La crise de la masculinité dans le cinéma contemporain
Photo: taekwando

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Culture

La crise de la masculinité dans le cinéma contemporain

De plus en plus de réalisateurs mettent en lumière le rôle complexe de l'homme moderne au sein de leurs films. L'occasion de découvrir à quel point la masculinité telle qu'on l'entend est un concept inventé, avilissant, friable et surtout, en pleine...

Au BFI London Film Festival de 2015, la réalisatrice grecque Athina Rachel Tsangari, a remporté le prix du meilleur film pour Chevalier. On y suit six hommes sur un bateau, en compétition pour le titre de « meilleur, en général ». Leurs évaluations et comparaisons futiles vont de « qui peut le plus rapide pour assembler un meuble » à « qui jouit le plus vite » ; des tâches qui leur permettent d’établir un classement et de décider qui est le « meilleur » d’entre eux. Si vous vous dites « merde, encore un film sur des blancs hétéros et cons, » vous vous trompez. Le film est justement une satire cinglante de la masculinité. Tsangari détourne le « regard masculin » traditionnel du cinéma avec sa vision féminine de l’absurdité des hommes. Aux premiers abords, le film est acerbe et farfelu, mais aussi définit par le contexte économique de la Grèce, qui souffre d’une dette de plus de 300 milliards d’euros et d’un taux de chômage de près de 25%. Dans une nation maintenue par des valeurs patriarcales très présentes, qui compte des hommes dans la plupart des positions gouvernementales de choix, l’illustration proposée par Chevalier, d’égos masculins fragiles, s’impose comme un commentaire original sur les systèmes de pouvoir grecs défaillants. Et puis, l’arène des « jeux » de Chevalier est un bateau, symbole d’odyssée et de triomphe masculin dans la mythologie grecque, qui ici ne voyage nulle part, en est réduit à flotter sans but dans les eaux troubles de la Grèce.

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Chevalier n’a pas été le seul film de ce festival à évoquer l’effondrement de la masculinité grecque – à en donner un regard féminin. Park, de Sofia Exarchou, en est l’exemple. Si elle suit le modèle abstrait de la présentation de Tsangari (et qu’elle se range dans ce que les critiques appellent la Nouvelle Vague grecque du cinéma), l’approche d’Exarchou est plus littérale. Son film suit un groupe d’adolescents déchaînés et lâchés dans le parc olympique déserté des JO de 2004. Sans l’espoir d’un futur radieux et recouvert d’un ennui le plus total, ces garçons se réapproprient – littéralement – le comportement des chiens qui partagent leur espace. Avec en toile de fond la gloire olympique – et l’ultime symbole de « l’homme-héros » – la régression masculine de l’homme vers l’animal pointe une régression, d’autant plus violente pour la nation qui est le berceau de la civilisation occidentale.

Si Greek New Wave Cinemaa réellement bousculé la définition patriarcale de la masculinité – et son corollaire économique et social – la production cinématographique de cette année prouve que de plus en plus de réalisateurs ont choisi d’en faire le thème de prédilection de leurs œuvres. C’est surtout à travers les liens qui existent entre l’homosexualité masculine et la répression sociétale actuelle que quelques films ont changé la donne. Un exemple : Marco Berger, en Argentine, dont le film Taekwondo s’est attaché à explorer les tensions érotiques et sexuelles au sein d’une bande de jeunes mecs en vacances dans une maison de campagne. Taekwondoest une réponse cinématique à la frustration du désir masculin que Berger retranscrit en plongeant son spectateur dans l’intimité de ses personnages, contraints de retenir leurs émotions. Les paysages argentins se succèdent et laissent entrevoir la nudité masculine sous un angle sensuel, sans jamais basculer dans l’obscène. La perception du spectateur en est bouleversée, en ce que ce dernier est contraint de vivre littéralement, la frustration des personnages qu’il voit à l’écran. Présenté à Londres, le film et surtout sa scène finale – où deux personnages masculins succombent au désir qui les ronge en s’embrassant face à la caméra – ont été accueillis avec une joie, un soulagement et une euphorie collective.

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Taekwondo mélange les genres et parvient à porter un regard critique et engagé sur la répression du désir masculin, en y intégrant des élans de comédie. Une veine que le réalisateur mexicain, Amat Escalante a dénigrée au profit d’un drame aussi sombre que puissant. Son dernier film, The Untameddénonce en filigrane la misogynie et l’homophobie à travers l’histoire de deux personnages phares : une mystérieuse créature dangereuse et désirable et un mari macho dépressif qui couche avec le frère de sa femme. Dans le Mexique d’aujourd’hui, dont le taux de violences conjugales ne cesse d’augmenter, l’homophobie fait rage. Escalante propose donc, à travers son film et sa personnification de la violence (soit un alien assoiffé de désir et de destruction) une critique de la masculinité telle qu’elle est perçue sur le territoire aujourd’hui. L’alien qui mutile les personnages qui refusent de lui accorder les faveurs sexuelles qu’il demande est une métaphore poétique et politique au service de son pamphlet cinématographique.

King Cobra

La répression des nouvelles formes de masculinité est également l’objet du dernier film de James Kelly, King Cobra avec James Franco. Tiré d’une histoire vraie, le film revient sur l’ascension de la star du porno gay Brent Corrigan, et les désirs capitalistes de ses adversaires au sein de l’industrie – Joseph Kerekes and Harlow Kuadras. King Cobra atteint son paroxysme lorsque le meurtre de l’agent de Corrigan est commis par le duo d’acteurs. Dans l’intimité de l’industrie porno, le réalisateur parvient à retranscrire avec beaucoup de justesse la pression subie par ses acteurs et les angoisses existentielles qui les submergent avant de les conduire au meurtre. Coïncidence ou non, le film est sorti à une étape clé de l’histoire de la communauté gay mondiale, frappée par le crime estival du Pulse – mais aussi et surtout, par la discrimination grandissante enter-communautaire envers les « queer », les « folles » et tous les gay dont l’attitude ne se calque pas sur le modèle hétéronormé. King Cobra exacerbe ces tensions dans une scène mémorable qui met en lumière les rapports conflictuels entre Kerekes et son petit ami. Le premier ordonne au second de se « comporter comme un homme » pendant leur session gym. De fait, la critique de la masculinité passe chez James Kelly, par une volonté de faire tabula rasa des diktats enfantés par la société américaine et capitaliste.

Mais personne n’est allé aussi loin dans la critique de la masculinité que Barry Jenkins avec son terrible Moonlight, un film autour de la masculinité noire et homo dans l’Amérique ghettoïsée contemporaine. La magie du réalisateur réside dans sa capacité à dresser le portrait d’une masculinité double, nécessaire et friable. Les trois chapitres du film nous entraînent dans l’univers de Chiron, un jeune homme vulnérable et sensible dont la sexualité pose problème et dérange la communauté. En creusant la veine du teen-movie, Jenkins réussit à subvertir les rouages traditionnels du genre en déconstruisant la structure de son film. Chiron, héros schizophrène, se retrouve dealer. Sa masculinité travestie lui sert de rempart à la discrimination alentour. Elle est un système de défense dans une société hostile à la différence. Mention plus que spéciale à cette scène sublime où le premier garçon qu’il embrasse lui cuisine un repas – Chiron doit dès lors retirer la grille en or qui couvre sa dentition afin d’accepter, enfin, d’être nourri par l’homme qu’il aime. Bref, la masculinité se double désormais d’une profondeur et d’une complexité rarement aperçue au cinéma. Preuve qu’elle n’a plus ni lois, ni frontières.

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