tous les week-ends. Ma vie était une immense teuf ; je tirais sur la corde avec enthousiasme.

Pendant des années, je me suis plutôt bien débrouillée. J’ai réussi tous mes exams, j’ai eu une vie sociale bien remplie et je me suis taillé un nom en tant que DJ. Puis le COVID a débarqué, les clubs ont fermé et ma relation de quatre ans a pris fin. Ma consommation de drogue est devenue obsessionnelle : la drogue n’était plus un moyen, mais une fin en soi. Je prenais de la coke, du poppers et de la kétamine tous les week-ends. Je me promenais dans la ville à la recherche d’afters — une habitude qui m’a valu le surnom douteux de « Keta-Queen ». Les aventures étranges que je vivais avec mes potes, ou même avec de parfaits inconnus, me faisaient marrer.

À côté du plaisir que ça me procurait, j’ai dû faire face à des effets secondaires assez graves. Ma peau était complètement niquée. En deux mois, j’avais perdu environ huit kilos. Pendant la semaine, je souffrais de grosses descentes, avec crises d’angoisse et larmes inexplicables. Mes ami·es m’ont également fait remarquer qu’ils avaient l’impression que je ne les écoutais pas vraiment, et que je ne leur posais plus de questions lors de nos conversations. Et en plus de ça, j’avais accumulé pas mal de dettes.

Pourtant, je ne pensais pas que ma consommation de drogues du week-end était un problème. Quand ma psychologue — que je voyais depuis quelques années pour faire face à mon sentiment de solitude — a suggéré que c’était peut-être la drogue qui me déprimait et qu’il serait bon d’arrêter, je lui ai ri au nez : « Arrêter ? Jamais. »

J’étais jeune, célibataire et DJ à Amsterdam. La drogue faisait partie de mon identité. Que resterait-il de moi si j’arrêtais ? Même si j’adorais faire du sport, que je venais d’obtenir mon diplôme et que ma carrière de journaliste démarrait, rien ne me définissait autant que la teuf.

Je me suis menti à moi-même pendant des mois, prétendant que je pouvais très bien supporter ce mode de vie où l’on bosse comme un dingue et où l’on fait beaucoup la teuf. Chaque vendredi, j’oubliais l’état lamentable dans lequel j’avais été plongée du lundi au mercredi.

C’est au début du mois d’août 2022 que les choses ont vraiment empiré. J’ai commencé à avoir des pensées suicidaires pour la première fois, que j’ai décrites comme suit dans mon journal intime :

« Vendredi dernier, après une after sans intérêt, j’ai continué à consommer de la K et du poppers seule dans mon lit pendant deux heures, et je n’arrivais pas vraiment à distinguer réalité et hallucinations. J’avais l’impression d’entrer dans une psychose dont je ne pouvais pas sortir, et j’ai complètement paniqué. C’était vraiment effrayant. Mais au lieu de m’arrêter, j’ai continué. Une autre ligne, une autre taffe. Tout ce que je voulais, c’était disparaître, loin d’ici. À l’heure où j’écris ces lignes, je suis assis sur la terrasse sur le toit et je regarde le soleil disparaître lentement derrière les immeubles. Je pourrais tout aussi bien sauter dans le vide. »

J’ai été tellement choquée par la noirceur de mes propres pensées que le soir même, j’ai décidé de m’inscrire à un programme de désintoxication. Il y a un nom pour ça dans les centres : le fond du trou.

Presque personne ne s’est rendu compte à quel point j’allais mal parce que j’arrivais bien à le cacher. Mais même si mes proches m’en avaient parlé, cela n’aurait probablement rien changé. Peu importe le nombre de fois où l’on vous dit de faire attention à propos de votre consommation de drogue, toucher le fond est généralement la seule façon de s’en rendre compte par soi-même.

Je n’étais pas hyper convaincue à propos de la désintox. Comme je fonctionnais encore bien sur le plan social et professionnel, j’avais peur que mon cas ne soit pas « assez grave » et qu’ils lèvent les sourcils en me voyant débarquer. D’un autre côté, j’avais aussi peur d’être admise sur-le-champ et de m’entendre dire que je n’aurais plus jamais le droit de consommer de la drogue. Mais ces pensées se sont révélées être des idées reçues.

Il n’était pas nécessaire d’arrêter immédiatement et les sessions à Jellinek étaient en fait très chill. Chaque semaine, j’avais une conversation en tête-à-tête avec un praticien. On a examiné les raisons sous-jacentes de ma consommation de drogues et on a déterminé qu’il s’agissait d’un mécanisme d’adaptation. Les drogues calmaient mon esprit hyperactif et m’avaient permis de me sentir moins seule pendant un certain temps. On m’a diagnostiqué un TDAH et une grande sensibilité, une combinaison qui peut rendre plus vulnérable à la dépendance.

Après avoir identifié les raisons de ma consommation, on a discuté de nouvelles stratégies d’adaptation saines et décidé d’une date d’arrêt : le 30 octobre 2022. Dans les semaines précédant cette date, j’ai pris plus de drogues que jamais, sachant que j’allais devoir arrêter juste après. Le dernier soir, j’ai fêté mon 26e anniversaire avec tou·tes mes ami·es et j’ai mélangé six types de drogues différentes. Quand la teuf s’est terminée, vers 5 heures du matin, j’ai cherché frénétiquement une after, mais je n’en ai pas trouvé. Je me suis réfugiée dans mon lit en chialant.

Cela fait cinq mois que je n’ai pas consommé d’alcool ou de drogues — j’ai également arrêté de boire ; l’alcool augmentait les risques de consommation de drogues. Mon traitement, que j’ai maintenant terminé, aura duré 13 semaines. On avait convenu d’un arrêt de six mois au départ, mais on a rapidement décidé de prolonger à un an. Comme ça, je peux traverser toutes les saisons et les périodes de fêtes en étant sobre, et voir comment ça va. Il m’arrive même de flirter avec l’idée de ne plus jamais consommer d’alcool ou de drogue.

Beaucoup de gens me demandent comment je vais et si rester sobre est difficile. C’est parfois le cas. Me produire en tant que DJ sans boire d’alcool m’a semblé très étrange la première fois, parce que je n’avais rien pour calmer mes nerfs. C’est aussi difficile quand je suis avec des gens qui boivent beaucoup.

Lors d’un week-end en Espagne, mes copines passaient leurs journées à commander des sangrias dans tous les bars possibles et s’enfilaient des bouteilles de vin le soir. Je me suis sentie tellement loin d’elles, comme si on était sur des fréquences totalement différentes. Elles rigolaient d’être bourrées, parlaient de leurs gueules de bois, tandis que je me demandais comment j’allais bien pouvoir continuer comme ça.

Deux semaines après avoir arrêté, j’ai eu un rencard. J’avais informé le type à l’avance que je ne buvais plus et je pensais partager le reste de mon histoire pendant le rendez-vous. Mais après moins d’une demi-heure, il m’a demandé si j’avais « juste arrêté de boire », parce qu’il avait apporté du GHB et de la coke « au cas où ». Il a commandé verre après verre. Quand il a terminé son huitième Old Fashioned, je me suis enfuie.

Beaucoup de gens autour de moi sont en train de réfléchir à leur relation avec l’alcool et les drogues, mais je suis souvent la seule personne sobre dans la pièce. Je me sens parfois seule, voire un peu exclue. L’autre jour, j’étais au restaurant pour un anniversaire et, alors que je faisais la queue pour aller aux toilettes, un groupe de six personnes est passé devant moi pour sniffer de la coke. C’était étrange : ils en ont pris, et pas moi.

Malgré tout, stopper ma consommation a été plus facile que je ne le pensais. Quand je suis sortie pour la première fois en club sans rien prendre, je me suis sentie carrément euphorique. C’était une grande victoire pour moi. Je suis aussi beaucoup plus consciente de ce qui se passe dans ma vie et je sens mieux mes limites.

Avant, si je m’étais retrouvée à un date avec ce mec bourré, j’aurais probablement accepté son offre. Quand les teufs auxquelles j’allais étaient nulles ou ennuyeuses, je prenais simplement plus de drogues pour les pimenter. Maintenant, je rentre juste chez moi quand je suis fatiguée. C’est, encore aujourd’hui, un sentiment particulier pour moi.

Mes priorités ont également changé. Avant, elles se résumaient à faire la teuf (et traverser la gueule de bois). Aujourd’hui, c’est ma carrière, le temps passé avec mes ami·es et la pratique d’un sport qui m’importent. Le bénéfice le plus important est peut-être la tranquillité d’esprit. J’assume tout ce que je fais : aucun de mes comportements ou sentiments n’est affecté par des processus chimiques, tout est réel. Je n’ai plus à m’inquiéter constamment de ce que j’ai dit ou de la manière dont je me suis comportée.
Certains aspects de moi sont également radicalement différents. Je dois m’habituer à être parfois l’une des personnes les plus silencieuses du groupe. Autrefois, j’étais celle qui dansait debout sur le bar ; aujourd’hui, je choisis de rester plus en retrait. J’apprends à me connaître de manière différente et j’aime beaucoup cette version introvertie de moi-même.

C’est un véritable défi que de se défaire d’une habitude. Il faut de la volonté et de la persévérance pour ne pas céder. Mais on peut apprendre à y faire face et à être fier de soi.

La dépendance est une chose face à laquelle je devrai rester vigilante toute ma vie. Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait. Parfois, je pense à ce que serait ma vie si j’avais recommencé à boire et à me droguer. J’aimerais pouvoir être cette personne capable de le faire sans toujours aller trop loin, avec modération, mais il est encore trop tôt pour dire si ça sera un jour possible.

Arrêter tout ça a été une excellente décision, même si le chaos dans ma tête et la peur de la solitude sont toujours présents. Les drogues étaient une solution rapide à ces problèmes, mais j’apprends maintenant à les gérer de manière plus durable. Il me reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Mais ce que je sais avec certitude, c’est que je ne veux plus jamais chercher à m’anesthésier comme je l’ai fait auparavant. L’alcool et les drogues ne me définissent pas.

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<![CDATA[À la plus grande convention de weed du Royaume-Uni]]>https://www.vice.com/fr/article/88xvak/product-earth-convention-weed-royaume-uniWed, 20 Sep 2023 09:18:36 GMTQuand on pense aux hauts lieux du cannabis dans le monde, on ne peut que s’imaginer les canaux bucoliques d’Amsterdam, les montagnes du Colorado ou les plages de la Jamaïque. La liste ne cesse de s’allonger, mais un endroit qui n’y figurerait certainement pas, c’est bien le Warwickshire, un comté britannique situé au centre de l’Angleterre, berceau de Shakespeare et célèbre pour son 2-tone ainsi que pour son périphérique, le plus vieux du pays.

Pourtant, une fois par an, ce beau comté accueille Product Earth, le plus grand événement britannique — légal — consacré au cannabis, aux nootropiques et à la médecine naturelle. Cet événement qui se tient sur un week-end propose un camping avec de la musique live et d’immenses jeux d’arcade, des conseils pour obtenir une ordonnance de cannabis médical et des ateliers cuisine à base d'herbe sacrée.

Vous vous exclamez peut-être, en proie à l’angoisse : cela semble démentiel certes, mais carrément dans une zone grise juridique, nan ? On a pensé la même chose, c’est pourquoi cette année, VICE a décidé de passer la journée dans cet espace événementiel anodin, à mi-chemin entre la fête foraine et le centre de spa, pour voir de quoi il en retournait.

Entrer dans ce lieu, c’est comme pénétrer dans le Xanadu de la weed. La salle principale ressemble à un salon de Las Vegas, où des stands plus petits entourent des stands plus grands, installés au milieu — un peu comme des miettes de weed en orbite autour d’une grosse tête de beuh. L’odeur du pli fraîchement allumé se répand comme de l’encens, picotant légèrement le nez et plongeant peu à peu l’ensemble du bâtiment dans une douce léthargie.

tangarine dream Product Earth UK cannabis event.
Photo : Jackson Bowley

Chaque stand propose un truc différent : certains vendent des produits dérivés de diverses marques de cannabis britanniques et étrangères, tandis que d’autres présentent les meilleures lampes de culture, des suppléments à mettre dans la terre et, oui, du lubrifiant infusé au CBD.

« Je vous invite à essayer », lance Lauren de chez 533CBD, une entreprise basée à Eastbourne, qui vante fièrement les mérites de son lubrifiant. Lauren — qui a demandé à ce que son nom de famille ne soit pas mentionné pour des raisons de confidentialité, comme d’autres personnes dans cet article — presse une minuscule goutte d’huile à l’odeur nauséabonde sur le bout de mon doigt. Je me frotte aussitôt les mains avec vigueur comme s’il s’agissait d’une sorte de gel désinfectant érotique.

« On était déjà là l’année dernière, c’est sans aucun doute le plus grand événement de cette scène », enchaîne Thommy Meredith, propriétaire du 533 et cofondateur de l’Eastbourne Cannabis Club. « Ça a beaucoup changé au fil des ans. Quand on est arrivé·es ici, le milieu était divisée entre les stoners, les activistes et les hommes d’affaires qui voulaient simplement gagner du fric, mais aujourd’hui, la frontière est plus floue. »

Writer in front of a big weed cushion at Product Earth UK cannabis event.
Photo : Jackson Bowley

À proximité, un stand semble vendre des accessoires qui pourraient se trouver une place dans une potentielle comédie musicale du Laboratoire de Dexter. Mais à la place de vendre des machines à rayons destinées à réduire les professeurs acariâtres à des tailles minusculement comiques, les appareils ont ici pour seul but de rétrécir de grandes quantités de fleurs de cannabis en volumes ridiculement faibles d’huile.

« Ils explosent rarement », me confirme un vendeur en regardant son arsenal steampunk fait de métal tubulaire et de cadrans. « Mais ça peut arriver, si on ne respecte pas les règles ou qu’on s’en allume un petit sans garder un œil sur le butane. »

A person creating a glass weed pipe at Product Earth UK cannabis event.
Photo : Jackson Bowley

Tandis que je me promène, la bienveillance générale me frappe. Bien sûr la sécurité est omniprésente, mais les gardes pourraient tout aussi bien aller s’offrir l’un des massages proposés à certains endroits. Malgré l’écrasante majorité masculine et l’aspect fans de foot de la foule, la douceur de l’herbe sacrée semble avoir atténué l’agressivité testostéronée des jours de derby, et le bar est l’une des installations les moins fréquentées du lieu.

Si à première vue la culture du cannabis est très machiste, les problèmes de santé ne sont pas spécifiques à un sexe. L’introduction du cannabis médical en 2018 a, du moins en partie, atténué ce phénomène, et d’autres communautés ont commencé à se créer leurs propres espaces.

A weed tattoo done at Product Earth UK cannabis event.
Photo : Jackson Bowley

« Pour certaines personnes, l’attitude “voyou” qui entoure la weed peut être assez agressive et intimidante », explique Faye Douglas, propriétaire de Super Natural Seeds et de Tastebudz Genetics, un duo de sociétés de semences inclusives détenues par des femmes, qui possèdent un stand ici. Je vois un tatoueur travailler à partir d’une feuille flash spécialement conçue pour l’occasion — il est en train de tatouer un mignon petit champignon sur un homme en survêtement et visiblement bien médicamenté. « Le cannabis s’adresse à tout le monde, et c’est important que chacun·e puisse trouver quelque chose qui lui convienne. »

Un peu plus loin dans le labyrinthe des simulateurs de DMT et des stands de compost spécialisés, on tombe sur un espace de démonstration culinaire où Corey termine un atelier de peinture sur chocolat. « C’est que du chocolat ordinaire, mais je travaille aussi avec du cannabis », nous assure-t-elle, tandis qu’on regarde les sucettes en chocolat être décorées avec les grands classiques, de l’œil Illuminati aux pénis grossièrement dessinés.

