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Illustration par Ben Ruby
Culture Club

DTM Funk raconte son expérience du racisme dans les clubs belges

« Parfois, les videurs étaient juste honnêtes et me disaient directement : t’es noir, c’est tout. »
Souria Cheurfi
propos rapportés par Souria Cheurfi
Brussels, BE

La semaine dernière, le Café d’Anvers mettait la clé sous la porte au grand regret de nombreux clubbers, mais pas tous. Parmi les posts qui sont venus inonder les réseaux sociaux à ce sujet, un message a attiré notre attention; celui du DJ, curateur et promoteur anversois DTM Funk , qui confie avoir été interdit d’entrée à plusieurs reprises à cause de la couleur de sa peau.

Nous l'avons invité à parler plus longuement sur le racisme qu’il a rencontré dans le monde de la nuit et l’industrie musicale.

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« Quand j’étais plus jeune et que je voulais sortir au Café d’Anvers avec mes amis, ils avaient toujours une excuse pour nous refuser l’entrée. Parfois, ils me demandaient ma carte de membre, sauf qu’il n'y a jamais eu de cartes. Certaines fois, ils me reprochaient de ne pas être avec une fille. Ils sont même allés jusqu’à dire que je m’étais battu la dernière fois que j’étais venu, alors que je ne me suis jamais battu de ma vie.

Il existe des tas de memes qui se moquent des excuses de la sécu’. C’est toujours les mêmes. Parfois la sécu du Café d’Anvers était juste honnête et ils me disaient : « désolé y’a déjà trop de nègres à l’intérieur. » Plus je vieillissais, plus j’appréciais leur franchise. Le fait qu’ils me disent directement : « t’es noir: c’est tout ». C’est débile, mais au moins ils étaient honnêtes.

Ça se produisait aussi dans d’autres clubs à Anvers, Bruxelles, Gand… Partout où je sortais à l’époque, je galérais à rentrer. Un jour j’ai rendu visite à mon frère - je suis adopté et mon frère est blanc. J’étais avec deux amis: un métisse et un moitié algérien, moitié belge. Mon frère est rentré en premier et nous avons été refusés. Ensuite mon frère a expliqué qu’on était frères, donc j’ai dû montrer ma carte d’identité et ils m’ont laissés rentrer. Le plus drôle dans tout ça, c’est que mon frère a six ans de moins que moi, pourtant c’est lui qui m’a aidé à rentrer.

« Maintenant que je suis plus âgé, je remarque que ce genre de problèmes n’a lieu que dans des clubs où la musique n’est pas l’élément le plus important. Au Café d’Anvers, la musique n’avait plus d’importance. »

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Quand j’ai partagé ce post sur Facebook ce qui m’a fait rire, c’est que beaucoup de gens ont réagi comme s’ils n’en avaient jamais entendu parler. Je pense que tous les gens qui sortent savent que ça a lieu, que la politique de la porte raciste existe encore. Tout le monde a un pote de couleur qui s’est déjà fait recaler. Beaucoup pensent que c’est abusé, mais en réalité ça se passe toujours aujourd’hui.

Maintenant que je suis plus âgé, je remarque que ce genre de problèmes n’a lieu que dans des clubs où la musique n’est pas l’élément le plus important. Au Café d’Anvers, la musique n’avait plus d’importance. Je respecte son histoire et son rôle pour la musique house, mais depuis que je suis arrivé à Anvers, il y a environ 10 ans, c’était déjà fini. Le week-end c’était plein de touristes et pendant la semaine, y’avait que des étudiants. Les gens qui sont dans la musique à Anvers n’y vont jamais pour voir jouer un artiste. C’est aussi pour ça qu’ils ont fermé. Je suis persuadé que c’est de leur faute s’ils ont fait faillite, ça n’a rien à voir avec la ville.

Je pense que les clubs commerciaux veulent attirer un public spécifique et ils ont peur que s'ils laissent entrer des personnes de couleur, elles commencent à se bagarrer ou je sais pas quoi. L’ironie dans tout ça, c’est que beaucoup de gars de la sécu’ sont des personnes de couleur

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Ce n'est pas un sorteur du Café d'Anvers

Il ne s'agit pas uniquement des sorteurs, des proprios de club et des clubbers. Je pense que beaucoup de gens ont une mauvaise image de certaines cultures et races. Ça fait des années qu’on trouve ça bizarre que j’écoute de la musique électronique. Dans l’esprit de beaucoup, les noirs écoutent seulement du hip-hop et les blancs de la techno. Ça n'a jamais été le cas. D'autres personnes me disent aussi : « All music comes from Africa. » J'en ai assez marre de ces généralisations.

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« Je pense que c’est difficile d’éviter les discriminations parce qu'il faut toujours faire des choix. »

Aujourd’hui, je sors surtout dans des endroits où c’est la musique qui importe. Donc à l’intérieur, on s’en fout de ton apparence et de ce que tu portes. Dans ce genre d’endroits tu te sens dans un safespace parce que tu peux être qui tu veux. Club Petrol à l’époque, Fuse, C12, Ampere, Beursschouwburg… Tout le monde peut rentrer tant qu’on se comporte correctement.

Je pense que c’est difficile d’éviter les discriminations parce qu'il faut toujours faire des choix. Le Berghain à Berlin par exemple. La sélection y est hyper importante car ils s’assurent de ne laisser rentrer que des gens qui n’auront aucun problème avec les autres qui sont à l'intérieur, aussi étranges qu'ils puissent paraître. Le problème c’est que si t’as pas l’air assez alternatif à leur goût, tu ne peux pas rentrer parce qu’ils présument que t’as un problème avec les gays par exemple. Tu peux avoir un look d’intello guindé mais être gros connaisseur en musique et n’avoir aucun problème avec les gens qui se promènent à moitié à poil.

« J’ai appris plus jeune que je n’étais pas le bienvenu dans certains endroits, donc j’ai cherché d’autres clubs. »

Ma conclusion dans tout ça c’est que les discriminations raciales arrivent surtout dans des clubs où la musique est reléguée au second plan. Dans la plupart des clubs où je joue, c’est la musique qui compte et la tolérance est de mise. Je ne sais pas si ça changera un jour. J’ai appris plus jeune que je n’étais pas le bienvenu dans certains endroits, donc j’ai cherché d’autres clubs. Au final c’est peut-être grâce à ça que j’ai découvert d’autres endroits et que j’ai réussi à me faire une place sur la scène musicale. »


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