Bart Lemmens Brasserie de l'Union Saint Gilles
Last Call

Dans le bar saint-gillois qui existait bien avant l’invasion des bobos

« À l’époque, le quartier était différent. C’était dégueulasse, c’était sale, mais ça nous plaisait. »
Romain Vennekens
Brussels, BE

Bienvenue dans « LAST CALL », une série dans laquelle nous passons du temps avec des barmans expérimentés afin de profiter de leurs leçons de vie. De comment surmonter un cœur brisé à ce qu'il ne faut absolument pas commander pour éviter de se couvrir de ridicule, ils nous racontent.

Il fut un temps où Saint-Gilles ne rimait pas avec brunchs en terrasses, épiceries bios et jeunes parents à vélos cargos. Un temps où la noirceur recouvrait les façades polluées, où l’on évitait de trop traîner le soir. Les gens se retrouvaient dans les bars pour oublier le dehors - et non assister au vernissage d’un artiste contemporain conceptuel. Un quartier de retranchés, d’immigrés, de gens à sec, d’artistes, de paumés. Un lieu vivant et musclé comme un cœur, qui vous le soulevait autant qu’il vous le faisait battre.

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Difficile de croire que cet autre monde était la réalité du quartier il y a trente ans à peine. Attirés par des prix abordables, certains y virent un terreau propice à leurs expérimentations. Comme Bart Lemmens, qui au début des années 1990, reprend l’Union, un petit café portugais sur une place alors sale et dangereusement fréquentée. Vingt-cinq ans plus tard, l’Union est devenu un lieu bruxellois incontournable, un bar fédérateur et populaire, connu et apprécié pour sa simplicité et son authenticité. On a rencontré Bart pour discuter de ces années un peu moins propres et des leçons qu’il en a tiré.

Brasserie de l'Union Saint Gilles

VICE : Bonjour Bart. Comment as-tu mis la main sur l’Union ?
Bart Lemmens : Je suis ce qu’on pourrait appeler un vieux punk. J’ai choisi un café parce que c’était un moyen facile et accessible pour un gars comme moi - qui n’avait pas vraiment étudié et qui n’avait pas beaucoup de pognon - de travailler et d’être indépendant. C’était il y a près de 25 ans. L’Union était alors un vieux café portugais qu’on a repris pour pas grand chose. Aujourd’hui, on ne pourrait plus faire ça. Tous les cafés qui ouvrent ici, ce sont des gens à pognon, des investisseurs.

Saint-Gilles, depuis quelques temps déjà, est en effet devenu un quartier montant de la capitale, comment c’était quand tu es arrivé ?
C’était un autre monde. Un quartier rock’n’roll avec beaucoup de tox’, de jeunes artistes, d’immigrés de tous horizons. C’était dégueulasse, c’était sale, mais ça nous plaisait. Quand je suis arrivé ici, toutes les façades étaient noires, tout était noir. Cela semble difficile à imaginer aujourd’hui.

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« Ce n’était pas spécialement dangereux mais quand une bande de quinze personnes un peu louches entre dans ton bistrot, t’es pas rassuré. »

Le public qui fréquentait ton bar devait alors être bien différent ?
Ça nous arrivait d’avoir peur le soir quand on ouvrait le bar. Ce n’était pas spécialement dangereux mais quand une bande de quinze personnes un peu louches entre dans ton bistrot, t’es pas rassuré. On a même eu une overdose dans les toilettes. C’était des trucs comme ça, c’était ça le quartier. Les flics qui débarquaient de temps en temps et on a même dû fermer un moment pour motif de rébellion. Il faut dire que pas mal de collectifs anarchistes se rassemblaient chez nous.