Corey holding her chocolate lollipops at Product Earth UK cannabis event.
Photo : Jackson Bowley

« J’ai eu pas mal de jobs que je détestais et, un jour, j’ai décidé de faire ce que j’aimais. Ça a mis longtemps à démarrer, mais j’espère qu’un jour je pourrai proposer des ateliers de cuisine au cannabis lors d’événements comme des anniversaires ou des EVJF, poursuit Corey. J’ai l’impression que la légalisation n’est plus qu’une question de temps, et c’est toujours bien d’être au bon endroit pour le jour où ça arrivera. »

Corey illustre parfaitement l’esprit d’entreprise qui anime les stands de Product Earth. Si certains aspects sont similaires à ceux d’un festival classique — de la musique sur une scène extérieure (Damian Marley en rotation lourde), de la street food et une zone de camping avec bars à chicha — l’accent est mis sur les marques et les entreprises qui innovent dans le monde de la marijuana, et la plupart des résultats sont assez impressionnants.

Lots of different coloured bongs at Product Earth UK cannabis event.
Photo : Jackson Bowley

La création d’un bang de la taille d’un melon et en forme de calamar géant criblé de bernacles ou l’incrustation d’une vraie tête de weed dans une feuille d’or afin de pouvoir l’accrocher à son cou comme le Roi de la Fonfon exigent une quantité incroyable de compétences et d’artisanat. Une expertise qui se reflète dans les prix à quatre ou cinq chiffres et dans le fait qu’on ne trouve ces créations que dans les shops les plus prestigieux.

Et puis, il y a les joints gonflables d’un mètre cinquante que l’on promène partout. L’un des principaux sponsors de l’événement est une marque américaine appelée Blazy Susan. Cette société est très connue outre-Atlantique pour sa ligne de papier et plateaux à rouler d’un rose criard, et leur stand ressemble à un décor du film Barbie qui aurait été coupé au montage. S’y tient visiblement un concours de roulage, avec à la clé une dose amicale à remporter. N’ayant jamais reculé devant un défi, je me lance et, en 25 petites secondes, j’assois ma place dans les 90% de rouleurs les plus rapides du bâtiment.

Writer Joe doing the rolling competition at Product Earth UK cannabis event.
Photo : Jackson Bowley

Le sponsoring de Blazy Susan en dit beaucoup. Quand une marque américaine d’équipement pour stoners se permet de débourser des milliers d’euros dans le but de sponsoriser un événement au Royaume-Uni, où la weed est encore illégale, ça ne peut qu’être un indicateur significatif de la future trajectoire du cannabis au Royaume-Uni, une trajectoire au moins officieusement alignée sur celle des États-Unis et de l’Europe.

« Le cannabis est en train de passer du statut de drogue à celui de médicament, puis ça deviendra un style de vie », explique Gavin Sathianathan, directeur de Product Earth. « Sur la côte ouest des États-Unis, c’est déjà un mode de vie, et à l’Est, il quitte peu à peu le statut de médicament pour devenir un vrai lifestyle. En Europe, on se situe encore quelque part entre la drogue et la médecine. On veut juste donner un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler le cannabis lifestyle ici. »

« Il ne s’agit plus d’un simple événement consacré au cannabis, et ce depuis longtemps. Notre envie est de célébrer la culture qui entoure les médecines naturelles », ajoute Matthew Clifton, directeur général de l’événement. « On veut capter l’air du temps, nous adresser aux personnes qui recherchent des médicaments naturels et leur fournir des produits de haute qualité, bien réglementés ».

Dans un environnement où toute surface plane est propice à l’installation d’un plateau à rouler et où les gens transportent des objets en verre décadents dans des valises Peli, il est facile d’oublier que la vedette de ce week-end reste une substance contrôlée classée B, dont la possession est passible d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement.

« C’est formidable de venir ici et de se sentir si libre, entourée de tous ces gens qui partagent les mêmes idées, poursuit Corey, mais une fois ce week-end terminé, je sais que je vais retourner à mon quotidien, un quotidien où je suis diabolisée parce que j’utilise la médecine que je trouve la plus efficace pour moi. »

Cannabis gold necklace at Product Earth UK cannabis event.
LE COLLIER « REAL BUD AND GOLD ». PHOTO : JACKSON BOWLEY

En quittant les lieux avec un sac rempli d’accessoires gratuits, de stickers et d’un pendentif golden nugget, on prend le train avec un amas de supporters de foot qui fêtent une victoire, visiblement ivres. Ils sont plutôt inoffensifs, s’amusent à lancer des bouteilles d’eau et à chanter des chansons sur des gens qu’ils soupçonnent d’être des pédophiles. Une atmosphère qui ajoute une couche de tension inutile à un voyage en train déjà hors de prix.

C’est un cliché éculé, mais comparé à la foule de types à l’air endormi qu’on a laissée derrière nous en train de fumer des buzz avec des canettes de Fanta, il n’est pas difficile de savoir ce qui m’a mis le plus mal à l’aise. En fait, dans un environnement où l’on pourrait s’attendre à une certaine prudence à l’égard des médias, la plus grande hostilité qu’on a ressentie aura été celle d’une masseuse qui m’a sermonné sur ma nuque trop tendue.

Lots of rolling papers at Product Earth UK cannabis event.
Photo : Jackson Bowley

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<![CDATA[L’interdiction de l’opium des talibans et la crainte du passage au fentanyl]]>https://www.vice.com/fr/article/7kxw3b/interdiction-opium-talibans-fentanylTue, 19 Sep 2023 08:54:25 GMTPendant une vingtaine d’années, la vaste industrie afghane de production et de trafic d’opium a été considérée comme un ennemi majeur par l’Occident. Ce commerce malveillant fournit en effet la plus grande partie de l’héroïne qui circule sur terre, engendre dépendances et gangstérisme, et a transformé l’Afghanistan en narco-État corrompu. Mais aujourd’hui, alors que les dirigeants talibans demandent de l’aide pour éliminer cette économie, l’Occident se rend peu à peu compte que ça pourrait l’entraîner sur un terrain bien pire, tout en déclenchant une crise mondiale de la mortalité due aux opioïdes.

La réponse à l’interdiction de l’opium par les talibans est un dilemme politique multidimensionnel qui comporte de nombreuses issues potentielles, la plupart d’entre elles étant relativement mauvaises. Le maintien de l’interdiction soutenue par l’Occident pourrait déclencher une guerre civile et une catastrophe humanitaire en Afghanistan, une autre calamité migratoire ainsi qu’une nouvelle vague d’overdoses qui éclipserait de loin celle d’Amérique du Nord. Mais si l’on demande la levée de l’interdiction, la plus grande industrie d’héroïne au monde se remettrait en marche et les affaires reprendraient comme si de rien n’était.

L’Occident ne sait plus où donner de la tête. Les Nations unies mettent en garde contre les conséquences « graves et profondes » d’une pénurie d’héroïne, tout en fournissant des millions de dollars pour financer des moyens de subsistance alternatifs afin de permettre aux agriculteurs afghans de se libérer de la culture des plantes qui produisent l’héroïne.

À huis clos, les gouvernements craignent qu’une pénurie d’héroïne n’incite les trafiquants internationaux à injecter du fentanyl mortel dans les réserves d’héroïne destinées à la planète entière. Il se dit tout bas que les talibans pourraient se servir de l’interdiction comme d’un coup politique, voire qu’ils seraient de connivence avec les gangs de trafiquants pour faire monter le prix de l’opium.

Alors que les familles de cultivateurs de pavot, actuellement sans emploi, commencent à abandonner leurs champs pour se réfugier en Europe et que le nombre de cadavres ne fait qu’augmenter dans les régions opposées à l’interdiction, des experts ont expliqué à VICE News qu’il s’agissait d’un dilemme politique truffé d’intrigues et de manœuvres, où les premiers à en subir les conséquences sont évidemment les populations les plus pauvres.

La culture du pavot en Afghanistan — qui produit au moins 80% de l’héroïne mondiale — trouve son origine dans la guerre qui a opposé le pays contre l’URSS. Dans les années 1980, les troupes d’invasion soviétiques ont détruit le système agricole, faisant du pavot l’une des seules cultures que les paysans afghans pouvaient encore cultiver et vendre. Dans les années 1990, l’Afghanistan a remplacé des pays comme le Myanmar en tant que principal fournisseur d’héroïne. Le commerce de l’opium est devenu un élément central de l’économie afghane, depuis les paysans dont la survie dépendait de cette culture jusqu’aux dirigeants du pays qui recevaient d’énormes pots-de-vin de ce commerce. On estime que l’économie de l’opium de l’Afghanistan vaut entre 1,4 et 2,2 milliards de livres sterling, qu’elle représente 14% du PIB et qu’elle fournit environ 450 000 emplois.

En 2001, les États-Unis ont lancé ce que l’on appelle la War on Terror (soit la « guerre contre le terrorisme » ou « guerre contre la terreur ») en réponse aux attentats du 11 septembre. La première grande initiative a été l’invasion de l’Afghanistan sous l’égide des États-Unis afin de traquer les auteurs de l’attaque, Oussama Ben Laden et Al-Qaïda, et renverser le gouvernement taliban alors au pouvoir et qui les cachait. L’Occident s’est également attaqué au commerce de l’opium, qu’il considérait comme une importante ressource de financement pour le terrorisme.

« Le plus grand stock de drogue au monde se trouve en Afghanistan, sous le contrôle des talibans. C’est un régime fondé sur la peur et financé par le commerce de la drogue », avait déclaré à l’époque le Premier ministre britannique Tony Blair dans un discours prononcé devant le parti travailliste. « 90% de l’héroïne que l’on trouve dans les rues britanniques provient d’Afghanistan. Les armes que les talibans achètent aujourd’hui sont payées avec la vie de jeunes Britanniques qui se procurent leur drogue dans les rues de notre pays. C’est un autre aspect de leur régime que nous devrions chercher à détruire ».

Curieusement, les talibans avaient cette même année interdit la production d’opium, la réduisant considérablement : entre 2000 et 2001, elle est passée de 3 276 tonnes métriques à 185 tonnes métriques. En 2002, juste après la chute des talibans en décembre 2001 — une chute précipitée par l’impopularité de l’interdiction — la production d’opium était revenue aux niveaux atteints en 2000.

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UN HUMVEE DE L’ARMÉE AMÉRICAINE PASSE DEVANT UN CHAMP DE PAVOT EN 2006 AU HELMAND, DANS LE SUD DE L’AFGHANISTAN, APRÈS QUE DES SOLDATS DÉPLOYÉS POUR L’ÉRADICATION DU PAVOT ONT ÉTÉ BLESSÉS DANS UN ATTENTAT À LA BOMBE. PHOTO : JOHN MOORE/GETTY IMAGES

Après la chute du gouvernement taliban, alors que les troupes britanniques étaient présentes en Afghanistan dans le cadre d’un mandat de l’OTAN, le Royaume-Uni a été chargé de superviser la lutte contre les stupéfiants. Cependant, en 2006, alors que la production d’opium atteignait le niveau record de 6 700 tonnes, le Royaume-Uni et les États-Unis se sont pris le chou sur la manière de procéder. La Maison-Blanche souhaitait en effet accélérer l’éradication manuelle des cultures par pulvérisation aérienne, une tactique déjà utilisée pour lutter contre les plantations de coca en Colombie. Mais les Britanniques et le président afghan Hamid Karzai, tous désireux de gagner la bataille des « cœurs et des esprits » du peuple afghan, avaient préféré des méthodes moins antagonistes — notamment des programmes plus larges tels que l’aide au développement d’autres cultures et l’aide à l’emploi —, et les plans américains avaient été abandonnés. 

Dans son livre de 2011, Cables from Kabul, l’ancien ambassadeur du Royaume-Uni en Afghanistan, Sherard Cowper-Coles, a tourné en dérision les tentatives de l’Occident pour lutter contre le commerce de l’opium, pointant notamment un programme secret de pulvérisation des cultures à Nangarhar, dans l’est de l’Afghanistan, ordonné en 2002 par l’ambassadeur des États-Unis en Afghanistan, William « Chemical Bill » Wood, surnommé ainsi en raison de son empressement à pulvériser les plants de coca lorsqu’il était ambassadeur en Colombie. Les Afghans haïssaient tellement la pratique de pulvérisation des cultures que lorsque l’armée britannique a envoyé des soldats dans le Helmand en 2006, ils ont largué des tracts disant « Nous ne sommes pas ici pour détruire vos cultures ». À un moment donné, rappelle Cowper-Coles, les Britanniques ont mis en place un programme secret pour acheter et détruire les cultures d’opium, dépensant 25 millions de livres sterling par an pour un programme qu’il qualifie de « ridicule ».

Entre 2002 et 2017, le gouvernement américain a alloué 1,46 milliard de dollars à des projets d’aide au développement visant à réduire la culture du pavot en augmentant les alternatives économiques légales. Dans les années 2010, l’armée américaine a dépensé des dizaines de millions de dollars pour faire exploser des laboratoires d’héroïne et de méthamphétamine, bien qu’il ait été révélé par la suite que de nombreux laboratoires n’étaient en fait que des huttes.

Au total, les États-Unis ont dépensé environ 9 milliards de dollars depuis 2002 pour divers projets destinés à endiguer le flot d’opium provenant d’Afghanistan, tels que la substitution des cultures, l’éradication du pavot et la lutte contre les stupéfiants. Au cours de la même période, les États-Unis ont dépensé 144,98 milliards de dollars pour la reconstruction et les activités connexes dans le pays, et le Royaume-Uni a dépensé 3,5 milliards de livres sterling en aides. Pourtant, un rapport présenté en 2019 au Congrès américain admet que malgré tout l’argent dépensé pour tenter d’éloigner l’Afghanistan de sa dépendance à l’opium, la production a atteint des niveaux record et que « les efforts d’éradication ont eu un impact minime sur la réduction de la culture du pavot ».

L’Occident continue néanmoins de placer ses espoirs dans des programmes à relativement petite échelle pour éloigner les Afghan·es de la culture du pavot. Un programme des Nations unies affirme avoir aidé 8 000 familles issues des provinces du Helmand et du Kandahar à abandonner le commerce de l’opium pour d’autres moyens de subsistance, tels que l’élevage de poulets.

En août 2021, la mission occidentale en Afghanistan, qui durait depuis 20 ans, s’est effondrée. C’est à ce moment-là que les talibans ont mis en déroute les armées du gouvernement afghan soutenu par l’Occident, se sont emparés de Kaboul et ont repris le pouvoir. En avril 2022, le chef suprême des talibans, Haibatullah Akhundzada, a décrété une interdiction stricte de la culture du pavot et du commerce de l’opium, en raison de ses effets néfastes et de sa contradiction avec leurs croyances islamiques.

Cette interdiction est arrivée à un mauvais moment pour les cultivateurs de pavot. Depuis le retour des talibans, l’économie afghane est au bord de l’effondrement et le pays est confronté à des niveaux de famine extrêmes. Selon le World Food Programme, plus de la moitié de la population se trouve en situation d’insécurité alimentaire aiguë. Comme l’a montré une enquête exclusive menée en Afghanistan l’année dernière par Élise Blanchard pour VICE News, les cultivateurs ont mis du temps à se conformer à l’interdiction et malgré le décret, le commerce s’est poursuivi.

