Culture

Les artistes belges ont un message à faire passer à Jan Jambon

« À long terme, je vois une montée de burn-outs et de suicides due aux économies que le gouvernement veut mettre en place. »
artistes devant le beursschouwburg
Toutes les photos sont de l'auteure

Signez la pétition contre la mesure de Jan Jambon ici.

Samedi dernier, le ministre-président flamand (et ministre de la Culture), Jan Jambon (N-VA), a annoncé son intention de réaliser de sérieuses économies sur les subventions dans le secteur culturel. Les subventions (ponctuelles) accordées aux projets verront une baisse drastique d'environ 60%, passant de 8,47 millions d'euros cette année à 3,39 millions d'euros en 2020. Et les subventions de fonctionnement accordées aux organisations culturelles seront réduites de 12 autres millions.

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Mardi soir, State of the Arts (SOTA) a organisé au Beursschouwburg à Bruxelles une réunion de réflexion sur la suite des événements. SOTA s’attendait à accueillir environ 200 personnes. Au final, ce sont plus de 2 000 personnes qui sont venues contester l'épargne culturelle du gouvernement flamand de Jambon.

On a demandé à cinq personnes présentes quelles seraient les répercussions de ces économies sur leur travail artistique et le message qu’elles ont à faire passer à Jan Jambon.

Maarten (28 ans, écrivain/poète)

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VICE : Salut Maarten. Quelle influence cette nouvelle politique culturelle aura-t-elle sur ton travail ?
Maarten : J’en remarque déjà les conséquences. En tant qu'artiste débutant, je ne m'attends pas encore à pouvoir vivre pleinement de mon art. Je recherche constamment des jobs à temps partiel, de préférence dans le domaine artistique. Dans le cadre d'une candidature récente, j’ai été informé qu'en raison des économies réalisées, cet emploi ne serait peut-être plus disponible dans un avenir proche. Ce poste vacant est maintenant en suspension. Je sais que ce sera plus difficile pour moi de conserver mon statut d'artiste, mais aussi de gagner un salaire supplémentaire en acceptant un emploi à temps partiel dans mon secteur, car ces emplois vont disparaître petit à petit.

As-tu un message pour Jambon ?
Mon Dieu, non… Je pense que l'écart idéologique entre moi et Jan Jambon est trop grand. Je n’aurais vraiment rien d’autre à dire à cette personne que : « Va te faire foutre ! Reste avec tes capitalistes néolibéraux qui détruisent notre monde. »

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« Je ne pense pas qu’on y arrivera en le demandant gentiment et poliment à genoux, peu importe le nombre de signatures rassemblées sur une pétition. »

Y a-t-il une solution selon toi ?
Que tous les Belges progressistes, qu’iels soient bruxellois, flamands ou wallons, sortent de chez elleux et s’impliquent. Faisons en sorte qu'il y ait d'autres rapports de force politiques aux prochaines élections. Parce que je ne crois pas que la majorité actuelle, capitaliste néolibérale pure et dure, ne changera un jour sa vision de l'art, de la culture et de la société. La question qui se pose est donc la suivante : comment faire en sorte que les autres opinions sur ce que signifie le fait « d’être humain » puissent reprendre les rennes dans notre société ? Je ne pense pas qu’on y arrivera en le demandant gentiment et poliment à genoux, peu importe le nombre de signatures rassemblées sur une pétition.

Les pétitions n’ont donc pas de sens pour toi ?
Je pense que c’est bien que nous reprenions à nouveau les mêmes mesures, faits et gestes que nous avions entrepris lors de la précédente coupure budgétaire. Mais je me demande si on ne pourrait pas aller plus loin et plus fort.

