FYI.

This story is over 5 years old.

Gaming

Pourquoi y a-t-il autant de jeux post-apocalyptiques ?

« Peut-être est-ce la faute d’un imaginaire limité, mais il semble plus facile aujourd’hui d’envisager la détérioration lente et sûre de notre planète et de sa nature que l’effondrement du capitalisme tardif. »
Pourquoi y a-t-il autant de jeux post-apocalyptiques ?
Fallout. Avec l’aimable autorisation de Bethesda

Cet article a été initialement publié sur Waypoint.

Leur truc, c’est le spectaculaire spéculatif, un futur grandiloquent et différent en tous points du présent. Quand ils perturbent notre quotidien, les explosions et les coups de feu n’annoncent que violence et terreur domestique, mais dans nos jeux favoris ils sont le fait de héros surpuissants et de leur groupe d’amis charismatiques.

L’E3 cette été, ce n’était que ça, du cauchemar halluciné de The Last Of Us Part II à l’Apocalypse jubilatoire de Rage 2 (de quoi faire rougir George Miller), en passant par le manuel de rébellion dystopique de Cyberpunk 2077 ou les terres désolées de Fallout 76. La fin de nos sociétés, de nos gouvernements, et de tout ce qui compose notre réalité, voilà bien l’obsession de ces franchises. Alors on s’est posé la même question qu’à tous les salons E3 : pourquoi l’Apocalypse ?

Publicité

Le point commun entre les blockbusters vidéoludiques et leurs cousins cinématographiques ? Leur fascination pour la fin. Une citation de Slavoj Žižek revient souvent à ce sujet. Selon lui, la fin du monde est plus facile à envisager que la fin du capitalisme. De nos interactions sociales quotidiennes à notre nourriture ou notre métier lui-même, ce dernier structure nos vies à tel point que le néant semble plus facile à imaginer qu’un monde sans capitalisme. Soyez attentifs, on revient aux jeux vidéo dans un instant.

Incorrigible, Žižek a quand-même bien déformé la citation originale de Jameson. La voici donc : « Peut-être est-ce la faute d’un imaginaire limité, mais il semble plus facile aujourd’hui d’envisager la détérioration lente et sûre de notre planète et de sa nature que l’effondrement du capitalisme tardif. »

1540218063489-1529446290755-cyberpunk_main

Cyberpunk 2077. Avec l’aimable autorisation de CD Prokekt Red

Un peu maladroite et pas aussi efficace que l’aphorisme zizekien, elle ne nous en donne pas moins du grain à moudre pour analyser la place de l’Apocalypse dans les jeux vidéo. Il y a mille autres histoires à raconter, non ? Pourquoi pas la piraterie dans les Caraïbes ? La Grèce Antique ? Les hommes des cavernes ? On pourrait aussi bien imaginer un jeu situé il y a dix minutes, ou dans un futur très lointain. Centré sur l’épopée d’un gamin hirsute, depuis sa chambre jusqu’au Monop’ le plus proche. Ou sur une super-espionne héroïque adepte de la non-violence. Les jeux vidéo, c’est l’univers de tous les possibles, de toutes les époques, de tous les lieux. Pourtant, plus d’une fois sur deux, on a droit à un futur dévasté. C’est trop.

Publicité

Les jeux vidéo sont l’usine à rêves de notre ère. Au XXe siècle, c’était le cinéma, ses écrans géants et ses bruitages toujours plus 5.1. Le Septième Art a infiltré l’esprit de l’humanité, pour mieux l’accompagner dans sa course folle à travers la Grande Dépression, les guerres mondiales et les années 60. Puis on a eu droit à Orange Mécanique, le premier Star Wars, Rencontres du Troisième Type, Apocalypse 2024, Mad Max ou encore Solaris, avant les années 80, Blade Runner, The Thing, Mad Max 2, Scanners, Terminator et la suprématie de la saga de George Lucas. Ces films nous habitent encore, ou plutôt : nous les habitons encore.

Leur héritage culturel n’a pas fini de semer la pagaille dans le futur. Cultes, recyclables à volonté, ces franchises nous ont offert un avenir clé-en-main. Notre capacité spéculative ne s’en remettra pas. Être inquiet pour l’avenir, c’est avoir peur de visions cinématographiques. Les Warboys de Mad Max, avides de sang frais. L’automatisation totale du monde et la prise de pouvoir de Skynet. Le fossé riches/pauvres que l’inspecteur Deckard enjambe l’air de rien.

Cela a sans doute aussi à voir avec ce que Jameson appelle notre « imaginaire limité. »

Pourquoi l’Apocalypse ? On peut voir ça comme une relique, une redite des thèmes du cinéma des années 70-80. Les développeurs d’aujourd’hui ont grandi avec cette culture geek après tout. Le résumé de pas mal de jeux pourrait être « Aliens avec du cul. » L’économie n’y est pas étrangère non plus. Vu le triomphe de la saga Fallout, pourquoi ne pas situer plus de jeux dans une Amérique dévastée ? Mad Max a démontré tout le potentiel fun des paysages post-nucléaires, résultat : Rage 2. Qu’il s’agisse d’esthétique ou de gameplay, les joueurs aiment retrouver ce qu’ils aiment, d’où la facilité de leur vendre des jeux aussi référencés.

Cela a sans doute aussi à voir avec ce que Jameson appelle notre « imaginaire limité ». Notre critique d’Observer il y a un an mettait l’accent sur l’incapacité du jeu à envisager un monde en-dehors de sa dystopie blafarde. Un problème qu’on retrouve dans tous les jeux. Si du point de vue du gameplay le post-apo est si attractif, c’est que par essence il demande au joueur de toujours recommencer sur une base vierge. Construire et reconstruire les mêmes conneries, créer et recréer les mêmes mondes, jouer et rejouer avec les mêmes codes, c’est bien plus facile que de s’essayer à la nouveauté. Avec sa boucle de gameplay qui demande aux joueurs de détruire certaines parties des univers jouables pour exploiter leurs ressources, Fallout 76 l’a très bien assimilé.

Attention, il ne s’agit pas de dire que c’est mal ! L’apocalypse est presque inhérente aux jeux vidéo. Quand la suite d’un jeu est mise en vente, le héros tout puissant ressuscite par magie. Quoi que le joueur ait accompli lors de sa partie précédente, il y a un nouveau méchant prêt à tout redétruire. Tout ce labeur, tous ces efforts, sont condamnés à un anéantissement permanent.

La seule façon de nous extirper de cette impasse post-apo, c’est peut-être de nous confronter aux limites de notre imaginaire. Peut-être que les joueurs ont le droit à mieux que ce modèle de la remise à zéro permanente. La modification du pré-existant n’est-elle pas préférable à la création ex nihilo ? Les mastodontes du jeu vidéo ont tout intérêt à se remettre en question : leur propre avenir dépend de leur vision du nôtre.

VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.