Mais en juin de cette année, il est apparu que l’interdiction avait été bien plus efficace pour cette nouvelle saison, avec une réduction « sans précédent » de la production d’opium, qui aurait chuté de 80%. En bridant le commerce de l’héroïne en Afghanistan, les talibans ont réussi là où l’Occident a échoué, malgré deux décennies de programmes de lutte contre les stupéfiants. Du moins, pour l’instant.

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Imagerie montrant les faibles niveaux de pavot (rose) en 2023, la culture passant de 129 000 hectares en 2022 à seulement 740 hectares en 2023. Image : Alcis

Certain·es sont convaincu·es qu’avec l’interdiction des talibans soutenue à l’AK-47 et l’argent que l’Occident met sur la table pour aider certains agriculteurs, le commerce afghan de l’opium est menacé. Mais si les gouvernements européens et les services répressifs rêvaient d’y mettre fin depuis que la dépendance à l’héroïne et le gangstérisme ont frappé la planète de plein fouet dans les années 1980 et 1990, ce vieux désir d’éradiquer et d’éliminer le commerce de l’héroïne est aujourd’hui teinté d’une crainte tenace : celle d’ouvrir la porte à quelque chose de bien pire encore.

Au milieu des années 2010, les cartels mexicains ont commencé à remplacer l’héroïne par le fentanyl dans les réserves de drogues d’Amérique du Nord, un opioïde synthétique 50 fois plus puissant. Comparée à l’héroïne, cette substance est moins chère à importer et à fabriquer et son trafic est plus facile. Le fentanyl a également été utilisé pour fabriquer de faux comprimés d’opioïdes. L’inclusion de fentanyl, d’abord avec de l’héroïne puis de plus en plus à la place de celle-ci, a provoqué la crise des surdoses mortelles la plus meurtrière de l’histoire. Aujourd’hui, environ 70 000 des 100 000 décès annuels liés à la drogue aux États-Unis impliquent des opioïdes synthétiques, principalement du fentanyl. Au Canada aussi, les décès dus aux opioïdes synthétiques ont grimpé en flèche.

En dehors de l’Amérique du Nord, la présence de fentanyl et d’autres opioïdes synthétiques sur le marché de l’héroïne a pour le moment été relativement limitée. Cela s’explique par le fait que les principaux fournisseurs ont conclu qu’avec une offre d’héroïne à ce point abondante en Afghanistan, il ne valait tout simplement pas la peine de la remplacer par des produits synthétiques tels que le fentanyl.

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LE MUR DES « VISAGES DU FENTANYL », QUI PRÉSENTE DES PHOTOS DE QUELQUES-UNS DES 70 000 AMÉRICAINS QUI MEURENT CHAQUE ANNÉE D’UNE OVERDOSE DE FENTANYL, AU SIÈGE DE LA DRUG ENFORCEMENT ADMINISTRATION (DEA) À ARLINGTON, EN VIRGINIE, EN 2022. PHOTO : AGNÈS BUN/AFP VIA GETTY IMAGES

Il n’en reste que le spectre d’une crise des opioïdes de type nord-américain se propageant à l’échelle planétaire est une image qui fait frémir tout le monde. Si les opioïdes synthétiques tels que le fentanyl en viennent à remplacer l’héroïne au niveau mondial, le nombre de morts aux États-Unis et au Canada pourrait nous sembler soudainement bien faible. Il y a environ 1 million de consommateur·ices d’héroïne aux États-Unis, mais on estime qu’il y en a 30 millions dans le monde, dont la plupart vivent dans la pauvreté.

Comme l’a déclaré au début de l’année Paul Griffiths, directeur scientifique de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies : « Cela peut sembler étrange à dire, mais en ce qui concerne les produits synthétiques, la grande disponibilité de l’héroïne à l’heure actuelle est sans doute un facteur de protection. »

Les opioïdes synthétiques sont apparus plus fréquemment en Europe ces dernières années, bien qu’à un niveau très faible par rapport aux États-Unis. Mais en raison de la position anti-opium des talibans, le scénario de la pénurie mondiale d’héroïne est désormais possible. La crainte, c’est que plus les plantations de pavot disparaîtront en Afghanistan, plus le passage de l’héroïne au fentanyl risquera de causer énormément de morts à l’échelle mondiale. Les gouvernements européens sont donc constamment en état d’alerte, juste au cas où les fournisseurs d’héroïne commenceraient à introduire des opioïdes synthétiques dans la chaîne des stupéfiants.

La prolongation de l’interdiction de l’opium pourrait être une très mauvaise nouvelle, et ce à plusieurs égards, a déclaré à VICE News David Mansfield. Mansfield est un éminent spécialiste du trafic de drogue en Afghanistan et a travaillé avec la société d’imagerie par satellite Alcis afin de suivre la chute spectaculaire de la culture du pavot au cours de l’année écoulée.

Selon lui, « ce dilemme comporte trois dimensions principales. Si les talibans poursuivent l’interdiction pendant plusieurs années consécutives, les conséquences économiques pourraient provoquer une catastrophe humanitaire et une forte augmentation des migrations hors du pays ». En Afghanistan, certains travailleurs ont déclaré à VICE News avoir constaté une augmentation des personnes issues de familles de cultivateurs de pavot cherchant à se rendre en Europe par la frontière sud-ouest.

Dans certaines régions où l’on cultive le pavot, l’interdiction des talibans a rencontré une résistance armée. Dans la province de Badakhshan, au nord-est du pays, la production d’opium a par exemple augmenté, tandis que dans la province de Nangarhar, à l’est du pays, des communautés locales se sont opposées aux efforts des talibans pour faire respecter l’interdiction. Mansfield a déclaré que le maintien de l’interdiction pourrait créer « une instabilité politique et une fragmentation du pouvoir », ainsi qu’une « résistance à l’interdiction dans des régions où le gouvernement n’a jamais eu de présence historique ».

« Nous avons actuellement une population plutôt stable de consommateur·ices d’opiacés. La vraie question, c’est de savoir si on veut vraiment voir ce qui pourrait se passer si… Il est évident que si l’interdiction n’est pas maintenue, rien ne changera, le commerce de l’opium continuera comme si de rien n'était. C’est un scénario très difficile pour les décideur·ses politiques, car il n’y a pas de bonnes options », nous a expliqué Mansfield.

Dans un article pour Alcis, Mansfield résume le dilemme politique en Afghanistan comme suit : « Dans l’état actuel des choses, les gouvernements occidentaux devront peut-être calibrer leur réponse face à l’interdiction des talibans, et ce en fonction des résultats qu’ils jugent les moins indésirables. Il n’est pas possible de fournir une aide au développement suffisante pour endiguer le retour éventuel de la culture du pavot, mais faire pression sur les talibans pour qu’ils maintiennent l’interdiction pourrait provoquer une augmentation spectaculaire de l’émigration et déstabiliser le régime de Kaboul. Il est fort probable que certain·es envisagent un flux de drogue continu en provenance d’Afghanistan comme étant la moins mauvaise des solutions. »

Dans son rapport international et annuel sur les drogues, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime a reconnu les effets « très graves » et « à grande portée » qu’une perturbation sérieuse de l’approvisionnement en pavot et en héroïne pourrait avoir sur les consommateur·ices d’héroïne à travers le monde. Dans le même temps, il continue de financer une série de projets de développement alternatif visant à réduire la culture du pavot.

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LE PERSONNEL DE SÉCURITÉ DES TALIBANS DÉTRUIT UNE PLANTATION DE PAVOT DANS LA PROVINCE DE KANDAHAR EN AVRIL 2023. PHOTO : SANAULLAH SEIAM/AFP VIA GETTY IMAGES

Au cœur de ce dilemme se trouve la question de savoir si les talibans sont déterminés à maintenir l’interdiction. Cela tient en partie aux raisons qui les ont poussés à le faire. Le chef suprême des talibans, Haibatullah Akhundzada, a probablement décidé que c’était la bonne chose à faire pour être en accord avec son fanatisme religieux. Toutefois, en dépit de l’aspect religieux de l’opération, Mansfield suggère qu’il pourrait avant tout s’agir d’une décision politique.

« D’autres acteurs talibans, un peu plus avisés sur le plan politique, se sont sans doute dit que c’était la décision à prendre alors qu’ils fermaient l’accès des écoles aux filles. À leurs yeux, ça constituait une excellente distraction pour la communauté internationale qui, tout en considérant leur comportement envers les femmes comme inacceptable, applaudirait leur politique en matière de drogue. En gros, certains talibans considèrent l’interdiction de l’opium comme une faveur faite au reste du monde, partant du principe qu’on devrait leur apporter aide et financement, sans mettre sur la table ni questionner leur politique en matière de femmes et de droits humains. »

Cette stratégie ne serait pas surprenante. Les talibans avaient fait pareil lors de la dernière interdiction, en 2001. Le mollah Mohammed Hassan Rahmani, gouverneur régional de la région du Sud-ouest, avait alors déclaré : « Les talibans ont fait leur part du travail et la communauté internationale ne devrait pas mêler drogue et politique — il s’agit d’une question humanitaire. Si la communauté internationale veut contrôler la drogue en Afghanistan, elle doit d’abord séparer les questions politiques des questions liées à la drogue. Ni l’aide à court terme ni l’aide à long terme [en réponse à l’interdiction] ne doivent être liées à la politique. »

Il est possible que l’interdiction ait toujours été une mesure temporaire, une manœuvre des talibans pour s’attirer les faveurs de l’Occident et éventuellement obtenir des financements de celui-ci, augmenter les prix de l’opium et ensuite annuler l’interdiction en prétendant que l’Occident n’a pas offert suffisamment d’aide. Antonio Giustozzi, chercheur principal au Royal United Services Institute (RUSI), un groupe de réflexion sur la défense et la sécurité, a déclaré que les talibans pourraient même avoir été en contact avec des trafiquants d’héroïne pour s’accorder sur l’interdiction. « Il est possible que les talibans aient réuni les grands producteurs d’héroïne et les plus gros gangs autour d’une table pour les prévenir à l’avance de l’interdiction, leur permettant ainsi d’acheter et de stocker davantage d’héroïne, et tout ça en leur garantissant que l’interdiction prendrait fin dans deux ou trois ans, négociant ainsi une sorte de deal avec eux. »

Il a également émis l’hypothèse que les talibans pourraient se servir de l’interdiction pour tenter de priver les dirigeants régionaux de leurs revenus et ainsi gagner en puissance, en particulier si les talibans eux-mêmes parviennent à trouver d’autres sources de revenus.

Giustozzi a déclaré que pour les talibans, l’interdiction pourrait être une situation « win-win ». « Cela pourrait les aider à faire des progrès significatifs dans l’obtention de la reconnaissance de l’Occident et d’une aide financière conséquente, tandis que l’interdiction aurait pour effet de faire grimper les prix de l’héroïne. »

Mansfield ne croit toutefois pas que l’interdiction, même partant d’une bonne intention, soit durable. D’après lui, l’impact financier sur les agriculteurs afghans et la résistance armée se fera ressentir bien avant que les programmes occidentaux d’amélioration des moyens de subsistance n’aient eu le temps d’avoir un impact significatif dans le pays.

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UN HOMME ASSIS DERRIÈRE DES SACS D’OPIUM DEVANT UN MAGASIN DU DISTRICT DE ZHERAY, SITUÉ DANS LA PROVINCE DU KANDAHAR DANS LE SUD DE L’AFGHANISTAN, LE 24 AVRIL 2022. PHOTO : ÉLISE BLANCHARD

« Si l’on veut changer les choses pour les agriculteurs qui souffrent de cette interdiction, il est impossible de régler le problème [de la dépendance du pays à l’égard du commerce de l’opium] dans les délais requis, a-t-il déclaré. L’interdiction ne peut être maintenue sans des niveaux significatifs de violence ou d’émigration. »

Selon Mansfield, l’interdiction n’aura pas d’impact immédiat sur l’offre mondiale d’héroïne, en raison des stocks d’opium. Depuis des années, les cultivateurs d’opium afghans produisent un surplus et l’enterrent dans leurs fermes, sachant très bien que sa valeur ne fera qu’augmenter, notamment en cas de pénurie et de hausse des prix de l’opium.

« Certains agriculteurs ont stocké plus de 500 kilos, enterrés soit dans la terre soit sous leurs maisons, poursuit Mansfield. Lorsque l’interdiction a été annoncée l’année dernière et que la nouvelle s’est répandue parmi tous les agriculteurs via WhatsApp, tout le monde parlait de stocker l’opium. Certains agriculteurs ont préféré vendre leur moto ou d’autres biens familiaux parce que leur femme était malade plutôt que de vendre leurs stocks d’opium. Logique : la moto ne peut que perdre en valeur, alors que l’opium en gagne. »

« L’opium se conserve bien. Peut-être plus de 10 ans. Je connais des gens qui ont pu en stocker encore plus longtemps, s’il est séché et conservé correctement. Les négociants vont également se mettre bien. Si une deuxième année d’interdiction arrive, ce sont eux qui se frotteront les mains, car les prix vont encore augmenter. »

En raison de l’existence de ces stocks, Mansfield estime qu’il faudra au moins un ou deux ans avant que l’on ressente l’impact de l’interdiction sur l’approvisionnement d’héroïne en Europe. Il ajoute que les récentes hausses de prix de l’héroïne au Royaume-Uni ne sont pas nécessairement liées à l’interdiction, et qu’une évolution du marché vers les opioïdes synthétiques pourrait se produire indépendamment de toute pénurie réelle.

Aucun·e fonctionnaire occidental·e n’oserait le dire à haute voix, mais le commerce de l’opium en Afghanistan, source principale de l’héroïne mondiale — une drogue considérée pendant des décennies comme l’ennemi public numéro un des stupéfiants et le fléau de la société occidentale — est en quelque sorte un mal nécessaire, un ami diabolique. Même si l’interdiction sera difficile à maintenir pour les talibans et qu’il faudra peut-être la prolonger pendant plusieurs années consécutives afin de créer une pénurie, l’ampleur même du désastre que serait l’introduction d’opioïdes synthétiques dans le réseau mondial d’héroïne nous prouve déjà qu’il s’agit d’un scénario qui ne peut pas être ignoré.

C’est aux cartels mexicains que l’on doit la décision la plus insensée dans l’univers de la drogue : l’ajout de fentanyl à l’héroïne. Une décision qui, ils le savaient, allait tuer une part importante de leur marché américain. Dans certaines régions des États-Unis et du Canada, le fentanyl a aujourd’hui totalement remplacé l’héroïne. Jusqu’alors, la règle d’or en matière de trafic de drogue était la suivante : « ne pas tuer les client·es ». Mais il semblerait bien que les comptables du cartel ont vite pigé qu’ils pouvaient se faire pas mal de fric avec la vente de fentanyl, bon marché et très puissante, surtout s’ils se diversifiaient en incorporant cette drogue dans des pilules opioïdes plus acceptables sur le plan social. Et ce, même si ça revenait à tuer 70 000 des 1 million d’héroïnomanes américain·es chaque année.

En dehors de l’Amérique du Nord, l’offre mondiale d’héroïne pourrait être altérée par les gangs en de multiples points, situés tout le long des itinéraires d’approvisionnement. Des opioïdes synthétiques pourraient même être ajoutés au mélange en Afghanistan, où des laboratoires sont capables de transformer l’opium en chlorhydrate d’héroïne prêt à l’emploi. Ils pourraient également être ajoutés plus loin dans la chaîne, comme en Turquie, avant d’être acheminés vers l’Europe.

