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procrastination

Promis, demain on arrête de tout remettre à demain

Enfin, on va essayer.
Emma Garland
London, GB
On finira bien par en venir à bout. Photo : Richard Baker/Alamy

1 er janvier 2018. Vous vous êtes probablement réveillé avec un mal de crâne, des crampes à l’estomac, et l’envie soudaine de devenir une nouvelle personne. C’est la raison pour laquelle on s’invente des bonnes résolutions – non pas pour améliorer notre qualité de vie, mais plutôt pour se glisser dans la peau d’une personne meilleure. Et chaque année, on échoue.

Malgré le fait que nous disposons de tous les outils adéquats – la nature, Amazon, la possibilité d’éteindre son portable – on ne s’améliore pas. Certains décident de se mettre au sport et passent le restent de leur vie à poster sur Instagram des photos d’eux, dans la brume du parc à six heures du mat’. Et vous ? Vous prenez un abonnement à la piscine pour n’y aller précisément que trois fois. Vous mangez de la salade tout au long de la semaine avant de repartir de zéro en faisant l’erreur d’avaler une pinte, deux pintes, six pintes et un kebab. Arrivé le 20 janvier, vous êtes devant une série, emmitouflé dans une couette qui n’a pas été changée depuis un mois. Oui. On peut tous se donner des objectifs, faire des listes. Mais comment les accomplir sans être distrait, entre Facebook et Netflix ?

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Devinez combien de temps j’ai mis à écrire ce premier paragraphe. En fait, non. La réponse est objectivement « trop longtemps ». Des guerres se sont certainement terminées plus vite. Je me suis assise, j’ai mangé une banane, puis j’ai passé un quart d’heure devant une page blanche, en pensant à de la soupe. Tout ça pour dire : je m’appelle Emma et je suis une experte en procrastination.

Contrairement aux apparences, la procrastination n’est pas qu’un problème organisationnel, mais aussi émotionnel. Dans certains cas, c’est évident : vous ne voulez pas faire votre déclaration d’impôts parce que littéralement personne ne la fait ; vous ne voulez pas écrire votre dissertation car vous préférez chiller devant Netflix. Au lieu de quoi vous dites à vos amis « désolé je dois bosser » à longueur de semaine, alors que vous passez votre temps sur Reddit à vous renseigner sur des théories du complot au sujet de la lune, avant de vous dépêcher de terminer votre travail, six heures avant la deadline. Dans d’autres cas, lorsque vous remettez à plus tard quelque chose que vous voudriez faire, la procrastination est plus complexe.

Comme l’alcool ou le repli sur soi, la procrastination est une stratégie d’adaptation mal adaptée qui consiste à régler un problème temporairement en l’évitant complètement. Un peu comme ramasser les habits qui traînent parterre pour les cacher sous le lit. Des chercheurs ont prouvé que la procrastination entraîne des risques de santé physique et mentale, et affectent d’autres aspects de notre bien-être.

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Le fait d’éviter une obligation est une forme de détachement émotionnel, mais le sentiment de honte et de culpabilité qui s’ensuit renforce la procrastination, entraînant de fait plus de honte et de culpabilité. Et cet horrible cycle continu, jusqu'à ce que le simple fait d’écrire à votre tante vous angoisse autant que d’annoncer à votre petit copain depuis huit ans que c’est fini entre vous.

Désespérée, j’ai contacté le Dr Timothy Pychyl – professeur dans le département de psychologie à l’université de Carleton, et fondateur d'un groupe de recherche sur la procrastination.

« La raison pour laquelle les gens procrastinent est la même pour tous : on est face à quelque chose que l’on aurait voulu faire plus tôt, explique-t-il, mais notre réponse émotionnelle est plutôt "je n’ai pas envie" ou "je n’ai pas envie maintenant". Sauf que maintenant, l’état de notre motivation n’est plus à la hauteur de la tâche en question. »

Mieux vaut préciser que je suis un cas particulier : j’ignore souvent des tâches urgentes parce que je suis dépressive – j’ai donc parlé à des personnes qui reflètent mieux ce phénomène.

« Ma procrastination est une expression de ma peur », m’explique Lis, professeure de yoga à Londres. « Et mes plus grandes peurs sont le changement et ma capacité à faire les choses. Du coup j’ai peur de changer d’appartement, car mon instinct me dit que déménager veut aussi dire abandonner tout ce qui m’est familier. Et plutôt que de ranger ma vie dans des cartons, je fais le tri dans mes relevés bancaires, ou je cherche des trous dans mes collants en les enfilant sur mes bras. »

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Évidemment, la procrastination se manifeste différemment chez tout le monde. Certains mènent leur #carrière et leurs #objectifs avec la détermination de Terminator, mais laissent leur vaisselle se transformer en être vivant dans l’évier. D’autres prétendent lire davantage pendant leur temps libre, alors qu’ils passent des mois à enchaîner 9 saisons de Sienfeld, ou à publier des mèmes sur leur profil . Personnellement, je prétends reprendre les cours de piano depuis dix ans. L’unique action entreprise jusqu’ici : dire à mon père que non, il ne faut pas jeter mon clavier électrique qui prend la poussière dans la cave, car j’en ai évidemment besoin.

