Greta Thunberg est la preuve que les ados peuvent changer le monde
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greta thunberg est la preuve que les ados peuvent changer le monde

« Quand j’ai pris conscience de la crise du climat, j’ai fait une dépression. J’ai cessé de parler, cessé de manger, et d’aller à l’école. J’ai arrêté de sourire, et arrêté de m’amuser. »

Le philosophe Timothy Morton a popularisé le terme « hyperobjets » qui désigne les choses qui nous entourent mais que nous sommes incapables de saisir. Le réchauffement climatique est un hyperobjet – c’est un jour de février trop chaud, un cyclone au Mozambique, une inondation en Louisiane. C’est le fait de savoir que la moitié de nos émissions de carbone a été produite au cours de ces 25 dernières années. Les hyperobjets tels que le dérèglement climatique défient notre entendement et peuvent ainsi bouleverser la façon dont l’humanité envisage sa place sur notre planète. Ils ne sont pas abstraits, vagues ou distants. Les hyperobjets sont là, et nous vivons avec et à travers eux.

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Nous sommes au matin du vendredi 22 mars à Stockholm, une semaine après la grève mondiale de la jeunesse, au cours de laquelle près de 1,4 million d’étudiants dans le monde entier ont séché les cours pour exhorter les grands de ce monde à protéger leur futur, et celui de la planète. Cette manifestation a été le plus grand rassemblement de tous les temps en faveur du climat, et il a été à l’initiative d’une seule et même jeune fille. Greta Thunberg.

En un jour sans nuage, à l’extérieur du Riksdagshuset, le bâtiment du parlement suédois, un groupe d’environ 15 personnes composé de quelques adultes et autant d’enfants déambule le long de la rivière Lilla Värtan. Vendredi dernier, ce sont 15 000 ados qui se sont massés dans cette étroite portion de la ville. Dans les environs, on aperçoit une pancarte suspendue à un arbre, un signe instantanément reconnaissable à quiconque a suivi la grève de la jeune fille de 16 ans avant qu’elle ne soit rejointe par des centaines de milliers de personnes partout dans le monde. Il s’agit d’un panneau en contreplaqué peint en blanc, sur lequel il est écrit « Skolstrejk För Klimatet » (Grève Scolaire Pour le Climat) en lettres noires. Greta Thunberg a ôté le panneau d’origine il y a un moment déjà – il était abîmé et tombait en morceau après avoir survécu aux longs mois d’hiver.

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Adossée aux murs de béton qui bordent la Lilla Värtan se trouve Greta en personne, vêtue de son emblématique doudoune violette, d’un pantalon de ski rose vif, et de bottes de pluie. Sa garde-robe est limitée, elle ne veut pas de nouveaux vêtements. Elle a d’ailleurs demandé à ses parents de ne pas lui acheter de cadeaux pour Noël ou pour son anniversaire. Greta est petite pour son âge. Son visage est angélique, mais grave. Non loin se trouvent Helena, qui s’est portée volontaire pour gérer les nombreuses requêtes de médias que reçoit Greta, ainsi qu’un homme de grande taille, qui préfère rester anonyme, et donne lui aussi de son temps libre les vendredis pour soutenir Greta. Il reste dans le coin et tente d’empêcher la foule de submerger la petite activiste pour le climat – parce que tout le monde veut parler à Greta, tout le monde veut un selfie avec elle. Greta et son grand protecteur se sont rencontrés lors des premiers jours de sa grève en août 2018, lorsqu’elle a refusé d’aller à l’école pendant trois semaines au moment des élections suédoises. Elle a alors commencé sa grève solitaire pour la planète, désespérée par le dérèglement climatique et le refus des pouvoirs politiques de s’y intéresser. Elle a été inspirée par les étudiants du lycée Marjory Stoneman aux États-Unis, qui ont quitté les cours pour protester contre les lois sur la régulation des armes à feu après que 17 de leurs camarades aient été assassinés. À l’époque, il n’y avait pas de foule. « Tout le monde m’ignorait, les gens ne me regardaient même pas », dit Greta en se remémorant ces premières semaines.