Les organisations de trafiquants pourraient aussi décider de remplacer complètement l’héroïne par des opioïdes synthétiques, ce qui pourrait se faire n’importe où. Les cuisiniers des cartels mexicains, qui ont perfectionné leurs compétences en matière de fentanyl pendant la pandémie de COVID, travaillent déjà avec des gangs basés aux Pays-Bas pour produire de la méthamphétamine dans ce pays. Il est également possible qu’ils commencent à produire une nouvelle « héroïne européenne », une drogue qui ne contiendrait pas d’héroïne à proprement parler, mais seulement de la caféine et d’autres substances de remplissage parsemées de minuscules quantités d’opioïdes synthétiques très puissants. Ce scénario pourrait se produire indépendamment d’une pénurie d’héroïne, mais une hausse des prix de l’héroïne et des prix abusifs dus à l’interdiction de la culture d’opium pourraient inciter les cartels à s’associer à des groupes criminels organisés européens afin de produire ce genre de substance.

« Il est clair que les opioïdes synthétiques sont déjà présents dans le système en Europe et au Royaume-Uni. Cela dit, pas dans des proportions énormes. Mais je ne suis pas certain que ça a nécessairement un rapport avec ce qui se passe en Afghanistan », a déclaré Harry Shapiro, auteur de Fierce Chemistry : a History of UK Drug Wars et directeur de DrugWise, une organisation caritative d’information sur les drogues.

« Je pense qu’il s’agit plutôt de trafiquants et de chimistes qui, en regard de ce qui se passe actuellement aux États-Unis, se disent qu’eux aussi pourraient gagner beaucoup plus d’argent et rencontrer moins d’inconvénients en utilisant des opioïdes synthétiques plutôt que de l’héroïne, une drogue qu’il faut suivre sur 5 000 kilomètres, de l’Afghanistan à l’Europe. Ces opioïdes peuvent être fabriqués en Bulgarie, en Hollande, partout ».

« Il peut donc y avoir un lien entre l’interdiction de l’opium et l’augmentation des opioïdes synthétiques en Europe, mais je suis plus enclin à penser que c’est la situation aux États-Unis qui pourrait dicter notre futur marché des opioïdes. »

« En termes de santé publique, il faut beaucoup de temps pour devenir dépendant·e de l’héroïne. Ce n’est pas quelque chose qui se produit du jour au lendemain. Le problème avec le fentanyl et tous ses analogues — et ça ressemble à un gros titre du Sun —, c’est que ce n’est pas “un hit et vous êtes addict”. Pour les nouveaux utilisateur·ices, c’est plutôt “un hit et vous êtes mort·e”. C’est la raison pour laquelle on assiste à une explosion du nombre d’overdoses aux États-Unis, parce que ce produit est sacrément puissant. »

Le gouvernement britannique surveille de près la menace que représentent les opioïdes synthétiques pour ses quelque 300 000 héroïnomanes, même s’il est handicapé par le fait que suite à la réduction de dépenses, ses services de dépistage médico-légal des drogues ont été réduits au strict nécessaire au cours des deux dernières décennies. Si l’on s’en tient à l’avis des expert·es, les décideur·ses politiques ou les gouvernements qui ont été témoins de l’impact mortel du fentanyl en Amérique du Nord devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter cette situation.

Mansfield, qui a passé plus de vingt ans à travailler sur le terrain en Afghanistan et qui a produit une grande partie de la recherche primaire sur le sujet, y compris un examen des efforts du gouvernement américain en matière de lutte contre les stupéfiants dans le pays, a déclaré que les réponses au dilemme de l’opium ont souvent été à court terme et peu réfléchies.

« Les décideur·ses politiques ont rarement compris à quel point la drogue était un élément essentiel de l’économie politique afghane, et n’ont donc pas réussi à intégrer correctement la lutte contre ce fléau dans l’effort global de reconstruction, a-t-il déclaré. À la place, un volet “lutte contre les stupéfiants” a été mis en place, un menu d’activités limitées, comme ces “moyens de subsistance alternatifs”, qui étaient souvent mal conçus et ne pouvaient pas s’attaquer aux causes sous-jacentes de la production d’opium. »

Est-il possible que des diplomates occidentaux, craignant le spectre du fentanyl en Europe, s’expriment en secret contre le maintien de l’interdiction de l’opium ? Giustozzi, chargé de recherche au RUSI, estime que c’est peu probable, mais pas impossible.

« Il ne faut pas grand-chose pour qu’en coulisse, quelqu’un encourage un certain type d’argument. Ainsi, des études détaillées montrant l’impact économique négatif de l’interdiction en l’Afghanistan pourraient par exemple bénéficier soudainement d’un financement important. »

Derrière la rhétorique de la guerre contre la drogue, le gouvernement britannique sait bien que le commerce illégal et ses profits artificiellement gonflés ont aidé certaines communautés pauvres non seulement à gagner leur vie, mais aussi à échapper à la pauvreté. Des recherches financées par le Royaume-Uni et menées sur le terrain en Afghanistan, en Colombie et au Myanmar ont conclu que, bien que destructeur et dangereux, le commerce de la drogue peut aider les communautés pauvres à survivre et à prospérer dans certains des pays du monde les plus instables et les plus déchirés par la guerre. « Il faut se méfier des récits simplistes selon lesquels les drogues seraient “bonnes” ou “mauvaises” dans la lutte contre la pauvreté », a déclaré à VICE News en 2020 Jonathan Goodhand, professeur d’études sur les conflits à l’université SOAS de Londres. Il a qualifié de « profondément erronée » l’hypothèse selon laquelle le commerce de la drogue irait toujours à l’encontre de la paix, du progrès social et de la survie dans ces régions.

Les gens qui ont lutté contre la propagation de l’héroïne et de la cocaïne au cours du siècle dernier seraient choqués d’apprendre que le commerce de l’opium, tant décrié, pourrait bien être un moyen de défense essentiel contre une vague de décès liés à la drogue, un phénomène épidémique mondial qui pourrait entraîner des millions de morts par an.

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DES ENFANTS JOUENT AVEC UN SAC D’OPIUM À CÔTÉ DU CHAMP OÙ LEURS PÈRES RÉCOLTENT LE PAVOT DANS LE DISTRICT DE KAJAKI, DANS LA PROVINCE MÉRIDIONALE DU HELMAND, EN AFGHANISTAN. AVRIL 2022. PHOTO : ÉLISE BLANCHARD

Mais alors que l’Europe est confrontée à un dilemme sur la meilleure façon d’éviter une telle catastrophe et d’y faire face, l’interdiction de l’opium par les talibans n’est peut-être qu’un faux problème.

Selon toute vraisemblance, l’interdiction ne durera pas. Ce serait un désastre pour des centaines de milliers d’Afghan·es, pour le pays et pour les talibans eux-mêmes, qui pourraient décider de faire fi de leurs principes religieux si l’interdiction les touchait politiquement et menaçait leur pouvoir. Il se peut que la décision de commencer à remplacer l’héroïne par des opioïdes synthétiques afin d’approvisionner l’Europe et l’Asie soit prise indépendamment de ce qui se passe en Afghanistan.

Ici comme en Amérique du Nord, la plus grande menace est celle des grands cartels mexicains, tels que le Sinaloa, qui, de plus en plus impliqués dans la production de méthamphétamine en Europe, pourraient décider de s’orienter vers l’énorme trafic d’héroïne du continent en fabriquant et en fournissant du fentanyl à moindre coût.

Quoi qu’il en soit, l’essor mondial de drogues synthétiques puissantes, peu chères et fabriquées en laboratoire, telles que le fentanyl, la tranq dope, le Spice et la méthamphétamine — résultat inévitable de décennies de prohibition des drogues — représente désormais un nouvel adversaire plus coriace et dangereux pour les autorités et les gouvernements que les drogues végétales traditionnelles que sont la coca, le cannabis et l’héroïne.

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<![CDATA[J’ai visité une ferme de cannabis médical le jour de la récolte]]>https://www.vice.com/fr/article/ak3djj/visite-ferme-de-cannabis-allemagneMon, 04 Sep 2023 12:07:39 GMTOui, je bosse chez VICE Germany et pourtant, je n’y connais rien à la weed. Si mon équipe éditoriale a publié plus de 600 articles sur le sujet, j’ai, de mon côté, peut-être dû tirer deux lattes sur un joint, max. Comment s’intégrer, dans ces conditions ? Impossible. La weed n’a jamais été une drogue qui me fascinait. En fait, elle m’a toujours un peu répugnée. Je considère les stoners comme des personnes qui parlent très lentement en passant leur vie avachis sur des canapés pas nets — du moins, c’est ce que la pop culture et les politiques m’ont appris à penser.

Mais les temps changent. Le gouvernement allemand s’apprête à légaliser le cannabis à des fins récréatives. Malgré quelques revers, une proposition de loi est en cours d’élaboration. La légalisation changerait beaucoup de choses dans le pays. Pour certain·es, l’IPA d’afterwork deviendrait le petit jonko d’afterwork. Et les 4,5 millions d’Allemand·es qui fument déjà la weed n’auraient plus à se cacher.

Je veux me préparer à cette période de normalisation et donner à cette drogue la chance qu’elle mérite. Après tout, dans certaines grandes villes, il est déjà plus facile de se procurer de l’herbe qu’une place de parking.

Début mars, je me retrouve donc sur le terrain d’un ancien abattoir situé dans la ville d’Ebersbach, près de Stuttgart, dans le sud de l’Allemagne. Tandis que je m’approche des murs en béton de 24 centimètres d’épaisseur, une myriade de caméras de surveillance restent braquées sur moi. Rassurez-vous : au-delà de ces murs, on ne découpe plus d’animaux. On cultive des plantes. La plantation appartient à Demecan, l’une des trois seules entreprises titulaires d’un permis de culture de cannabis médical en Allemagne. La bonne nouvelle, c’est qu’aujourd’hui, c’est jour de récolte.

« C’est bon, elle est avec moi », lance Muhammad Abd El Qadir, l’attaché de presse de Demecan, en me faisant passer la sécurité. Il a pour mission de me faire visiter l’usine de 100 000 mètres carrés, où l’équipe récolte une tonne de fleurs de cannabis par an. Mais cela ne couvre pas, loin s’en faut, la demande d’herbe médicinale en Allemagne. Selon le Federal Institute for Drugs and Medical Devices, plus de 20 tonnes de cannabis sont importées chaque année dans le pays à des fins médicales.

Demecan disposerait déjà d’assez d’espace pour en cultiver beaucoup plus — jusqu’à dix tonnes de cannabis rien que dans leurs locaux. Mais ils n’ont pas encore de permis pour ça. Une situation qui pourrait évidemment changer avec la légalisation.

Avant qu’El Qadir ne me laisse m’approcher des plantes, je dois d’abord aller dans une salle d’attente pour échanger mes pompes contre des Crocs rouges. On me conduit ensuite dans une deuxième salle, où je me lave les mains et où je remplace les Crocs rouges par des Crocs vertes, qui couinent à chacun de mes pas. Je dois aussi enfiler une combinaison de protection blanche qui me fait ressembler à un spermatozoïde et me laver à nouveau les mains. Après avoir été stérilisé·es et débarrassé·es des agents pathogènes susceptibles de compromettre les plantes, El Qadir et moi entrons enfin dans la ferme.

ferme cannabis
EL QADIR, L’ATTACHÉ DE PRESSE, QUI M’EXPLIQUE LES PRINCIPES DE BASE À L’INTÉRIEUR DE LA SALLE DE FLORAISON.

La première chose qui me frappe est l’odeur — incroyablement forte et poussiéreuse. Je détecte également une note d’orange fraîche qui me rappelle les produits de nettoyage. En regardant autour de moi, je ne vois rien d’autre qu’un labyrinthe de couloirs blancs avec beaucoup de portes et de caméras. Comme s’il lisait dans mes pensées, El Qadir murmure qu’il s’est déjà perdu plusieurs fois ici.

« On va commencer par les bébés », me dit-il en entrant dans une pièce où se trouve le plus grand réfrigérateur que j’aie jamais vu. Dedans, pas la moindre trace de bouffe, mais bien des minuscules plants de weed qui flottent dans des petites boîtes en plastique.

Ces bébés sont l’avenir de l’entreprise : ce sont des clones, issus d’une seule plante mère par variété. Deux variétés sont cultivées ici : la Bubba Kush et l’Orange Velvet. L’odeur d’agrume a maintenant une explication. Ces baby plantes poussent dans un bouillon riche en nutriments et sont autorisées à quitter leur boîte dès qu’elles atteignent une certaine taille.

frigo ferme cannabis
LES BÉBÉS CLONES BIEN AU FRAIS DANS LE FRIGO.

Réinstallée dans un bloc de mousse jaune, chaque plante adulte est équipée d’un traceur GPS et reçoit 24 heures sur 24 la quantité d’eau et d’engrais dont elle a besoin. Pourquoi le GPS ? Parce que chacune de ces plantes vaut jusqu’à plusieurs milliers d’euros, en fonction du rendement. Toute personne tentée de retirer l’un des traceurs doit s’attendre à être filmée par ce qui ressemble à un milliard de caméras.

L’arrêt suivant, la « flower room », est une salle maintenue à l’agréable température de 25 degrés. Les plantes, qui mesurent à peine un mètre de haut, baignent dans la lumière dorée des plafonniers, ce qui les incite à pousser le plus possible. Cela fait trois à quatre mois que ces plantes laissent mûrir leurs fleurs puantes et sirupeuses. Tout le monde ici attend avec impatience le jour de la récolte, qui a lieu deux fois par mois.

intérieur d'une ferme de cannabis
LA « FLOWER ROOM ».

El Qadir me conduit ensuite dans une troisième salle, qui ferait exploser de joie le cœur de n’importe quel stoner. L’odeur de weed que j’avais sentie jusqu’à présent n’est rien comparée aux effluves qui s’en dégagent. J’observe des employé·es arracher les fleurs des branches sur quatre tables métalliques. Les étudiant·es qui travaillent à temps partiel dans le bureau berlinois de l’entreprise ont spécialement fait le déplacement pour donner un coup de main en cette journée spéciale.

Sur fond de rap tout droit sorti des années 1990, l’équipe a récolté 50 kilos d’herbe — même le service juridique a visiblement mis la main à la pâte.

ferme de cannabis, salle de coupe
LA SALLE DE COUPE.

Je demande à un membre du personnel s’il lui arrive d’être passivement défoncé à force de bosser dans ce service. « Je ne peux pas vraiment te répondre, parce que je suis moi-même un consommateur », me répond Michael Müller. Le mec a une formation de jardinier et a pensé que ce job lui conviendrait parfaitement. « Mes potes ont fait quelques vannes sur le fait que j’étais un dealer, mais à l’époque je m’en foutais royalement. Et je m’en fous encore aujourd’hui. »

En fait, il faut chauffer le cannabis pour que le THC soit libéré. Donc, si on peut être déf’ en respirant la fumée d’autres personnes dans une pièce mal ventilée, ça n’est pas possible si l’on se trouve simplement à proximité d’un plant.

Michael Müller ferme cannabis
MICHAEL MÜLLER QUI ME PRÉSENTE SON TRAVAIL.

Le cannabis est le plus souvent prescrit pour traiter les douleurs chroniques, l’anxiété, la dépression et l’insomnie. Mais il peut aussi aider en cas d’épilepsie, de spasmes musculaires ou de divers symptômes de la sclérose en plaques, ainsi qu’en cas de nausées et de vomissements lors d’une chimiothérapie. Pour les personnes qui souffrent d’anorexie ou qui ont perdu l’appétit suite à un cancer, l’utilisation de cannabis peut les aider à manger.

