« Je veux qu’on sente les charognes, qu’on entende le cri des agneaux »
Photos : Capucine Spineux

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Mère nature

« Je veux qu’on sente les charognes, qu’on entende le cri des agneaux »

Loin de l’image aseptisée de la campagne véhiculée par le Salon de l’Agriculture, la photographe Capucine Spineux dévoile les coulisses de la vie rurale – trash et charnelle.

L’enfant émerveillé par les mignons petits moutons, le politique rosi par le vin flattant la croupe des vaches Salers… Le Salon de l’agriculture, qui s’ouvre ce samedi 24 février, est l’incontournable grand-messe célébrant la beauté de nos campagnes façon Martine à la ferme. Loin de cette image lisse et folklorique, la photographe Capucine Spineux dévoile le contrechamp organique de la ruralité française. Il en ressort une série d’une rare intensité, ancrée dans le foisonnement des matières - plumes, sang, terre - et des êtres – hommes, vaches, mouches – dont nous publions ici les clichés les plus saisissants.

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VICE : La campagne, telle que vous la représentez, est très différente de celle qui se donne à voir lors du Salon de l’Agriculture. Était-ce votre intention ?
Capucine Spineux : Le Salon de l’Agriculture présente une vision esthétisée et aseptisée de la campagne. Ces fermiers tout propres sur leurs gros tracteurs, entourés de jolies vaches au poil lustré, ce n’est pas la ruralité que je connais. C’est une image fabriquée pour correspondre à l’idée que l’Homme se fait du Beau. On retrouve cette esthétique sur les briques de lait, par exemple : les vaches y sont photoshopées - comme les actrices en couverture de Vanity Fair. Moi, j’avais envie de représenter le monde agricole tel qu’il est vraiment : je voulais qu’on sente les charognes et le fumier, qu’on entende les cris des agneaux.

Vos images portent en elles quelque chose de macabre, de l’ordre de la putréfaction. Est-ce à dire que la vie des campagnes se décompose peu à peu ?
Pas tout à fait. Mais il est vrai que beaucoup de mes images tournent autour de la mort. C’était indispensable de montrer ce côté-là des choses car la mort et tout ce qui en découle – les vers, les mouches, les charognards – sont présents dans la vie d’une ferme. Rien de plus naturel, puisque c’est un endroit où les animaux vivent et donc, meurent. Je n’étais pas habituée à cette confrontation avec la putréfaction : j’ai trouvé cela à la fois beau et violent, sale et froid.

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Comment en êtes-vous venue à vous intéresser au monde rural ?
Mon compagnon, Simon Johannin, a grandi dans la région de la Montagne Noire, près de Mazamet. J’ai pour habitude de photographier mon quotidien et comme cet univers en désormais partie, j’ai naturellement commencé à le prendre en photo il y a six ans. Je n’ai pas cherché à faire du photojournalisme. J’ai plutôt essayé de donner à ressentir l’atmosphère du lieu - le froid, la boue, l’isolement…

Votre compagnon, Simon Johannin, s’est justement inspiré de cette série photo pour bâtir son roman, L’été des charognes . Comment fonctionne ce duo artistique ?
Avec Simon, nous sommes vraiment fusionnels. On passe nos journées ensemble et comme on travaille la plupart du temps chez nous, on s’aide l’un l’autre pour nos différents projets. Pour L’été des charognes, Simon est parti de ma série de photo et de l’effet qu’elle provoquait sur les gens - qui étaient souvent choqués ou dégoûtés. Et il en a tiré une série d’anecdotes. Quand il me l’a fait lire, j’ai trouvé ça génial et je l’ai poussé à aller plus loin. Comme pour chacun de ses manuscrits, je l’ai lu et corrigé à chaque étape de l’écriture.

À l’inverse, quel rôle joue Simon Johannin dans votre travail de photographe ?
Il est avant tout l’un de mes sujets préférés. Je le prends tout le temps en photo. Je m’inscris dans une démarche à la Sally Mann qui a beaucoup photographié son mari et ses enfants. Moi aussi, j’aime photographier les gens qui comptent pour moi, qui s’inscrivent dans mon quotidien. Peut-être parce que j’ai perdu un frère très jeune, j’ai le besoin d’emprisonner une part de ceux que j’aime.

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