Brasserie de l'Union Saint Gilles

Quand est-ce que ça a commencé à changer ?
Quand le café de la Maison du Peuple est arrivé. Tout d’un coup, Saint-Gilles est devenu autre chose. Moi, je me souviens d’un quartier avec des artistes, des gens très populaires, sans-le-sou. Ces gars-là sont partis, parce que c’est devenu trop cher. Même nous, petit à petit, on s’est embourgeoisé. Quand je suis arrivé ici, ça coûtait que dalle, on avait de grands appartements pour deux fois rien. Je ne dirai pas que c’était mieux ou moins bien avant, c’était juste très différent. Aujourd’hui, Saint Gilles est devenu beaucoup plus lisse. Pour certaines personnes, c’est mieux mais pour ceux qui n’ont pas d’argent, Saint-Gilles ne leur appartient plus. Ça se mixe beaucoup moins qu’avant. Après, je ne vais pas me plaindre, j’ai vieilli et pour être honnête je ne pourrais plus tenir ce café s’il était toujours comme à l’époque où j’ai commencé.

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Tu me dis que les gens ne se mixent plus mais j’ai le sentiment que dans ton café, il existe encore une certaine mixité sociale, non ?
C’est vrai, mais c’est tout de même beaucoup moins fort qu’avant. Après j’ai toujours été très content, parce qu’on essaie d’avoir ça.

C’est donc une vraie volonté de ta part ?
Oui, tout à fait. On a toujours essayé d’être un peu moins cher que tous les autres. Ça aide un peu. Ensuite, je suis un type populaire et j’ai voulu créer un lieu qui l’est aussi. Je vis dans la commune depuis 25 ans, je connais mon balayeur, je connais les gars du quartier, je connais mes voisins. Et puis, il n’y pas de vernissage ou de trucs comme ça ici. C’est un bar et ça le reste.

« Être sobre et clean, ça a changé ma vie. Un drogué, c’est un gros con. »

Tu penses que tu vas encore bosser longtemps dans ce café ?
Non, dans quelques années je suis parti. C’est mon fils qui va reprendre l’affaire. C’est ça une ville. Tu as ton quart d’heure de gloire, tu fais ton temps et puis la nouvelle génération arrive et toi tu dégages. Il ne faut pas espérer plus. Je suis prêt à dégager.

Que penses-tu de cette nouvelle génération qui arrive justement ?
Je ne suis pas quelqu’un qui dit que c’était mieux avant. Bon, parfois, j’ai tout de même le sentiment que c’était plus sympa quand j’étais jeune mais c’est parce que c’était mon époque, j’avais plus de feeling. Aujourd’hui, je trouve parfois que les jeunes sont chiants. Mais tu vois, quand je suis arrivé ici, j’étais jeune et je pensais tout savoir. Et puis un jour, on devient vieux, d’autres jeunes sont là et ils pensent tout savoir mieux à leur tour, c’est comme ça.

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Brasserie de l'Union Saint-Gilles

Qu’est-ce qui t’a plu dans ce métier durant toutes ces années ?
La liberté. Je n’ai jamais eu de patron et j’ai pu faire ce que je voulais. Je pouvais décider de mes horaires, si quelqu’un me faisait chier, je pouvais le mettre dehors. J’ai gagné un salaire décent, payé mon personnel un salaire très décent également, ce qui est gai aussi. J’ai eu une chouette vie dans ce café. Je dirai toujours à un jeune d’étudier plutôt que d’ouvrir un bistrot, mais moi, je suis content.

« J’ai vu des gens très riches et très célèbres qui étaient très malheureux et de pauvres gens qui étaient très heureux. »

En quoi penses-tu avoir changé entre le moment où tu as ouvert l’Union et aujourd’hui ?
Quand tu es un jeune ket comme ça, que tu tiens un bistrot, que ça marche, ta tête tourne un peu. Pendant longtemps j’ai eu des problèmes d’alcool et de… Tout ça, j’ai pu arrêter il y a maintenant quinze ans. Être sobre et clean, ça a changé ma vie. Un drogué, c’est un gros con. J’étais devenu un gros con alors qu’aujourd’hui je peux me regarder le matin dans le miroir sans honte.

Qu’est-ce que ce métier t’a appris sur les gens? Il y en pas mal de très différents qui passent ici.
Ça va être un peu cliché de dire ça mais j’ai vu des gens très riches et très célèbres qui étaient très malheureux et de pauvres gens qui étaient très heureux. C’est tout simple, mais c’est la vérité.

Merci Bart.

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