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Ils se sont aimés sur un MMORPG

Que ce soit dans un FPS, MMORPG ou jeu flash, les belles histoires d’amour sont légion. Tant qu’elles redéfinissent les codes de la rencontre et interpellent les professionnels de la drague 2.0.
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Benjamin et Eugénie ont 30 ans à tous les deux quand ils se rencontrent à l’été 2014. « Je ne partais jamais en vacances car mes parents n’en avaient pas les moyens », raconte Benjamin. Pour tromper l’ennui, un ami lui propose une partie d’Habbo, célèbre jeu en ligne pour adolescents lancé dix ans plus tôt en France.

Ils arpentent ensemble ce monde virtuel, interagissant à l’occasion avec les autres utilisateurs grâce au chat. Jusqu’à ce que l’avatar de Benjamin croise l’avatar d’Eugénie. Coup de foudre. C’est le début de leur histoire : moult discussions enflammées sur Skype, disputes virtuelles et 500 heures de jeux vidéo en tout genre plus tard, ils tombent amoureux.

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Elle habite dans la banlieue lilloise, lui près de Strasbourg. Un an plus tard, ils veulent passer du virtuel au réel. « J’étais plus stressé de voir ma copine en vrai pour la première fois que pour les oraux du bac ! » se souvient Benjamin. Au premier regard, lui qui se dit « trop timide pour draguer » et qui « n’était pas intéressé et n’intéressait pas les filles du lycée car [il] faisait partie des geeks » en est sûr : il a trouvé l’âme sœur.

Pendant trois ans, ils se fréquentent durant les vacances scolaires. Leur patience va bientôt être récompensée : dans un mois, le jeune couple va louer un studio ensemble, près de Lille. « Ça fait un bien fou », raconte Benjamin, rêveur. Tout ça grâce à Habbo, simple jeu flash ? Les exemples de ce genre ne manquent pas.

Engagement émotionnel et *crac-crac*

Ma Bimbo, Amour Sucré, Cromimi, Blablaland, Oh my dollz, Stardoll, Chapatiz … Autant de noms qui réveillent le préado en vous. On chattait avec de parfaits inconnus et on y faisait *crac-crac* – jusqu’à se marier virtuellement. Si vous les avez enfoui dans votre mémoire, ces jeux ne sont pourtant pas toujours tombés dans l’oubli. Malgré des lacunes dans la modération des contenus sexuels mis au jour par Channel 4 en 2012, Habbo recensait en 2018 plus de quatre millions d’utilisateurs dans le monde, dont près de 250 000 en France, selon le fansite Puhekupla.

Dans de tels jeux, basés sur l’interaction, l’amour est forcément central. Au tournant des années 2000, l’un des premiers à avoir permis l’exploration d’un métavers, monde virtuel fictif permettant aux utilisateurs de déplacer des avatars, est Second Life. « Les rencontres sont très répandues et se situent dans un continuum qui va du simple jeu de rôle à des engagements émotionnels plus fort, plus "authentiques" », explique Amaranta Cecchini, autrice d’une thèse sur les intimités amoureuses à l’ère du numérique.

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Pour la sociologue, « "jouer l'amour" ou "être en couple" sont deux scripts fréquents » dans les jeux en ligne massivement multijoueur (MMORPG). « La distance géographique, le fait d'être derrière son écran, de pouvoir se déconnecter à tout instant, donnent un sentiment de maîtriser les interactions et encouragent parfois à prendre des risques relationnels qu'on ne prendrait pas en face-à-face. En ce sens les dispositifs seraient "émancipateurs" en permettant des expériences affectives et relationnelles inédites. » Pour autant, les avatars sont souvent genrés, sexualisés, jeunes, beaux…

De même, s’il « est possible de communiquer par écrit et oralement », « de nombreuses expressions et échanges surtout affectifs se font sous forme de scripts préenregistrés ». Résultat : « Ils structurent véritablement la façon de mettre en scène le couple et de vivre les moments d'échange, notamment sexuel. »

Hub social

Si les MMORPG et les jeux flash semblent tout indiqués, le fait de rencontrer son, sa ou ses partenaires sur des jeux en ligne n’est pas cantonné à un genre particulier, comme en témoigne cette série de reportages de Jeuxvideo.com, qui a suivi en 2013 un couple tombé amoureux sur le jeu de tir à la première personne (FPS) Counter-Strike.