Qu’entends-tu par « plus fort » ?
Bon, je remarque simplement qu'il y a peu de mouvements de protestation populaires capables de réussir à provoquer des concessions politiques efficaces. À très petite échelle, je vois que les spamming de masse et les actions qui dérangent, telles que celles des jeunes de droite osent souvent entreprendre, s'avèrent être des moyen de pression sûrs. Et je dois citer les gilets jaunes. Si quelqu'un connaît un mouvement social autre que les gilets jaunes qui a réussi à imposer de sérieux compromis aux politiques, je serais plus que ravi de l'entendre. Je pense qu’on devrait oser prendre ces risques.

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Clara (25 ans, artiste plasticienne)

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VICE : Hey Clara. Que penses-tu de la décision de Jambon ?
Clara : Pour moi, cette décision est une agression idéologique, plus que financière. L’artiste est une personne qui tente de remettre en question des choses de la vie et qui va ensuite communiquer ses pensées avec le grand public. Avec ces coupures budgétaires, le gouvernement s'assure simplement d’empêcher la communication ; la voix de l’artiste est censurée.

« En tant qu'artiste, il est déjà difficile de joindre les deux bouts. Sans cette aide, cela ne fera que s'aggraver. »

Comment cette situation t’impacte-elle personnellement ?
Je suis encore une jeune artiste et je dépends donc très fortement des subsides et de l'aide du gouvernement. En tant qu'artiste, il est déjà difficile de joindre les deux bouts. Sans cette aide, cela ne fera que s'aggraver.

Qu’aimerais-tu dire à Jan Jambon ?
Pourquoi ne voulez-vous plus investir dans l'art et la culture ? C'est très simple à dire, mais j’ignore si c'est vraiment si compliqué. C’est peut-être très simple et on tente de nous faire croire l’inverse. Je pense qu'en tant qu'artistes, on doit continuer à communiquer avec notre art et le partager avec un large public. Je pense que c’est surtout là-dessus qu’on doit travailler.

Stef (27 ans, artiste)

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VICE : Hey Stef. Quelle influence ces coupures budgétaires ont-elles sur toi en tant qu’artiste ?
Stef : J'avais déjà des projets qui ne pouvaient pas continuer en raison des épargnes précédentes. De nombreuses organisations à but non lucratif qui ont donné une chance aux jeunes et aux artistes débutant·es la possibilité d'expérimenter et de développer leur langage ont dû s'arrêter. Ces économies ont donc déjà eu un impact direct et ça ne fera que s'empirer. Au vu de ces coupures, on doit continuer à chercher d’autres options pour pouvoir mener nos projets. Dans mon cas, par exemple, le Vooruit a pris à sa charge une partie des événements qui n’auraient pas pu continuer, comme exposer mon travail pour un futur projet.

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« Dans beaucoup de domaines, cette réduction mène à l’anéantissement de nombreuses identités. »

Et comment te sens-tu par rapport à cette situation ?
Mon travail tourne autour de la question du genre et de la diversité. Et c’est grâce aux organisations culturelles que ces sujets sont aujourd'hui au centre de l’actualité. Ces mêmes organisations qui vont être réduites au silence. Souvent ce sont aussi ces personnes-là qui s’intéressent aux des droits de l'homme. L'art et la justice vont souvent de pair. Ainsi, lorsque je parle de questions telles que l'égalité des sexes, la diversité, les vies transsexuelles ou non-binaires ou les genres non-conformes dans mon travail, ce sont des voix qui auront désormais encore plus de mal à trouver une place dans notre communauté.

En réduisant à nouveau les moyens, nous ne pouvons plus donner de voix à l’éducation, ni la liberté et l’imagination de nouvelles possibilités au sein de notre communauté. Donc, dans beaucoup de domaines, cette réduction mène à l’anéantissement de nombreuses identités.

Quelles conséquences cela aura-t-il sur notre société ?
L'art nous dit quelque chose sur l'identité, sur l’attribution des places dans notre communauté. C'est un miroir des comportements quotidiens les plus normaux, tels que la manière dont les gens réagissent les uns aux autres dans la rue. Mais aussi dans des situations où des personnes ordinaires, qui détiennent tous les privilèges ; sans cet art, ils ne pourront plus entrer en contact. Du coup, ces problèmes seront balayés sous le tapis, comme s'ils n'existaient plus. Mais le souci est qu'ils continueront d'exister.