Ferme cannabis plants

Une fois que Müller et les membres de l’équipe ont fini de cueillir les fleurs, quelques feuilles restent quand même accrochées. C’est alors que la machine à tailler entre en action dans la pièce voisine. Aussi bruyante qu’un marteau-piqueur qui défoncerait la route juste devant chez vous, elle extrait les dernières petites feuilles des fleurs. Pour se protéger de la fine poussière de cannabis, les travailleur·ses portent des masques munis de tubes à oxygène. Tout le monde ressemble à un·e astronaute.

Processus de coupe ferme cannabis
LE PROCESSUS DE COUPE.

Après avoir été coupée et élaguée, la weed peut finalement être séchée. Les employé·es versent les fleurs dans des bacs métalliques qu’on pousse dans un four de séchage, dont la chaleur élimine toute humidité. Un tiers du poids de départ disparaît en plusieurs jours. Les têtes sont ensuite emballées hermétiquement et expédiées aux pharmacies. « Et c’est tout », conclut El Qadir. Ma visite est terminée et, bien que je n’aie pas eu l’occasion de prêter main forte à l’équipe, j’ai au moins appris beaucoup de choses.

Outre l’odeur, ce qui m’a le plus frappé dans cette ferme, c’est le dévouement des employé·es, qui traitent chaque plante avec autant de douceur que s’il s’agissait d’un petit chiot fragile. Les salles semblaient plus propres que dans un hôpital, chaque étape de la production étant optimisée dans les moindres détails.

Mes préjugés poussiéreux sur le cannabis ont certainement été remis en question — la weed a de nombreux pouvoirs, en particulier sur le plan médical. Qui sait, si l’usage récréatif du cannabis devient un jour légal, je pourrais même me laisser aller à tirer une troisième latte.

Cannabis
Le produit fini.

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<![CDATA[Comment je suis devenu accro au fentanyl]]>https://www.vice.com/fr/article/epva7a/comment-je-suis-devenu-accro-au-fentanylMon, 28 Aug 2023 10:30:19 GMTOriginaire d’Arnhem, aux Pays-Bas, Max van Rijsewijk (27 ans) a rapidement dû faire face à ses addictions. Ado, il faisait beaucoup la fête et était souvent le dernier de sa bande de potes à rentrer chez lui. Très vite, il s’est mis à consommer de la drogue parallèlement à sa passion pour les sports équestres. Après un accident de voiture, il se voit prescrire de l'oxycodone, un médicament présenté alors comme « moins addictif que la morphine ». Mais sa personnalité addictive l'a entraîné vers une dépendance accrue aux opioïdes. Aujourd’hui, Max réside dans une safe house aux Pays-Bas, depuis laquelle il nous a raconté sa relation avec l'oxy et le fentanyl.

C’est un médecin et pharmacologue belge qui a inventé le fentanyl, Paul Janssen, en 1959, pour en faire un puissant analgésique. C’est un opiacé synthétique principalement utilisé comme substitut de la morphine, mais aussi comme anesthésiant lors d'opérations. Ce médicament peut être trouvé sous forme de patchs, de cachets, de spray nasal, d'injections ou encore en sucettes. Une étude de l’INAMI montre qu'entre 2006 et 2016, le nombre de consommateur·ices d'opiacés en Belgique a augmenté de 88% – chiffres basés sur le nombre de prescriptions –, ce qui équivaut à environ 10% de la population. En raison de sa nature synthétique, cette drogue est beaucoup plus forte et dangereuse que des opiacés naturels comme l'héroïne.


J'avais un tempérament assez extrême quand j’étais jeune. À mes 15 ou 16 ans, je prenais déjà le train le samedi soir, après le boulot, pour sortir faire la fête à Amsterdam. À l'époque, je prenais surtout des drogues récréatives comme l’ecsta ou la coke. Quand je me suis mis avec mon copain, on s’y est mis à deux, parce qu'il aimait aussi faire la fête. On a rencontré des gens qui consommaient plus de drogues que nous, notamment du GHB. C’est à ce moment-là que j’ai remarqué que j'étais en train de flirter avec mes limites. J'étais le seul de mon entourage à ne pas réellement savoir comment m’arrêter. J'avais du mal à gérer tout ça une fois que la fête était finie. Les autres arrivaient à se dire : « Allez, demain on doit travailler ; au lit, comme ça on sera pas trop à la ramasse. » Moi, j’en étais incapable, et ça me déprimait.

En mars 2016, j'ai eu un accident de voiture. Je roulais à toute vitesse le soir, en heure de pointe, à 100 km/h environ, sur une route limitée à 70. J'avais bu quelques verres de vin, j'étais sous influence. À un moment, j'ai fait tomber un truc et j'ai essayé de le ramasser. La suite : quatre tonneaux. Je me suis pété le dos à huit endroits différents, j’ai cinq côtes qui ont pris aussi. J'ai eu un pneumothorax et, pour couronner le tout, les nerfs de mon dos ont été salement endommagés. Le fait que je m’en suis sorti vivant relève du miracle, j'avais vraiment une bonne étoile au-dessus de ma tête.

À l'hôpital, c’est fréquent de mesurer régulièrement la douleur des patient·es, plusieurs fois par jour. Chaque fois que le chiffre était supérieur à 6 ou 7 sur 10, on me donnait un comprimé. Je ne savais pas vraiment ce qu'on m'administrait jusqu'à ce que ma mère le demande aux infirmier·es. « De l’oxycodone, un médicament qui crée moins de dépendance que la morphine. » C'est comme ça qu’on me l’a présenté. C'était peut-être un peu naïf de ma part de ne pas avoir cherché à en savoir plus. Parce qu’avec du recul, je peux dire que ce médicament est bien plus addictif.

Au bout de cinq jours, j'ai été autorisé à rentrer chez moi avec comme consigne de rester au lit et me reposer. En principe, j'aurais dû commencer avec un programme de rééducation, mais ça n'a pas été le cas. On m'a donné un gros sachet de morphine, des doses pour un mois entier. Au début, ça me rendait super malade, ça me donnait la nausée et j’étais complètement dans le gaz. J’ai quand même pris sur moi et respecté les consignes parce qu'en fin de compte, la morphine m'aidait à lutter contre la douleur. Deux mois plus tard, bien que tout ait bien cicatrisé, je souffrais toujours. Pour m'aider à tenir, on m'a donné du fentanyl. Ma dose d'oxy a également été doublée. On m'a dit qu'il m'en fallait plus pour obtenir l'effet désiré, ce qui était « normal » selon eux. Le matin, je me réveillais tout malade, je transpirais, je tremblais, j'allais constamment aux toilettes parce que j’avais de fortes diarrhées. Quand je prenais les médicaments, ma douleur disparaissait, c'était fini. Dans les 20 minutes qui suivaient, je me sentais bien, voire très bien.

Les traitements ont comblé un vide, j'ai compris ça au bout d'un mois ou deux. Ils m'ont rendu dépendant, parce que, franchement, arrêter l'équitation, ça avait créé un manque dans ma vie. J'ai peut-être aussi quitté le domicile familial trop tôt pour vivre seul, à mes dépens. J’ai été confronté aux soucis d'une vie d'adulte avant même d'y être prêt. Et ces drogues qui, sur le coup, me rendaient euphorique, ont fait disparaître toute cette douleur. J'étais psychologiquement et physiquement dépendant. Je me permettais de prendre un peu plus en semaine, ce qui me laissait sans rien en fin de semaine. La conséquence, c’est que j’étais vraiment malade le week-end, je ressentais de gros symptômes de sevrage : palpitations, sueurs, tremblements, de l'anxiété, la dépression, des crises de larmes, j'avais mal partout. Avec le temps, j’étais devenu un habitué des salles d’attente et des services de garde du médecin généraliste, parce que j'essayais de gratter des doses supplémentaires le week-end, quand j’étais à sec [Max avait une prescription pour de l’oxycodone et du fentanyl, NDLR].

Au bout d'un moment, j'ai repris ma vie en main et j'ai recommencé à travailler. Je travaillais 7 jours sur 7 pour pouvoir tout me payer. Mais à un moment donné, je n'arrivais plus à obtenir mes médicaments à la pharmacie. J'avais déjà utilisé toutes les excuses du genre « On m’a volé mon sac » ou « J’ai perdu ma pochette à médicaments », et j'ai dû gérer cette période dans la souffrance. 

Quand ça m’arrivait, je ne pouvais même plus sortir. Alors, je cherchais mes propres alternatives sur le marché noir, juste assez pour avoir de quoi passer le week-end. C’est à peu près à ce même moment que j'ai atteint le dosage maximal prescrit par le médecin, pour les deux médicaments. On ne m’a donc pas prescrit plus que ce que je recevais déjà, mais mon corps n’en avait pas assez. Donc j’ai fini par vendre mes propres boîtes de Fentanyl pour acheter des doses plus importantes. J'en ai vendu à des personnes en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne. Y’avait des profils vraiment différents : du pilote d’avion à une personne travaillant pour la police judiciaire, à l’ambulancier, le médecin spécialisé dans les addictions et j’en passe… Tout mon argent a fini par y passer. Je prenais ma voiture d'Arnhem à La Haye, et j'achetais ce qu'il fallait pour tenir une journée. Le lendemain, je devais à nouveau venir faire le plein de drogue. 

À ce moment-là, je me suis dit : « J'en peux plus, j’abandonne, je veux pas vivre comme ça. »

Une chose est sûre, si j'avais pu m’en procurer de façon illimitée, je ne serais probablement plus là aujourd’hui pour raconter tout ça. Je devais toujours planifier et calculer pour obtenir le meilleur effet avec le moins de matière possible. Y’a des façons de prendre le fentanyl pour qu'il agisse plus rapidement. Dans ma tête c’était : « Si plus tard, je dois prendre tant de milligrammes pour ne pas être malade, et que je dois en avoir assez pour la nuit suivante, j'ai assez d'argent pour en acheter tant » et ainsi de suite. Et ç’a duré très longtemps comme ça, jusqu'à ce que je n'en puisse plus, et que ma famille se rende compte que les choses n'allaient pas très bien. C'était vraiment épuisant. À cause de ça, je menais une double vie, je gardais tout secret. J'étais tellement occupé à mentir que je ne pouvais plus rien faire.

J’ai pris la décision de me faire suivre, la première fois en 2018, dans une clinique où on m'a demandé si je voulais apprendre à consommer ou tout simplement arrêter de consommer, de manière régulée. Si vous posez la question d’une telle façon à un·e toxicomane, vous savez très bien ce qu'on vous répondra. Chaque toxicomane souhaite que ce soit possible, mais c’est pas aussi simple que ça, ça marche pas comme ça. Un truc s'est produit dans mon cerveau, un changement radical, mes récepteurs de dopamine ont été étirés. Ils ont été habitués à recevoir beaucoup trop de dopamine d’un coup. Dès que je prends une autre drogue, le même problème se reproduit. Le mécanisme qui servait de frein s’est brisé. Après cet épisode à la clinique, il m’est arrivé de rechuter de temps en temps. En fait, j'ai pas été autorisé à finir mon séjour, parce que j'avais enfreint les règles. Ma dépendance est restée, je cherchais toujours quelque chose en substitut : tranquillisants, alcool…

Et puis, un an et demi plus tard, j'ai rechuté. J’avais épuisé tout mon stock, et je pouvais m’en procurer nulle part. C’est là que j’ai essayé l'héroïne. Je connaissais quelqu'un qui en vendait, et comme je m’étais construit une certaine tolérance au fentanyl, je savais que l'héroïne me rendrait moins malade. Moi, ce que je voulais, c’était juste être en mesure de remplir mes obligations pour la journée. Mais quand j'ai essayé, ça m’a pas aidé, au contraire, j'étais toujours aussi malade. Le fentanyl, c’est finalement beaucoup plus dangereux que l'héroïne, mais l'héroïne est plus connue, plus répandue, c’est un nom qui a une forte résonance. J'ai honte d'avoir dérapé à ce point.

Je ne compte plus le nombre de fois où on a dû venir me chercher quelque part en ambulance. Une fois, j'avais pris un mauvais produit – du Suboxone, un médicament utilisé pour inhiber l'action des opioïdes –, ce qui a provoqué de graves symptômes de sevrage. On m'a donné 20 mg de morphine toutes les demi-heures, mais ça ne faisait plus rien. Tout allait de plus en plus mal, je faisais du mal à tout le monde autour de moi. À un moment donné, je me suis isolé, pendant trois jours. Le premier jour, j'avais épuisé toutes mes ressources, tout mon argent. Je m'étais enfermé dans un studio, au-dessus du salon de coiffure dans lequel je travaillais à l'époque. J'étais sur le point de m'évanouir, je me sentais si mal que j'avais même pas la force de contacter qui que ce soit. Une photo de ma conso s'est ensuite accidentellement retrouvée sur le compte Instagram du salon de coiffure, tout le monde a pu voir ce que je faisais. Mais j'étais tellement dans le mal que je ne pouvais même plus attraper mon téléphone. Au final, la batterie s’est retrouvée à plat et la photo est restée toute une journée en ligne.

Au bout de ces trois jours, je suis parti me réfugier chez ma mère. J'avais tellement honte de mon état que je me suis caché dans la grange pendant deux jours. C’est là qu’elle m'a trouvé et elle a appelé à l'aide. À ce moment-là, je me suis dit : « J'en peux plus, j’abandonne, je veux pas vivre comme ça. » J'étais anormalement maigre, j'avais détruit mon corps. Je savais que si ça recommençait, j’allais en mourir. Il y a eu des moments de pur désespoir, où j'avais nulle part où aller, pas même à l'hôpital parce que, de toute façon, ils ne me laisseraient pas repartir avec cette boîte de morphine qui me manquait.

Quelques semaines avant cet incident, je m’étais déjà engagé auprès de ma mère et de mon partenaire pour chercher de l'aide et me faire suivre. J’ai trouvé mon salut chez SolutionS, l'une des meilleures cliniques des Pays-Bas. J'ai été accepté dans les deux semaines qui ont suivi le premier contact. Je me souviens avoir pensé à l'époque « Ah, c'est assez rapide ». Je m’étais inventé 100 000 raisons pour lesquelles ça aurait pu prendre plus de temps, parce que j’avais encore « des choses à régler ». Je les ai même appelés pour leur demander si je pouvais repousser encore un peu ma venue. Leur réponse a été : « Max, c'est le moment le plus dangereux, parce que tu dois dire adieu à tes démons. » Mes démons, ces drogues extrêmement dangereuses, l'oxycodone et le fentanyl, qui mènent très vite vers une overdose. Dans la période qui précède une admission, généralement les gens consomment beaucoup, et pour moi tout devait s’arrêter.

C'est une maladie que je vais toujours traîner avec moi, mais j'apprends à y faire face.

Ça me touche de parler de tout ça. Parfois, ça m’arrive d’y repenser, mais j'essaye de repousser ces idées aussi vite que possible. C'est une terrible dépendance, les opioïdes. J’essayais de me cacher derrière le fait que ces drogues n’étaient que des traitements. Parce que j'étais gêné. Le mot « médicament » sonne mieux que le mot « drogue ». Quand je me suis confié auprès de ma mère au sujet des drogues que je prenais, elle a été très choquée par l'héroïne, alors que le fentanyl est beaucoup plus dangereux. Les gens ont une toute autre considération pour une personne dépendante aux médicaments que pour une personne accro à la drogue.