Pour Antoine*, rien de plus normal. « Il n’y a aucune différence entre un jeu et un lieu physique. Tu peux tout autant discuter ! » Le jeune homme est resté un peu moins d’un an avec une joueuse rencontrée sur Transformice, jeu vidéo indépendant. « Rapidement, on est sorti du cadre du jeu et on a échangé au micro, à la cam… Un rituel s’installe : tu rentres le soir, tu parles avec la personne. »

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Si leur relation à distance n’a pas fonctionné, aucun rapport avec le lieu de leur rencontre, qui n’est selon lui plus si atypique. « Pour moi, un jeu en ligne, c’est comme un site de rencontre ou un bar. Tu crées un lien social avec quelqu’un selon tes affinités, tu peux devenir super pote comme tomber amoureux. C’est un hub social. » Preuve de l’importance des liens entre gameurs, Antoine rappelle que « dans certaines guildes, dès qu’un joueur part, il peut y avoir un effet boule de neige — parce qu’on va sur un jeu aussi pour retrouver des amis, ou qu’on suit des parcours de vie similaires ». Les concepteurs en sont conscients : en 2018, le studio ArenaNet a lancé un site dédié aux témoignages d’histoires d’amitié ou d’amour nées sur leur jeu Guild War 2.

Raphaël Koster, docteur en socio-anthropologie, s’est interrogé à ce sujet. « Quelle différence entre une guilde et une association ? Quelle place les jeux vidéo laissent au-delà de leur cadre ? » Difficile de déterminer pourquoi la socialisation marche à plein régime dans certains jeux et pas dans d’autres. Un game design plus propice aux échanges ? « ll faut nuancer son importance », tempère Raphaël Koster. « C’est parfois l’intention voulue de mettre des messageries privées pour favoriser les relations, mais il n’y a pas de magie. L’ergonomie d’une technologie ne va pas forcément engendrer un usage ! »

3615 Pécho ton geek

Si Benjamin et Eugénie sont passés du virtuel au réel, il n’en est pas de même pour tous. « Le plus courant, c’est de séduire en réseau et de rester dans le fantasme », assure Raphaël Koster. Pour autant, la relation n’en est pas moins réelle. « Il est courant d’avoir des amis qu’on n’a pas vus depuis dix ans et dont on a des nouvelles grâce à Facebook. C’est un nouveau type de relation ! » Le sociologue relève une singularité dans les rencontres sur les jeux en ligne : « La revendication d’une identité geek. Assumer la marge sociale, la marge sexuelle parfois, et en revendiquer la légitimité. »

Des entreprises l’ont bien compris. Sébastien Moricard est à la tête de Geekmemore, « premier site de rencontre 100 % geek ». Créé en 2011, il propose aux 380 000 membres inscrits de rencontrer des passionnés de culture geek — japanimation, jeux de rôle, informatique… « Pour nos utilisateurs, cette culture est si importante qu’elle est un critère de rencontre. Ils sont là pour du sérieux. » Sur son site, Sébastien Moricard a constaté que « les jeux vidéo sont le vecteur de rencontres le plus fort ». La raison ? « Quand on mate un film, on ne se dit pas forcément cinéphile. Mais quand on joue à un jeu, on se dit gamer. »

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D’autres vont encore plus loin. La société vTime a créé « un réseau permettant aux utilisateurs de se rencontrer et de chatter grâce à un casque de réalité virtuelle ». Des avatars, ressemblant ou non à leur utilisateur, se baladent dans des lieux inspirés du réel. Et, comme dans un Second Life revisité, nouent des relations.

« Nous n’avons pas spécifiquement créé vTime XR pour les rencontres amoureuses, mais on sait que c’est parfois le cas. Certains se sont même fiancés ! » assure Clemens Wangerin, directeur général. « Des utilisateurs en relation longue distance s’en servent aussi pour passer du temps ensemble. », Que ce soit sur Habbo, Counter-Strike, un site de rencontre pour geeks ou en réalité virtuelle, il y en a pour tous les célibataires amateurs de jeux en ligne. Parfois jusqu’à l’ultraspécialisation : en 2016, un site nommé PokeDates proposait aux joueurs de Pokémon Go de trouver l’amour.

* prénom modifié

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