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C'est peut-être une idée très extrême, mais à long terme, je vois une montée de burn-outs et de suicides due aux économies que le gouvernement veut mettre en place. Ça va de toute façon se traduire par des chiffres problématiques.

Je pense que leur objectif est surtout nous faire taire. Ils veulent renier l'existence d'une grande partie de la population. Après on ne finira pas par disparaître comme ça. Ça va d’office devenir très moche.

Quelles solutions aimerais-tu proposer à Jambon ?
On doit se réunir et les grandes organisations qui ont encore les ressources doivent s’assurer qu’il reste une place à toutes ces identités différentes. Les problèmes d’ethnies, de climat et de genre doivent continuer à monter à la surface et la grande diversité d’identités ne doit pas être reniée dans les principaux aspects culturels. La Pink House à Anvers, qui organise le Antwerp Queer Art Festival, par exemple, y travaille très dur et c'est fantastique.

Nele (37 ans, coordinatrice chez Gouvernement)

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VICE : Hey Nele. Quelle influence la nouvelle politique culturelle aura-t-elle sur toi personnellement ?
Nele : Je suis coordinatrice chez Gouvernement, une plateforme artistique à Gand. On avait un espace physique pendant cinq ans, mais en raison des précédentes diminutions de subsides, on a dû s’adapter et on a évolué vers une plate-forme nomade. Malheureusement, on n'a plus le budget pour coordonner notre propre espace, alors que c’est de plus en plus nécessaire dans ce secteur.

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« Malheureusement, on n'a plus le budget pour coordonner notre propre espace. »

Si tu devais t’asseoir à table avec Jan Jambon, qu’aurais-tu à lui dire ?
Si j’y réfléchis de manière rationnelle, sachant qu’il faut bien choisir ses combats, j'aimerais vraiment essayer de ramener les subventions de projet à la normale. Mais au fond, je voudrais aussi me battre pour un secteur culturel beaucoup plus soutenu en général, où il y aurait bien plus de possibilités.

Brahim Tall (aka Grover, 26 ans, artiste plasticien et musicien)

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VICE : Hey Brahim. Est-ce que les économies vont avoir beaucoup d’influence sur ta vie d’artiste ?
Brahim : Pas pour le moment, pas encore en tout cas. Je ne sais pas à quelle vitesse les économies vont effectivement arriver, mais je pense qu’obtenir des subventions pour les projets deviendra encore plus difficile. Je suis principalement ici pour faire preuve de solidarité envers les personnes qui ressentiront très fortement les effets de ces économies, et je souhaite participer aux réflexions pour les aider. Je pense qu’on se trouve maintenant dans une période où tout le monde doit être solidaire et faire savoir qu’on n’est pas seul·es.

Si tu devais faire passer un message à Jan Jambon, que lui dirais-tu ?
Jambon est un populiste, alors ce n'est certainement pas quelqu'un que l'on pourrait convaincre. À moins que toute la population flamande ou le plus grand groupe auquel il croit ne soit derrière nous. Pour cela, il faut convaincre les Flamand·es moyen·nes, qui ne font pas partie de la bulle artistique, ou plutôt culturelle, que l’art et la culture ont une influence importante sur leur vie. Dit grossièrement, s'iels regardaient plus loin que le bout de leur nez, iels comprendraient immédiatement pourquoi le secteur culturel est si important pour la Flandre, la Belgique, l'Europe et le monde entier. C'est un secteur qui génère avant tout de l'argent, ce qui garantit une base sociale aux personnes qui ne se retrouvent pas dans le secteur sportif, par exemple. Je ne vois tout simplement pas pourquoi on ne voudrait pas investir là-dans. L'art est tellement populaire, quand on va à des expositions, il y a toujours beaucoup de monde. Je ne comprends pas…

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