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Son père, Svante, s’arrête alors près de nous, et Greta, sans le moindre sourire, lui demande ce qu’il fait là. En soi, l’agacement habituel d’une ado lorsque son parent essaie de se mêler de ses affaires. Mais il s’agit peut-être également de prudence – ceux qui essaient de discréditer le mouvement disent qu’elle est instrumentalisée par ses parents, ou par quelque organisation agissant à ses propres fins. « On me demande toujours qui est le manager de Greta, dit Helena. Greta n’a pas de manager ! Elle se manage toute seule ! »

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« Ce dont nous avons désespérément besoin, c’est d’un choc qui provoque une anxiété suffisante pour créer un traumatisme écologique – car c’est bien le traumatisme écologique qui définit l’Anthropocène en tant que tel », écrit Timothy Morton dans son ouvrage Hyperobjets : Philosophie et écologie après la fin du monde. Le choc profond auquel appelle Morton est celui que Greta a ressenti dès son plus jeune âge, après avoir entendu parler du réchauffement climatique à l’école. « Quand j’avais huit ou neuf ans, les instituteurs nous ont parlé des gaz à effet de serre et de la fonte des glaciers, explique Greta. Ils nous ont montré des photos du plastique dans les océans, des ours polaires affamés, de la déforestation. Je ne pouvais pas arrêter d’y penser. Ces images restaient imprimées dans mon esprit. Personne ne semblait se soucier de la catastrophe en cours, et ça me rendait très triste. Ça me dépassait complètement de voir des gens prétendre d’un côté qu’ils se souciaient du réchauffement climatique, que c’était très important, et ne rien faire à ce sujet pour autant. »

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On a diagnostiqué à Greta un syndrome d’Asperger quand elle était petite, et c’est à son autisme qu’elle attribue son impossibilité de faire abstraction comme la plupart d’entre nous. Comme elle l’explique dans le TEDtalk filmé l’an dernier, pour elle, comme pour de nombreux autistes, les choses sont noires ou blanches. Pour elle, c’est hyperobjet est donc simple : il s’agit de la plus grande menace à laquelle l’humanité ait jamais été confrontée, et il nous faut agir. « Quand votre maison est en feu, vous ne vous asseyez pas à table pour discuter des améliorations que vous allez y apporter lors de sa reconstruction, dit-elle. Quand votre maison est en feu, vous courez, vous vous précipitez dehors, vous vous assurez que tout le monde va bien, et vous appelez les pompiers. C’est cet état d’esprit que nous devons adopter. »

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Lorsqu’elle a pris conscience des effets concrets du réchauffement climatique, la vie de Greta a changé. « J’ai fait une dépression quand j’ai eu 11 ans. J’ai cessé de parler, cessé de manger, et j’ai arrêté d’aller à l’école. J’ai arrêté de m’amuser. J’ai arrêté de sourire. » De ce temps où Greta se sentait incapable d’aller à l’école, est ressorti quelque chose de positif de ce temps : elle a réussi à impulser un changement dans sa propre famille. À l’époque, ses parents en savaient peu sur la crise. « Vu que j’étais tout le temps chez moi, mes parents ont dû rester à la maison pour s’occuper de moi. Alors on s’est mis à discuter. Je leur ai exprimé mes inquiétudes et mes préoccupations quant au climat et à l’environnement, et bien sûr, ils ont fait comme tout le monde, ils m’ont répondu que tout irait bien. Mais plus tard, quand j’ai continué à en parler, à leur montrer des articles, des rapports, des graphiques… ils ont compris l’urgence. Ils ont été choqués de voir à quel point la situation était sérieuse. Ils ont vraiment culpabilisé quant à leur mode de vie. » La mère de Greta était une célèbre chanteuse d’opéra qui se produisait dans le monde entier, mais après avoir suivi l’exemple de sa fille, elle a renoncé à prendre l’avion. Lorsqu’ils ont besoin de voyager, ils prennent le train. Comme Greta, ses parents sont vegans, et ils évitent autant que possible d’acheter des choses neuves. Bien que Greta soit prompte à souligner que la différence que peut faire un individu en termes d’empreinte carbone est minuscule, et que c’est aux gouvernements et aux entreprises de suivre les recommandations du GIEC si nous voulons éviter le désastre, elle veut tout de même vivre de façon à minimiser son impact sur la planète.

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Depuis qu’elle a émergé sur la scène internationale grâce à son mouvement de grève et à son influence toujours croissante, Greta a été conviée à s’entretenir avec des dirigeants politiques dans le monde entier. Rien que l’an dernier, elle a fait un discours à la Conférence pour le Climat des Nations Unies, a été nominée pour un Prix Nobel de la Paix, et s’est montrée déterminée lorsqu’elle a rappelé leurs responsabilités aux habitants les plus riches de la planète lors du Forum Economique Mondial. « J’ai pu voir comment les choses marchaient, et je me suis rendu compte que nous ne contrôlions pas grand-chose. On nous fait croire que c’est le cas, qu’il y a des personnalités politiques qui essaient, mais j’ai parlé à beaucoup d’entre elles, et elles ne savent ni ce qu’elles font, ni ce qu’il se passe… On dirait qu’ils sont vraiment perdus. »

