Life

En quarantaine avec une milice armée de Madagascar

Je suis parti pour faire un livre de photos. Sur place, ça ne s'est pas passé comme prévu.
Madagascar kalach
Photos de l'auteur

La France n'est pas encore confinée lorsque j'arrive à Madagascar le 11 mars. Sur cette île de l'océan indien, le Covid-19 n'est qu'une menace lointaine. Je suis ici dans le cadre de la réalisation d'un livre de photos sur Madagascar et l'Ethiopie, que je dois rejoindre dans la foulée. Un soir, je décide de quitter la capitale Antananarivo et partir dans le nord du pays en mission photo. Mon objectif est Antsohihy, petite ville du Nord, puis le Maromokotro, plus au sommet du pays. Pour quitter « Tana » le seul moyen est le taxi-brousse. Sur des routes très mal entretenues, le voyage est long, plus de 20 heures de trajet, et risqué à cause des dahalos – voleurs de zébus en malgache – qui volent et n'hésitent pas à tuer s'il le faut.

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Arrivé à Antsohihy, je me repose quelques heures dans un motel avant de repartir aux alentours de 7 heures du matin. Commence alors une expédition qui deviendra vite une aventure aussi incroyable qu'inattendue. Je trouve sur la route des transporteurs routiers qui me prennent en stop. Nous croisons beaucoup de barrages de police. En tant qu'étranger je dois systématiquement répondre à une série de questions : que fais-je à Madagascar ? Quel est mon itinéraire ? Pourquoi suis-je seul ? Ma réponse est toujours la même : je suis à Madagascar pour faire des photos et je suis en route pour Anjalava. Les transporteurs n'ont pas le même itinéraire que moi, je dois donc les quitter. C'est alors qu'un mec se propose de me conduire jusqu’a Anjialava pour 50 000 ar, soit environ 12 euros. C'est très cher mais je n'ai pas le choix, je suis bloqué à un barrage de police et il est déjà 13 heures. J’accepte sa proposition.

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Arrivé à Anjilava, je réalise que la route jusqu’a Maromokotro va être longue, bien plus longue que ce que je pensais. Mon manque de nourriture et d’eau m’oblige a renoncer à cet objectif. La seule solution est de passer par un autre itinéraire pour rejoindre mon nouvelle objectif : le « Befotaka Nord », la ville la plus proche qui me permettrait de prendre un taxi-brousse pour rentrer à la capitale. Je marche pendant plus de 4 jours avec mon sac à dos et tout mon matériel photo. La nuit, je dors chez les chefs de villages qui me donnent de la nourriture et à boire, en échange de médicaments.

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J'arrive enfin à Befotaka. Je me précipite vers un marchand pour lui acheter de l’eau, je suis épuisé. J’ai à peine le temps de terminer ma bouteille que je réalise que je suis encerclé par le corps d’armée de Befotaka nord. Ses soldats armés de kalachnikov m'interpellent, crient « Vazaha » [étranger en malgache, NDLR] et finissent par me conduire voir leur chef. J'ai une nouvelle fois le droit au questionnaire : Que fais-je dans ce coin de Madagascar ? Pourquoi suis-je seul ? Ai-je le coronavirus ? Je suis étonné car c'est la première fois qu'on me parle du virus depuis mon arrivée à Madagascar. Ces derniers jours, je n'ai eu aucun accès aux informations et j'ignore à ce moment-là l'évolution de l'épidémie dans le pays. La veille, le président malgache a fait un discours demandant à ce que tout étranger présent à Madagascar soit mis en quarantaine. Pas de chance pour moi, ça sera à Befotaka Nord.

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Les soldats m'emmènent dans un bâtiment en ruines un peu à l'écart de la ville. Il n'y a pas d'eau, pas d'électricité, pas de toilette. Des gardes armés me surveillent en permanence, 24h/24. Parfois ils sont six, parfois deux. Tous sont méfiants tant ils n'ont pas l'habitude de voir d'occidentaux débarquer de la brousse après plusieurs jours de marche. Ne parlant pas un mot de malgache, il m'est impossible de discuter avec eux. Seuls des attitudes, des expressions permettent d’interagir. Je ne me sens pas en danger. Je ne peux pas l'expliquer mais malgré les armes à feu, et la détention, je ne me suis jamais senti menacé. C'était comme si j'étais le personnage principal d'un film d'action. J'ai même passé une soirée avec mes geôliers à regarder les étoiles tout en écoutant de la musique capté je ne sais comment à l'aide d'une vieille radio.

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Au bout de quatre jours, ils me laissent finalement partir muni d'une lettre qui atteste que j’ai bien fait ma quarantaine à Befotaka. Mais à cause de l'épidémie de Covid-19, la situation a bien changé à Madagascar. Les taxis-brousses ne peuvent plus se déplacer et de nombreux barrages de police bloquent les routes et empêchent les véhicules de circuler, à l'exception des transporteurs de marchandises et de l'armée. Je suis obligé de rentrer à Antananarivo mais je n'ai plus que 50 000 ar en poche et aucune affaire personnelle à part mon matos photos. Je dois absolument trouver un moyen de rejoindre la capitale.

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A peine sorti de ma quarantaine je commence à marcher en direction de Befotaka. J’ai à peine le temps de faire 1 kilomètre qu’un mec passe en voiture s’arrête et me demande : « Eh mec tu veux aller à Tana » ? Je me dis qu'il est fou , l’armée bloque les routes et il n'y a aucun laisser-passer pour franchir les barrages. Ça me semble être la meilleure option qui s'offre à moi. Je lui donne 40000 ar, on démarre la voiture en la poussant – elle a un problème de démarreur – et c'est parti. Près de 800 kilomètres nous séparent de Tana. Après une heure de route, la voiture tombe en panne au milieu de nulle part. Après de vaines tentatives de réparation, le conducteur d'une des rares voitures croisées sur la route propose de nous remorquer jusqu'à la prochaine ville. Cinq heures plus tard, nous arrivons à Antsohily. Il est deux heures du matin, je suis épuisé.

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Lendemain matin, alors que le mécanicien commence à réparer notre voiture, je reçois un appel du chef de la gendarmerie de Befotaka. Il me demande ma position. Je lui donne. Quelle erreur. Une heure plus tard, deux pick up de l’armée débarquent. Ils s’arrêtent devant moi et près de dix hommes descendent, toujours armés d’Ak47. Je viens de comprendre que le chef de la gendarmerie avait donné ma position au corps d’armée d’Antsohihy. Je connais pas encore la raison mais je la devine : le coronavirus.

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Le président a fait un nouveau discours, tous les étrangers doivent rester en confinement jusqu’au 3 Avril. Impossible pour moi, j’ai pas assez d’argent pour pouvoir survivre autant de temps. Je suis a nouveau encerclé par l’armée, bizarrement je suis pas inquiet, je me tape même un fou rire pendant plus d’une minute pendant que les mecs perplexes me regardent. J’essaye de leur expliquer que je peux pas faire mon confinement ici parce que je n'ai pas d’argent – je ne peux même pas m'acheter à manger. Après une heure de débat, je sors un morceau de papier prétextant que c'est une convocation de l'ambassade de France à Antananarivo. Vu qu'ils lisaient très mal le français, ça fonctionne. Quatre jours plus tard, on arrive enfin à Antananarivo. Je loge chez des connaissances malgaches en attendant désespérément un vol pour la France. Il arrivera un mois plus tard. Je ne verrai jamais l'Ethiopie.

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