Chacun possède ses propres raisons de procrastiner. Je pourrais vous dire que j’ai consacré une partie de mon temps à faire des choses meilleures et plus productives, comme du bénévolat ou apprendre à cuisiner autre choses que des pâtes. Mais en vérité, j’ai régulièrement repoussé ces ambitions car je préfère mourir que de ne pas être immédiatement douée pour quelque chose. Lis m’explique qu’elle ressent la même chose.

« Je suis mon plus grand tyran, déclare-t-elle. Je suis intraitable envers moi-même quand il s’agit de réussir parfaitement du premier coup, alors que j’ai ces attentes envers personne d’autre. Depuis que j’ai compris ça, j’ai décidé d’éviter certaines tâches, ou bien de les faire petit à petit. Même si ça peut paraître un peu prétentieux, une fois que les hormones de stress diminuent dans mon sang, je regagne une sensation de plénitude et de tranquillité. »

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Selon Tim, cela s’appelle du perfectionnisme. Ce n’est pas forcément lié à la procrastination, mais ça peut l’être si vous êtes une personne impulsive. « Si vous êtes impulsif, vous avez plus de chance de procrastiner pour échapper aux sentiments négatifs, explique-t-il, mais si vous êtes décrit comme un perfectionniste, il est probable que vous procrastiniez en espérant répondre aux attentes irréalistes des autres. »

À ce stade, cela prend un peu trop la forme d’une séance chez le psy, alors je décide de parler à une personne objectivement efficace pour connaître ses secrets. À 24 ans, Ellie obtient son doctorat en histoire de l’art à King’s College à Londres. Elle a passé l’année dernière à travailler sur une exposition de la Tate Britain avec les conservateurs. Tout ça semble, pour ne pas citer Sex and the City, « bon sur le papier ». Pourtant, elle se définit comme une « horrible procrastinatrice ».

« La procrastination vient souvent de la peur de me tromper, raconte Ellie. La procrastination, ce n’est pas marrant, c’est une forme de paralysie, qui me pousse à consommer des milliers de mèmes et à traîner sur le profil Facebook des gens à qui je n’ai pas parlé depuis le collège. »

Nous voilà de retour à la table de la défaite, à se gaver d’un buffet interminable de réseaux sociaux et de peur de l’échec. Mais le fait que la société ne se soit pas déjà complètement écroulée est une preuve que ces cycles peuvent être brisés ; la procrastination doit, à un moment, s’arrêter.

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« Je suppose qu’il est temps que je vous conseille la technique Pomodoro, poursuit Ellie. Mais en toute honnêteté, c’est "Unwritten" de Natasha Bedingfield qui m’a permis de terminer mon master. Il y a des choses simples, comme faire des to-do lists et répondre aux emails, qui m’ont toujours aidée à me concentrer, mais aussi des choses plus complexes, comme être plus douce envers moi-même et avoir des attentes plus raisonnables en matière de productivité. Il vaut mieux accepter ça et se faire un thé plutôt que de tomber dans un abysse de dégoût de soi. »

Le problème des bonnes résolutions est qu’elles ont la réputation d’être facilement abandonnées car trop vagues. « Perdre du poids, faire du sport, manger plus sainement… C’est ce qu’on peut qualifier d’intentions anémiques, car elles sont trop floues et par conséquent trop faibles, déclare Tim. Ces objectifs ne sont pas insurmontables à cause d’une quelconque pression, mais restent difficiles car on les a déjà ratés plus d’une fois. »

Plutôt que de reporter, il faut se demander quelle sera la prochaine action à entreprendre si l’on doit accomplir La Chose. « Il faut commencer par faire l’action la plus petite et concrète possible, explique Tim. Quand on conçoit les choses ainsi, on avance plus que l’on ne s’écarte. Cette minuscule avancée renforce notre bien-être et notre motivation, et nous motive à entreprendre la prochaine action. »

En gros, vous aurez de meilleures chances de faire une chose si vous la divisez en petites tâches accessibles. Alors lancez-vous, écoutez Natasha Bedingfield, et continuez d’être imparfait. On sait tous que vous le serez.

@emmaggarland