Tout ça a aussi complètement perturbé mes relations. Mon copain était aux premières loges quand je me suis mis à sombrer, et il m'a souvent confronté à ce sujet. Il était en colère contre moi et a essayé toutes sortes de choses pour m'aider. Ça nous a progressivement éloignés l'un de l'autre, puis avec le temps on s’est remis ensemble. Dans une certaine mesure, j’ai de la chance qu’il n'ait jamais considéré ça comme une maladie, il m'a vu me battre. On est ensemble depuis dix ans, dont sept en tant qu’addict. Il a vu les bleus que je me suis faits à force de tomber dans les escaliers ou ailleurs. Notre relation était totalement déséquilibrée, lui a pu vivre sa vie « normalement » alors que moi je suis resté immobile ces dernières années. Il y a toujours beaucoup de méfiance de sa part, mais mon séjour en clinique et les nombreux contrôles lui procurent, ainsi qu'à mes proches, une plus grande tranquillité d'esprit. Il a déjà subi beaucoup de stress à cause de moi, et ma mère aussi.

Ma relation avec la dépendance a cependant changé. Ça fait maintenant onze mois – depuis le 14 septembre 2022 – que je suis dans un centre et j'ai finalement pu accepter ma maladie. C'est une maladie que je vais toujours traîner avec moi, mais j'apprends à y faire face. Ici, la politique c’est la tolérance zéro. Ce qui change par rapport à ma précédente admission, c’est que je ne veux plus consommer ni fentanyl ni oxy ni héro. C'était nécessaire. Mes relations ne tenaient plus qu'à un fil. C'est ma dernière chance, selon mes proches. J'ai trop longtemps abusé de toute la confiance qu’on m’avait accordée. La dernière fois, j'étais abstinent, maintenant je suis en voie de guérison.

Être capable d'accepter le fait que je ne pourrai plus faire quelque chose reste tout de même difficile. En 2018, l'idée selon laquelle « je n'avais plus le droit de rien faire » me trottait en tête, je m'apitoyais fort sur mon sort : « Le reste du monde a le droit de faire ça, et pas moi. » Le programme que j’ai décidé de suivre actuellement diffère de celui de la clinique précédente. Je me suis enrôlé dans le programme NA [Narcotiques Anonymes, NDLR] et j'assiste à leurs réunions. Le fait de parler à d'autres personnes qui ont vécu ou vivent encore une expérience similaire me donne une énergie importante. Mon compte TikTok en est la preuve. Je pense que ce serait bénéfique pour moi de pouvoir aider d'autres personnes, c'est pour ça que je suis une formation dans le domaine de la santé, pour travailler moi-même dans des cliniques. Ça me semble être une bonne voie. Ici, j'ai le temps de commencer une nouvelle vie, de me façonner un plan pour l'avenir, et d’être acteur de ce changement me semble être un excellent moyen de rendre à la société ce qu'elle m'a donné, l'étape 12 du programme.

La dépendance, c’est quelque chose qu’on ne choisit pas, par contre on peut choisir la voie du rétablissement. Ce que j'ai perdu au cours de ma descente aux enfers, j'essaie de le rattraper aujourd'hui, j’accepte ma responsabilité, parce que je ne veux plus me cacher derrière la maladie. Et même si tous les pays ne la reconnaissent pas comme une maladie, c'en est une. 

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<![CDATA[On a parlé teuf, drogues et addiction avec des jeunes médecins]]>https://www.vice.com/fr/article/7kx8da/drogues-addiction-jeunes-medecinsThu, 20 Jul 2023 08:08:45 GMTAvertissement : VICE n'encourage pas l'utilisation de drogues, quelles qu’elles soient. InforDrogues fournit des informations complémentaires sur la législation et les risques liés à l’usage de drogues.

Récemment, j’ai fait la connaissance d’un jeune médecin, non pas dans la lumière trop vive d’un cabinet, mais dans la noirceur d’un club. L’esprit éthéré, le corps transpercé par la musique, on est rapidement devenus amis. Régulièrement, je me suis mis à sortir avec son groupe de potes, tous médecins eux aussi. J’ai été saisi par leur intensité dans la fête, la fréquence frénétique de leurs sorties, l’usage important qu’ils font des substances illicites.

Un lundi d’après-soirée, alors que je subissais dans mon canapé, j’ai pensé à ce pote qui, au même moment, était en train d’ausculter des patient·es, tout en devant sérieusement bader. Pour la première fois, l’image de l’être irréprochable s’est fissurée. Et ça m’a soudain semblé con d’avoir adhéré à ce mythe. C’est pourtant évident que les médecins, comme tout le monde, consomment de la came, à la différence qu’il semble y avoir pour eux une injonction sociétale qui tend à prétendre le contraire. Et même, ces spécialistes doivent particulièrement savoir comment les drogues fonctionnent.

J’ai voulu questionner tout ça et interroger des jeunes médecins sur leur rapport à la fête, à la drogue, à l’addiction. Toutes les personnes avec qui j’ai parlé me disent que la consommation de drogues dans le milieu médical est courante, mais qu’en parler reste compliqué. Comme si évoquer l’humanité d’un médecin revenait à enlever son statut sacré à toute une profession. Évidemment, personne n’a envie de penser que son psy, alors qu’on lui confie notre désarroi, a encore l’esprit grillé du week-end ou que le médecin qui doit s’occuper de notre grand-mère a pris son dernier rail il y a moins de douze heures. Je ne dis pas que c’est systématique, mais c’est une réalité qui existe et reste tabou.

Laetitia* (26 ans), travaille dans un hôpital, en deuxième année de spécialisation en psychiatrie

VICE : À quelle fréquence tu fais la fête ? Laetitia : Pour le moment, je dirais que je sors au moins une fois par semaine. Parfois plus.

Quand tu sors, tu consommes quoi ?
Presque à chaque fois de la cocaïne, et parfois un peu de MDMA.

Selon toi, y’a beaucoup de docteur·es qui consomment des drogues ?
Quand j’ai commencé à étudier la médecine, j’en savais rien, je crois que j’étais un peu naïve. Mais en réalité, énormément de docteur·es consomment. C’est quelque chose de tellement commun.

Pourquoi, selon toi ?
Je pense que beaucoup de docteur·es cherchent les extrêmes et veulent tester les limites, et avec ça vient la prise de risques et de drogues. Y’a aussi énormément de pression avec le travail ; c’est un moyen de lâcher prise et de s’en foutre. Je vois tellement de situations difficiles, beaucoup de misère, donc quand le week-end arrive, je me dis, fuck it, j’ai besoin d’oublier tout ça pour un moment. Et puis les docteur·es connaissent leur corps et comment les drogues agissent. En tant que psychiatre, je sais très bien comment les drogues fonctionnent par exemple, on nous a appris énormément sur le sujet, et je crois que c’est ça aussi qui a suscité mon intérêt. T’apprends ce que ça fait en théorie et ça te donne envie d’essayer.

Est-ce que t’as déjà eu le sentiment de t’être perdue dans la drogue ?
Oui, ça m’est déjà arrivé. Quand j’avais 23 ans, j’ai traversé des mois compliqués suite à des circonstances difficiles dans ma vie personnelle. J’ai commencé à faire la fête deux à trois fois par semaine. À chaque fois, je prenais de la MD, de l’ecstasy, de la 3-MMC et j’ai été complètement submergée. Mon corps et mon esprit n’arrivaient plus à récupérer et je me suis sentie tomber de plus en plus bas.

Comment t’as géré ça ?
J’ai pas fait d’overdose, mais j’étais pas loin. J’ai abusé de la MDMA et mon niveau de sérotonine était tellement bas que je me suis retrouvée à l’hôpital. J’ai vraiment eu le sentiment de toucher le fond et j’ai réalisé que je pouvais pas continuer comme ça. J’ai été voir un psychologue, un psychiatre aussi, et j’ai beaucoup parlé avec mes ami·es. Doucement, j’ai commencé à aller mieux. J’ai aussi sorti de ma vie plusieurs personnes qui consommaient beaucoup et qui étaient devenues toxiques pour moi.

Aujourd’hui, est-ce que tu dirais que t’as des addictions ?
Non, mais je sais que je suis sur le fil, je joue avec les limites. D’ailleurs, ces dernières semaines, j’ai à nouveau eu peur. J’ai eu le sentiment que j’étais en train de perdre le contrôle, mais dès que j’ai senti qu’il y avait un risque, j’ai repris rendez-vous avec mon psychiatre. Ça m’a beaucoup aidé.

Est-ce qu’il t'est déjà arrivé de consommer des drogues en dehors d’un moment de fête ?
Pendant mes études, j'ai pris de la Rilatine pour arriver à étudier pour un examen. Mais à part ça, j’ai jamais pris de drogue dans un contexte qui n’était pas récréatif et entouré d’ami·es.

Tu te fais tes propres prescriptions parfois ?
Oui, surtout des somnifères pour pouvoir dormir quand je sors et que je me retrouve à consommer un peu trop tard. J’ai besoin de savoir que je peux dormir, sinon je me sens nerveuse. Je me suis aussi déjà prescrit mes propres antidépresseurs. C’est pas à cause des drogues, mais clairement, elles n’aident pas dans la dépression.

**Comment tu gères les lendemains de soirée, surtout quand tu dois aller bosser ?
**Jusqu’à présent, j’ai jamais raté un jour parce que je suis sortie, même si j’ai conscience que les lundis, je fais sans doute pas le meilleur travail que je puisse faire. Je travaille avec des patient·es qui ont des troubles de la personnalité et certain·es ont des comportements narcissiques, essaient de te manipuler, de te descendre, il faut vraiment être fort·e pour tenir. Récemment, je me suis aussi retrouvée à pleurer devant l’un de mes supérieurs qui me disait simplement de faire attention d’arriver à l’heure. Je me sentais émotionnellement très instable au point de ne pas arriver à garder mon sang-froid au travail. Ça m’a choquée de réaliser que je n’arrivais plus à contrôler mes émotions.

Comment tu vois ta consommation évoluer ?
J’ai bien vu ces derniers mois que ça devenait de plus en plus hors de contrôle et que ça pouvait devenir un problème. Y’a quelques semaines, j’ai fait une petite intervention pour moi-même et j’ai téléchargé une application qui te permet d’enregistrer et de surveiller ta consommation. Ça s’appelle I am sober, tu peux voir les jours où t’as pas consommé. Pour le futur, je veux vraiment avoir une consommation plus modérée, ne plus être dépendante et pouvoir sortir sans penser à consommer des drogues. Et puis arrêter la cocaïne aussi, c’est clairement quelque chose que je veux.

Simon* (28 ans), travaille dans un cabinet de médecins généralistes, en deuxième année de spécialisation en médecine générale.

VICE : Tu fais souvent la fête ?
Simon : Oui, généralement toutes les semaines.

En dehors de l’alcool, quel genre de drogue tu consommes habituellement ?
J’utilise pas mal de produits différents : ecstasy, MDMA, 2C-B, kétamine, speed. Je fume des joints aussi. Après, je fais pas tout ça en même temps. J’essaie de faire une tournante et de garder du temps entre les prises d’un même produit. Ça m’arrive aussi parfois de prendre des psychédéliques, des champignons et du LSD, mais ça, jamais dans un contexte festif.

Est-ce qu’avoir étudié la médecine a une influence sur ta manière de consommer ?
Oui, clairement, ce que j’ai appris sur les drogues, je l’utilise pour ma propre consommation. Je réfléchis à comment les drogues sont absorbées par le corps, leur concentration dans le sang, comment elles sont éliminées et quelles sont les conséquences de tout ça.  C’est vraiment des informations que j’utilise quand je consomme et je remarque que ça me pousse à gérer ma consommation différemment.

Est-ce que t’as déjà eu peur de te perdre là-dedans ?
Y’a eu des moments dans ma vie où je me sentais pas bien et où je me suis mis à consommer plus de drogues, pour compenser. J’avais pas le sentiment d’avoir perdu le contrôle, mais j’utilisais les stupéfiants comme un moyen d’échapper à tout ce qui n’allait pas. Je consommais toutes les semaines, plusieurs fois par semaine. Là, je dirais que je me suis peut-être un peu perdu. Mais j’en avais conscience. Je savais que j’allais mal mais je savais aussi qu’arrêter de prendre n’allait pas régler le problème parce que c’était lié à d’autres facteurs. Il fallait que je gère les choses à la source et c’est ce que j’ai fait. J’ai commencé à voir un psy et le résultat, c’est que j’ai arrêté avec cette consommation un peu abusive.

**Est-ce que t’as déjà eu peur de devenir accro à un produit ?
**Je suis conscient des problèmes d’addictions et de ce qui peut y mener, c’est quelque chose auquel je reste attentif. Il m’arrive de faire un check avec moi-même, de regarder comment s’est déroulé ma semaine, comment je me suis senti, si j’ai fumé, quels étaient les effets. Je reste attentif, mais pas craintif.

**Qu’est-ce que tu cherches quand tu consommes ?
**Ça dépend du moment. Dans cette période de ma vie où j’allais mal, je cherchais vraiment l’excitation et l’amusement d’une manière très superficielle. C’était pour moi un moyen de me sentir heureux, même si c’était faux. J’utilisais pas les drogues pour les bonnes raisons. Mais quand je vais bien, j’utilise la came d’une tout autre manière. J’adore danser et je cherche ce lien plus intense avec la musique. Juste être dans le moment présent, dans un monde différent où je peux lâcher prise et oublier le stress. J’ai aussi déjà pris de la drogue avec des ami·es ou de la famille proche et ça aide à retrouver une connexion qu’on a parfois perdue. Les produits comme l’ecstasy ou les psychédéliques te rendent très honnête et te font perdre ton ego. Parfois, ça permet d’ouvrir une conversation là où y’a eu un trauma, de la colère, de la douleur, et de débloquer des choses que j’ai gardé enfouies.

Comment tu vois ta consommation évoluer ?
Je pense que les drogues vont continuer à jouer un rôle dans ma vie pour une longue période encore. Y’a déjà eu beaucoup d’évolution dans ma consommation, de l’exploration en passant par des moments d’excès, jusqu’à aujourd’hui, où j’ai le sentiment d’avoir une consommation plus consciente dans laquelle je connais les produits et je sais mieux quand les utiliser et quand les éviter. Je peux m’imaginer à 60 ans en train de fumer un joint ou d’avoir un trip avec des ami·es.

Est-ce qu’il arrive que des médecins utilisent des drogues au travail ?
Y’a des histoires de chirurgiens qui opèrent sous coke et les gens le savent, mais personne n'ose vraiment dire quelque chose. L’addiction, ça n’épargne personne. Et puis, plus la pression est grande, plus le risque est important, surtout si on parle de cocaïne. C’est aussi arrivé à un ami anesthésiste de venir au travail en étant encore high et d’avoir endormi un patient, avant d’être renvoyé chez lui. Personne n’a osé lui dire pourquoi, mais tout le monde savait. Le problème, c’est que personne ne confronte la chose, c’est un tabou. Je crois pas qu’on doive être dans une logique de punition, mais il faut faire face au problème. Parce que c’est inacceptable et dangereux.

**Toi, t’as déjà utilisé ton statut de médecin pour accéder à des produits ?
**J’ai jamais prescrit de drogues ou produits qui pourraient agir comme une drogue, à personne, bien qu’on me l’ait déjà demandé. Pour moi-même, par contre, ça m’est arrivé une fois. En tant que médecin généraliste, on a un kit avec des médicaments qu’on peut utiliser s’il y a une urgence. Dedans, y’a de la morphine et de la benzodiazépine et ils allaient périmer. Avec mon coloc, on avait envisagé de les utiliser plutôt que de les jeter. Honnêtement, heureusement que rien ne s’est mal passé parce qu’après, j’ai vraiment regretté. Je me suis senti super irresponsable, j’étais pas content de moi. Aujourd’hui, ça n’arriverait plus.

