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Tonic

Dans un gymnase pour femmes d'Afghanistan

La plupart des Afghanes ont besoin de l'autorisation de leur famille – et notamment des hommes – pour pouvoir pratiquer une quelconque activité sportive.
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Cet article a été initialement publié sur Tonic.

Je ne savais pas trop à quoi m’attendre la première fois que j’ai mis les pieds dans le gymnase pour femmes de Kaboul. Si la plupart des Afghanes sont pleines de vie (contrairement à la façon dont elles sont représentées dans les médias) – en particulier dans les endroits où règne une ségrégation sexiste – elles sont loin d’être considérées comme sportives. Bien sûr, certaines femmes afghanes ont brisé les stéréotypes et excellé en tant qu'athlètes, mais elles constituent une minorité contrainte de lutter contre un système qui lui met des bâtons dans les roues.

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Alors que je me rapproche du minuscule bureau de la professeure de sport, situé au bout d'une vaste salle remplie de toutes sortes d'équipements d'entraînement, je me demande si nous sommes encore à Kaboul. Beaucoup de femmes portent un survêtement et des baskets assorties, d'autres sont en short et en débardeur, d'autres encore sont vêtues du traditionnel salwaar kameez originaire de cette région.

J’entends de la musique – Justin Bieber, je crois – et beaucoup de bavardages. Dans un coin de la pièce se trouve un berceau qui accueille trois enfants âgés de 1 à 3 ans, pris en charge par une adolescente qui semble également tenir le bar à jus d’à côté. Pendant que je me change, je remarque, sur le portemanteau, de longs manteaux noirs, des abayas noires et des burqas bleues. Beaucoup de femmes doivent avoir la permission de leur famille, en particulier des hommes, pour pouvoir se rendre au gymnase. Cela signifie également que, pour certaines, assister à ces cours est un acte de défi – elles entrent et sortent de l'établissement de manière discrète et anonyme.

Ce jour-là, je rencontre Parwin Sofi, une dame âgée de 70 ans qui dirige depuis dix ans un gymnase féminin à Macroryan, une colonie construite par les troupes soviétiques à Kaboul. Sofi s'intéresse à la santé et à la condition physique des femmes depuis plus de quatre décennies, soit depuis que la guerre fait rage en Afghanistan. « J’étais une très bonne joueuse de volley au lycée, et j'ai joué pour l'équipe nationale. Plus tard, j'ai commencé à entraîner des jeunes filles, mais j'ai dû arrêter quand la guerre a commencé », se souvient-elle.

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La passion de Sofi pour le sport l’a non seulement aidée physiquement, mais l’a aussi renforcée mentalement – elle ne cède pas facilement aux exigences de la société dominée par les hommes dans laquelle elle vit. Cela lui a donné la force de continuer à pratiquer et à s'entraîner, souvent en secret. Pendant qu’elle me raconte son histoire, plusieurs jeunes femmes entrent dans la salle. « C’est le seul espace que nous avons pu trouver. Pendant longtemps, il n’y avait même pas de toit, donc nous ne pouvions pas nous entraîner quand il pleuvait ou qu’il neigeait. »

La configuration est simple : un sol en béton recouvert de tapis persans colorés et tissés à la main. Il y a deux vélos elliptiques, quatre vélos stationnaires et quatre tapis roulants, ainsi qu'un assortiment d'haltères, de cerceaux et d'autres appareils d'exercice utilisés par environ 100 femmes chaque semaine. « Une partie de l'équipement a été achetée avec les dons de la communauté, mais j'ai payé pour le toit de ma poche », déclare-t-elle, en aidant une femme à utiliser une machine abdominale.

Puis elle se met par terre et montre une posture de yoga – uttanasana. Elle bénéficie d’une endurance que même les femmes les plus jeunes du gymnase ne peuvent pas égaler. Elles rient un peu à l'idée de répliquer la pose, avant de suivre son exemple.

Malgré les années de conflit, Sofi n'a jamais quitté l'Afghanistan. « Pendant la pire des périodes, sous le régime des talibans, mon mari et moi avons décidé de déménager à Kandahar », déclare-t-elle, faisant référence à l'ancienne capitale des talibans. Sofi a commencé à travailler en tant que sage-femme et, plus tard, en tant qu’infirmière, à une époque où les femmes actives faisaient face à de sévères restrictions.

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Alors que l'Afghanistan s'engouffrait de plus en plus dans la guerre au début des années 2000, Sofi a remarqué que, pour les femmes, les opportunités d'accès à ces espaces diminuaient. « Les Afghanes ont tellement de problèmes de santé ; des problèmes d'endurance, des maux de dos, des douleurs articulaires. C’est [peut-être] parce que beaucoup d'entre elles ont passé leur vie enfermées chez elles, avec peu de contact avec l’extérieur. Même les rues ne sont pas accueillantes pour elles et, souvent, elles ne marchent pas autant qu'elles le devraient, poursuit-elle. Sans parler de la tristesse générale et de la dépression qui rythment leur vie quotidienne. »

Certaines clientes de Sofi ont entendu parler d’elle via des médecins qui ont diagnostiqué chez elles une dépression et d'autres problèmes de santé mentale. « Les roquettes n'ont peut-être pas endommagé leur maison, mais elles ont sans aucun doute endommagé leur psyché, déclare-t-elle. Faire de l'exercice deux fois par semaine pendant deux heures peut grandement aider les femmes à améliorer leur bien-être physique et mental », ajoute-t-elle.

En dépit d'être une personnalité respectée dans la communauté en raison de ses années de bouteille – et d’une tentative ratée de se présenter au parlement – il était difficile au début pour Sofi de convaincre les femmes de se joindre à elle. « Beaucoup de mes premières clientes m'ont connue grâce à des médecins du quartier qui me connaissaient bien », déclare-t-elle, ajoutant que son fils aîné est lui-même médecin praticien en Inde. « Finalement, elles se sont donné le mot et, aujourd’hui, beaucoup de femmes viennent à moi parce qu'elles ont entendu parler des avantages de la salle de gym. »

Elle se souvient d'un cas – trois sœurs, des anciennes toxicomanes en sevrage. En Afghanistan, les femmes qui tombent dans la dépendance sont traitées très sévèrement par le public, et sont souvent exploitées par un système destiné à les protéger. Sofi s'est donné comme objectif de s'occuper de leur cas – l'une d’elles était adolescente, les deux autres âgées de la vingtaine.

« Je passais les chercher chez elles en taxi tous les jours pour les amener à la salle de sport, leur faire faire de l’exercice, les nourrir, et les ramener. J'ai fait ça pendant six mois ; après ça, les filles étaient capables de se déplacer seules », déclare-t-elle. Huit ans plus tard, non seulement elles se sont complètement rétablies, mais elles ont aussi réussi leur carrière. « L'une d’elles est partie travailler en Allemagne », déclare-t-elle en souriant.

Pour beaucoup de femmes, il ne s'agit pas seulement d'un espace de fitness, mais aussi de camaraderie. « Il y a des jours où nous nous réunissons simplement au gymnase pour partager un repas », explique Mina, une femme au foyer de 28 ans qui vient au moins quatre fois par semaine. « Cela renforce notre sentiment d’appartenance à une communauté. »

C'est l'une des raisons pour lesquelles Sofi n’envisage pas de prendre sa retraite. « Même si mes enfants sont grands et ont réussi leur carrière, déclare-t-elle, il me reste encore beaucoup à faire. »