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Toutes les images sont la propriété de La Centrale Collectif. Andrés Cifuentes qui fume, extrait d'Obscène sexualité © La Centrale Collectif.

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Culture

Obscène sexualité, le film belge qui questionne la prostitution masculine

« À la première projection, les travailleurs du sexe m’ont demandé qui j’essayais de séduire et d’arrêter de faire mes manières. »
FO
Brussels, BE

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Dans « Obscène Sexualité », l’acteur et metteur en scène Andrés Cifuentes incarne Juan, un travailleur du sexe sud-américain immigré vivant à Bruxelles. Loin de tout sensationnalisme ou misérabilisme, cette création du collectif belge indépendant La Centrale-Collectif - résultat de plus de deux années de recherches au sein du secteur de la prostitution - propose un regard complexe et profondément humain sur un sujet méconnu, tabou et stigmatisé. Quelques jours après la projection du film dans les locaux bruxellois de la Centrale-Collectif, on retrouve Andrés autour d’un café soluble comme on en boit dans son Chili natal.

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Andrés Cifuentes (à gauche), extrait d'Obscène sexualité © La Centrale Collectif.

VICE : « Obscène Sexualité » est une fiction aux allures de documentaire. Pourquoi avoir choisi cette forme de récit ?
Andrés : Le côté documentaire a aidé l’équipe du film à entrer dans la fiction et à sortir des clichés liés au travail du sexe. Quand je regarde un film, j’aime être à la frontière entre réalité et fiction. Être troublé. Je voulais parler de la prostitution masculine, pas de l’histoire d’un mec.

« Le but n’est pas de faire bander les gens mais de questionner le travail qu'est la prostitution. »

Pourtant ton personnage de Juan s’inspire essentiellement de la rencontre avec un travailleur du sexe.
Il correspondait à ces nombreuses personnes qui quittent l’Amérique du Sud pour aider financièrement leur famille restée au pays. Ce gars était piégé ici par une responsabilité envers sa famille et par son rêve de gagner plus d’argent. C’est dramatique mais je comprends cette pression sociale et cette façon de penser. Une personne qui n’accepte pas sa condition, son statut social me touche. En tant qu’acteur et metteur en scène étranger, je me demande quel peut être mon apport à la société belge ? Aborder la notion de différence est ma réponse. Tout mon travail, au cinéma comme au théâtre, tourne autour de cette notion.

Le titre du film et ses scènes explicites veulent provoquer le spectateur ?L’obscénité est dans le regard que certaines personnes posent sur ces pratiques. Dans la relation entre un travailleur du sexe et un client, il ne se passe pas grand-chose à part du sexe. On discute un peu, on fume une clope, on regarde peut-être un film porno et on y va, quoi. Il fallait donc passer par ces scènes. Je voulais que le spectateur ait accès à ce à quoi peut ressembler une telle rencontre. Le but n’est pas de faire bander les gens mais de questionner ce travail.

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« Leurs rencontres ne se déroulent pas comme je l’avais pensé. Ce n’est pas de la drague mais du commerce. »

La Centrale-Collectif mène un important travail de recherche sur le terrain pour la création de ses projets. Comment as-tu abordé ce film ?
J’ai fait mes rencontres grâce à des sites d’annonces. Les travailleurs du sexe sont souvent sollicités pour des photos et des entretiens. J’ai donc essuyé énormément de refus, des rendez-vous ont été annulés. C’est normal. J’ai tourné le film trois fois et leur ai présenté chacune des étapes. Ils m’ont donné beaucoup de pistes. Cette façon de mener un projet n’est pas dans les habitudes de notre équipe. Mais cette thématique est tellement complexe… Au départ mon personnage était plus érotique. A la première projection, les travailleurs du sexe m’ont demandé qui j’essayais de séduire et d’arrêter de faire mes manières, haha. Leurs rencontres ne se déroulent pas comme je l’avais pensé. Ce n’est pas de la drague mais du commerce.

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Andrés Cifuentes, extrait d'Obscène sexualité © La Centrale Collectif.

Tu avais d’autres clichés sur cette activité ?
Beaucoup. Par exemple je pensais qu’elle était un choix, que tu pouvais disposer de ton corps comme tu le voulais, que c’était un travail comme un autre. Finalement il l’est. Mais j’ai découvert beaucoup de honte, de mal-être et j’ai été confronté à des questions très importantes : Es-tu épanoui dans ton travail ? Est-ce qu’il te convient ?

« Ces personnes, et je parle d’une manière générale, sont abandonnés par un système et se retrouvent, pour différentes raisons, à exercer une activité dont elles ne veulent pas forcément. »

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Dans une société capitaliste, il n’est pas nécessaire d’aimer son travail pour le garder, comme l’ont abordé Juno Mac et Molly Smith dans leur livre « Revolting Prostitutes : The Fight for Sex Workers’ Rights ».
Ce n’est que mon avis et il n’est pas celui des abolitionnistes, des réglementaristes ou des associations mais je dois rester honnête vis-à-vis de ce que je ressens après deux ans et demi de recherches. Ces personnes, et je parle d’une manière générale, sont abandonnées par un système et se retrouvent, pour différentes raisons, à exercer une activité dont elles ne veulent pas forcément. Celles qui le veulent souffrent quand même d’une stigmatisation sociale qui les renvoie à un sentiment de honte.

Certains acteurs du film sont de vrais clients de prostitués. Ont-ils facilement adhéré au projet ?
La démarche de ces acteurs était aussi militante. L’un d’eux vit dans les Ardennes. A ses yeux, Bruxelles est la grande ville où il a plus de liberté. Il tenait à exprimer le bien que la prostitution lui fait. Le plus difficile pour lui était de se mettre nu. Physiquement. La première chose qu’il m’a dite, c’est ‘Je te fais confiance. Les gens vont rigoler de mon corps. Mais tu peux le montrer, c’est la réalité’. Tout s’est passé avec beaucoup de bienveillance. Par contre aucun acteur n’a mis ses sentiments à nu. C’était très important pour le film de conserver une certaine distance car finalement il n’y a pas de vraie rencontre, pas d’authenticité entre un client et un travailleur du sexe. C’est un jeu, une comédie et le client l’oublie parfois.

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© La Centrale Collectif

« Ma pièce de théâtre « Route N4 », qui parlait déjà de prostitution masculine, et d’autres projets ont été refusés. Les centres culturels ne veulent pas heurter leur public. »

Qui devrait voir « Obscène Sexualité » ?
Tout le monde. La prostitution est une thématique sociale qui concerne beaucoup de personnes - notamment les immigrés sud-américains - et les clients sont nombreux. J’aimerais projeter ce film dans des centres culturels mais je ne pense pas que ce sera possible. A cause des scènes explicites et de l’homosexualité. Ma pièce de théâtre « Route N4 », qui parlait déjà de prostitution masculine, et d’autres projets ont été refusés. Les centres culturels ne veulent pas heurter leur public.

Qu’attends-tu de ce film ?
Je voulais avant tout construire une œuvre cohérente et qui touche l’être humain. Mettre des images et des mots sur la prostitution masculine. C’est déjà énorme pour moi.

Obscène Sexualité s’inscrit dans le cadre des expériences cinématographiques « In your face » de La Centrale-Collectif et sera diffusé en 2019 dans des réseaux indépendants belges et internationaux.