Léo* (27 ans), travaille dans un hôpital, va débuter sa spécialisation en médecine générale

VICE : Tu sors beaucoup ces temps-ci ? Léo : Chaque week-end, parfois plusieurs fois par week-end. C’est assez récent que je sorte autant, mais ça fait quelques mois maintenant que c’est le cas. C’est dans ce contexte que j’ai commencé à prendre des stups.

Quel genre ?
Principalement de la MD et puis parfois du poppers, parce que c’est drôle, et aussi de temps en temps de la coke, même si ça, j’aurais jamais pensé en consommer.

Pourquoi ?
J’ai fait des stages où j’ai été confronté à des patient·es qui avaient consommé de la cocaïne et qui avaient de vrais problèmes alors qu’ils ne l’avaient fait que quelques fois. Je sais que ça peut affecter ton corps de manière grave assez rapidement. Mais ça m’a pas empêché d’essayer. Je crois que je préfère mourir à 70 ans et avoir vécu de manière libre et intense, que d’avoir 90 ans et avoir toujours été sain et dans le contrôle. J’aurais le sentiment d’être passé à côté de quelque chose. Je veux m'autoriser à expérimenter et voir ce que ça fait. Après, tu peux décider si ça en valait la peine ou pas. Et si c’est le cas, je le refais à nouveau.

Est-ce que tu dirais que tu consommes de manière raisonnée ?
Au début, c’est ce que je voulais. Par exemple, je savais qu’il valait mieux attendre six semaines entre deux prises de MD. Mais maintenant, je ne respecte plus ça, je fais les choses en fonction de ce que je ressens, en évaluant comment je me sens. Si je vois que ça va, je continue, si je remarque que je commence à me sentir émotionnellement instable, je fais une pause.

Comment ça se fait que ta consommation a évolué ?
Je crois qu’au début, j’avais de l’appréhension, je savais pas à quel point ça serait fort. Ça m’est arrivé de ressentir très intensément la descente. Je me sentais vide et très triste, mais je savais que c’était la drogue. Et je me suis dit « OK, je peux supporter ça », parce que je savais que c’était pas causé par quelque chose de négatif dans ma vie. C’est sans doute pour ça que je me suis permis d’en prendre plus. Et puis je suis dans une phase où j’ai envie de perdre le contrôle. Avec mes études, je me suis rarement autorisé ça.

Tu dirais que sortir et consommer, c’est une manière pour toi de lâcher prise ?
C’est une manière d’être plus impulsif. C’est quelque chose que je voulais dans ma vie, cette capacité à lâcher. À travers la fête et les drogues, c’est quelque chose que j’arrive à faire. Dans mon travail, je peux pas être impulsif et j’ai le sentiment que toutes mes études n’ont été qu’une longue planification pour décider ce que je ferai plus tard. Je veux vivre maintenant.

**T’as déjà eu l’impression de t’être perdu dans les drogues ?
**Non, j’ai jamais senti ça, mais j’ai vraiment conscience que c’est un risque qui existe.

**Comment éviter ça selon toi ?
**Je me questionne souvent sur ma consommation et j’essaie de rester critique envers moi-même. Parfois, tu tombes et c’est comme ça que tu peux avancer. J’apprends beaucoup de ce processus.

Martin* (29 ans), travaille dans un cabinet de médecins généralistes, en troisième année de spécialisation en médecine générale

VICE : Ça dit quoi, niveau sorties, en ce qui te concerne ? Martin : Je sors presque tous les week-ends. J’ai toujours aimé faire la fête. Quand j’étais plus jeune, j’allais dans les soirées des mouvements de jeunesse, ensuite ça a évolué vers les bars et maintenant, je sors souvent dans les clubs pour des soirées techno.

**Quand tu sors, tu prends des drogues ?
**Je dirais que je consomme presqu’à chaque fois de l’alcool. Et puis je prends aussi de l’ecstasy ou de la MD. Au début, je consommais occasionnellement, tous les 3 mois, et puis c’est passé à toutes les 3 semaines. Ça dépend un peu. J’ai aussi déjà essayé les champignons et tenté la cocaïne quelques fois – sans jamais trop aimer ça. Et puis j’ai aussi testé la 4-MMC.

Est-ce que c’est un sujet dont tu peux parler au boulot ?
Ça dépend si t’es ami·e avec tes collègues ou non. Personnellement, j’en parle pas, vu que je suis toujours en train de faire ma spécialisation.

Est-ce que t’as déjà eu peur de devenir accro à quelque chose ?
Je crois pas que je suis enclin à l’addiction. Mais y’a eu un moment où j’ai eu le sentiment que j’utilisais trop de drogues, trop souvent. Mes potes me l’ont fait remarquer et j’ai commencé à me poser des questions et à m’imposer des limites. Je sais que l’environnement dans lequel j’évolue va jouer un rôle important. Et sortir tous les week-ends a clairement un côté addictif.

Ce moment où t’as eu le sentiment d’avoir abusé, il était lié à quoi ?
Je crois que c’était un moyen d’échapper à ce qui se passait dans ma vie. Je traversais une rupture difficile et j’ai commencé à sortir de plus en plus. Au début, c’était fun, excitant et puis tu commences à ressentir de plus en plus les effets secondaires : la descente, la gueule de bois, le manque de sommeil. J’ai pris conscience que je ne faisais plus grand-chose d’autre de mes week-ends que faire la fête et qu’il fallait que je réévalue ma consommation.

Comment tu gères la descente quand tu dois retourner au boulot après un week-end à sortir ?
Ce qui m’affecte le plus, c’est le manque de sommeil et la difficulté à me concentrer. Mais je travaille 4 jours par semaine donc je sais que je peux récupérer. Généralement, je ressens pas plus de conséquences que ça sur mon travail.

Comment tu vois ta consommation évoluer ?
C’est pas quelque chose qui va devenir plus régulier. Mais je crois que c’est là pour rester en tant qu’option, différente de l’alcool. Je veux continuer à utiliser des drogues d’une manière responsable. Je me vois pas faire ça quand j’aurai 50 ans, mais tant que je sors, je crois que l’option restera présente. Et si c’est quelque chose que je veux faire et qui n’est pas problématique, je continuerai.

*Tous les noms ont été modifiés pour protéger leur identité.

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<![CDATA[Quelle destination va remplacer Amsterdam dans nos cœurs de stoners ?]]>https://www.vice.com/fr/article/v7bezj/cannabis-quelle-destination-va-remplacer-amsterdamWed, 10 May 2023 13:10:21 GMTAh, les panneaux traditionnels qui nous accueillent dans les aéroports, ce « Live Laugh Love » de l’aviation respectable que forment les « Welcome », « Willkommen », « Bienvenue »… « Stay away » ?! Oui, ce petit dernier – qui en gros vous dit poliment de vous casser –, c’est le nouveau slogan de l’office du tourisme d’Amsterdam. Une injonction a priori anodine qui vise à endiguer le troupeau de touristes exalté·es qui se rendent aux Pays-Bas dans l’optique de faire la tournée des clubs, partir à la chasse aux truffes magiques, assister à des concerts et, bien sûr, fumer d’énormes quantités de weed.

Sauf que depuis peu, Amsterdam n’est plus un petit bout de paradis libertin et verdoyant. Le conseil municipal a en effet interdit de fumer de l’herbe dans le Red Light District ; il a imposé aux travailleur·ses du sexe un couvre-feu à 3 heures du matin ; fixé l’heure de fermeture des bars à 2 heures du matin les vendredis et samedis ; et cerise sur le spacecake, interdit à quiconque d’entrer dans le Vieux Centre après 1 heure du matin. Comme si ces mesures n’étaient pas assez strictes, la ville envisage toujours de réserver les coffee shops aux résident·es permanent·es, ce qui aurait pour effet de faire partir en fumée toute l’industrie touristique de la weed.

En gros, les touristes de la défonce sont peu à peu éliminé·es comme des mauvaises herbes.

Le super bon côté de la chose ? Ces décisions vont obliger les stoners à être un peu plus aventureux·ses et à explorer de nouveaux eldorados plutôt que de s’en tenir aux mêmes habitudes néerlandaises paresseuses qu’ils réitèrent d’année en année. La question à un million, c’est maintenant de savoir où se situera le prochain Amsterdam. Quelle destination sera couronnée Nouvelle Capitale de la weed ? Pour prendre un peu d’avance, voici un aperçu des potentiels candidats. Après tout, on dit bien que l’herbe est plus verte ailleurs.

La feuille vierge : l’Allemagne

Il existe un mème allemand où l’on peut voir un politicien en costume (ou un pingouin muni d’un énorme téléphone) se demander quand la weed sera légalisée : « Wann bubatz legal ? » Ce mème répandu sur Reddit est devenu d’autant plus viral que plusieurs hommes politiques allemands se sont vus interrogés sur le sujet en direct à la télévision. Et ce cher chancelier Olaf Sholz n’avait absolument aucune idée de ce que signifiait « bubatz » (en gros, un terme argotique pour désigner un joint).

Pendant quelque temps, l’espoir s’est répandu dans les poumons des stoners. Un projet de loi prévoyait en effet de légaliser le cannabis à des fins récréatives dans tout le pays et de réglementer la vente, autorisant la possession personnelle de 30 grammes maximum pour les adultes et la possibilité de cultiver deux plants. L’idée était d’autoriser la vente dans des magasins et des dispensaires agréés (des coffee shops), l’intégralité de l’herbe devant être cultivée dans le pays plutôt qu’importée.

Malheureusement, bien qu’il ait initialement reçu un accueil favorable de la part de l’Union européenne, un plan de légalisation beaucoup moins sympa a été annoncé en avril 2022. L’accent a été recentré sur la culture à domicile, les adultes pouvant cultiver jusqu’à trois plants de cannabis. Pour acheter de la weed, ils pourront se fournir dans des Cannabis Social Clubs, comptant un maximum de 500 membres, plutôt que dans des magasins ou des pharmacies agréés.

Argot à connaître : « Bubatz », soit une belle grosse batte.

Le challenger : la République tchèque

C’est peut-être un coup du destin dans l’épopée de la beuh : l’indicatif téléphonique de la République tchèque est +420. Bref. Ça fait une dizaine d’années que le cannabis médical est légal dans le pays et l’industrie nationale de la culture a été démonopolisée en 2022. Il est actuellement possible de fumer du chanvre à 1% de THC, mais il reste peu probable que ça vous fasse planer. Pour les personnes qui vivent dans le pays, la décriminalisation prévoit une allocation assez généreuse de dix grammes de marijuana et de cinq plants. Bien qu’il soit toujours illégal de fumer en public, il est sans doute facile de brouiller les pistes à Prague.

Quoi qu’il en soit, Jindřich Vobořil, partisan de la légalisation, est redevenu coordinateur du pays en matière de drogues. Il milite en faveur d’un marché légal du cannabis, avec le soutien du Premier ministre Petr Fiala. C’est logique : 550 000 Tchèques cultivent de l’herbe à la maison et le pays compte le plus grand nombre de fumeur·ses de weed de toute l’Union européenne. Actuellement en train d’élaborer des plans, le gouvernement espère faire passer quelque chose d’ici l’année prochaine – et ce paradis d’EVG débridés ne semble pas avoir l’intention d’inciter les touristes à rester dans leur pays.

Argot à connaître : « Být zhulenej », qui signifie être fonfon comme jamais.

Les Cannabis Clubbers : Malte et la Catalogne

Ces deux États ne vous viennent peut-être pas directement à l’esprit quand vous pensez weed, mais sachez que Malte et la Catalogne sont plutôt progressistes en matière de législation.

Malte est devenue la première nation de l’UE à légaliser le cannabis en décembre 2021, autorisant les adultes à posséder sept grammes et à cultiver quatre plants. S’il est toujours illégal de fumer en public, l’Autorité maltaise pour l’usage responsable du cannabis (ARUC) a ouvert les inscriptions aux Cannabis Clubs en février de cette année. Les frais de dossier pour obtenir la licence s’élèvent à 1 000 euros et les candidat·es qui souhaitent se lancer dans le business doivent passer un entretien. Mais si les directeur·ices des clubs doivent résider à Malte depuis au minimum cinq ans, les fondateur·ices n’ont pas besoin d’y vivre. Les clubs cultiveront leur propre weed (pas de plafond de THC !) et pourront s’installer dans des zones résidentielles. Mauvaise nouvelle cependant : l’accès aux touristes est encore à l’étude.

Vient ensuite la Catalogne. Si la weed est dépénalisée dans le cadre d’un usage personnel dans toute l’Espagne, le cannabis récréatif et médical reste illégal. En Catalogne, cependant, quelque 500 Cannabis Clubs (« asociaciones cannábicas ») profitent d’une zone grise pour proposer des lieux de rencontre où les gens peuvent s’allumer un stick et chiller, dont quelques centaines à Barcelone. Bien qu’ils soient techniquement réservés aux habitant·es, vous pourrez probablement y entrer en tant que touriste si vous n’êtes pas trop flag, car la plupart s’en foutent un peu de savoir si vous vivez réellement en Espagne ou non – mais ne faites trop les marioles quand même.

Argot à connaître : « Porro » – ce terme qui signifie littéralement « poireau » désigne aussi un joint en catalan.

Les pionniers : le Canada et l’Uruguay

Seuls deux pays au monde ont légalisé l’herbe. Si on pense assez facilement au Canada, la plupart des gens oublient complètement l’Uruguay, premier pays à avoir autorisé le cannabis récréatif en 2013. Étonnamment, ce n’était pas la volonté du peuple : à l’époque, 58 à 66 % des Uruguayen·nes étaient opposé·es à cette mesure. Quoi qu’il en soit, il est désormais légal pour les résident·es d’acheter jusqu’à 40 grammes par mois dans des pharmacies agréées, même si beaucoup choisissent de s’approvisionner auprès de dealers, car c’est beaucoup plus diversifié et bien moins cher. L’actuel tsar national des drogues est persuadé que l’Uruguay légalisera l’herbe pour les touristes d’ici cette année – même si les prix seront plus élevés que pour les locaux. Bref, vous ne risquez pas d’avoir trop d’ennuis là-bas.

Le Canada a fait de même en 2018, légalisant la weed sur l’ensemble de son territoire. C’est également l’un des seuls endroits au monde où il est totalement légal pour les touristes d’acheter de l’herbe auprès de plus de 3 000 vendeurs agréés, et bien sûr de la fumer. Vous pouvez posséder jusqu’à 30 grammes et, dans la plupart des États, vous pouvez fumer votre joint dans n’importe quel endroit où fumer des cigarettes est autorisé.

Argot à connaître : d’après une liste du gouvernement canadien parfaitement déconnectée de la réalité : « shatter », « budder », « honeycomb » ou « dank krippy ». En Uruguay, le terme « Cogollo » désigne de la weed de haute qualité, la crème de la crème.

Les plus attrayants : le Colorado et la Californie

Bien sûr, c’est un peu loin de chez nous, mais si vous aimez vraiment la weed, le Colorado et la Californie sont des destinations de choix. Parmi les 21 États américains ayant légalisé l’herbe, ces deux-là sont réputés pour leur matos de grande qualité et extrêmement puissant. Il s’agit d’un commerce important et en plein essor : La Californie a engrangé 4 milliards de dollars de recettes fiscales depuis qu’elle a commencé à commercialiser la weed, et le Colorado n’est pas loin derrière avec 2,3 milliards de dollars.

