Life

Désolé, mais je déteste les anniversaires

Totalitaire et inquestionné, l’anniversaire est un évènement superficiel et irritant qui mériterait d’être interdit.
fête anniversaire pourri billets
Bryan Steffy / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

« Alors, tu vas faire quoi ? ». Plus les années passent et plus cette question en apparence innocente me devient agaçante à entendre. Dans quelques jours je vais avoir 30 ans et l’approche de cette date fatidique me rappelle une chose : je déteste profondément les anniversaires ou plutôt l’anniversaire, ce rituel social pénible, trop rarement remis en question.

Je ne peux dire exactement d’où vient cette méfiance profonde : est-ce dû à cet anniversaire surprise particulièrement laborieux (pour ne pas dire traumatique) au collège, où un convive avait fini aux urgences suite à un poignet cassé ? Ou à cause de ma tante qui, m’offrant régulièrement des témoignages de pèlerinage pendant toute mon adolescence, a lié pour toujours chez moi l’idée de recevoir un cadeau à une profonde anxiété ? Je ne saurais le dire. Il n’empêche que, depuis, l’idée de forcer mon entourage à célébrer ostentatoirement le jour de ma propre naissance me semble de plus en plus gênant. Être au centre de l’attention alors que je n’ai rien demandé suscite chez moi un intense malaise (que semblait partager Einstein) ; devoir soutenir un sourire forcé aux lèvres, ces regards qui me scrutent comme s’ils attendaient que je monte sur la table pour faire un discours enflammé me plongent dans une perplexité craintive ; et passer une soirée à assurer la cohésion de groupes d’amis hétéroclites relève pour moi davantage de la corvée que du plaisir.

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Depuis quelques années, j’ai caché la chose sur les réseaux sociaux et j'entretiens autant que possible le flou sur la date précise, évitant de fêter l’événement. Mais la mémoire agaçante des uns et les passions astrologiques des autres font qu’à l’approche de la date fatidique, les questions et injonctions se multiplient et finissent par me cerner. Même si j’aimerais pouvoir me convaincre fièrement que je suis affranchi des conventions, ce n’est malheureusement pas le cas, et la pression autour de cet événement me prive de la quiétude de m’en foutre. L’horizon des 30 ans n’améliorant pas les choses, non pour cause de coquetterie ou par peur du temps qui passe (bien que le cap de la trentaine ne soit pas particulièrement réjouissant), mais parce que l'hystérie collective est encore plus forte que d’habitude. Et à chaque qu'on me lance un « mais 30 ans, ça se fête ! » d’un ton faussement enjoué je dois me retenir pour ne pas injurier les gens et leurs lieux communs absurdes.

Cette année comme chaque année, donc, contraint par mon entourage, je suis obligé de me demander « qu’aimerais-je faire ? » mais cette question est toujours piégée, puisque « rien » ne fait pas partie des réponses socialement acceptées et que tout cela repose sur un paradigme rigide où il est obligatoire de faire quelque chose. Pour les gens comme moi, l’anniversaire ne peut être que source d’émotions négatives. Les années où, cédant aux demandes insistantes, on se force à le fêter, on est en proie à l’inconfort, aux déceptions et aux angoisses, obligé de compter ses amis – dont le nombre, c’est scientifique, diminue avec l’âge – de se demander de qui on est vraiment proche – le genre de questions que, de nos jours, il vaut mieux éviter de trop se poser – ou de prendre du recul sur sa vie – ce qui, pour notre génération victime du chômage de masse et des galères de logement, n’est pas forcément agréable. Et les années où, héroïquement, on choisit de faire fi des convenances et de résister à la norme, le poids de celle-ci nous rattrape et l’on finit écrasé par le regret ou un terrible sentiment d’inadéquation.

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Car ce stress inutile provoqué par l’anniversaire ne relève pas de mes seules névroses, et si cette fête en apparence anodine et joyeuse peut-être, pour certaines personnes, source de contentement, elle semble produire un stress non négligeable chez de très nombreuses autres, jusqu’à devenir mortelle : selon une étude menée en 1983, le risque de mourir durant la période allant de deux semaines avant à deux semaines après son anniversaire serait nettement accru, le nombre de décès augmentant de façon significative dans les deux jours précédant le jour en question. D’après le psychologue Christian Helson, le « birthday blues », fragilisation psychique liées à l’approche de l’anniversaire, pourrait même conduire certaines personnes au suicide, en particulier les hommes – l’exemple le plus récent étant celui de Quentin Dehar, sosie français de Ken suicidé début septembre le jour de ses 26 ans.

« Et si ma crainte des anniversaires concerne en premier lieu les miens, ma défiance envers ce rite irritant inclut également ceux des autres »

Pourquoi, alors, tant de bruit pour quelque chose d’aussi insignifiant ? Pourquoi avoir inventé une tradition aussi fondamentalement morbide ? Car l’anniversaire n’est pas vérité immuable : comme le relate le philosophe Paul Preciado, visiblement aussi méfiant que moi envers cette glorification stérile, la célébration des jours de naissance a longtemps été considérée comme une fête païenne par l’Eglise qui privilégiait le baptême comme source de liesse légitime. Longtemps (comme le rappelle l’historien Jean-Claude Schmitt dans « L’invention de l’anniversaire ») un plaisir aristocratique, cette célébration individualiste ne sera véritablement démocratisée qu’à partir des années 60 et 70 qui, société de consommation et américanisation de notre société aidant, lui donnent la forme que nous connaissons actuellement avec son folklore kitch composé d’un gâteau, de bougies, de cadeaux, de chants, de surprises, cagnottes Leetchi et autres coutumes malaisantes.

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Et si ma crainte des anniversaires concerne en premier lieu les miens, ma défiance envers ce rite irritant inclut également ceux des autres : les personnes qui, adultes, y accordent une importance démesurée font naître en moi suspicion et mépris – exception faite, paradoxalement, des rares êtres qui se mettent en scène de façon caricaturale, prennent en otage leurs amis et transforment l’occasion en performance camp en révélant toute la vacuité narcissique. Mais la plupart du temps, les anniversaires relèvent davantage de l’amusement obligatoire que de la liesse spontanée, un peu comme les pots de départ ou les weekends entre collègues. L’idée qu’il faille un prétexte aussi creux pour passer un moment ensemble et prendre soin les uns des autres a, d’ailleurs, quelque chose de sérieusement déprimant : une journée par an, grâce à une notification sur Facebook, on se prête une attention factice pour mieux s’oublier le lendemain. L’artificialité de la chose détruit toute la beauté du geste et l’anniversaire ne devient rien d’autre qu’un pansement collé sur nos solitudes respectives. De la même manière, la propension consumériste de l’évènement, où l’échange de biens de consommation est supposé matérialiser et donner la preuve de notre amour, devrait nous inspirer la méfiance.

Pour mes trente ans donc, j’ai décidé que je fuirai la ville avec mon copain le jour de la date redoutée afin de m’épargner cette gêne, puis que je laisserai passer un mois avant de voir si, une fois la pression sociale retombée, j’ai réellement envie de le fêter, pour moi et pour moi seul. Et si je dois souffler des bougies, je ne ferai alors qu’un seul voeu : que si l’humanité survit au réchauffement climatique, nous oublierons (voire interdirons) les anniversaires pour inventer à la place d’autres rituels, plus collectifs et authentiques et surtout moins égotistes.

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