Crime

Ce que ça fait d’être placé à l’isolement à 16 ans

« J'ai l'impression d'avoir vieilli de dix ans en l’espace de deux semaines ».
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
EE
propos rapportés par Elizabeth Eldridge
détenu isolement
Illustration : Dane Patterson

J’avais 16 ans lorsque j'ai été arrêté et emmené au Onondaga County Justice Center à Syracuse, dans l’État de New York, en attendant mon procès pour cambriolage. La plupart de mes codétenus étaient des gamins avec qui j'étais allé à l'école. J'ai discuté avec certains d’entre eux, mais j'ai surtout essayé de ne pas trop me faire remarquer.

J’étais en prison depuis quelques semaines seulement lorsque j’ai eu une altercation avec un autre détenu. Nous avons tous les deux été placés à l’isolement. En arrivant, les officiers m'ont fait m'allonger sur le sol. Ils ont enlevé mes vêtements, couche par couche, afin de procéder à une fouille corporelle. Après avoir vérifié chacune de mes cavités, ils m'ont dit de me rhabiller.

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Ma cellule était sale et il y avait d'autres prisonniers qui me criaient dessus. J’ai regardé autour de moi. Il y avait un évier en métal relié à des toilettes en métal, un miroir en métal sur le mur, un lit en métal avec un matelas en plastique très fin, une couverture, et un bureau en métal, sans chaise. C'était tout. Et je n’avais aucune idée de combien de temps j’allais devoir rester là : j'ai dû attendre mon audience disciplinaire pour le savoir.

Quand je me suis regardé dans le « miroir », j'ai vu que du sang coulait de mes yeux à cause de la bagarre. J'ai demandé au surveillant d'appeler un médecin, je ne voulais pas que ça s'infecte. Après avoir été soigné, je me suis retrouvé seul et j’ai commencé à réfléchir : je ne quitterai jamais cette cellule, sauf pour prendre une douche ou recevoir un visiteur. Je me voyais déjà y passer le reste de ma vie. Je me sentais comme un animal en cage.

« En peu de temps, vos émotions sont poussées à une limite que vous n’auriez jamais pu imaginer. C'était suffisant pour me pousser à ne plus vouloir vivre, mais j'ai toujours eu le courage de ne pas me suicider »

En ce premier jour à l'isolement, j'avais mal partout à cause des coups que j’avais reçus, alors j'ai essayé de dormir, mais je n’y arrivais pas. Les types dans les cellules alentour n’arrêtaient pas de crier et de taper sur les murs. J'ai finalement réussi à m'endormir, mais le gardien m’a réveillé en m’apportant mon plateau de nourriture. Il a fait un claquement tonitruant, probablement le pire son que j'aie jamais entendu de ma vie. Après ça, je suis resté assis là, à regarder autour de moi. Il y avait une fenêtre, et tout ce que je pouvais voir, c'était les côtés des autres bâtiments de la prison.

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Assis dans votre cellule, vous n'avez rien d'autre à faire que de réfléchir. Vous faites un point sur votre vie et ce n’est jamais quelque chose de très agréable. Je ne pensais qu'aux aspects négatifs : mon procès, mes problèmes à la maison, ma famille.

Vous êtes juste entouré de quatre murs avec une lumière tamisée, sans compagnon de cellule, sans photos de votre famille. Et c’est comme ça jour après jour. En peu de temps, vos émotions sont poussées à une limite que vous n’auriez jamais pu imaginer. C'était suffisant pour me pousser à ne plus vouloir vivre, mais j'ai toujours eu le courage de ne pas me suicider.

En prison, ma vie n'était peut-être pas parfaite, mais j'étais un jeune homme brillant et dynamique. Je savais que j'avais fait des erreurs, mais j'essayais encore de m'amuser et de profiter. À l’isolement, j'ai ressenti une souffrance insupportable, et cela m'a changé. Jai eu l'impression d'avoir vieilli de dix ans en l’espace de deux semaines. Une fois sorti, j’ai eu du mal à me réadapter à l'interaction avec les gens parce que j'étais habitué à être seul. J’avais l'impression que personne n'était là pour moi.

En attendant mon procès, j'ai fait deux autres séjours à l’isolement. Une fois par erreur : deux types se sont affrontés physiquement et le gardien a supposé que j'étais impliqué. J'ai plaidé ma cause devant tous ceux qui voulaient bien m'écouter. Un lieutenant a regardé les images des vidéos de surveillance et ils m'ont laissé sortir. Mais c'était quand même angoissant de savoir que je pouvais y retourner d’une minute à l’autre pour quelque chose que je n'avais pas fait. La deuxième, c'était après que deux types ont voulu se battre contre nous, mes potes et moi. On s’est défendus, mais on a quand même fini à l’isolement.

Quand je n’étais pas à l’isolement, j’assistais à des cours, à des services religieux et à d'autres programmes pendant la semaine. Mais lorsque j'ai été envoyé à l’isolement, on m'a dit à chacune de mes audiences disciplinaires que je n'avais le droit de participer à aucun programme. Au lieu de cela, un enseignant venait deux fois par semaine dans ma cellule avec une chemise remplie de fiches d’exercices, d'articles de journaux, de mots croisés et de mots cachés. La fois suivante, il en amenait d’autres et ne vérifiait même pas si j’avais fait les précédents. « Oh, non, garde ça pour toi », disait-il. Le problème, c’est qu’il y avait beaucoup de choses que je ne comprenais pas. Ma situation me paraissait d’autant plus terrible. J’avais l’impression qu’on me traitait comme un animal.

Les onze mois que j'ai passés en prison m'ont changé pour le meilleur et pour le pire. Je suis plus à l'écoute de moi-même, parce qu'à l’isolement, vous apprenez à vous connaître, à savoir qui vous êtes vraiment. À présent, je fais du mentorat auprès des jeunes que je connais ; je les encourage à quitter la rue, parce que ce que j'ai vécu, je ne le souhaiterais même pas à mon pire ennemi.

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