À condition d’avoir plus de 21 ans (ce qui pourrait décourager de nombreux·se partisan·es d’Amsterdam), vous pouvez acheter de l’herbe en tant que touriste dans l’un ou l’autre État. Le voyage en vaut la peine : vous pourrez vous délecter de certaines des variétés les plus emblématiques comme la Wedding Cake, la Girl Scout Cookies et la Sour Diesel.

Argot à connaître : « Flower », ça sonne bien, pas vrai ? 

Les classiques : la Jamaïque et la Thaïlande

Avant que les cultivateur·ices de marijuana ne deviennent complètement zinzins et décident de croiser toutes les plantes disponibles pour créer des monstres de THC, il y avait ce qu’on appelle les variétés « landraces », soit les souches originales qui poussent naturellement dans la nature. L’une d’entre elles est la « thaï », une sativa pure arrivée aux États-Unis dans les années 1970. La « lamb's bread » en est une autre, cultivée en Jamaïque et accessoirement variété favorite de Bob (Marley, bien sûr). Avec une histoire aussi riche et verdoyante, il n’est pas étonnant que la weed jouisse d’une place toute particulière dans ces deux pays.

En 2022, la Thaïlande a retiré l’herbe de la liste des drogues, conduisant à l’ouverture de 5 000 cafés et shops de cannabis et créant ainsi un « Weed Wild West » pour les touristes intrépides. Il convient toutefois de noter que fumer en public est passible d’une peine de trois mois d’emprisonnement.

En Jamaïque, il est illégal de fumer de la ganja, mais la possession d’un maximum de 57 grammes n’est pas considérée comme une infraction pénale (même si vous risquez une petite amende si vous en avez sur vous dans l’espace public). La marijuana médicale est légale et la loi est très souple, ce qui signifie que les centres de bien-être, tels que la Kaya Herbhouse, disposent de médecins capables de vous fournir les formulaires nécessaires à l’achat d’herbe légale si vous souffrez d’anxiété, de douleur ou d’un problème de santé mineur. Pour l’heure, c’est un peu la pagaille. Bizarrement, la Jamaïque importe beaucoup de weed du Canada au lieu de développer une stratégie de production locale, ce qui la fait passer à côté d’opportunités économiques florissantes.

Argot à connaître : « Ganja » vous suffira pour les deux.

Un séjour au vert : l’Irlande

Si la weed n’est pas encore légale en Irlande, accrochez-vous bien à votre trèfle à quatre feuilles, car la situation pourrait bientôt changer. Le Parlement irlandais a récemment présenté un projet de loi visant à légaliser la consommation de cannabis pour les adultes et à autoriser la possession de sept grammes maximum. Bien entendu, tout ça ne signifie encore rien en termes de coffee shops, de dispensaires, de clubs ou de touristes, donc disons que l’île d’émeraude n’est pas encore entièrement passée au vert.

Argot à connaître : rien que vous n’ayez déjà entendu.

Le Cannabis Connect : Le Maroc

En termes de kilomètres à parcourir et de coût financier, le Maroc ne remplace pas facilement Amsterdam. Mais saviez-vous qu’une grande partie du haschisch disponible à Dam provient du Maroc ? C’est le top, le top du top.

Cultivée illégalement dans tout le pays, la plante a permis au Maroc de devenir le premier exportateur mondial de cannabis en 2016. En 2021, l’herbe à usage médical et industriel a été légalisée, mais l’usage récréatif reste illégal. Quoi qu’il en soit, le tourisme du « kif » y est très répandu : des villes comme Chefchaouen et Ketama regorgent de guides touristiques discrets prêts à vous emmener en excursion, à vous prodiguer une rapide leçon d’histoire et à vous faire goûter à cette herbe de qualité.

Argot à connaître : « Kif ».

Le joker : Kanepi

Oubliez Boaty McBoatface : les citoyen·nes de la ville estonienne de Kanepi (dont le nom n’est qu’à une lettre du mot « cannabis » en estonien) ont voté pour que leur nouveau drapeau et leurs armoiries représentent une énorme feuille de cannabis verte. Le conseil municipal a décidé de soumettre le vote à ses représentant·es, qui ont heureusement remporté une victoire de neuf à huit sur le projet. L’herbe est peut-être encore illégale, mais la possession de 7,5 grammes est décriminalisée. Agitez donc ce drapeau et levez votre briquet et votre chapeau à la défonce estonienne !

Argot à connaître : « Kanep », le seul vocable utile au foncedé.

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<![CDATA[Les laboratoires européens signent la « mort » des briques de coke de contrebande]]>https://www.vice.com/fr/article/qjv8e7/les-laboratoires-europeens-signent-la-mort-des-briques-de-coke-de-contrebandeTue, 02 May 2023 08:28:48 GMTLes trafiquants de drogue sont en train de chambouler considérablement le commerce traditionnel de cocaïne en installant des super-laboratoires au cœur même de l’Europe. Ceux-ci sont capables de transformer des matériaux apparemment innocents en poudre blanche de qualité supérieure.

De plus en plus souvent, les gangs de narcotrafiquants choisissent de terminer le processus de fabrication de la coke en Europe, deuxième marché mondial de la cocaïne après les États-Unis, tout simplement parce que c’est moins cher, plus facile à faire passer en contrebande et plus lucratif.

Partout en Europe, la police découvre un nombre croissant de ces labos où de la cocaïne base pure, dissoute dans des matériaux tels que le plastique et le charbon pour en assurer le transport, est extraite et transformée en poudre prête à être distribuée à travers l’Europe. Certains laboratoires sont également utilisés pour transformer la cocaïne base de contrebande en une poudre très pure, destinée à être vendue directement dans la rue.

Avant 2018, les laboratoires de coke étaient rares en Europe. Quand ceux-ci étaient découverts, il s’agissait généralement de bâtiments où des briques de cocaïne de contrebande étaient mélangées à des adultérants pour ensuite être repressées afin de donner cette impression de grande pureté.

Mais au cours des cinq dernières années, le nombre de laboratoires découverts – et leur capacité à traiter d’énormes quantités de drogue pour alimenter l’industrie européenne de la cocaïne, d’une valeur de 10 milliards d’euros – a grimpé en flèche.

Plus de 30 laboratoires ont été découverts en Europe en 2021, principalement en Espagne, aux Pays-Bas et en Belgique.

Aux Pays-Bas, entre 2018 et 2021, 45 laboratoires de ce type ont été découverts, dont 10 ont été classés comme laboratoires « à grande échelle » capables de produire 100 à 200 kilos de cocaïne en poudre par jour.

Bien souvent, la police y arrête des « cuisiniers » colombiens, employés par les gangs pour leur expertise dans l’extraction et la transformation. En 2020, la police néerlandaise a ainsi découvert un laboratoire de taille industrielle avec des chambres à coucher, construit dans un ancien centre équestre d’une ville située à 80 km d’Amsterdam.

L’Espagne n’échappe pas non plus à ce phénomène. Mi-avril, la police espagnole a découvert un super-laboratoire dans une maison de campagne de la région nord-ouest de la Galice.

Celui-ci produisait 200 kilos de cocaïne par jour, soit l’équivalent de 5,6 tonnes ou 5,6 millions de sachets d’un gramme par mois. Au cours du raid, 1,3 tonne de cocaïne base et 151 kilos de cocaïne en poudre ont été saisis, tandis que 18 personnes originaires d’Espagne, de Colombie et du Mexique ont été arrêtées. Le gang avait acheminé la cocaïne en contrebande, cachée à l’intérieur des vrilles métalliques utilisées dans les carrières pour briser la roche.

En 2022, la police a également découvert un laboratoire de cocaïne en plein air à la périphérie de Madrid. Des chimistes y extrayaient la cocaïne base d’un mélange de ciment importé d’Amérique du Sud pour ensuite la transformer en poudre – scientifiquement connue sous le nom de chlorhydrate de cocaïne –, à raison de 120 kg par semaine.

« On n’aurait jamais imaginé que l’Europe puisse être un meilleur berceau de production de cocaïne que la Colombie, mais les faits montrent que c’est peut-être le cas, dès que vous avez les bonnes connexions », a déclaré à VICE World News Laurent Laniel, analyste scientifique principal à l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, l’agence de l’Union européenne chargée de la lutte contre la drogue.

Alors pourquoi ce changement de tactique ? Laurent Laniel explique que dans les pays producteurs comme la Colombie, le Pérou et la Bolivie, la cocaïne base coûte presque la moitié du prix de la cocaïne finie pour les trafiquants, soit 600 dollars le kilo contre 1 000 dollars le kilo.

Selon lui, les gangs colombiens préfèrent de plus en plus vendre de la cocaïne base ou de la pâte de cocaïne aux trafiquants, une forme moins raffinée de la drogue, plutôt que de la poudre en briques, en raison de la répression accrue des produits chimiques nécessaires à la transformation de la cocaïne base en poudre.

La cocaïne base se dissout beaucoup plus facilement et plus efficacement que le chlorhydrate de cocaïne dans des matériaux « porteurs » tels que le plastique et le charbon de bois. Selon Laniel, la cocaïne ainsi déguisée est « très difficile à détecter pour les autorités », car les scanners, les rayons X et les chiens renifleurs sont le plus souvent incapables de l’identifier.

Par conséquent, les experts estiment que d’énormes quantités de cocaïne passées ainsi en contrebande transitent sans encombre de l’Amérique du Sud à l’Europe.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, les chimistes des gangs peuvent non seulement dissimuler la cocaïne, mais aussi la « verrouiller » dans des matériaux porteurs, ce qui signifie que même si les autorités savent qu’une cargaison contient de la drogue, elles ne pourront peut-être pas l’extraire pour prouver qu’il s’agit bien de cocaïne, à moins qu’elles ne disposent de la clé chimique pour le faire.

« Le processus de dissimulation chimique consiste à faire en sorte que les molécules de cocaïne se lient aux molécules d’un autre matériau dit “porteur”, tel que le plastique, le ciment ou le goudron, afin d’obtenir une nouvelle substance qui ressemble au matériau porteur d’origine et qui est riche en cocaïne, laquelle peut représenter entre 7 et 40% du poids total, mais qui ne donnera pas de résultat positif lors d’un dépistage en dehors d’un laboratoire médico-légal », a déclaré Laniel.

« Le processus de “verrouillage” consiste à introduire une ou plusieurs étapes supplémentaires en utilisant des substances spécifiques lors de la dissimulation chimique de la cocaïne dans un autre matériau. À moins de savoir quelles substances supplémentaires ont été utilisées, de quelle manière et à quelle phase du processus de dissimulation, il sera très difficile, voire impossible, de récupérer la cocaïne du support. »

Les laboratoires de cocaïne européens sont souvent mieux équipés que les laboratoires colombiens pour transformer la cocaïne base en poudre de cocaïne. Il est plus facile pour les gangs d’acheter des appareils et des produits chimiques de qualité industrielle nécessaires à la production de chlorhydrate de cocaïne, de sorte que le produit fini est de meilleure qualité et peut être vendu à un prix plus élevé – ou générer davantage de profits s’il est coupé avec des adultérants.

Cette méthode pourrait-elle changer la donne pour le marché européen de la cocaïne, qui ne cesse de croître, alors que la demande de cette drogue continue elle aussi d’augmenter ?

« À première vue, il semble que ce soit le cas, explique Laniel. Quand on saisit la cocaïne dans les ports, on l’empêche d’atteindre le marché. Mais quand on trouve les labos, il est presque trop tard, car certains d’entre eux produisent cinq tonnes par mois depuis bien longtemps. Du point de vue des trafiquants, ce mode opératoire semble efficace, car la cocaïne base n’est tout simplement pas saisie aux frontières. »

Selon lui, les messages cryptés piratés par la police via Encrochat et les téléphones SKY ECC ont révélé que certains gangsters européens avaient loué les bénéfices de cette méthode, affirmant son efficacité en termes de gain financier, mais également pour passer outre les technologies de détection, encourageant les autres à l’utiliser.

Laurent nous a confié que la Drug Enforcement Administration des États-Unis lui avait dit n’avoir pas encore découvert de laboratoires similaires en Amérique.

Il ajoute toutefois qu’aux États-Unis comme en Colombie, la police affirme qu’en ce qui concerne la contrebande, « la brique de cocaïne est morte », les trafiquants préférant faire sortir la drogue d’Amérique du Sud sous différentes formes afin de la transformer en briques une fois acheminée aux États-Unis et en Europe.

Pieter « Posh Pete » Tritton a été l’un des premiers trafiquants européens à adopter la méthode consistant à dissoudre la cocaïne base dans des matériaux et à l’extraire par la suite. Il mélangeait la cocaïne base à du caoutchouc liquide utilisé pour la confection de tapis de tentes, les faisait passer en contrebande d’Amérique du Sud au Royaume-Uni et extrayait ensuite la drogue dans un laboratoire. Il a été arrêté grâce à un informateur en 2005 et emprisonné en Équateur pendant 12 ans.

« On n’a jamais perdu une seule cargaison, a déclaré Tritton à VICE World News. L’idée m’est venue à la prison de Parkhurst [où il était enfermé pour trafic de drogue, NDLR], lorsque j’ai parcouru un article du Sunday Times sur la cocaïne imprégnée dans du mobilier de jardin en plastique. Pour moi, c’était le futur. »

« On imprégnait la solution de latex avec de la cocaïne base parce qu’on perdait moins de substance lors de l’extraction et que c’était évidemment moins cher que le chlorhydrate de cocaïne, poursuit-il. On ne perdait que 10 à 15% au cours du processus d’extraction de la cocaïne base, alors qu’avec le chlorhydrate de cocaïne, on perdait jusqu’à 30% et aussi une plus grande partie de la puissance du produit. »

« Pour les trafiquants, il ne fait aucun doute que c’est la voie à suivre et l’avenir de cette activité. De plus en plus de gens vont se tourner vers cette méthode, parce qu’elle offre plus de chances de réussite et qu’elle est plus lucrative. Vous êtes presque sûr d’y arriver [à faire de la contrebande sans vous faire prendre]. Il est extrêmement difficile pour eux [les autorités] de la trouver et de prouver que la personne savait ce qu’elle transportait, car il ne s’agit pas d’un produit fini. »

« Chaque “chef” modifie la recette, si bien qu’à moins de savoir comment ils l’infiltrent [dans le matériel de transport], il est difficile de l’en extraire. Pour la police, c’est plus difficile à combattre, et pour l’utilisateur final, ça signifie trouver dans la rue une cocaïne de meilleure qualité et moins chère. »

Mais Tritton, qui a écrit un bouquin sur son expérience de trafiquant de drogue international dans la prison la plus dangereuse d’Équateur, a quand même déclaré que cette méthode d’extraction avait bel et bien un talon d’Achille.

« Le seul inconvénient, ce sont les laboratoires. Tout s’y trouve : les machines, les produits chimiques, la cocaïne. C’était notre point faible. La police a attendu qu’on installe un labo, que l’informateur leur confirme où il se trouvait, et il n’y avait plus aucune issue une fois que les flics l’avaient perquisitionné, a-t-il déclaré. Mais ils ne sont pas faciles à trouver. Ils peuvent être n’importe où. J’imagine que les gens vont commencer à utiliser des laboratoires souterrains. L’idéal, ce serait un vieux bunker nucléaire avec une belle grande porte que la police mettrait un mois à franchir ».

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