Alors que midi approche, la foule s’épaissit autour de Greta. « Avant, il y avait surtout des personnes âgées », dit Helena, mais récemment, il y a plus de jeunes qui passent et qui restent parfois toute la journée. Aujourd’hui, un groupe de collégiens de 11 est venu lui rendre visite. Ils sont entassés les uns sur les autres contre le pont de béton. Leur professeur, Anja, a fait deux heures de route avec eux pour soutenir Greta dans le cadre d’un projet scolaire sur le dérèglement climatique. Anja nous montre le panneau qu’ont fabriqué les garçons. Elle n’avait pas conscience du sérieux du dérèglement climatique jusqu’à ce qu’elle entende parler de Greta. Un groupe d’enfants qui marche de l’autre côté de la rivière s’écrie : « Salut Greta ! » Non loin, un groupe d’hommes âgés de la soixantaine se dresse avec des pancartes autour du cou sur lesquels on peut lire : « les vieux pensent au réchauffement climatique ». Ils veulent dire à Greta qu’ils sont désolés, qu’ils savent qu’ils appartiennent à la génération qui a vraiment tout fait dérailler. Trois grands adolescents attendent patiemment pour prendre une photo avec elle. Elle accepte, et ils se rassemblent autour d’elle, souriant pour la photo. Une femme s’avance vers elle et lui tend une rose, puis la prend dans ses bras.

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Des gens avec des appareils photo aux objectifs extrêmement longs se bousculent pour réussir à prendre un portrait, le doigt coincé sur l’obturateur. Son protecteur demande à la foule de reculer un petit peu, mais tout le monde se l’arrache. Une scène intense à observer. Tout le monde finit par lui laisser de l’espace. Un groupe d’ados venus soutenir Greta est assis en cercle non loin, avec des déjeuners qu’ils ont ramené. Ils ne se connaissaient pas avant aujourd’hui, mais ils ont établi une connexion, et maintenant, ils discutent assis par terre. Parmi eux se trouve Esther, 16 ans, venue seule aujourd’hui pour sa première grève. Ses amis n’ont pas voulu l’accompagner – ils ne croient pas que le réchauffement planétaire soit un vrai problème – mais elle est passionnée.

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C’est au bout de trois semaines de grève que Greta a compris qu’elle devait continuer pour pérenniser son mouvement. « Je me suis demandé pourquoi arrêter maintenant alors que les gens m’écoutent. Si je m’arrête maintenant, ce sera comme si c’était fini, comme si ce n’était que l’affaire d’une fois. Alors j’ai décidé de continuer ma grève tous les vendredis. Jamais je n’avais imaginé que ça prendrait une telle ampleur. Je ne pensais pas que les gens s’en souciaient vraiment. Mais je pense qu’il y a plus de gens qui s’en soucient qu’on ne le croit. C’est un mouvement qui devait arriver. »

Si certains détracteurs affirment que les écoliers ne cherchent là qu’une excuse pour sécher les cours, il suffit de parler aux jeunes qui ont rejoint la grève pour se rendre compte qu’ils ressentent une réelle inquiétude, frustrés par un pouvoir qu’on refuse de leur donner et un système d’élections dont ils sont encore exclus. Cette génération est celle qui commence à véritablement ressentir le traumatisme écologique, et qui va devoir le traverser. Ils sont nés à l’ère de l’éco-anxiété profonde qu’il est impossible de refouler comme l’ont fait les générations précédentes. Ils voient la catastrophe se jouer ici et maintenant, non comme une sorte d’entité séparée existant « quelque part », mais comme une partie d’eux à part entière.

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Greta essaie toujours de déterminer ce que sa grève solitaire est devenue. « Je n’arrive pas à comprendre. Après la grève, j’étais tellement fatiguée que je n’arrivais pas à penser clairement – alors lendemain, je me suis assise pour regarder la carte des événements liés à la grève et des photos venant du monde entier et c’était juste… dur à réaliser… des centaines de milliers d’ados qui manifestaient rien que dans une seule ville. »

Greta a un message à faire passer à ses camarades grévistes. « Nous devons continuer à mettre la pression sur les pouvoirs en place et dire que nous n’arrêterons pas tant qu’ils n’auront rien fait. Parce que certes, nous avons accompli beaucoup. Nous avons réuni beaucoup de gens. Mais les émissions augmentent toujours, alors nous n’avons pas atteint notre but. Nous devons poursuivre jusqu’à ce que ce soit le cas. »

« Beaucoup de gens disent que ce mouvement a pris une véritable ampleur, et me demandent si je suis fière, mais nous n’avons encore rien vu. La crise du climat va empirer, devenir de plus en plus importante et de plus en plus urgente, au fil du temps. Ce n’est pas un coup d’éclat, c’est de notre futur tout entier dont il s’agit. » Alors quelle est la suite ? Tout ce que l’on peut dire, c’est que les choses sont sur le point de basculer.

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